Pour en venir à la remarquable vigueur du cœur, il est, plus clairement encore que la lumière du jour, le siège de la chaleur naturelle dont jouissent toutes les parties du corps, avec une très puissante capacité à l’y répandre : [2] il est la source et l’origine de cette chaleur, et c’est une vérité que l’expérience de la palpation suffit à établir.Puisque la sanguification est l’ébauche informe d’une sorte d’assimilation ou d’un mouvement tendant à l’assimilation de la chair (parce que la moindre altération du sang le transforme en chair), [3] je sais que doit exister une ressemblance étroite entre la formation du sang et la partie où a lieu cette coction, laquelle nécessite une proximité de tempérament et d’autres qualités (qu’on appelle secondaires), telles que la couleur ou l’odeur. [1][4] Je soutiens pourtant hardiment qu’il ne peut y avoir plus grande similitude de substances encore en mouvement que celle qui existe entre le cœur et le sang, comme cela saute aux yeux : de fait, la masse du cœur est essentiellement composée d’une substance charnue, qu’on appelle son parenchyme, [5] [Pages 19‑20 | LAT | IMG] c’est-à-dire d’un épanchement de sang ou de sang répandu, fibreux, solidifié, dur et rubicond. Le cœur est donc parfaitement apte à assurer la sanguification, [6] Il est certain que cette fonction peut être plus légitimement attribuée au cœur qu’à la rate, dont certains croient qu’elle possède assez de chaleur et exprime suffisamment de similitude avec le sang pour pouvoir le fabriquer. [2][7]
Le chyle n’est pas opposé à la qualité naturelle du sang puisque nul n’ignore qu’il se l’approprie spontanément lors de sa toute première coction, et on reconnaît qu’il est ensuite transporté dans le cœur. Nous démontrons ensuite que le chyle y demeure à l’évidence pendant un certain temps, car il ne sort pas du ventricule droit [8] aussitôt qu’il y a pénétré : il n’en est éjecté que ce que la contraction cardiaque chasse d’un ventricule sans le vider entièrement ; on verrait au contraire qu’il y reste une quantité non négligeable de sang, que le cœur garde en son sein pour qu’elle s’y attarde et bénéficie d’une cuisson plus poussée ; de part et d’autre, la nature a disposé des oreillettes, qui sont comme les lieutenants des ventricules et forment des réservoirs où le sang va et vient jusqu’à ce qu’il soit parfait à tous égards. Si la portion chyleuse du sang n’est pas suffisamment modifiée dans la cavité droite du cœur, comme il peut être raisonnable de le penser, elle le sera ensuite complètement dans sa partie gauche, qui est beaucoup plus chaude et où elle séjourne aussi longtemps que dans le droit. Enfin, elle est à nouveau continuellement digérée lors de ses circulations itératives, et le mouvement rapide auquel elle est soumise [Pages 21‑22 | LAT | IMG] se trouve ainsi compensé par sa cadence élevée.
Tel que nous l’imaginons, le passage du chyle dans le cœur est certes véloce et précipité, mais n’en permet pas moins sa transformation en sang. En raison de la faiblesse de l’agent naturel qui la provoque et de l’inertie de l’objet qui la subit, une action ne s’accomplit bien sûr pas sur l’instant ; mais exactement pour la même raison, il est certain et évident qu’elle s’exerce à très grande vitesse si sa cause efficiente est douée d’une puissance très élevée, et si la matière sur laquelle elle agit est aussi parfaitement disposée à la recevoir, car sa nature la rend directement apte à subir l’effet qui lui est appliqué. Or le cœur est un agent très puissant, et le chyle est parfaitement préparé à recevoir son action car sa nature est très proche de celle du sang, comme nous l’avons prouvé. Je conclus donc que le chyle doit être transformé en sang par le cœur, bien qu’il traverse très vite et précipitamment son ventricule. [3][9]
