DUPUIS (Guy)

Pour une approche temporalisée et épistémologique de l'autisme : le sauvage de l'Aveyron au sein de l'oeuvre médico-philosophique de Jean Marc Gaspard Itard (1774-1838) comme prémices de la complexe figure future de l'enfant autiste

Texte intégral (PDF 7,78 Mo)Recueil archivistique chronologique numérisé (PDF 67,4 Mo)

Résumé

La confrontation contemporaine entre les différentes approches conceptuelles de l’autisme est génératrice d’incompréhensions mutuelles et de réactions massives d’attachement identitaire. L’auteur propose que ces approches, et plus largement l’autisme en tant qu’entité pédopsychiatrique, soient mis en perspective à partir de l’inscription de leurs conditions d’advenue dans le temps historique. Cette lecture temporalisée et épistémologique permet de repérer que l’autisme n’a pas toujours existé, que sa description princeps par Kanner, datée (1943), ressort de facteurs pluriels historisés, enfin que sa délimitation, éminemment évolutive, se modifie avec l’essor de nouvelles positions épistémologiques. L’auteur consacre sa thèse d’épistémologie et histoire des sciences aux prolégomènes du processus d’isolation du syndrome en étudiant les protoreprésentations attachées à l’avènement de la figure, récurrente dans les historiographies sur l’autisme en tant que borne mythique de rétrospection, de l’enfant Sauvage de l’Aveyron en sa courte apparition publique à l’aube du XIXe siècle (1800-1806). L’auteur vise ainsi à contextualiser les conditions de constitution d’un discours sur l’expérience d’éducation condillacienne des fonctions physiques et morales d’un enfant trouvé dans les bois, sans langage ni imitation, et jugé prototypique de l’homme naturel, objet dont les racines s’ancrent dans les philosophies du XVIIIe siècle et que les remaniements politiques capitaux de la Révolution française feront se précipiter dans l’urgence d’alors à devoir se penser sans référence ni au Roi ni à Dieu. Mais il n’y aurait pas eu d’enfant Sauvage sans son éducateur philosophe, Jean Marc Gaspard Itard (1774-1838), premier médecin de l’Institution des Sourds-Muets de Paris, reconnu aujourd’hui autant au fondement de la pédopsychiatrie que de l’oto-rhino-laryngologie. L’auteur situe ainsi sa recherche de contextualisation historique sur l’enfant Sauvage au sein de l’œuvre globale d’Itard, œuvre qu’il a, à cet effet, rassemblée en un recueil archivistique chronologique numérisé inédit, que viennent enrichir des archives privées correspondant aux dossiers médicaux d’Itard. La figure protohistorique de l’autisme se retrouve insérée dans une vaste construction médico-philosophique évolutive, où, aux préoccupations initiales portant sur le moral et l’aliénation dans le sillage de Pinel, se substitue subitement l’exploration des maladies de l’oreille et surtout de la surdimutité, mais aussi des épanchements corporels internes, à partir des paradigmes fondateurs de l’Ecole anatomoclinique de Paris : anatomie pathologique, physiologie membranaire de Bichat, nosographie basée sur l’observation. Cette substitution-clivage n’est qu’apparente car, à la fin de l’œuvre, l’enfant Sauvage réapparaît à la faveur d’un conflit avec l’auriste Deleau, à propos de la guérison des sourds-muets et de façon contemporaine avec la publication d’écrits sur la parole dans lesquels Itard révèle qu’il a, toute sa vie mais sans rien en signifier, poursuivi des éducations d’enfants idiots. La célèbre controverse Itard/Deleau, en même temps qu’elle renvoie à des confrontations techniques témoignant de postulats épistémologiques évolutifs (influence de la physique et de la thermodynamique), interroge l’abord de l’enfant perturbé dans son développement sensori-psychologique – sourd-muet et idiot de l’époque, ou autiste contemporain –, Itard défendant le caractère différentiel des capacités à imiter et penser, et affirmant de la sorte une position vitaliste enracinée dans l’hippocratisme. Se dégage ainsi, derrière une oeuvre à dominante surdimutité et otologie, une préoccupation médico-philosophique fondamentale pour la boucle entendre / penser / parler, autant du point de vue physique que moral. En ceci, les prémices de l’autisme ont à être reconnues dans leur extrême complexité, au service de l’élaboration actuelle – qu’appelle une préoccupation éthique soucieuse de déjouer la violence des conflits idéologiques – d’une part des articulations créatrices entre des approches épistémologiquement distinctes, d’autre part des rapports de croyance que la déréliction de l’autisme pousse à entretenir avec les théories et leurs pratiques afférentes.

Discipline : Lettres et Sciences Humaines
Université de Nantes

© 2008 Guy Dupuis
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