Texte
Jean Pecquet
Experimenta nova anatomica (1651)
Épître dédicatoire  >

[Page ã ij ro | LAT | IMG]

À l’illustrissime et révérendissime
M
gr François Fouquet,
comte-évêque d’Agde, conseiller ordinaire du roi
[1][1][2][3]

Puisse, illustrissime prélat, ce tout petit livre se présenter à votre regard et venir intempestivement troubler les précieux instants de vos préoccupations, non pas pour exprimer la jactance d’une science brouillonne, ni l’espérance d’une généreuse rétribution, ni la fâcheuse manie d’écrire, qui possède incurablement tant d’auteurs, mais pour témoigner de la modestie qui donne audace au timide. [Page ã ij vo | LAT | IMG] L’authentique simplicité dont se targue son auteur, contemple la vertu d’un œil fort candide, et lui marque sa très sincère soumission. C’est elle qui le jette à vos pieds, non pas, comme vous pourriez le soupçonner, pour que vous lui attribuiez une place honorable parmi vos familiers, où il jouirait d’un paisible repos, mais pour qu’il ait la liberté, grâce à votre générosité, de prendre enfin son essor. Il vous est légitimement soumis car il est né dans votre maison et y a grandi. Il n’est pas permis à un jeune esclave de franchir les murs interdits, ni de s’en aller sans l’autorisation de son maître : non parce qu’il ignore la punition réservée au fugitif, mais parce qu’il ne tolère pas de provoquer l’indignation de celui qui lui a procuré les bienfaits dont il jouit. [2] Tout homme de bien a en horreur le vice et la réputation d’être ingrat. Sans malveillance ni grief, ce petit livre ne veut pas taire les merveilles qu’il a découvertes chez vous. Leur intérêt est si grand pour tous les hommes qu’elles doivent être divulguées, tant la santé, en faveur de laquelle il montre des nouveautés inouïes, prévaut sur les autres biens de la vie humaine. Il montre que depuis des siècles les anatomistes, même les plus renommés, se sont fourvoyés ; et que, non sans lourd préjudice pour le genre humain, ceux qui ont professé l’histoire naturelle ont été profondément aveuglés, hormis le seul et unique Aristote, dans son traité sur la Nature des animaux[3][4] On jugera son auteur sur le contenu de ce petit livre, qu’il a puisé [Page ã iij ro | LAT | IMG] en doutant longuement et en passant beaucoup de temps à contenir l’élan de ses fougueux jaillissements. Dans quel but (se disait-il) me hasarderai-je, seul et nain que je suis, à m’insurger contre les géants que tant d’années ont consacrés ? Y a-t-il espoir que deviennent jamais dociles ceux qui accordent presque plus de valeur à leurs erreurs qu’à des oracles, ceux qui, à la manière des pythagoriciens, soumettent leur servile croyance à l’approbation des maîtres, [4][5] ceux enfin qui, croyant opposer l’expérience de longues années aux sentences qui sont contraires aux leurs, ou bien riront de nos découvertes, ou bien, pour ne pas sembler avoir pu se tromper, refuseront obstinément de se soustraire à leurs rêveries ? Car, en vérité et maintenant encore, l’horreur des disputes devrait tenir chacun enfermé dans les devoirs de sa charge et le contraindre à refouler tout périlleux discours sous un paisible silence ; à moins que la vérité qui, dans un cœur généreux, est plus forte que toute peur, n’ait aujourd’hui procuré l’exemple et l’ardeur de Ménécée [5][6] à celui dont la volonté s’est embrasée d’elle-même. Comme la gloire serait plus douce à celui qui ne refuserait pas de périr pour le salut des hommes, qu’à celui qui, à l’instar d’Ulysse, se réfugie dans l’attrayante douceur d’un indolent repos, [6][7] quand il aurait pu leur chasser les maux de la tête ! Toutefois, bien que tout petit, bien que seul, il aura l’audace de défier tant d’éminents hommes, sans [Page ã iij vo | LAT | IMG] devoir redouter les vives attaques de ceux qui le contrediront. Les ennemis sont terrassés si les témoins et les arbitres du combat ne refusent pas de se fier entièrement à ce que voient leurs propres yeux. La particularité de ce petit livre est d’en appeler plus aux sens qu’à la raison, il ne lui cède à peu près rien que leur suffrage n’ait établi. Sa bonne foi repose donc surtout sur le sort, dont décide la maîtresse des choses, [7] qui corrige les défaillances d’un esprit téméraire. Tandis que je m’attarde à recommander mon petit livre, les moribonds vous appellent à l’aide, et attendent anxieusement le bouillonnement de l’eau salvatrice qui tarde à venir : [8][8] puissiez-vous donc avoir la bonté de lui épargner le préjudiciable ajournement de son affranchissement, que je vous supplie instamment de lui accorder pour ne pas contrarier les vœux de cette foule de malheureux. Ainsi se réjouiront-ils que ce qu’ils n’ont pas jusqu’ici su être présent dans le corps de l’homme procure désormais, grâce à vous et à vos largesses, un bienfait dont le monde entier, rendu plus sain, vous sera reconnaissant, et mettrai-je, quant à moi, encore plus de soumission et d’empressement à vous obéir.