En recourant à trois inductions, Le Noble [4][10] prouve que toute humeur doit s’arrêter dans la partie qui la digère : « Cette fonction du cœur devrait donc échapper à la loi commune, que la nature a inviolablement prescrite aux autres parties du corps pour accomplir leurs actions propres. Une telle assertion semble absurde si rien ne la fonde solidement, car alors, si le pylore retient si longtemps les aliments dans l’estomac, [11] n’est-ce pas pour que passe dans le chyle ce que leur substance contient de meilleur et de plus pur ? Et s’il est nécessaire que le sang et ses esprits [12] fort épurés et subtils, à partir desquels se forme directement la semence, s’attardent longtemps dans les canaux séminaux, n’est-ce pas pour que les testicules [Pages 23‑24 | LAT | IMG] leur communiquent leur vertu prolifique, puisque cette humeur, bien qu’elle soit fluide et diluée, doit disposer d’un temps suffisant pour s’écouler peu à peu en parcourant toute la longueur des vaisseaux déférents qui s’enchevêtrent en un labyrinthe de multiples lacis ? [13] Si enfin la merveilleuse providence de la nature, par singulier artifice, a construit un réseau admirable qui entoure la selle de l’os sphénoïde, [14] et y a ajouté les plexus choroïdes [15] qui sont dans les ventricules cérébraux, n’est-ce pas pour que le sang parfaitement élaboré, qui engendre les esprits animaux, [16] parcoure doucement d’innombrables sinuosités anfractueuses et y séjourne le temps de se préparer à recevoir le sceau de la faculté animale et à en acquérir les propriétés ? » Tout comme lui, nous voulons que l’humeur à digérer le soit dans l’organe qui la cuit, mais sans y mettre partout le même temps. Aristote [17] a formulé cette solide règle du ralentissement qui mesure l’effet de toute action par la vertu de son agent et la préparation de son sujet. Ainsi l’aliment séjourne-t-il fort longtemps dans l’estomac parce qu’il requiert une lente préparation, étant donné qu’il est solide et parfois difficile à dissoudre, mais fort éloigné de la substance du chyle, qui est égale, liquide et fibreuse. Le contraire est vrai pour le lait, les œufs, les jus, et autres mets légers et faciles à digérer. Ainsi doit-on philosopher sur le long trajet que parcourent les canaux déférents, qui s’enchevêtrent en un labyrinthe de multiples lacis, où s’écoulent [Pages 25‑26 | LAT | IMG] peu à peu un sang et des esprits qui sont fort épurés et subtils. La même réflexion vaut pour le sang parfaitement élaboré, qui parcourt doucement ailleurs d’innombrables anfractuosités sinueuses. Le fait est pourtant que ni le cerveau ni les testicules ne possèdent une chaleur aussi importante que celle du cœur, et qu’il y a plus étroite ressemblance entre le chyle et le sang qu’entre le sang artériel et l’esprit animal, ou entre le sang et les deux sortes de semences, masculine et féminine. Dans le cerveau, pour que l’esprit vital devienne animal, il a besoin qu’une matière étrangère, à savoir l’air, s’ajoute et mélange au sang. Pour la formation de la semence, le sang se comporte comme les esprits qui émanent des artères : il lui communique une idée du corps entier et la vertu plastique, avec aussi de l’air. [5] Le chyle, quant à lui, n’a besoin que d’une légère altération pour acquérir les caractères du sang. Même en supposant que le chyle s’échappe rapidement du cœur, Le Noble ne doit pas considérer absurde qu’un court espace de temps le transforme en sang puisqu’il y est soumis à l’action d’un organe très puissant. Ne pense-t-il pourtant pas que la durée requise pour parfaire toute action impose sûrement un repos long et prolongé de l’humeur qui la subit ? Si je ne me trompe, c’est ce qu’il entend démontrer en présentant l’exemple de la nourriture qui stagne dans l’estomac pendant toute la durée requise pour qu’elle se transforme en chyle, car il dit plus haut : « Pour qu’une telle transformation ait lieu, il est absolument nécessaire que le chyle soit retenu dans le cœur et y séjourne pendant le temps requis pour la rendre possible. » Il ajoute même plus bas : « < La sanguification […] se situe aussi dans les poumons, où la circulation mène le chyle, et où > il séjourne plus longtemps que dans le cœur, dont le mouvement continu l’expulse promptement, sans lui laisser le temps de s’y reposer. » [6] [Pages 27‑28 | LAT | IMG] Pourtant, en s’efforçant de mettre en avant l’induction du repos, il plaide plutôt pour celle du mouvement, comme on le voit quand il parle de la semence : « Puisque cette humeur, bien qu’elle soit fluide et diluée, doit disposer d’un temps suffisant pour s’écouler peu à peu en parcourant toute la longueur des vaisseaux déférents qui s’enchevêtrent en un labyrinthe de multiples lacis » ; disant ensuite, à propos de l’esprit animal, « pour que