Je vous remercie de votre thèse [2] de Bâle [3] et en contre-change, vous envoie deux de nos arrêts avec les harangues de M. de La Vigne. [4] On n’en trouve plus de fin papier, il se faut passer à celui qui nous reste. On le réimprimera quelque jour en plus beau papier, peut-être que M. Courtaud [5] nous en donnera occasion. [1] Pour moi, je ne ferai rien contre lui ; ce que j’ai lu de son livre m’a fait plus de pitié que d’envie. Si je lui avais répondu, il croirait l’avoir mérité, de quo longe aliter sentio. [2] Il m’a fait honneur d’y parler de moi, j’ai seulement regret d’y être placé dans et parmi tant de mauvais latin. [3] Le même M. Courtaud a fait aussi imprimer à Montpellier [6] une harangue en l’honneur de feu M. Ranchin, [7] intitulée Ranchinographia. Je vous prie de mander à monsieur votre frère [8] qu’il en apporte une couple, dont je vous en demande une. [4] Le Clergé qui est ici assemblé [9] se dispose de faire quelque chose contre le livre de M. de Saumaise. [10] Si la censure s’en imprime, je vous en ferai part. Il échappera belle s’il n’est brûlé comme un beau petit fagot de bois sec, ou tout au moins déclaré brûlable. Je ne sais encore personne qui ait entrepris d’y répondre. Si quelqu’un s’en mêle, je voudrais que ce fût le P. Petau, [11] vu qu’ils se connaissent déjà tous deux de longue main. [5] Je vous envoie une thèse [12] contre l’antimoine, [13] laquelle n’est pas mal faite, mais elle est un peu sèche. [6] M. de Netz, [14] évêque d’Orléans et docteur de Sorbonne, [15] est ici mort depuis trois jours d’une suppression de goutte. [7][16][17] Le docte Casaubon [18] appelle cela divergium seri podagrici. [8][19] Louis Duret [20] a dit cela sur Houllier [21][22][23] en parlant au maréchal de Brissac : [24] Quand vous avez la goutte, vous êtes à plaindre ; quand vous ne l’avez point, vous êtes à craindre. [9] Avec la thèse de l’antimoine, vous en trouverez une de hydrope, [10] laquelle est aussi bien faite qu’elle est vraie. Monsieur votre fils [25] continue de ne pas aller en classe, vous y donnerez tel ordre qu’il vous plaira. Je vous souhaite bon an, à Mme Belin et à tous nos amis de delà, et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Patin.
De Paris, ce 2d de janvier 1646.
Ms BnF no 9358, fo 98 ; Triaire no cxxxiv (pages 491‑492).
« sur quoi je me suis fait depuis longtemps une bien autre opinion. »
« M. Courtaud m’a fait l’honneur d’y faire allusion à mon nom en deux divers endroits » écrivait Guy Patin dans une précédente lettre (v. note [2], lettre 129).
La barbarie du latin de Siméon Courtaud reluit en ces deux passages de son Oratio (v. note [19], lettre 128).
Risum mehercule movit immensum enthusiasma sacrum et eloquens Decani venerandi, adversus nostrum ubique : quem ideo, nisi vinea esset, labruscam existimarem, et canem febrientem obuios impetentem, nisi Decanus ; satyrographum, nisi titulo medicus crederetur ; et si tantæ facultatis caput non esset, pedes illius et ungues existimarem ; quemque ferunt meram esse linguam et Echo dictationis alienæ, et erumpentem e feruore Patinæ calorem concepisse. Suaviter blandeque monendus Bonus hic vir lepidus et illustris Decanus, a me obscuro subtristique Decano, ut primo gladium in vagina reponat, nostrique misereatur, secus enim, si perseveret in igne suo, de nobis actum est, et venit ineluctabile fatum incendii universalis nostræ Universitatis.