À Paris, le 1er janvier de l’an 1651e du Seigneur. [9][9]

Votre très dévoué et respectueux Jean Pecquet.


1.

Agde, port méditerranéen du Bas-Languedoc (actuel département de l’Hérault), était le siège du plus petit évêché de France, qui a été dissous à la Révolution. De 1643 à 1657, le titulaire en a été François ii Fouquet (vnote Patin 52/280), frère aîné de Nicolas (surintendant des finances en 1653). Comme maints évêques d’alors, il séjournait peu dans son diocèse, passant le plus clair de son temps à Paris.

2.

En 1648, après avoir étudié la médecine à Paris au cours des années 1640, sans y être gradué bachelier, puis voyagé en Italie, Jean Pecquet s’était mis sous la protection de François Fouquet, évêque d’Agde, mais c’est à Paris qu’il a mené ses brillantes recherches anatomiques.

3.

V. note [10], Experimenta nova anatomica, chapitre i.

4.

Les disciples de Pythagore (vnote Patin 27/405) étaient réputés suivre aveuglément les rigoureux préceptes de leur maître, jusque dans leurs plus obscurs méandres, car ils le tenaient pour un dieu infaillible.

5.

Dans le mythe, Ménécée, « fils de Créon, roi de Thèbes, s’immola lui-même pour apaiser Mars, irrité de la mort du dragon, et pour obéir à un oracle qui promettait, à ce prix, la fin des malheurs de Thèbes » (Fr. Noël).

6.

Lâche ruse d’Ulysse (vnote Patin 14/9072) qui, pour s’exempter d’aller à la guerre de Troie, « contrefit l’insensé, laboura le sable sur le bord de la mer, avec deux bêtes de différentes espèces, et y sema du sel ; mais Palamède reconnut la feinte en mettant le petit Télémaque sur la ligne du sillon ; Ulysse ne voulant pas blesser son fils, leva le soc de la charrue et fit connaitre par là qu’il n’était pas insensé. Il rendit de grands services aux Grecs dans cette guerre » (Fr. Noël).

7.

La nature.

8.

Les mots que Jean Pecquet emploie, languidi et aquæ motum, renvoient à l’Évangile de Jean (5:3) sur la piscine miraculeuse de Béthesda, à Jérusalem, qu’un ange faisait périodiquement bouillonner pour annoncer la guérison aux pèlerins qui s’y plongeraient alors (vnote Patin 8/795) :

In his jacebat multitudo magna languentium, cæcorum, claudorum, aridorum, exspectantium aquæ motum.

[Sous ces portiques étaient couchés un grand nombre de moribonds, d’aveugles, de boiteux et de paralytiques. Ils attendaient le bouillonnement de l’eau].

9.

Alors âgé de 29 ans et une année avant d’avoir obtenu le grade de docteur en médecine de l’Université de Montpellier (mars 1652), Jean Pecquet avait la claire conviction que sa découverte des voies du chyle allait révolutionner la médecine et procurer aux malades des bienfaits égaux à ceux de l’eau miraculeuse de Béthesda (v. supra note [8]). Ne disposant pourtant d’aucun appui académique, il ne pouvait faire imprimer son livre sans le patronage et l’aide financière de son protecteur, François Fouquet. L’ouvrage a paru dans le courant de l’année 1651 : il ne possède ni privilège ni achevé d’imprimer, mais la dernière lettre qu’il contient (écrite par Adrien Auzout) est datée du 1er mars de ladite année.

a.
Page ã ij ro

Illustrissimo
ac Reverendissimo
D.D.
Francisco
Foucquet
Episcopo et Comiti
Agathensi,
Regi a Consiliis
ordinario.

