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Octobre 2010 |
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Sources : Vita Ballonii extraite du De Illustribus medicis parisiensibus de René Moreau (imprimée au début du premier livre des Consilia, Paris, Quesnel, 1635 ), Inventaires après décès de Guillaume de Baillou et de sa femme (Minutier central ET/XIX/381 [1614] et ET/XIX/383 [1616]).Guillaume de Baillou naquit à Paris en 1538. Son père, Nicolas, issu d’une famille noble originaire du Perche récemment installée à Paris, était maître menuisier et bénéficiait de la protection des Guillard qui lui permit de réaliser des travaux pour Catherine de Médicis. Guillaume fit ses études à Paris et enseigna d’abord les lettres et la philosophie au collège de Montaigu avant de commencer, passé l’âge de 25 ans, une formation médicale à la Faculté de Paris : il obtint le baccalauréat en médecine en 1568, à l’âge de 30 ans, et fut reçu docteur deux ans plus tard, en 1570, l’année où il se maria avec Geneviève Honoré, fille d’un apothicaire-épicier. Baillou devint ensuite régent et enseigna 46 ans à la Faculté, où il gagna les surnoms de "vir acutissimus" et de "flagellum majus baccalaureorum". Il fut élu doyen en 1580 et prolongé en 1581, pendant la plus grave épidémie de peste parisienne de l’époque moderne et au moment de la réactivation du conflit de la Faculté avec les chirurgiens. Il termina sa carrière comme l’ "ancien" de Faculté et mourut en 1616 à l’âge de 78 ans.
Extraits des Commentaires de la Faculté de médecine de Paris sous le décanat de G. de Baillou (1580-1581)
Selon la Vita Ballonii… Guillaume de Baillou avait "un corps carré et un peu obèse, plein, ouvert, un visage composé pour la joie, des cheveux et barbe rasés, une voix grandement suave, une élocution douce, avec un esprit facile à entendre, non railleuse ni pétulante" et "une diction ornée et élégante, concise plutôt que diffuse". Celle-ci le décrit aussi comme un catholique fervent, adonné à la charité, qui "n’a pas cessé un jour d’aller au sacrifice de la messe, se référant toujours pour les auspices à Dieu" et qui "a aidé les malades de ses conseils mais aussi les pauvres avec de l’argent". Toujours selon la Vita Ballonii, Baillou resta fidèle à la monarchie – une attitude courageuse dans le Paris ligueur – et aurait même été l’auteur d’un libelle, publié sous le pseudonyme de Rivet, dénonçant la calamité et la misère de la ville sous le gouvernement de la Ligue.Comme praticien, Baillou eut la réputation d’avoir de l’humanité, de la courtoisie et d’utiliser des "méthodes douces". Il fut surnommé le "médecin des enfants" et, peut-être pour cette raison, il fut sollicité en 1601 pour devenir le médecin du dauphin, le futur Louis XIII. Toutefois, Baillou déclina l’offre en alléguant son âge (il avait 63 ans) et la faiblesse de ses forces.
La famille fut d’une grande importance pour Baillou, dont quatre enfants atteignirent l’âge adulte. Il consacra une fortune importante pour l’établissement de ceux-ci, et notamment pour celui de son fils aîné, Nicolas, qui fut pourvu d’un office anoblissant de contrôleur des guerres en 1601 puis d’un autre de commissaire des guerres et chevau-léger de la Reine en 1614. Ses deux filles, Catherine et Geneviève, furent aussi correctement mariées dans la noblesse de robe. Seul son dernier fils, Etienne, ne suivit pas le chemin tracé par Guillaume et, en renonçant à la médecine pour se faire capucin, causa une vive déception à Baillou qui fut, selon la Vita…, "soufflé par le tourbillon, perdu, remué, l’esprit arrêté". Baillou acquit de nombreux biens immobiliers à Paris, notamment rue de Jouy, ainsi qu’à Romainville et à Drancy. L’habitation principale, sise rue de Jouy, dans le quartier Saint Paul, était toutefois relativement modeste, et assez simplement meublée. Elle était décorée d’une dizaine de tableaux de faible valeur figurant des scènes religieuses, à l’exception d’un portrait d’Henri IV. Le train de vie de Baillou était à l’avenant, comportant des habits simples, une domesticité réduite à une seule servante, pas de cheval pour se déplacer mais une mule. Au moment de sa mort, Baillou n’avait presque plus de livres, qui furent prisés en bloc et estimés à la modeste somme de 30 livres tournois. Les manuscrits de Baillou furent légués à ses deux petits neveux médecins, Jacques Thévart (petit neveu de Geneviève Honoré), qui en assura l’édition entre 1635 et 1649, et Simon Le Letier.