le sang parcoure doucement d’innombrables sinuosités anfractueuses. » Si cette induction exige, semble-t-il, un réel repos de l’humeur et son arrêt dans la partie qui la digère, elle renverse plutôt qu’elle ne renforce son opinion, et avantage celle de Pecquet, car son argument convainc qu’il n’est pas nécessaire que l’humeur se repose dans la partie qui la digère ; et plus loin, il attaque ce ralentissement. Tout comme nous faisons jaillir une étincelle en frappant deux cailloux l’un contre l’autre, et comme un fer rouge nous brûle la peau s’il la touche, si brièvement que ce soit, le perpétuellement mouvement du chyle n’empêche pas sa coction. La rétention et l’assimilation d’une humeur, comme est le chyle, ne consistent pas seulement en son arrêt effectif, mais aussi et plus souvent en un mouvement freiné et entravé, comme se font toutes les autres coctions. Il ne convient pas de soustraire l’action du cœur à la loi générale des inductions : si un repos effectif n’est pas requis pour les permettre, Le Noble a tort de tirer partout argument du fait que le chyle ne s’arrête pas dans le cœur, parce que son action est extrêmement puissante et que le chyle [Pages 29‑30 | LAT | IMG] y est retenu bien assez longtemps, étant parfaitement préparé et disposé à la subir pour se transformer en sang.
Il en appelle alors à l’autorité de Galien : [7][18] « Une autre preuve vient des très soigneuses observations de Galien, qui l’ont mené à dire qu’une multitude de veinules gagne le foie et le farcit, [19] en sorte que le chyle séjourne longtemps dans ces veines, avant qu’il n’en sorte et pénètre dans le parenchyme hépatique pour que sa chaleur puisse le cuire, comme fermente le vin nouveau, et le transformer pour engendrer un sang louable. Néanmoins, au cours de cette ébullition, un sédiment se forme à partir des excréments chyleux, lequel est féculent et épais, d’où surnage, comme une écume, une partie ténue et légère qui flotte à la surface du sang. C’est ainsi qu’est produit et préparé le sang qui sera ensuite conduit au cœur pour y acquérir son ultime perfection : par rayonnement et impression, ses passages réitérés dans les ventricules (car la circulation permanente l’y mène encore et encore) [20] lui confèrent sa faculté vitale. » À cette solide autorité, nous répondons que si Galien avait découvert les canaux pecquétiens, il n’aurait pas attribué la sanguification au foie, [21] mais l’aurait confiée au cœur.
Le Noble avance un autre argument pour démolir le pouvoir du cœur : « La sanguification est difficilement attribuable au cœur, organe que la nature n’a pas doté de capacités aussi diverses », comme [Page 31 | LAT | IMG] si un organe ne pouvait accomplir des actions diverses ; le cerveau n’en est pas moins investi d’un nombre largement plus élevé de charges plus remarquables que celles du cœur : perception des sens, mémoire, jugement, sentiments, mouvement et production des esprits animaux. Sans que j’aie à parler des multiples fonctions qu’assurent d’autres parties et en me fiant à l’autorité de Galien, n’énumère-t-il pas lui-même, parmi celles du foie, la digestion, l’expulsion de l’humeur excrémentielle et sa séparation de l’humeur ténue ? Et je pourrais continuer d’argumenter de la sorte. Le foie n’est pas l’officine du sang car Galien montre parfaitement qu’il est voué à d’autres fonctions, sans reconnaître que la nature a donné à ce même organe la capacité d’en accomplir une grande diversité ; mais au moins convient-il que le cœur a celle de produire le sang artériel et les esprits vitaux. [8]
Je ne comprends pas très bien ce que vient faire la coagulation (transformation du « sang en chair ») dans la sanguification, ni ce que sont exactement les « qualités secondaires » qui y sont requises, mais par sa couleur et son odeur, la prose du Clypeus me rappelle très fortement le déplorable latin de Jean Pecquet dans ses Experimenta nova anatomica (v. note [8], Historia anatomica de Thomas Bartholin, chapitre v).
Jean Pecquet (dans le dernier paragraphe, expérience i, de sa Nova Dissertatio) et Jean ii Riolan (dans un paragraphe inintelligible de son appendice de la réponse à Charles Le Noble, v. sa note [7]) ont parlé de la rate comme d’un second foie, mais sans aller jusqu’à en faire un lieu de sanguification.