Quod tuo se sistit (Præsul Il-
llustrissime
) Liber parvu-
lus conspectui ; quòd pretiosa
tuarum solicitudinum moment-
ta intempestivus intertrubat ; non irrequie-
tæ sapientiæ jactantia, non quæstuosa spes,
non, quod multos tenet insanabile, scri-
bendi Cacoëthes, hanc alioquin ex consciâ
humilitate timido fecit audaciam. Inge-

b.
Page ã ij vo

nua, quam præ se fert, simplicitas candi-
diori oculo Virtutem spectat, et sinceriori co-
lit obsequio. Eum ipsa tuis pedibus advolvit,
non quidem ut suspicias, aut inter familiares
tuos honoram quieturo tribuas sedem ; sed ut
benignitatis tuæ veniâ liceat sibi viam tan-
dem capessere. Tui prorsus juris est, domi tuæ
natus, ubi et adolevit : nec proinde fas ser-
vulo inconcessos transilire limites, aut incon-
sulto Domino discedere. Non ignorat fugiti-
vi servitij pœnas ; sed nec ad indignationem
eum concitare sustinet, cujus beneficio habet,
quòd vigeat. Horret, quisquis bonus est, ingra-
ti et vitium et nomen. Quæ detexit apud
te Libellus miracula nequit absque invidiâ,
criminéque supprimere. Tanti interest om-
nium hominum, ut ea vulgentur, quantò sa-
nitas, in cujus gratiam exhibet inaudita, cæ-
teris humanæ vitæ bonis præcellit. Erravisse
hactenus omnium retro sæculorm etiam præ-
stantioris notæ Anatomicos ostendit ; et eos
qui Physicam professi sunt, uno excepto Ari-
stotele, in animantium Naturâ, non levi
hominum discrimine, cæcutisse ut plurimùm.
Quod dum apud se Libellus pensitaret, hæsit

c.
Page ã iij ro

diu dubitabundus, et emicantes ad cursum
impetus multo tempore compescuit. Nam,
quorsum (inquiebat) unus ipse pumilióque
adversus tot annorum Gygantas tentem in-
surgere ? an spes forsitan futuros dociles, qui
errores suos Oraculis propemodùm antepo-
nunt ; qui Pythagoreorum more obnoxiam
fidem ad magistrorum subjugant nutus ; qui
denique longam annorum seriem adversus
oppositas suis sententias rati præscribere, aut
ridebunt Inventa nostra, aut, ne videantur
hallucinari potuisse, à somniis obstinatè res-
puent vindicari ; Enim verò tot ipsum dis-
criminum terrores etiamnum inter ministerij
munia coërcitum continerent, et securo silen-
tio cogerent periculosam premere facundiam,
nisi Veritas in generoso pectore omni terrore
potior, suggessisset iam sponte incenso exem-
plum et ardorem Menœci ; quantóque sit
gloria suavior, si quis propter hominum salu-
tem perire non renuat, quàm si fugiat Ulyssis
instar, illecebrosâ ignavæ quietis dulcedine,
quæ possit, ab eorum capitibus mala propelle-
re. Veruntamen etsi parvulus, esti solus tot
et tantos audeat provocare, non est quòd ve-

d.
Page ã iij vo

nientium incursus vehementer debeat expa-
vescere. Strati sunt hostes, si pugnæ testes ju-
dicésque fieri suosmet oculos, et tam suis
habere fidem non recusent. Nam ejus naturæ
Libellus est, ut multa sensibus deferat, pau-
ca ratiocinio, imò vix huic tribuat quidquam
ni sensuum fuerit stabilitum suffragio. Hinc
et nomen sortitus est, ratus ab eâ desumen-
dum, quæ rerum Magistra præcipitis mentis
corrigit defectus. Sed dum immoror in Libel-
li commendatione, invocant interim languidi
opem tuam, anxiéque lentum expectant sa-
lutaris Aquæ motum. Parcat tua Benigni-
tas tot miserorum votis periculosâ manu-
missionis, quam is suplex {a} efflagitat, dilatio-
ne obsistere ; ut, quem huc usque Hominem
non habuerunt, in te commodùm invenisse se
gaudeant, et tuis muneribus sanior univer-
sus Orbis gratuletur, et ipse deinceps in ob-
sequium tuum alacriùs studeam proruere.

Lutetiæ Parisiorum Kalendis Ianuarij
Anno D. {b} m. dc. li.

Deditissimus tibi, et addictissimus
Ioannes Pecquet.


  1. Sic pour : supplex.

  2. Domini.


Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean Pecquet, Experimenta nova anatomica (1651) : Épître dédicatoire

Adresse permanente : https://numerabilis.u-paris.fr/editions-critiques/pecquet/?do=pg&let=0010

(Consulté le 17/12/2025)

Licence Creative Commons "Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.