Vie et œuvres de
Guillaume de BaillouEvénements contemporains
Naissance à Paris 1538 1547 Mort de François 1er 1559 Mort d’Henri II 1560 Mort de François II 1562 Massacre de Wassy et début des guerres civiles Docteur en médecine de la Faculté de Paris, Mariage avec Geneviève Honoré 1570 Paix de Saint-Germain Epître au lecteur du premier livre des Consilia 1572 Saint Barthélemy Epître au lecteur du premier livre des Epidémies et Ephémérides 1574 Mort de Charles IX Epître au lecteur du deuxième livre des Consilia 1575 Rédaction des Paradigmata 1575-1580 (vers) 1576 Formation de la Ligue 1579-1582 Nouvelle tentative des chirurgiens parisiens d’entrer dans l’Université Elu doyen de la Faculté de Paris, prolongé en 1581 1580 Épidémie majeure de peste à Paris (environ 30 000 morts) 1584 Mort de François d’Alençon, Henri IV héritier du royaume 1585 Mise en place de la Ligue parisienne (1585-94) 1588 Journée des barricades, États généraux de Blois, assassinat des Guise, gouvernement des "Seize" 1589 Siège de Paris, assassinat d’Henri III 1590 Nouveau siège de Paris, famine (blocus plus lâche en 1591-2) Epître au lecteur du livre De l’arthrite, du calcul, et de l’hypostase urinaire contre Fernel 1591 1593 États Généraux, conversion et sacre d’Henri IV 1594 Entrée d’Henri IV à Paris 1598 Édit de Nantes et Paix de Vervins Refus de la charge de médecin du dauphin 1601 Nicolas, son fils aîné, est pourvu d’un office (anoblissant) de contrôleur des guerres 1603 1610 Assassinat d’Henri IV Mort de sa femme, Geneviève Honoré 1613 Nicolas commissaire des guerres et chevau-léger de la Reine 1614 États Généraux Mort à Paris 1616 1617 Assassinat de Concini Première édition de l’œuvre par Jacques Thévart, neveu de Geneviève Honoré, héritier de la plupart des manuscrits 1635-1649 Première édition du compendium de l’œuvre par Théophile Bonet 1668 Réédition vénitienne des œuvres complètes 1734-1736 Deuxième réédition des œuvres par Tronchin 1762 Traduction des livres des Épidémies et Éphémérides par Yvaren 1858
A l’exception d’un ouvrage collectif rédigé à la demande des autorités parisiennes lors de la peste de 1580-1 [1] et de deux thèses soutenues sous sa présidence, imprimées respectivement en 1610 et 1615 [2], aucune œuvre de Baillou n’a été publiée de son vivant. Selon la Vita Ballonii, quinze manuscrits furent transmis à ses petits neveux Jacques Thévart et Simon Le Letier, dont onze – de toute évidence les principaux – furent édités par Thévart entre 1635 et 1649. L’édition des manuscrits fut longue et difficile, si l’on en croit Gui Patin qui suivit de près cette édition et l’évoqua dans pas moins de neuf lettres de 1634 à 1649 [3].