La rate, comme le foie, produit des cellules sanguines au cours de la vie fœtale et lors de certaines maladies survenant après la naissance (hématopoïèse extramédullaire). Dans le chapitre xxxiii (pages 133‑134), De Liene, livre ii de son Anthropographie, {a} Riolan a résumé ce qui avait été écrit avant lui sur la sanguification splénique :
Inter Recentiores Vesalius, censet Lienem instar alterius Hepatis opitulari ad sanguinis confectionem, sed quomodo id fiat, non exponit. Varolius clarius id officium declarauit, videlicet crassiorem et sordidiorem chyli portionem ad truncum venæ Portæ delatam, per ramum Splenicum à Liene trahi et exugi, quam insita proprietate in sanguinem alterius speciei conuertit, multis partibus nutriendis idoneum et accommodatum.Hanc opinionem sequutus videtur Bauhinus, multisque rationibus probauit. Vlmus verò edito eleganti libello de Liene, huius visceris aliam actionem profert, quam tuetur et mordicus retinet. Rossetus lib. de vsu Anastomoseon vasorum Cordis, à Rondeletio, vtriusque communi præceptore olim in Monspeliensi Academia publicatam fuisse testatur. Inter tam varias et discrepantes doctissimorum Medicorum sententias de Lienis officio, non ausim Palæmonis vices agere.
Non nostrum inter vos tantas componere lites :
Et vitulâ tu dignus, et hic.Cuiusque opinio probabilibus nititur argumentis, quæ sigillatim conuellere, et laboriosum opus est, ac inuidiosum, atque receptam in scholis Galeni opinionem improbare nefas est videtur ? Sed cùm ipse Galenus ab Hippocrate et Aristotele dissentire non vereatur, cur nobis non licebit meliorem sequi et amplecti opinionem ? quum magnitudo nostræ professionis vnicuique liberum permittat arbitrium.
[Parmi les auteurs modernes, Vésale {b} pense que, comme un second foie, la rate vient à son aide pour fabriquer le sang, mais n’explique pas comment cela se fait. Varole {c} a plus clairement exposé cette fonction : la portion du chyle qui est la plus épaisse et la plus impure est transportée dans le tronc de la veine porte, d’où, en passant par sa branche splénique, elle est attirée et sucée par la rate, qui a la propriété innée de la convertir en un sang d’une seconde espèce, apte et propre à nourrir de nombreuses parties du corps.
Bauhin {d} semble avoir suivi cette opinion et l’a étayée de nombreux arguments. Toutefois, Umeau, dans l’élégant opuscule qu’il a publié de Liene, propose une autre action pour ce viscère ; il la défend et revendique mordicus, {e} mais Rousset, dans son livre de usu Anastomoseon vasorum Cordis, témoigne que Rondelet, qu’ils ont jadis eu tous deux pour professeur à l’Université de Montpellier, lui a enseigné cette hypothèse. {f} Devant les avis si variés et divergents de forts savants médecins sur la fonction de la rate, je n’oserais pas agir à la manière de Palémon :
Non nostrum inter vos tantas componere lites :
Et vitulâ tu dignus, et hic. {g}Chacun fonde son opinion sur des arguments probables, qu’il est laborieux et mesquin de démolir un par un, et ne semble-t-il pas défendu de contredire celle de Galien qu’on a apprise à la faculté ? Pourtant, puisque ledit Galien a osé n’être pas d’accord avec Hippocrate et Aristote, pourquoi ne nous serait-il pas permis de suivre et adopter un meilleur avis que le sien ? La grandeur de notre profession est de laisser chacun exercer son libre arbitre]. {h}
- Opera Anatomica vetera et nova (Paris, 1649, v. Bibliographie).
- V. note [21], seconde Responsio de Riolan, première partie, pour André Vésale.
- V. note [8‑2], Historia anatomica de Thomas Bartholin, chapitre iii, pour Constant Varole.
- V. note [7], première Responsio de Riolan, chapitre i, pour Caspar Bauhin.
- V. notes Patin 6/1152 et 2/1154 pour François Umeau (Ulmus) et son livre « sur la Rate » (Paris, 1578), où il imaginait que la rate élaborait le sang à partir du chyle, mais pour le cœur et non pour le foie.
