Il faut maintenant examiner l’insertion des lactifères thoraciques. [2][3] Depuis la troisième ou cinquième vertèbre dorsale, ils s’écartent du rachis, [Page 37 | LAT | IMG] au milieu duquel ils avaient serpenté jusque là, pour s’infléchir peu à peu vers la gauche et gagner la clavicule gauche en passant sous l’artère subclavière [4] et les lobules du thymus. [5] La disposition que Pecquet a décrite est différente : [6][7] il écrit et dessine qu’au niveau de la troisième vertèbre dorsale, le canal se divise en deux branches, droite et gauche, qui se dirigent chacune vers la clavicule du même côté qu’elle ; mais soit le graveur semble avoir ajouté quelque chose à ce qui lui a vraiment été exposé, soit il s’agit d’une conjecture de notre auteur, car nous n’avons pu observer que le canal se sépare ainsi, à droite et à gauche, que ce soit chez l’homme ou chez les bêtes, et ce à moins que la nature ne s’amuse à faire autrement en France qu’au Danemark ; au niveau de la troisième vertèbre dorsale nous avons toujours vu les lactifères ne s’infléchir que vers la gauche, comme nous avons pris soin de le dessiner dans notre figure, chez l’homme. [1][8][9] Chez le chien, en soufflant de l’air dans la partie inférieure du canal, il n’apparut aucune trace de branches droites, et la dissection ne put rien montrer qui leur ressemblât. Il n’en va pas autrement chez l’homme, car je n’en ai pas trouvé, même quand d’autres yeux que les miens les ont soigneusement recherchées ; et la raison en est, je pense, que, sur le flanc droit du rachis, la veine axillaire [10] s’unit à la veine cave supérieure [11] en même temps que la jugulaire interne, [12] près de la base du cœur, tandis qu’à gauche, cette jonction est plus longue, et la nature semble avoir trouvé ce côté plus commode pour y insérer le canal thoracique. [2] Comme me l’a confié mon frère Érasme Bartholin, [13] dont j’ai déjà loué les mérites, Adrien Auzout, [14] qui est un homme de profonde érudition, dit avoir vu ce canal des deux côtés et avoir observé ses deux branches à de nombreuses reprises, après les avoir liées ; mais la confiance que j’ai en ce grand personnage excéderait celle que j’ai en quiconque si j’admettais avoir jamais vu des lactifères s’insérer du côté droit. La nature s’amuse souvent et peut-être lui a-t-elle révélé sur un cas unique ce qu’une infinité d’autres nous a montré ne pas exister. [3][Page 38 | LAT | IMG] C’est donc une branche gauche solitaire qui se rend à la veine axillaire du même côté, en passant sous l’œsophage, [15] le thymus, la crosse aortique [16] et la clavicule gauche. Tantôt elle demeure simple, tantôt elle se divise en trois rameaux, voire plus ; ils s’ouvrent par autant d’orifices exigus dans le confluent des veines jugulaire et axillaire. J’ai observé qu’ils pénètrent immédiatement sous la terminaison de la jugulaire interne, et qu’ils s’appuient sur de petites glandes situées dans l’intervalle séparant les tendons des muscles du cou. [4][17] Nous avons noté que quand il s’insère par une seule branche, chez l’homme et le chien, son orifice d’entrée dans la cavité de la veine axillaire est oblong et que s’y insère une valvule [18] très fine, en forme de mitre, laquelle empêche le refoulement du chyle et du sang dans le canal et la montée du chyle vers le membre supérieur, parce qu’elle n’est tournée que vers le cœur et que son feuillet postérieur l’est contre l’axillaire. [5]
Le liquide laiteux ne va pas au delà, ni vers la tête, car la valvule jugulaire [19] y fait obstacle, ni vers le membre supérieur, car des valvules siègent dans ses veines et le sang s’en écoule perpétuellement vers le cœur, si bien que pas une goutte de chyle n’est censée être poussée à gagner ces parties. Il est à remarquer que, chez un chien disséqué sept heures après avoir mangé, nous avons vu des vaisseaux séreux dirigés vers la patte antérieure qui étaient flanqués de part et d’autre de veines venant de son extrémité, comme on voit dans l’abdomen ; ils étaient transparents, à l’instar de ceux que nous avons observés d’autres fois dans le thorax et l’abdomen ; nous n’avons pu alors discerner d’où ils venaient et où ils allaient, mais quand on les a ligaturés, ils ont enflé du côté de la patte. [6][20]
Bien qu’il emploie le pluriel, Thomas Bartholin décrit le canal thoracique humain, qui est unique à ce niveau, tel qu’il l’a représenté sur la figure ii de son Historia anatomica.
Il ironisait sur la disposition donnée par Jean Pecquet chez le chien, dans sa deuxième dissection (chapitre iii) et les deux figures de ses Experimenta nova anatomica, qu’il jugeait fictive.
Ma traduction a complaisamment épaulé le latin de Thomas Bartholin pour décrire exactement la naissance de la veine cave supérieure à la base du cou : de chaque côté, les veines jugulaires internes et subclavières se réunissent pour former les deux troncs brachiocéphaliques ; leur jonction donne la veine cave, qui est à droite du rachis, si bien que le tronc droit est nettement plus court que le gauche (Bourgery, planche 76, tome iv). Chez l’homme, le canal thoracique n’envoie aucun rameau au côté droit. Chez les chiens, Bartholin tenait pour une vue de l’esprit la répartition symétrique présentée par Jean Pecquet (v. note [7], Experimenta nova anatomica, chapitre ii).
Jean ii Riolan a plusieurs fois reproché à Pecquet sa description de deux canaux thoraciques se déversant dans les deux axillaires.