* dans l’édition Thévart imprimée par Quesnel d’une manière relativement homogène, permettant des comparaisons d’un ouvrage à l’autre
Les manuscrits de Baillou restés non édités Nom du manuscrit (titre donné dans la Vita Ballonii de Moreau) Légataire mentionné De la gibbosité Thévart Abrégé des 5 premiers livres des facultés des médicaments simples de Galien Thévart Recueil des noms de toutes les maladies Le Letier Prophéties des sept sages mises en latin Le Letier Les trois livres de consilia
Les deux premiers livres de consilia, qui avaient été préparés pour l’édition par Baillou (puisqu’ils comprennent des épîtres aux lecteurs rédigées en 1572 et 1575), furent les premiers manuscrits publiés par Thévart en 1635 et 1636. Le troisième livre, publié en 1649 , est bien moins structuré et correspond plus vraisemblablement aux manuscrits mentionnés dans la Vita… sous le titre de "Lettres" (epistola) et de "brouillons" (adversaria) .
Les trois livres comprennent au total 295 textes intitulés "consilia" (120 dans le livre 1, 52 dans le livre 2 et 123 dans le livre 3) mais qui regroupent en fait plusieurs types d’écrits :
- des consilia proprement dits [4], écrits en réponse à des demandes concernant une maladie chez un sujet donné (les "mémoires"), comprenant généralement une discussion de la maladie avec des aspects diagnostiques, parfois pronostiques mais surtout étiologiques ou physiopathologiques (quelle cause et quels mécanismes pour celle-ci ?), puis les décisions thérapeutiques suivies de la liste des remèdes à prendre et du régime de vie à suivre, au nombre de 66, auxquels il faut ajouter un mémoire.
- des ordonnances "sèches", réduites à des listes des remèdes à prendre, parfois précédées d’une histoire de maladie résumée (souvent rapportée au passé), au nombre de 60.
- des consilia ou des suites de consilia où les histoires de maladies et les prescriptions ont été réécrites et commentées, au nombre de 11.
- des observations, où les histoires de maladie sont présentées avec leur évolution complète et émaillées de commentaires et de questions, au nombre de 135, dont 14 incluent les résultats d’une nécropsie. Il s’agit souvent de maladies infectieuses, de grossesses difficiles et de pathologies multiples.
- des petits traités académiques ou des réflexions développées non rattachables à un malade donné ou à une situation pathologique précise, au nombre de 22. Ils traitent de thèmes variés comme la mélancolie, l’hydropisie, la morsure de chien enragé, l’usage du lait d’ânesse etc.
Les deux livres des épidémies et éphémérides
Les deux livres des Epidémies et Ephémérides, qui avaient été également préparés pour la publication par Baillou (qui les dota d’une préface et d’une épître aux lecteurs rédigée en 1574) furent publiés par Thévart en 1640. Dans ces deux livres, Baillou reprit et opérationnalisa, pour la première fois depuis l’Antiquité, le concept hippocratique de constitution épidémique – que l’on peut définir comme l’ensemble des maladies affectant une population localisée dans le temps et dans l’espace, associé à des caractéristiques environnementales et notamment climatiques. Il rédigea, sur le modèle hippocratique illustré dans les livres I et III des Epidémies, 19 constitutions pour la ville de Paris pendant les années 1570 à 1579, la plupart étant saisonnières, quelques-unes bi-saisonnières ou annuelles. Comme leur modèle hippocratique, les livres des Epidémies et Ephémérides incluent aussi de nombreuses histoires de maladies individuelles (cas) et des commentaires et réflexions générales sur des questions de pratique médicale (la saignée, l’épilepsie, les maladies des femmes, la physiognomonie etc.). Au fil des constitutions, les commentaires et les réflexions ainsi que les histoires de cas (certaines incluant également des constatations nécropsiques) prirent de plus en plus de place, alors que les mentions des discordances entre les observations et les énoncés hippocratiques se multipliaient, suggérant que Baillou avait probablement compris que l’enseignement hippocratique sur les constitutions était erroné.