[Par Hercule ! la fureur éloquente et sacrée du vénérable doyen {a} contre le nôtre a partout provoqué un immense éclat de rire ; s’il n’était une vigne, je le tiendrais pour une lambruche, {b} et s’il n’était doyen, pour un chien fiévreux qui attaque les passants, pour un écrivain satirique, si on pouvait croire un médecin capable d’une telle fonction ; et s’il n’était pas le chef d’une si grande faculté, je ferais état de ses pattes et de ses griffes ; de sa langue aussi, qu’on dit n’être que l’écho de la dictée d’un autre, et être chargée d’une chaleur qui jaillit de la fureur de Patin. {c} Il faut que moi, qui suis un doyen obscur et un peu triste, exhorte avec douceur et caresse ce doyen, qui est un homme bon, agréable et brillant, à d’abord rengainer son épée et à avoir pitié de la nôtre ; autrement en effet, s’il persévère dans sa colère, on parlera de nous et l’oracle de l’embrasement de toute notre faculté s’accomplira inéluctablement].
- Michel de La Vigne, doyen de la Faculté de médecine de Paris.
- Vigne sauvage.
- Avec jeu de mot entre Patin et patina, poissonnière en latin.
La seconde invective (page 49) n’est pas nominale, mais sa cible est l’auteur (réputé être Patin) du Nez pourri de Théophraste Renaudot… (v. note [64], lettre 101) :
Ex singulari causa publicam ne facito, nec in animi tui hilaritate ultra crepidines illius erumpe. Viri tui iudicio et eruditione graves, tuas improbarent eruptiones, et cogitationum levitatem stuperent. Si tibi actio cum sollerti Renaudoto, huic insiste ; non carebis adversario luxuriei palmitum amputatore. Si te pupugit ille, age cum illo : potens est loqui vir eloquens. Hoc a me insuper accipito, parum decere virum Medicum corporis humani ridere defectus, quibus et vir probus compatitur, et Medicus est mederi destinatus : illud autem, stulti plane vel insolentis est. Gaudeat optime corpore commensuratus, sed maxime qui animo bene compositus ; qui frequentius in ruinoso diversorio grandia solet operari. Talis fuit Silenus Alcibiadis.
[Ne généralise pas à partir d’un cas particulier et ne laisse pas éclater l’hilarité de ton esprit au delà de ses limites. Tes compagnons chargés de science et de jugement désapprouveraient tes assauts et seraient surpris par la légèreté de tes pensées. Tiens-le toi pour dit, si tu te mesures à l’habile Renaudot, tu ne manqueras pas d’adversaires pour te couper les sarments. S’il t’a piqué, traîne-le en justice : le propre de l’homme éloquent est de parler. Souffre en outre que je te dise que rire des défauts du corps humain sied peu à un médecin, quand un honnête homme doit s’en apitoyer et quand un médecin a pour vocation d’y remédier ; que c’est même vraiment là le propre du fou ou de l’insolent. Que certes se réjouisse celui qui a le corps bien proportionné, mais bien plus celui qui a l’esprit bien fait, celui qui a coutume d’accomplir de grandes choses dans un gîte en ruine. Tel fut le Silène d’Alcibiade]. {a}
Le seul ouvrage imprimé et signé qu’on connaisse de Siméon Courtaud est sa Monspeliensis medicorum Universitas, Oratio… de 1645, (v. supra note [3]). Guy Patin a reparlé de cette Ranchinographia dans sa lettre à Nicolas Belin du 8 octobre 1646 (note [1]).
V. note [6], lettre 62, pour les livres de Claude Saumaise de Primatu Papæ [de la Primauté du pape] (Leyde, 1645).
Le P. Denis Petau n’y opposa pas de réponse imprimée, mais la querelle ecclésiologique se poursuivit avec les :
Ioannis Dartis, Antecessoris et Professoris Regii, Senioris ac Decani Facultatis Iuris Canonici, in Academia Parisiensi. Libri tres de Ordinibus et Dignitatibus ecclesiasticis ; in quibus breviter respondetur ad Apparatum et Tractatum Cl. Salmasii, de Primatu Papæ, Eiusque prima, media, et ultima, ad tres quæstiones referuntur, et refelluntur.
