Je vous fais réponse, parmi une infinité d’occupations qui m’empêchent de deçà, tant pour satisfaire à votre curiosité qu’afin de vous assurer que je suis, Dieu merci et vous, en bonne santé avec toute ma famille. Je vous remercie du soin que vous en avez. Il n’y a rien de nouveau en notre Faculté, sinon que depuis 22 mois il est mort une douzaine entière de nos compagnons, dont les deux derniers ne sont morts que ce mois d’août, tous deux jeunes. M. Merlet [2] a été jusqu’à la porte, mais il n’a point passé le guichet. Il y en a encore deux très malades. On parle fort ici des troupes à cheval du maréchal de Turenne, [3] dont on dit que l’avant-garde est venue jusqu’à La Ferté-Milon, [4] et à Dammartin. [1][5] C’est ce qui a fait résoudre à Messieurs de l’Hôtel de Ville de faire faire la garde aux portes, [6] comme l’on faisait durant la guerre de Paris l’an 1649. Le lundi 29e d’août, de peur qu’il n’arrivât quelque malheur, les trois princes [7][8][9] ont été tirés du Bois de Vincennes [10] et ont été conduits par 300 cavaliers, les uns disent à Loches, [11] les autres au Havre. [2][12] La peste [13][14] est rude et grande à Rouen, elle y a tué 4 000 personnes en moins de 15 jours. La délibération avait été prise de faire garder les portes, mais elle a été révoquée. Nous n’avons ici rien de certain de Bordeaux, [15] sinon que l’on dit qu’ils se défendent fort bien et qu’il y a toute assurance que le Mazarin [16] ne les prendra point cette année ; au moins c’est ce que je souhaite très ardemment, et beaucoup d’autres de deçà avec moi. Le Parlement a fait de deçà quelques assemblées pour Bordeaux, mais cela ne va point généreusement comme il devrait aller. J’ai peur qu’enfin le Parlement ne devienne ridicule pour le grand nombre de partisans de la tyrannie qui sont là-dedans. Si virtutis vena ulla paternæ viveret in nobis, [3][17] cela irait tout autrement. Le duc d’Orléans [18] favorise si fort le Mazarin et son parti qu’il élude presque tout ce qu’on entreprend ici pour Bordeaux, à son grand déshonneur et à notre malheur ; mais je ne sais combien tout cela durera, tout le monde en gronde de deçà. Les trois princes, du jour qu’ils furent tirés de Vincennes, furent menés à Marcoussis, [19] où il y a un fort château, [4] et y sont encore ; et tout alentour il y a plusieurs troupes qui mangent rudement tout le pays circonvoisin, tandis que le roi [20] a besoin de troupes devant Bordeaux. Voilà une étrange et enragée politique. Pour l’histoire que me demandez par votre seconde < lettre >, auctore Petro Bizarro Sentinate, [5][21] je vous donne avis que je ne l’ai jamais eu, ni guère de livres de cette nature ; néanmoins, à cause de vous, je m’en enquerrai et si je la puis trouver de quelqu’un de mes amis, je vous promets de vous en gratifier. Je vous baise les mains de toute mon affection et suis, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur,
Patin.
De Pais, ce 6e de septembre 1650.
Ms BnF no 9358, fo 131 , « À Monsieur/ Monsieur Belin,/ Docteur en médecine,/ À Troyes » ; Reveillé-Parise, no cvi (tome i, pages 170‑171).
La Ferté-Milon, alors en Île-de-France (Aisne), se situe au sud de Villers-Côterets, sur l’Ourcq, aux confins des départements de la Seine-et-Marne, de l’Oise et de l’Aisne, à environ 70 kilomètres au nord-est de Paris.
Dammartin-en-Goële (Seine-et-Marne) n’en est qu’à une cinquantaine, entre Meaux et Senlis.
La situation militaire en Picardie devenait critique (Journal de la Fronde, volume i, fo 285 vo, en date du 27 août 1650) :
« Les ennemis ayant pris Pontavert, {a} passèrent la rivière d’Aisne et vinrent attaquer la petite ville de Fismes {b} dans laquelle M. d’Hocquincourt s’étant jeté avec quatre à cinq cents chevaux, s’y défendit assez longtemps ; mais les ennemis ayant passé la petite rivière {c} à gué en quatre ou cinq endroits que les paysans leur avaient montrés, ils se mirent en défense sur le pont ; où voyant qu’ils venaient de toutes parts et que les habitants de la ville ne se voulaient pas défendre, il fut contraint de faire une honorable retraite, après avoir perdu plus de 200 des siens ; et reçut lui-même quatre coups de mousquet et trois coups de pistolet sur la cuirasse sans avoir été blessé, et s’en alla avec le reste de ses troupes à Soissons. En même temps les ennemis étant entrés dans la ville, la pillèrent ; et M. de Turenne s’en étant détaché avec quatre mille chevaux, s’avança à Fère-en-Tardenois, {d} tant pour obliger par cette diversion le maréchal du Plessis à quitter les environs de Reims que pour piller l’Île-de-France et la Brie, et alarmer Paris. M de Bouteville et le comte de Grandpré, qui étaient avec M. de Turenne, s’avancèrent le lendemain avec des coureurs jusque vers Nanteuil {e} et autres lieux de l’Île-de-France et firent sommer La Ferté-Milon {f} de se rendre, laquelle fit d’abord sa composition et s’obligea de fournir aux ennemis certaine quantité de rations de pain, qu’elle fit faire, et d’autres vivres, et de recevoir M. de Turenne dans la ville avec sa Maison, à condition que ses troupes demeureraient dans les faubourgs et aux environs, ce qui fut exécuté ; et cependant, sa cavalerie continua ses courses aux lieux circonvoisins. Le gros de l’ennemi vint camper à Fère-en-Tardenois, ce qui donna une telle épouvante à toute l’Île-de-France et à la Brie que du depuis, les habitants de cette contrée-là ont apporté dans Paris ce qu’ils avaient de meilleur ; en sorte qu’on a remarqué qu’il est venu dans trois jours plus de dix mille charrettes chargées de meubles, blé et autres denrées pour les garantir des mains des ennemis. »
- Dans le département de l’Aisne, à mi-chemin entre Reims et Laon.