Le livre des définitions médicales
Le (petit) livre des définitions médicales fut, comme les livres des Epidémies, préparé pour la publication par Baillou (avec la rédaction d’une dédicace à Louis Duret et de deux épîtres aux lecteurs) et publié par Thévart en 1640. Quarante sept termes grecs, classés par ordre alphabétique (du grec) y sont définis, expliqués et discutés, notamment en cas d’interprétations contradictoires entre les auteurs, avec de nombreuses références à Hippocrate, à Galien ainsi qu’au médecin parisien Jean de Gorris (1505–1577) qui avait lui aussi publié en 1564 un ouvrage de définitions de termes médicaux grecs [5].
Le livret des convulsions
Comme les deux textes précédents, le livret des convulsions fut préparé pour la publication par Baillou (avec la rédaction d’une dédicace à Myron [6] et d’une épître aux lecteurs) et publié par Thévart en 1640. Dans ce texte très documenté et érudit, Baillou aborde différents aspects étiologiques, physiopathologiques et pronostiques des convulsions dans leurs diverses formes (générales ou partielles, incluant aussi les crampes et le hoquet, etc.), qu’elles touchent l’enfant ou l’adulte, et résultent ou non d’une lésion cérébrale.
Le Commentaire au De vertigine de Théophraste
Dernier texte publié en 1640 par Thévart, Le commentaire au De vertigine de Théophraste avait aussi été doté d’une courte épître aux lecteurs par Baillou. Le texte du philosophe et naturaliste grec (ca -372 – ca -288) qui avait été édité par Camerarius en 1541, puis par le médecin parisien (et successeur de Baillou au décanat de la Faculté) Bonaventure Granger en 1576, a été redonné par Baillou en grec et en latin puis commenté d’une manière classique, passage par passage. Le commentaire sur le vertige, qui traite essentiellement des aspects étiologiques et physiopathologiques de l’affection, est suivi d’un court appendice consacré à une structure anatomique cérébrale, le "plexus rétiforme" – aujourd’hui le plexus choroïde – et à ses liens supposés avec diverses pathologies dont l’épilepsie et le vertige.
Le livre des maladies des jeunes filles et des femmes
Le livre Des maladies des jeunes filles et des femmes , édité par Thévart en 1643, et préparé comme les précédents pour la publication par Baillou (qui le dota d’une préface et de deux épîtres aux lecteurs) comprend onze chapitres traitant de la "physiologie" de la femme (considérée essentiellement dans sa fonction reproductrice) puis de quelques états considérés comme pathologiques, incluant les "pâles couleurs" des jeunes filles, la fièvre épiale des "pâles couleurs", l’amour insensé (insanus) des jeunes filles, la "suffocation" et la "fureur utérine", et enfin le prolapsus utérin. Ces derniers chapitres comprennent la présentation de nombreux remèdes et de mesures thérapeutiques à la manière des Practicae de la période [7].
L’opuscule de l’arthrite, du calcul, et de l’hypostase urinaire contre Fernel
Cet "opuscule" en trois parties où Baillou "défend l’autorité de Galien et des anciens contre Fernel" fut édité en 1643 par Thévart . Le manuscrit avait lui aussi été préparé pour la publication, et doté d’une lettre au lecteur ainsi que d’un poème justificatif (en vers) datés de l’automne 1591. Le texte aborde successivement trois sujets pour lesquels Fernel avait, dans sa Pathologie, assez rudement critiqué les opinions des anciens et notamment de Galien. Dans le premier, Baillou y conteste l’opinion de Fernel selon laquelle les arthrites ou "gouttes" ne procéderaient que d’humeurs froides issues des parties externes de la tête [8]. Dans le deuxième, il s’oppose à Fernel qui avait affirmé que tous les calculs vésicaux provenaient des reins et avait critiqué la thèse d’une origine locale de ceux-ci par la transformation d’un suc grossier sous l’influence de la chaleur (de la vessie) [9]. Dans le troisième, Baillou critique l’interprétation fernelienne de l’origine des sédiments retrouvés dans les urines au cours des fièvres et leurs liens avec le processus de coction des humeurs [10].
