Texte
Thomas Bartholin
Historia anatomica
sur les lactifères thoraciques (1652)
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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Thomas Bartholin, Historia anatomica sur les lactifères thoraciques (1652), chapitre xiv

Adresse permanente : https://numerabilis.u-paris.fr/editions-critiques/pecquet/?do=pg&let=1034

(Consulté le 08/12/2025)

 

[Page 43 | LAT | IMG]

Leur intérêt dans la pratique médicale[1]

En me fondant sur la fonction des lactifères thoraciques, je vais d’abord expliquer divers phénomènes auxquels le premier à les avoir décrits [2] n’a pas pensé ou pas prêté attention, et qui ont jusqu’à ce jour tenu les médecins dans l’incertitude.

  1. Par l’intermédiaire des glandes lactées, [3] ces lactifères puisent la force restauratrice des aliments et des médicaments cordiaux [4] dans l’estomac [5] ou l’œsophage, et la transmettent sans délai au cœur. Si les remèdes cardiaques, le vin, le vinaigre et les autres substances de cette catégorie [6] ravivent si rapidement l’esprit, et si ensuite les aliments apaisent la faim et revigorent le corps, c’est qu’existe une contiguïté entre le canal thoracique et l’œsophage, [7] et que son abouchement est proche du cœur. [8] Cette voie très courte et très rapide permet aux potions vulnéraires [9] ou pectorales [10] de parvenir au cœur et aux poumons, alors qu’elles n’y accéderaient pas dans le même état de pureté et d’intégrité si elles empruntaient les longs détours des veines. Les aliments nuisibles et les poisons gagnent néanmoins le cœur avec une identique célérité, pour ruiner le bon tempérament du corps [11] et corrompre les esprits[12]

    Herm. Conring[13] très célèbre professeur d’Helmstedt, [14] à qui j’ai écrit pour connaître son avis, est fort sceptique sur cette utilité nouvelle des lactifères : 1. la voie qui va du foie ou de la veine cave inférieure [15] au cœur est à tenir pour aussi rapide et courte, car elle se déverse dans ladite veine bien plus près du cœur que n’est l’insertion du canal thoracique dans la cave supérieure ; [16] 2. les lactifères thoraciques sont vides, hormis quelques [Page 44 | LAT | IMG] heures après un repas, si bien que le chyle qui est délivré par ce canal lui semble dérivé d’un aliment trop grossier pour être capable de rétablir la vigueur du corps ; 3. laquelle est bien plutôt alimentée par cette ardeur animale dont notre éminent auteur a prouvé qu’elle dépend des parties les plus grasses du sang, [17] sur des arguments qui ne paraissent pas infondés dans le livre qu’il a consacré à la question. [1]

    Pour répondre cordialement à ce grand ami, je ne doute pas un instant que le chyle soit transporté et rétablisse les forces tout aussi vite en empruntant les branches lactées qui s’insèrent dans la veine cave, et qu’il a été le premier à observer. Toutefois, la situation est entièrement différente pour le chyle qui passe par le foie, voie qui n’est pas si rapide et sûre, car il doit traverser le parenchyme et les multiples veines qui s’y éparpillent, et ce ralentissement diminue ses vertus cordiales et les disperse vers plusieurs autres destinations. [18] En outre, il ne s’enfuit que fort peu de chyle, voire pas du tout, quand il emprunte les lactifères qui gagnent la veine cave, car elle est presque entièrement vouée à ramener le sang provenant des artères. On trouve certainement du chyle dans le canal thoracique aussitôt après un repas composé d’aliments fort déliés, et nous en déduirons qu’il arrivera rapidement dans le cœur, comme il m’a semblé l’observer récemment sur le cadavre d’un homme en bonne santé, qu’on avait bien nourri quelques heures avant de le pendre et qui, au moment de l’exécution, avait bu plus de vin qu’il n’est ordinaire : [19] à l’ouverture du corps, aucune veine lactée n’était visible et celles du thorax ne charriaient pas une goutte de chyle ; mais il est pourtant certain que le vin avait gagné le cœur, à en juger par son intrépide mépris de la mort et par le sérum bilieux qui s’était écoulé de ses vaisseaux mammaires, [20] et nous verrons plus bas s’il s’agissait là de chyle épais ou plus délié, [Page 45 | LAT | IMG] ou des deux à la fois. [2] Il n’y a enfin pas de doute que le sang gras alimente l’ardeur de la chaleur animale, comme Conring l’a irréfutablement établi, à sa louable habitude, et comme l’ont suggéré nos livres de Luce animalium ; [3] mais la question se résout d’elle-même, parce que plus le chyle est gras, plus il engraisse le sang, comme nous allons en discuter maintenant.