- « Sur l’Utilité des anastomoses des vaisseaux cardiaques [chez le fœtus] » de François Rousset (Rossetus, l’inventeur de la césarienne chez la femme vivante, v. note Patin 7/159), Paris, Dionysius Duvallius, 1603, in‑8o de 100 pages.
V. note [16], Appendice de la lettre de Riolan à Le Noble, pour Guillaume Rondelet (Rondeletius).
- « Il ne m’appartient pas de juger un si grand différend entre vous. Vous méritez tous deux une génisse [le premier prix] » : Virgile, Bucoliques, églogue iii, conclusion de Palémon pour régler une dispute entre deux autres bergers.
- Galien pensait que la rate ne pouvait pas produire de sang. Il est tout de même délicieux de lire cela sous la plume de Riolan, dont un argument favori était de brandir l’autorité de Galien.
V. note [39], seconde Responsio, première partie, pour d’autres rêveries de Riolan sur le rôle de la rate dans la sanguification.
V. note [19], première partie du Clypeus, pour le postulat que le chyle est très proche du sang.
Comme avait fait Jean Pecquet dans l’expérience iii de sa Nova Dissertatio, Guillaume de Hénaut (son probable alias, qui torturait le latin aussi cruellement que lui) s’échinait vainement à expliquer comment le chyle issu des canaux thoraciques pouvait être digéré dans le cœur après s’être mélangé au sang dans la veine cave supérieure :
Riolan et Charles Le Noble avaient dénoncé l’ineptie de ces deux hypothèses.
Guillaume de Hénaut entreprend de citer sept passages tirés de la lettre de Charles Le Noble à Jean ii Riolan (première partie), pages 8‑10, que j’ai transcrits entre guillemets. Il commence par les trois exemples d’inductions (manières dont un objet modifie son sujet) tirés de Galien, sur le pylore, les canaux déférents et la carotide interne (v. note [7] de ladite première partie).
Proche de sa vertu prolifique (v. note [7‑2], première partie de la lettre de Charles Le Noble), la vertu plastique du sang était celle que les anciens philosophes et médecins tenaient pour « une certaine faculté qu’ils attribuaient à l’âme, par le moyen de laquelle ils croyaient qu’elle était la formatrice et l’architecte de son propre corps ; ils prétendaient que la nature donne à l’utérus de la femme une vertu plastique, pour y former le fœtus » (Trévoux).
Je me suis efforcé de rendre intelligible ce paragraphe fort embrouillé. Pour Guillaume de Hénaut (dont le latin, j’y insiste, n’a d’égal que celui de Jean Pecquet), la transformation du chyle en sang dans le cœur, étant donné l’étroite proximité qui existerait entre ces deux humeurs (v. supra note [3]), devrait être beaucoup plus simple et rapide que celles de l’esprit vital en esprit animal, dans le cerveau, et du sang en semence, dans les parties génitales ; contrairement à la coction du chyle dans le cœur, ces deux transmutations complexes obligeraient à un ralentissement du mouvement sanguin : dans le réseau admirable de la carotide et dans les plexus choroïdes du cerveau ; et dans les conduits séminaux des organes de la reproduction. Ces notions compliquées sont aujourd’hui tombées en désuétude, même en assimilant hardiment « l’air » à l’oxygène du sang artériel.
Guillaume de Hénaut a tronqué (de manière peut-être volontaire et déloyale) cet emprunt à la lettre de Charles Le Noble (première partie, page 10) : il est incompréhensible sans le remettre dans son contexte (< inséré entre chevrons >).
V. note [8], première partie de la lettre de Charles Le Noble, pour Galien sur le foie dans le livre iv de l’Utilité des parties.
En se fondant sur une critique tortueuse et laborieuse des arguments de Charles Le Noble et de Galien, fondée sur la diversité, à la fois limitée et illimitée, des fonctions assurées par les organes, le Clypeus estimait avoir solidement démontré que la sanguification est assurée par le cœur et non par le foie. Tout cela atteste d’un esprit obnubilé et aveuglé par une théorie nouvelle, mais évidemment fausse, tel que devait assurément être celui de Jean Pecquet, dont Thomas Bartholin avait magnifié la conviction avec ses Funérailles du foie.
Pages 17‑18, gvillelmi de henaut clypeus.