Le livret du rhumatisme et de la pleurésie dorsale
Dans ce court texte édité par Thévart en 1642 , Baillou discuta, après une courte introduction, deux maladies "pas assez définies et expliquées par les auteurs anciens", le rhumatisme et la pleurésie dorsale. La première, caractérisée par des douleurs articulaires et péri-articulaires diffuses survenant dans un contexte fébrile anticipe l’entité qui sera ultérieurement qualifiée de rhumatisme articulaire aigu, et dont Baillou aurait ainsi donné la première description moderne. La seconde, décrite par Hippocrate au Livre 3 des Maladies, associait une dyspnée, des douleurs médio-dorsales, et des urines sanglantes, et n’avait en revanche jamais été observée sous cette forme par Baillou "en dix-neuf années de pratique".
Le livre des Paradigmes et histoires de maladies
Le manuscrit mentionné dans la Vita… sous le titre de Paradigmes et histoires de maladies pourrait correspondre à deux collections de cas éditées en deux temps par Thévart : les Histoires en 1636 , et les Paradigmes en 1648 . Dotés tous deux d’épîtres aux lecteurs, ces deux ensembles bien différents par leur titre et par leur forme peuvent être considérés comme les résultats de deux "expérimentations" balloniennes de la narration du cas. Les "histoires", au nombre de huit, sont relativement détaillées et surtout longuement commentées, suivant un modèle proche de celui utilisé par Vallériole dans ses six livres d’Observations médicales publiés en 1573 [11]. Les "paradigmes", au nombre de 200, sont en revanche des narrations de cas très courtes, rarement commentées mais présentant fréquemment des constatations nécropsiques (dans 2/3 des cas où l’issue de la maladie avait été mortelle). Ces paradigmes étaient (et restèrent) originaux dans la littérature médicale, même s’ils peuvent être rapprochés pour leur contenu des recueils de Benivieni et de Dodoens, ou encore des collections bien postérieures de Bartholin et de Bonet [12].
Les œuvres de Baillou imprimées par Thévart furent réunies en "Œuvres complètes" et rééditées d’abord à Venise en 1734-36, en 4 volumes sous la direction d’Antonio Maria Zanini [13], puis à Genève en 1762, également en quatre volumes sous la direction de Théodore Tronchin [14] . Elles firent également l’objet d’un compendium d’extraits réunis par Théophile Bonet [15], publié à Genève en 1668, et réédité à Paris en 1673, sous le titre évocateur de Pharos medicorum, le "phare des médecins" . Salué avec enthousiasme par Gui Patin [16], l’ouvrage est composé de réflexions et d’observations tirées de toutes les œuvres de Baillou, réparties en 10 chapitres, le premier portant le titre éminemment hippocratique de "l’office du médecin", le deuxième étant consacré au régime en maladie, le troisième à la saignée, etc. Bonet récidiva vingt ans plus tard, en 1687, avec un second compendium, intitulé Labyrinthi medici extricati dans lequel les réflexions et observations de Baillou furent complétées par des extraits tirés d’ouvrages du médecin milanais Lodovico Settala (1552-1633) portant sur les mêmes sujets [17].