Prima est de Presbyteriis, et Episcopis, eorumque differentia ; Secunda est de Autocephalia Episcoporum, Metropolitanorum, et Exarchorum.
Tertia est de Patriarchis, et Diœcesibus.
Ad Illustrissimu Virum Dominum Dom Petrum Segiuerum Franciæ Cancellarium.[Trois livres de Joannes Dartis {a}, lecteur et professeur royal, ancien et doyen de la Faculté de droit canonique en l’Université de Paris, sur les ordres et dignités ecclésiastiques, qui répondent brièvement à l’argumentaire et au traité de Claude i Saumaise sur la Primauté du pape ; et dont le premier, le suivant et le dernier se réfèrent à trois questions et les réfutent :
la première porte sur les prêtres et les évêques, et de leur différence ; la deuxième, sur l’autocéphalie {b} des évêques, des métropolites, et des exarques ; {c}
la troisième, sur les patriarches et les diocèses.
Dédié à l’illustrissime seigneur Pierre iv Séguier, {d} chancelier de France]. {e}
- Jean D’Artis (1572-1651).
- Sujétion à l’autorité des patriarches qui, dans l’ancienne Église, étaient les évêques occupant des sièges (Jérusalem, Antioche, Alexandrie, Constantinople) qu’ils prétendaient indépendants de Rome.
- Les archevêques catholiques portaient le nom de métropolites. « L’exarque d’un diocèse était une dignité ecclésiastique moindre que la patriarchale et plus grande que la métropolitaine » (Furetière).
- V. note [2], lettre 16.
- Paris, Jean Billaine, 1648, in‑4o de 114 pages.
En marge, de la main de Guy Patin : « Il n’est point mort, la nouvelle est fausse » ; v. note [7], lettre 17, pour Nicolas de Netz, évêque d’Orléans.
« la séparation de l’humeur podagreuse. » Podagreuse (ou podagratique) signifie relative à la podagre (goutte du pied).
Charles de Cossé (1505-1564), comte de Brissac, dit le maréchal de Brissac, un des plus grands capitaines du xvie s., mourut de la goutte.
Jacques Houllier (ou Hollier, Hollierus, Étampes 1546-1562), docteur régent de la Faculté de médecine de Paris, en devint doyen en 1546-1548. Son principal mérite fut de travailler assidûment à ramener aux purs principes d’Hippocrate les esprits courbés sous le joug galéno-arabique. Cependant, s’il repoussa les subtilités et les discussions oiseuses, s’il bannit les inutiles recherches sur les causes prochaines des maladies, il ne sut pas apprécier la noble simplicité de la thérapeutique d’Hippocrate, et adopta en grande partie les remèdes favoris et la polypharmacie abusive des Arabes. Tous ses ouvrages furent publiés après sa mort par les soins de ses élèves (J. in Panckoucke).
Guy Patin a souvent évoqué et loué l’édition, préparée par René Chartier, {a} des :
Iacobi Hollerii Stempani, medici Parisiensis, omnia opera practica, doctissimis eiusdem scholiis et observationibus illustrata, deinde Lud. Dureti M. Regii ac professoris, in eundem enarrationibus, annotationibus, et Antonii Valetii D. Medici exercitationibus luculentis. Accessit etiam ad calcem libri Therapia puerperarum I. Le Bon Medici Regii cum indice rerum et verborum locupletissimo.[Œuvres pratiques complètes de Jacques Houllier, natif d’Étampes, médecin de Paris, enrichies de ses très savantes notes et observations, puis des commentaires et annotations de Louis Duret, médecin et professeur du roi, et des brillants essais de Me Antoine Valet, {b} médecin. Avec aussi à la fin du livre la Thérapie des femmes enceintes de Jean Le Bon, {c} médecin du roi, et un très riche index des matières et des mots]. {d}
- V. note [13], lettre 35.
- V. note [14], lettre 738.
- Médecin natif d’Autreville en Champagne, qui n’est connu que pour ce traité de thérapeutique obstétricale.
