"Le jeudi 20e de décembre 1590, veille de la Saint-Thomas, mourut à Paris, en sa maison, maître Ambroise Paré, chirurgien du Roy, âgé de quatre-vingts ans, homme docte, et des premiers de son art, qui nonobstant les temps, avait toujours parlé et parlait librement pour la paix et pour le bien du peuple, ce qui le faisait autant aimer des bons comme mal vouloir et haïr des
méchants, le nombre desquels surpassait de beaucoup l’autre, principalement à Paris, où les mutins avaient toute l’autorité. Nonobstant lesquels, ce bon homme, se fiant possible à ses vieux ans, comme Solon, ne laissait à leur dire la vérité. Et me souviens qu’environ huit ou dix jours, au plus, avant la levée du siège, M. de Lyon, passant au bout du pont Saint-Michel, comme il se trouvât
assiégé d’une foule de menu peuple mourant de faim, qui lui criait et lui demandait du pain ou la mort, et ne s’en sachant comment dépêtrer, maître Ambroise Paré, qui se rencontra là, lui va dire tout haut : "Monseigneur, ce pauvre peuple ici, que vous voyez autour de vous, meurt de male rage de faim, et vous demande miséricorde. Pour Dieu, Monsieur, faites-la lui, si vous voulez que Dieu
vous la fasse ; et songez un peu à la dignité en laquelle Dieu vous a constitué ; et que les cris de ces pauvres gens, qui montent jusques au ciel, sont autant d’ajournements que Dieu vous envoie pour penser au dû de votre charge, de laquelle vous lui êtes responsable. Et pourtant, selon icelle et la puissance que nous savons tous que vous y avez, procurez nous la paix, ou nous donnez
de quoi vivre : car le pauvre monde n’en peut plus ! Voyez-vous pas que Paris périt, au gré des méchants qui veulent empêcher l’oeuvre de Dieu, qui est la paix ? Opposez-vous-y fermement, Monsieur, prenant en main la cause de ce pauvre peuple affligé, et Dieu vous bénira et vous le rendra." A quoi M. de Lyon ne répondit quasi rien, sinon que, contre sa coutume, s’étant donné la patience
de l’ouïr tout du long sans l’interrompre, il dit après que ce bon homme l’avait tout étonné, et qu’encore que ce fut un langage de Politique que le sien, toutefois qu’il l’avait réveillé et fait penser à beaucoup de choses."
[ éd. G. Brunet, A. Champollion, Paris, Librairie des bibliophiles, 1878, V, 65-66]