Avant même d’apparaître dans les dictionnaires biographiques de Moreri (1731), de Niceron (1733) ou d’Eloy (1778) [18], Baillou était entré dans la mémoire médicale, aux côtés de Duret et de Houillier, pour son rôle de rénovateur de la médecine grecque et de libérateur parisien "du joug des arabes" [19]. Mais ce n’est qu’à la fin du XVIIIe siècle, avec Sprengel, que l’attention fut attirée sur le caractère "précurseur" des livres des Epidémies et aussi de la collection des Paradigmata [20]. Cette "promotion" de Baillou par Sprengel ne fut certainement pas étrangère à la surenchère en matière de qualificatifs laudatifs – Baillou devint ainsi l’"Hippocrate français" [21] – et de détails erronés – Baillou élève de Fernel, médecin du duc d’Alençon etc. – que l’on trouve dans certaines histoires de la médecine ou notices des dictionnaires biographiques français du XIXe siècle (Michaud, Panckoucke, Dechambre, Bouillet, Guardia). Comme l’a souligné Iain Lonie [22], "le patriotisme et le positivisme" avaient alors principalement dirigé l’attention de l’historiographie vers les livres des Épidémies. Plus récemment, la mise en exergue de ses descriptions de certaines épidémies (notamment la coqueluche) et de l’individualisation du rhumatisme dans son acception moderne a encore contribué à alimenter l’historiographie positiviste de Baillou [23].
- Louis Moréri, Grand Dictionnaire historique, ou mélange curieux de l'histoire sacrée et profane, 1731
- J.P. Niceron, Mémoires pour servir à l’histoire des Hommes Illustres, 1733
- N.F.J. Eloy, Dictionnaire historique de la médecine ancienne et moderne, 1778
- Michaud, Biographie universelle, ancienne et moderne, 1811
- Panckoucke (ed.), Dictionnaire des sciences médicales. Biographie médicale, 1820
- J. Bouillet, Précis d’histoire de la médecine, Paris : J.B. Baillière, 1883
- J. Guardia, Histoire de la médecine, d’Hippocrate à Broussais, et ses successeurs, Paris : O. Doin, 1884
- Dechambre (ed.), Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, 1878
1 Les moyens et advis pour prévenir et remédier à la maladie dangereuse, requis par MM. de la police, à MM. de la Faculté de médecine et à eux présentez par le doyen d'icelle [Guillaume de Baillou] le deuxième mars 1581, Paris, Périer, 1581. 2 Thèses de Nicolas Henault (sur la question très "ballonienne" de An rhumatismus et arthritis congeneres ?) et de Lazare Pena (cette dernière alors que Baillou avait 77 ans). 3 "On commence à imprimer ici les conseils de médecine de feu M. Baillou, qui mourut en 1616, l’ancien de notre faculté. Je crois que ce sera une fort bonne pièce, car il étoit fort savant, et ce que j’en ai vu m’a beaucoup plu" (Lettre à Belin, 6 février 1634). "Les conseils de M. Baillou marchent toujours, sed lento pede, à cause que le manuscrit en est fort difficile" (Lettre à Belin, 27 octobre 1634). "Je vous tiendrais prêt les Conseil de M. Baillou […] ils valent cinquante sols" (Lettre à Belin, 3 mars 1635). "Pour les opuscules de M. Baillou, cela va si lentement qu’on peut dire autant que Ciceron disoit des victoires d’Antoine : Teucris illa lentum negotium" (Lettre à Belin, 12 novembre 1639). "On a ici depuis peu publié deux livres de médecine, savoir Lazari Riverii, professoris Monspeliensis Praxis medica, in-8° et Gul. Ballonii, Tractatus quatuor, nimirum epidemicae historicae et observationes etc., Definitiones Medicae, De convulsionibus, et commentarius in librum Theophrasti de Vertigine. Le premier [celui de Rivière] est passablement bon, mais il y a trop peu de doctrine et trop de remèdes ; c’est un livre fort propre à faire des charlatans ; pour le