Quod attinet ad viuidum cor-
dis robur, luce clarius est id es-
se omnium partium naturali ca-
lore insito, et influente potentis-
simo instructum, quia est fons, et
———
origo caloris, præterquam quòd
propositionis veritas periculo tac-
tus confirmetur.
Scio, cum αιματωσις sit rudis, et
inchoata quædam assimilatio,
aut motus tendens ad assimila-
tionem carnis (quia sanguis le-
ui alteratione in carnem trans-
mutatur.) Necessum esse, vt in-
ter generandum sanguinem, et
partem, quæ ei coctioni præest,
quædam substantiæ temperament-
ti, aliarumque qualitatum, vt
coloris et odoris, (et quas secun-
darias vocant) similitudo non
leuis intercedat : sed audacter
sustineo non maiorem esse posse
substantiæ similitudinem, quæ ad-
huc in motu est, quàm quæ inter
cor, et sanguinem vel ipsis oculis
apparet. Etenim præcipua cor-
dis moles, et substantia carnea
est, quam parenchyma nuncu-
Pages 19‑20, gvillelmi de henaut clypeus.
pant, id est sanguinis affusio, seu
sanguis affusus, fibrosus, consi-
stens, dulcis, et rubicundus. Er-
go ad edendam αιματωσιν cor, vt
causa efficiens, validissimum est,
et efficacissimum. Certè id mu-
neris potiori iure cordi tribuen-
dum est, quàm lieni, cui et satis
caloris, et substantiæ similitudi-
nem satis expressam, vt sangui-
nem generet, inesse nonnulli au-
tumarunt.
Nemo nescit chylum sangui-
nis indoli non obluctari, cum pro-
xima coctione illam sponte assu-
mat. Præterea hunc ad cor effer-
ri profitetur.
Denique probamus euidenter
chylum sufficienti temporis in-
teruallo in corde versari. Nam
non statim atque dextrum cordis
ventriculum ingressus est, ex eo
elabitur. Id ex eo euincitur, quòd
———
in cordis contractione ventricu-
lus minimè inanis euadat, e con-
tra non parum sanguinis in eo
videre sit, quem ne in systole sua
cor totum e sinu suo exprimat,
vtque diutius in corde moretur,
ideoque perfectiùs coquatur, na-
tura vtrinque auriculas, tanquam
ventriculorum vicarias, et recep-
tacula cordi apposuit, in quas
confluat sanguis iterum, atque
iterum, donec sit omnibus nu-
meris absolutus. Præterea si,
quod rationi repugnat, chyli
portio in dextro cordis sinu alte-
rata satis non esset, et perfectum
sanguinis complementum non
adepta, ea tandiu quoque in si-
nistro long {a} calidiore tractatur,
quandiu in dextro permansit,
tandem repetitis assiduò cicula-
tionibus, recoquitur, sicque
ea, quam supponit, velocitas
- Sic pour : longe.
Pages 21‑22, gvillelmi de henaut clypeus.
crebritate compensaretur.
Sed velocem, ac præcipitem
chyli a corde lapsum cum eo fin-
gamus, nihilominus fiet sanguis
à corde. Quippe quòd si tam
propter agentis naturalis imbe-
cillitatem, quàm patientis
δυσπαθειαν actio non fiat in instanti,
ob eandem omnino rationem
certum sit, ac euidens, cùm ef-
ficientis causæ vires validissimæ
sunt, materialis etiam omnibus
ponendis dispositionibus ad reci-
piendum præpollet, et ex natu-
ra sua proximè ad effectus propo-
siti essentiam accedit, velocissi-
mam debere esse actionem ; atqui
cor est agens valentissimum, chy-
lus omnibus ad patiendum con-
ditionibus præditus est, et san-
guini proximus, vt probaui-
mus ; vnde conficio etsi esset ve-
lox, ac præceps chyli per cordis
———
ventriculum transitus, sangui-
nem tamen e chylo a corde fieri
debere.
Ab inductione triplici omnem
humorum {a} in ea parte, a qua co-
quitur, immorari debere probat.