- Dans le département de la Marne, 23 kilomètres à l’ouest de Reims (v. note [14], lettre 539).
- La Vesle.
- 25 kilomètres au sud de Soissons.
- Nanteuil-le-Haudouin (Oise), 20 kilomètres au sud-est de Senlis.
- Dans le département de l’Aisne, 10 kilomètres au sud de Villers-Cotterêts.
Journal de la Fronde (volume i, fos 285 vo et 286 ro, 2 septembre 1650) :
« Cette alarme commençait à faire murmurer les esprits, mais la première chose à laquelle le Conseil songea fut à faire exécuter la résolution, qui avait été prise il y a 12 ou 15 jours, de faire transférer Messieurs les princes hors du Bois de Vincennes, où l’on avait remarqué que M. Le Tellier fut la semaine passée trois ou quatre fois pour en conférer avec M. de Bar, et que les troupes qui étaient aux environs de Paris, sans faire aucun désordre, étaient destinées pour les escorter. Pour cet effet, ces troupes, qui consistaient en deux ou trois cents chevaux, savoir la compagnie des gendarmes de M. le duc d’Orléans, qui est de cent hommes bien faits, avec quelques-uns de ses gardes, celle du prévôt de l’Île {a} et quelques autres gens ramassés, s’étant trouvées le 29 {b} à cinq heures du matin à Vincennes, on en fit partir à huit heures Messieurs les princes dans trois carrosses conduits par M. de Bar et escortés aussi par la garnison de Vincennes, laquelle grossit ces troupes jusqu’à 500 chevaux et 300 fantassins. Ils passèrent la Marne sur le pont de Charenton, lequel fut rompu incontinent après aussi bien que celui de Saint-Maur, et la Seine dans un bac ; et parce qu’il semblait par là qu’on leur voulût faire prendre le chemin d’Orléans, on crut qu’on les menait au château d’Amboise, mais on ne les mena que dans le château de Marcoussis {c} qui appartient à M. d’Entragues, situé proche Linas à six lieues d’ici, où ils sont encore. Néanmoins, on tient pour assuré qu’on les doit conduire par le Perche au Havre-de-Grâce ; et à cette fin, on fait venir de l’armée les régiments de cavalerie Ruvigny et de La Villette pour les escorter, lesquels arrivèrent avant-hier à Écouen, {d} cinq lieues d’ici. »
« Si quelque veine de vertu ancestrale vivait encore en nous » ; pudique transformation de Perse, blâmant les mauvais vers de ses contemporains (Satire i, vers 103‑104) :
Hæc fierent si testiculi vena ulla paterni
viveret in nobis ?[Feraient-ils ça si survivait en nous quelque vigueur des couilles qu’avaient nos pères ?]
Marcoussis se situe au sud de Paris, à trois kilomètres à l’ouest de Montlhéry (Essonne). Construit au début du xve s. par Jean de Montagu, le château de Marcoussis était alors la propriété du baron d’Entragues (v. note [13], lettre 244), attaché au parti mazarin ; il n’en subsiste que la base et une tour, dite des oubliettes.
Retz a décrit la place de Marcoussis comme « bonne à coups de main et située à six lieues de Paris, d’un côté où les Espagnols n’eussent pu aborder à cause des rivières [Marne et Seine] » (Mémoires, page 660), et a expliqué les raisons de son opposition au transfert des princes, dont les implications politiques étaient complexes, mêlant la menace espagnole et les intérêts contradictoires de Mazarin, des frondeurs de Paris et des princes eux-mêmes (pages 655-657).
« par Petrus Bizarrus [ou Bizarus] natif de Sentinum ». Pietro Bizzari (Sentinum, aujourd’hui Sassoferrato en Ombrie vers 1530-1586) a laissé trois livres d’histoire :
[Description de la cour turque et de l’empire ottoman, où sont parfaitement décrits les offices du palais, les coutumes, ainsi que les sectes mahométanes et l’état des empires qui en sont issus. Publiée pour la première fois par Antoine Geuffroy {a} en français, mais récemment traduite en latin par Wilhelmus Godelevæus. {b} À cela s’ajoutent opportunément : trois livres de la toute récente guerre de Chypre entre les Vénitiens et Sélim, empereur des Turcs ; {c} la guerre de Hongrie menée par Soliman, empereur des Turcs, contre Maximilien ii, empereur germanique. {d} Le tout avec un résumé des histoires les plus insignes et les plus récentes de l’Europe, de 1564 à la présente année 1573… Publiée pour la première fois avec exactitude et très grand soin] ; {e}
[Histoires et annales des affaires intérieures et étrangères du Sénat et du Peuple génois. Avec le brillant récit des divers faits les plus dignes d’être connus, qui sont survenus à diverses époques, et surtout à la nôtre…] ; {f}
[Histoire de la Perse divisée en 12 livres. Contenant les origines de tout leur peuple, leurs mœurs, leurs institutions, et le clair récit de leurs affaires intérieures et étrangères…] {g}