- Genève, Jacobus Stoer, 1623, in‑8o ; v. notes [4], lettre latine 232, et [14], lettre 738, pour les rééditions de Genève, 1635, et Paris, 1664.
De Arthritide [La Goutte] est le chapitre lxviii (pages 533‑550) du livre i du traité De Morbis internis [Les Maladies internes]. On y lit, page 544, dans le Dureti in suam enarrationem annotatio [Annotation de Duret sur son propre commentaire] le passage évoqué par Patin :
Præterea in diuturna arthritide sunt tophi, qui nascuntur teste Aristotele maximam partem ex pure concreto, quando remedia inconsiderate parti arthriticæ applicantur. Præterea accidit αδυναμια progrediundi partibus diu obsessis, ut invalid fiant, nec suo officio fungi possint: Ut in quonam illustrissimo Principe (Domino de Nemours) observavi, qui ab usu olei ceræ arte chymica ex arthritide in adynamiam progrediundi incidit. Sed et hoc notandum est, quod qui sunt arthritici Vere et Autumno, illo propter gargalismum humoris, hoc propter cacoëthiam, si non fiant, de vita periclitantur, et sic multi moriuntur : Unde scripsi pro illustrissimo Principe : Quand vous avez la goutte vous estes à plainde, Quand vous ne l’avez-vous estes à craindre. Polemarchi de Brissac et de Termes erant arthritici Vere et Autumno. In illo cum non esset arthriticus, ut antea suppressa materia fecit carcinoma in mesenterio : hic suppressione illius materiæ og iratum æstum, quo, incanduerat, factus est asthmaticus, sicque interiit.
« En outre, la goutte chronique s’accompagne de tophus, {a} dont Aristote a prouvé qu’ils consistent en un pus solidifié, survenant quand des remèdes ont été inconsidérément appliqués à la partie arthritique. Surtout, une adynamie {b} s’abat progressivement sur les parties qui ont longtemps été attaquées, de sorte qu’elles sont débilitées et ne peuvent assurer leur fonction ; comme je l’ai observé chez un illustrissime prince (le duc de Nemours), {c} qu’une goutte plongea progressivement dans l’adynamie pour avoir usé d’une huile de cire extraite par l’art chimique. Mais il faut surtout remarquer que ceux qui ont la goutte au printemps et en automne, si celle-ci ne survient pas à cause d’une irritation d’humeur, et celle-là à cause d’une mauvaise disposition, sont en danger de la vie, et beaucoup meurent. C’est pourquoi j’ai écrit Quand vous avez la goutte, vous êtes à plaindre, Quand vous ne l’avez, vous êtes à craindre. Les maréchaux de Brissac et de Termes {d} étaient goutteux au printemps et à l’automne. Chez le premier, l’accès ne survint pas comme à l’accoutumée et la matière supprimée a provoqué un cancer dans le mésentère ; l’autre s’étant emporté dans un accès de colère, devint asthmatique et puis trépassa]. {e}
- V. note [9], lettre 515.
- αδυναμια, épuisement.
- Louis Duret (mort en 1586, v. note [10], lettre 11) pouvait avoir soigné Jacques de Savoie-Nemours (mort en 1585, grand-père de Charles-Amédée de Savoie, duc de Nemours, v. note [9], lettre 84).
- Paul de La Barthe de Thermes (1482-1562) avait été nommé maréchal en 1558 pour récompenser les éminents services qu’il avait rendus aux Valois.
- Probable défaillance cardiaque gauche aiguë mortelle, par œdème pulmonaire asphyxique.
L’aphorisme de Duret mettait en garde contre la suppression de la goutte, bien plus dangereuse que la crise : son défaut au moment ordinaire empêchait la dissipation de l’intempérie périodique des humeurs.
« sur l’hydropisie » : thèse quodlibétaire disputée le 4 janvier 1646 par le bachelier Louis Le Noir sous la présidence de Pierre de Mersenne, An a frequenti venæ sectione hydrops ? [L’hydropisie provient-elle de la fréquente saignée ?] (conclusion négative).