(Ista deinde cordis actio eximen-
da foret a communi operandi le-
ge, cæteris corporis partibus a
natura ad suas ipsarum actiones
inuiolatè præstituta, quod vide-
retur absurdum sine firmo fun-
damento asserere. Numquid a
pyloro tamdiu sistitur alimen-
tum in ventriculo, donec tran-
seat in chylum quidquid in eo
substantiæ melioris atque purio-
ris est ? Numquid ipsummet san-
guinem, ac spiritus magis de-
fæcatos, et subtiliones, a qui-
bus immediatè semen coalescit,
vt prolificam à testiculis virtu-
tem accipiant, necesse est diu in
- Sic pour : humorem.
Pages 23‑24, gvillelmi de henaut clypeus.
canalibus spermaticis immorari,
si quidem sine iusto temporis spa-
tion {a} non potetst ille humor, licet
fluidus, et λεπτομερις, longa vaso-
rum deferentium curricula mul-
tis, et labyrintheis inter se plexi-
bus irretita sensim affluendo per-
meare ? nonne tandem, tametsi
è sanguine perfectissimè elabora-
to a natura generentur spiritus
animales, mira tamen eiusdem
naturæ prouidentia præter rete
admirabile in circuitu sellæ ossis
sphenoidis singulari artificio pro-
tensum, adhuc in ventriculis ple-
xum choroidem efformavit, vt
ille sanguis tot, et tam exiguos,
totque nexibus intricatos anfra-
ctus pedetentim excurrendo, sic
ibi longo detentus hospitio, im-
pressum tandem tarda præpara-
tione facultatis animalis sigillum,
atque caracterem acciperet.)
———
Nos quoque cum eo humo-
rem coquendum {b} in coquente par-
te detineri volumus, sed non æ-
quali vbique temporis mensura.
Huius moræ certa est allata ab
Aristotele regula, quæ temporis
quantitatem in omni quaque ac-
tione ab agentis virtute, et sub-
iecti præparatione commensurat.
Ideo diutus {c} alimentum in ventri-
culo sistitur, quippe quòd cùm
sit solidum, quandoque solutu
difficile, longè absit a chyli sub-
stantia æquali, liquida, et fibrosa ;
quare longa præparatione indi-
get : quod secus tamen accidit, si
lac, oua, ius, et alia ολιγοφορα, et
coctu facilia ingerantur. Sic
omnino Philosophandum de lon-
gis vasorum deferentium curri-
culis, quæ sanguis, ac spiritus
magis defæcati, et subtiliores
multis, et labyrintheis inter se
Pages 25‑26, gvillelmi de henaut clypeus.
plexibus irretita sensim effluendo
permeant. Sic etiam de sanguine
vel perfectissimè elaborato tot,
et tam exiguos, totque nexibus
intricatos anfractus pedetentim
excurrente existimandum. Ete-
nim nec cerebrum, nec testes
tanta caloris vi, quanta cor,
æstuant, nec sanguis arteriosus
tam similis est animali spiritui,
nec sanguis vterque semini, quàm
sanguini chylus. Nam spiritus
vitalis, vt animalis euadat, al-
terius materiæ aduentitiæ per-
mixtionem requirit, aërem quip-
pe. Sic se habet sanguis respectu
seminis, et spiritus arteriosi ; il-
lud totius corporis Ideam, vim-
que plasticam admittit, hic etiam
aërem. At chylus alteratione so-
la, eaque leui indiget, vt sangui-
nis caractere insigniatur. Quam-
obrem supposito quòd chylus è
———
corde citò elabatur, non absur-
dum videri debet, si à valentis-
sima causa breui temporis inter-
uallo in sanguinem mutetur. Pu-
tatne tempus, quod in quaque a-
ctione perficienda necessarium
est, in longa, et diutina scilicet
humoris quiete consistere ? hoc
ni fallor, probare intendit exemp-
plo alimenti tamdiu detenti in
ventriculo, donec transeat in
chylum ; cùm superiùs quoque
ait. (Profectò aut ad istiusmo-
di transformationem prorsus ne-
cessaria est chyli retentio, et sub-
sidentia in corde sufficiens, et ad
congruam vsque temporis men-
suram prorogata.) Cùm etiam
inferiùs hæc habet. (Quàm con-
sistat in corde, ex quo dum mo-
tu continuo celeriter egredi com-
pellitur, nullum ei in eo con-
quiescendi spatium relinquitur.)
Pages 27‑28, gvillelmi de henaut clypeus.