second, je le trouve fort, et y trouve une grande candeur, avec beaucoup de doctrine" (Lettre à Belin, 24 avril 1640). "Mr Thevart s’en va faire imprimer un troisième tome des conseils de M. de Baillou" (Lettre à Belin, 18 août 1647). "On imprime ici […] un troisième tome des conseils de M. de Baillou" (Lettre à Belin, 11 juillet 1648). "On imprime la table du troisième des conseils de M. de Baillou ; ce livre me déplait pour le fatras qu’il y a, tiré des arabes et de la pharmacie de ce temps là ; mais néanmoins il y a de fort bonnes choses. Quand vous l’aurez, si vous voulez en profiter, n’en lisez que l’index qui sera à la fin ; il est fait de telle sorte qu’il vous représentera tout ce qu’il y a de bon en tout l’œuvre, et vous n’aurez pas de regret du temps qu’y aurez employé" (Lettre à Belin, 28 octobre 1648). "Le troisième tome des Conseils de Ballonius n’est pas infailliblement achevé et M. Thevart, qui l’a fait imprimer, n’est pas capable d’y mettre une bonne main. Il m’a avoué qu’il y avoit ajouté les vers de la bière d’un poëte allemand nommé Eobanus Hessus ; qu’il y a fourré de l’antimoine en un certain endroit, duquel il n’est pas bien détrompé, combien que le petit camus ne gagne pas cent écus de son métier. Il dit qu’il en a ôté la saignée de quelques endroits et quelques fatras de remèdes en d’autres ; ce que je crois volontiers d’autant qu’il n’est pas capable de faire mieux ; il a l’esprit aussi court que le nez, et néanmoins il est malin. Je vous conseille de ne lire de ce livre que la table que j’en ai faite, dans laquelle j’ai mis tout ce que j’ai trouvé de bon dans ces livres" (Lettre à Spon, 23 juillet 1649). Les citations sont celles de l’édition Réveillé-Parisse. Patin, qui était très positif, voire élogieux pour Baillou, détestait Thévart qui était partisan de l’utilisation de l’antimoine. 4 On pourra se reporter au paragraphe du texte accompagnant la série "Médecine pratique" sur ce site, consacré aux Recueils de cas, consilia, consultations et observations (/medica/bibliotheque-numerique/presentations/medecine-pratique.php). 5 Il existe aussi un traité pseudo-galénique portant ce nom (Kuhn XIX, p. 346 sp.) mais il est d’une structure et d’un contenu différents de ceux de Baillou et de Gorris. Ce dernier était un helléniste éminent, qui traduisit aussi Nicandre en latin. 6 La dédicace à Myron, qui a été retrouvée dans le manuscrit des Lettres après l’impression du texte en 1640, a été incluse dans le troisième livre des Consilia imprimé en 1649. Marc Myron ou Miron était le premier médecin d’Henri III. 7 On pourra se reporter au paragraphe du texte accompagnant la série "Médecine pratique" sur ce site, consacré aux Pratiques et traités de thérapeutique (/medica/bibliotheque-numerique/presentations/medecine-pratique.php). 8 J. Fernel, Pathologie, Livre 6, chapitre 18 (édition latine de 1554 ; édition française ) . 9 J. Fernel, Pathologie, Livre 6, chapitre 13 (édition latine de 1554 ; édition française ) . 10 J. Fernel, Pathologie, Livre 3, chapitre 17 (édition latine de 1554 ; édition française). 11 F. Vallériole, Observationum medicinalium libri sex, Lyon, 1573 . 12 Antonio Benivieni, De Abditis nonnullis ac mirandis morborum causis, Florence, 1507 ; Rembert Dodoens Medicinalium observationum exempla rara, Cologne, 1581 ; Thomas Bartholin, Historiarum anatomicarum centuria I et II, III, IV, La Haye, 1655-1657 ; Théophile Bonet, Sepulchretum sive anatomia practica…, Lyon, 1700 (Edition complétée par Manget ). 13 Antonio Maria Zanini, médecin de Vérone, également auteur d’un traité des médicaments (1727). 