  2. Les lactifères thoraciques récemment découverts expliquent plus aisément et simplement diverses affections.

    1. Sujet qui était jusqu’ici assez controversé, l’entente existant entre l’estomac et le cœur est désormais manifeste, sans plus avoir besoin de recourir à des nerfs, à d’obscures voies ou à d’autres subterfuges.

    2. La fièvre syncopale [21] provient de cette humeur crue que Galien, au chapitre iii, livre xii de la Méthode pour remédier[22] a liée à un défaut de la bouche gastrique. [4][23]

    3. Les palpitations cardiaques [24] à la suite d’un repas copieux ou en lien avec un excès de sérum [25] dépendant des boissons. Voyez Piso pour d’autres causes, comme l’hydropisie du thorax. [5][26][27]

    4. Un médecin avisé ne doit pas faire de différence entre cela et les modifications du pouls provoquées par les repas. Sa suspension au cours de l’asphyxie est même induite par l’obstruction des lactifères thoraciques [28] car l’humeur disponible n’est pas capable de diluer le sang, qu’une autre raison a rendu trop abondant, ce qui entraîne sa solidification. [29] Guy Patin[30] médecin parisien de très grandes intelligence et érudition, et très méritant doyen de la Faculté de cette ville, [31] en a vu un cas chez un homme qui a très longtemps souffert d’asphyxie, et dont l’ouverture du cadavre a trouvé les grands vaisseaux du cœur [Page 46 | LAT | IMG] emplis de sang coagulé. [6] J’ai moi-même très souvent observé cela en disséquant des personnes qui étaient mortes subitement. À Rome, dans un cas de fièvre très ardente, Panarolus, observation xxxi de sa première Pentecosta, a trouvé que le cœur était torréfié, ressemblant à une poire rôtie, sans aucune collection de liquide dans le péricarde. [7][32] On en déduit que les fébricitants ont besoin de boire beaucoup, comme ils en manifestent le désir. La même obstruction des lactifères a sans doute provoqué la syncope qui a emporté Robert de La Marck, [33] chez qui Smetius, au livre x des Miscellanea, a trouvé le ventricule cardiaque parsemé de caillots sanguins. [8][34] D’autres exemples s’en lisent un peu partout.

    5. L’ingestion d’un repas copieux peut provoquer une mort subite si la dérivation par le foie n’a pu l’évacuer rapidement. [9] Plater, livre iii des Observationes, page 652, rapporte le cas d’une hydropique qui, après qu’on eut évacué son ascite, avala une quantité extraordinaire d’aliments, et fut prise de vomissements et de cardialgie, [35] et mourut soudainement. [10][36]

    6. Dans toute gibbosité, [37] que sa convexité soit postérieure, comme dans la cyphose, antérieure, comme dans la lordose, ou latérale, comme dans la scoliose, les vertèbres dorsales se tordent et se luxent, en comprimant les lactifères thoraciques, ce qui provoque un effondrement de l’appétit et des vomissements, dont on voit des exemples en divers ouvrages de Galien, dans Hildanus, centurie v, observation lxv[11][38] et chez d’autres auteurs.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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