J’ai aussi traduit avec complaisance ces propos de Thomas Bartholin sur son frère Érasme (v. note [4], Historia anatomica, chapitre v) et sur Adrien Auzout (auteur d’une lettre de soutien à Jean Pecquet), dont les recherches originales sur le canal thoracique n’ont pas laissé de trace imprimée que j’aie su trouver.
Chez l’homme, le canal thoracique est unique et son dernier segment dessine une crosse, dont la branche descendante se dilate pour former une ampoule, située derrière le muscle sterno-cléido-mastoïdien et devant le scalène antérieur. Lors de certains cancers, des métastases peuvent s’accumuler autour d’elle et la rendre palpable ; on lui donne alors le nom de « ganglion de Troisier » (décrit par Rudolf Wirchow puis par Charles-Émile Troisier dans la seconde moitié du xixe s.).
Thomas Bartholin décrivait la valvule terminale du canal thoracique de manière bien plus détaillée et, me semble-t-il, plus imaginative que n’a fait Bourgery (tome iv, page 158) :
« En regard de la première vertèbre dorsale, existe une paire de valvules, et dans la portion coudée il s’en présente deux ou trois autres. La dernière occupe l’orifice terminal dans la veine sous-clavière ; elle est plus épaisse que les autres, ayant pour objet d’empêcher le reflux du sang veineux. »
Dans l’entrain de ses recherches du moment, mais un peu hors de propos, Thomas Bartholin évoquait les vaisseaux lymphatiques périphériques qu’il allait décrire plus en détail dans ses Vasa lymphatica (Copenhague et Paris, 1653, v. note [25], Nova Dissertatio de Jean Pecquet, expérience i).
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CAP. XII.
Lactearum thoracicarum in axillarem si-
nistram insertio.
Insertio jam thoracicarum lactearum inqvirenda. A
tertia dorsi vertebra, vec qvintâ, ubi recedunt à spina
Page 37, thomæ bartholini de lacteis thoracicis historia anatomica.
dorsi, per cujus medium toto hoc itinere serpebant, paula-
tim ad sinistram deflectunt, et sursum sub œsophago, aor-
taqve serpunt, et sub arteria subclavia et thymi glandulis,
ad claviculam sinistram procedunt. Diversus hic est Pec-
qvetus, qvi à tertia dorsi spina, in duos ramos diffindi scri-
bit pingitquve qvorum sinister ad claviculam sinistram ten-
dat, dexter ad dextram. Sed invento vero pictor aliqvid
addidisse videtur vel inventoris conjectura. Enim verò
utrinqve diffindi observare non potuimus, sive in brutis si-
ve homine, nisi aliter in Gallia, aliter in Dania ludat natu-
ra ; Sed semper tantum à tertia vertebra sinistorsum {a} defle-
ctere, sicut in humana figura exprimi curavimus. Folle in
inferioribus indito nullum à dextris vestigium vasis com-
paruit, nec qvidqvam huic simile visus potuit explorare.
Neqve aliter fieri posse existimo, qvod in homine diligen-
ter, pluribus etiam oculis investigaturus, deprehen-
di, qvia ad spinæ dorsi ortum juxta jugulum in dextris sta-
tim axillaris vena à cava oritur cordis basi vicina, in sini-
stris verò longior est protensio ut videatur natura huic in-
sertioni commodum locum designasse. Utrinqve qvidem
ligatum hoc vas per multos dies servatum à se visumqve re-
fert Vir profundæ eruditionis Adrianus Auzotius, qvem-
admodum fratri meo Erasmo Bartholino, antea laudato,
confessus est. Sed fide mea apud magnum Auzotium o-
mnesqve exciderim si dextram insertionem in ullo cadave-
re observaverim. Ludit sæpe natura, et in unico subjecto
illi forsan revelavit, qvod nobis infinita denegarunt.
- Sic pour : sinistrorsum (errata).
Page 38, thomæ bartholini de lacteis thoracicis historia anatomica.
Solitarius igitur ramus sinister sub œsophago, thymo,
et arteria thoracica, et clavicula sinistra, ad axillarem venam
sinsitram tendit ; idqve interdum simplici ramo, interdum
triplici, nonnunqvam numerosiori divisione per exigua
foramina vel unicum si unica sit insertio, statim ubi exter-
na Jugularis vena in axillarem se infundit. Observavi et
statim sub internæ jugularis progressu ingressum, incum-
bereqve glandulis exiguis in musculorum colli intercapedi-
ne. Ubi unica tantum est insertio simplicis rami, obser-
vavimus in homine et canibus foramen esse oblongius,
et valvulam mitralem tenerrimæ texturæ in axillaris ca-
vitate formanini suprapositam, qvæ inhibet regressum
chyli sanguinisqve ad inferiora et adscensum ejusdem ad
artus, qvia cor tantum respicit, et postica parte obvertitur
axillari.Non observatæ sunt lacteæ ulterius sive ad caput ten-
dere, qvia in jugulari adstat valvula, sive ad artus tam pro-
pter valvulas venarum brachii qvam perpetuum sangui-
nis decursum, unde nec ullus chylus ad illas partes ferri
pressione innotuit. Singulare est qvod in cane qvodam
septima post pastum horâ dissecto vidimus, ad pedes an-
teriores serosa qvædam vasa, qvemadmodum in abdo-
mine, venas pedis comitari utrinqve pellucida instar illo-
rum qvæ in thorace et abdomine aliàs observavimus,
qvorum neqve ingressum neqve egressum potuimus tum
distinguere, sed vinculo intercepta tumebant versus ipsos
artus.
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
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