14 Théodore Tronchin (1709-1781), médecin de Genève, fut élève de Boerhaave à Leyde puis médecin à Amsterdam avant d’entamer une carrière européenne comme propagandiste et praticien de l’inoculation de la variole dans les années 1750. Proche des philosophes, et notamment de Voltaire, il écrivit plusieurs articles dans l'Encyclopédie, mais son œuvre proprement médicale fut des plus réduites 15 Théophile Bonet (1620-1689), médecin de Genève, fut un grand compilateur d’observations, publiant notamment douze centuries d’Observations et histoires chirurgiques en 1670, puis le De Sepulcretum... (1679), qui présentait environ 3000 nécropsies regroupées par maladies. Cet ouvrage inspira beaucoup Morgagni et vaut à Bonet d’être considéré comme un des fondateurs de l’anatomie pathologique. 16 Gui Patin annonça ainsi cet ouvrage à Falconet : "Il nous est venu depuis peu de Genève un petit livre assez mal imprimé, Pharos medicorum, auct. Theophili Boneti, qui sont des lieux communs de médecine tirés des œuvres de feu M. Baillou, qui mourut ici l’an 1616, l’ancien de notre compagnie. M. Spon sait bien ce que c’est que ce livre ; il est excellent pour tout médecin qui veut raisonner de son métier avec science et autorité ; je vous prie de l’indiquer à M. votre fils aîné, qu’il s’en serve et qu’il le lise soigneusement et le porte dans sa poche comme un veni mecum ou plutôt comme un petit trésor de belle science et de bonne méthode" (7 juillet 1669). 17 L’ouvrage comprend aussi la vita des deux auteurs, celle de Moreau pour Baillou et celle de Ghilini et Crassi pour Settala. Settala, professeur à Pavie, auteur d’une œuvre très riche, était un autre "hippocratique" puisqu’il édita et commenta le traité Air, Eaux, Lieux. Settala est entré dans l’histoire (littéraire) grâce à Manzoni, qui rappela dans Les Fiancés, le sinistre épisode où il fut pris à partie par la population milanaise en 1630, en allant visiter, à près de 80 ans, des malades de la peste. 18 Les notices de Baillou du XVIIIe siècle étaient assez factuelles, et reprenaient les informations données dans la Vita Ballonii… de Moreau, et parfois celles données dans les lettres de Gui Patin. 19 Voir par exemple G. Baglivi, De praxi medica ad priscam observandi rationem revocanda (Rome, 1696) et notamment le chapitre10 (De variis medicinae aetatibus ejusque progressibus). 20 Sprengel plaça Baillou en tête "des médecins (modernes) qui se sont livrés à l’observation des épidémies", devant (entre autres) Lepois, Syndenham et Ramazzini (K. Sprengel, Histoire de la médecine depuis son origine jusqu'au XIXe siècle (traduction A.J.L. Jourdan), Paris, Deterville et Desoer, 1815 – 1820, Volume 5, p. 534-5) 21 Baillou ne fut pas le seul "Hippocrate français" puisque Fernel, Duret, Barbeyrac, Chirac et Corvisart reçurent ce qualificatif au XIXe siècle. Cette diversité d’attribution contrastait alors avec la situation outre-manche, où seul Sydenham était qualifié d’"Hippocrate anglais". 22 I. Lonie, "The "Paris Hippocratics": teaching and research in Paris in the second half of the sixteenth century", In A. Wear, R. French, I.M. Lonie (Eds.) The medical Renaissance of the Sixteenth Century, Cambridge, Cambridge University Press, 1985, p. 155-174. 23 Voir par exemple l’article sur Baillou du Complete Dictionary of Scientific Biography (Scribner) rédigé par P. Huard (http://www.encyclopedia.com/doc/1G2-2830900228.html), les articles de E.W. Goodall ("A French epidemiologist of the sixteenth century". Annals Med History 1935; VII, 5:409-27) et de H. Kaiser, W. Keitel ("Guillaume de Baillou (1538–1616) – Vater des Rheumatismus ?", Zeitschrift für Rheumatologie 2006; 65: 743-6).