Et tamen dum quietis inductio-
nem in medium afferre conatur,
motus potius inductionem facit ;
quod apparet ex his verbis de se-
mine. (Siquidem sine iusto
temporis spatio non potest ille
humor, licet fluidus, et λεπτομερης
longa vasorum deferentium cur-
ricula multis et labyrintheis in-
ter se plexibus irretita sensim eff-
luendo permeare.) Et loquens
de spiritu animali. (Vt ille san-
guis tot, et tam exiguos, tot-
que nexibus intricatos anfractus
pedetentim excurrendo.) Ergo
hæc inductio, si realem, vt appa-
ruit, humoris quietem, et sub-
sidentiam in parte, á qua coqui-
tur, exigat, eius opinionem po-
tius destruit, quàm astruit, et
Pecquetum roborat. Ex ea enim
eius argumentatione conuincitur
non necesse est, vt humor in par-
———
te quiescat, à qua coquitur. Vl-
teriùs illa quies impugnatur. Vt
collisis inuicem silicibus scintil-
lam excutimus : et ferro canden-
te, vel celerrimè transeunte vri-
mur, si cutem tangat, ita chy-
lus, etsi in continuo esse motu,
attamen coqueretur. Humoris
retentio non in actuali quiete
tantùm, cuiusmodi est chylosis,
et assimilatio, sed etiam, et sæ-
pius in motu intricato, et irreti-
to consistit, cuiusmodi sunt om-
nes reliquæ coctiones. Ergo ista
cordis actio non eximenda foret
a communi operandi lege. Si au-
tem ad tempus actioni debitum
realem quietem pertinere non
contendat, ergo frustra vbique
inculcat chylum in corde non
immorari, cùm cor sit in agen-
do fortissimum, chylus verò
Pages 29‑30, gvillelmi de henaut clypeus.
sat diu in corde detentus,
ad recipiendum paratissimus,
et sanguini generando sit proxi-
mus.
Confugit ad Galeni authorita-
tem. (Valet etiam ad id compro-
bandum, quòd tamen verè dictum
est a Galeno, quàm studiosè ob-
seruatum, scilicet venulis innu-
meris, et mirabiliter insertis esse
iecur vndique plenum, vt chylus
in illis diutius retentus, et tan-
dem in parenchymatis substan-
tiam expressus, ab ipsius cali-
ditate velut vinum musteum
feruere, concoqui, altera-
ri in laudabilis sanguinis ge-
nerationem posset. In hac au-
tem ebullitione ex ipsis excre-
mentis quod fæculentum qui-
dem est, ac crassum subsidere, in-
natare verò quod tenue est, et
leue, ac veluti spumam quandam
———
in sanguinis superficie fluitare.
Postquam verò hac ratione ge-
neratus est, ac præparatus san-
guis, in cor ultimò perficiendus
solitis vehiculis deducitur ; bi-
nos enim cordis ventriculos tra-
iiciendo non semel, (nam diu-
tina circulatione rursus illuc ite-
rumque reducitur) vitalis facul-
tatis irradiatione, et impressione
donatur.) Cui sanè authori-
tati respondemus id, quòd si Pec-
queti canales reperiisset Galenus,
id munus hepati non tribuisset,
cordi verò αιματωσιν acceptam re-
dtulisset.
Alia ratione tentat cordis po-
testatem infringere. (Illud au-
tem munus frustra cordi tribue-
retur, si sanguinem gigneret,
cùm non constet esse a natura ei-
dem parti officiali concessum, vt
tam diuersa operetur.) Qua
Page 31, gvillelmi de henaut clypeus.
sivero {a} pars officialis, diuersa ne-
queat operari. Cerebrum longè
pluribus, atque nobilioribus mu-
niis fungitur, sensu communi,
memoria, iudicio, appetitu,
motu, et spirituum animalium
generatione : Atque vt multas
aliarum partium functiones reti-
ceam, nonne ipse Galeni authori-
tate fretus hepatis functiones
varias enumerat, nempe coctio-
nem, humoris fæculenti depul-
sionem, tenuis separationem ? Ea-
dem prorsus ratione sic possem
argumentari. Hepar non est san-
guinis officina, quia cùm con-
stet ex eo id aliis functionibus se
prodere, non constat esse a natu-
ra eidem parti officiali conces-
sum, vt tam diuersa operetur.
Saltem constat cor sanguinem
arteriosum, et spiritus vitales
producere.
- Sic pour : Qua-si vero.
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
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