En suivant l’exemple de Galien, [1][2] nous exposerons brièvement la dissection anatomique des lactifères nouveaux, [3][4] pour le profit de ceux à qui il n’a pas encore été permis de les voir. Ouvrez sans particulière précaution le cadavre d’un homme qui a été pendu ou une bête que vous aurez entravée, [2][5][6] à la quatrième, cinquième ou même septième heure après avoir été alimenté ; après avoir ôté le sternum et la partie du médiastin qui y est attachée, écartez adroitement vers l’extérieur, de part et d’autre, chacun des deux poumons et les viscères auxquels ils adhèrent, de façon à bien exposer ce qui est caché derrière eux. Aussitôt apparaissent, auprès de l’aorte [7] et de l’œsophage, [8] au milieu de l’épine dorsale ou un peu à côté, des vaisseaux ou un canal reluisant de sérosité, que vous isolerez prudemment de ce qui l’entoure à l’aide d’un scalpel, puis lierez avec un fil fin, soit sous la veine axillaire, [9] soit à mi-hauteur du thorax. Par crainte d’une inondation de sang, il vous faut occlure à l’aide d’un autre lien les vaisseaux qui s’attachent au cœur en haut et en bas. Ouvrez ensuite l’abdomen et, après avoir repéré les lactifères du mésentère et leur insertion dans le foie, [3][10] écartez sur les deux côtés l’ensemble du mésentère et des intestins pour bien exposer les glandes lactées lombaires nouvelles [11] ou le réservoir [12] là où ils siègent et se joignent au mésentère, entre les muscles psoas et les reins, et dans le voisinage de l’artère cœliaque [13] et de la veine cave inférieure, [14] auprès des émulgentes. [15] Détachez alors l’intestin grêle de l’origine du côlon et sortez-le de l’abdomen, avec l’estomac, le foie et la rate, [Page 70 | LAT | IMG] en ne laissant, s’il vous plaît, à leur place que le mésentère, la glande médiane et le pancréas. Vous verrez ainsi les glandes nouvelles qui sont blanches et molles au toucher, remplies de chyle ou de sérosité ; [16] mais si elles ne sont pas apparentes, soulevez les reins, sous lesquels elles se cachent ordinairement en partie. Pour contempler les branches lactées ascendantes, découpez le diaphragme morceau par morceau, puis détachez-le soigneusement des vertèbres, en même temps que l’aorte, la veine cave inférieure, l’œsophage et les autres viscères thoraciques, et retirez l’ensemble ou repliez-le vers la tête, au-dessus de l’épaule droite : vous aurez alors sous les yeux la totalité de la veine lactée qui longe le rachis ; elle est plus enflée à proximité du diaphragme et autour de la cinquième vertèbre dorsale, et serpente en direction de la clavicule gauche. Après avoir ôté cet os et la première côte gauche, exposez la veine axillaire gauche et la jugulaire externe [17] qui est à côté d’elle, et arrêtez-y le sang en les liant, la première du côté du membre supérieur et l’autre du côté de la tête. Vous n’aurez aucun moyen d’y trouver l’insertion des lactifères thoraciques, et si vous avez des doutes sur les petits conduits que vous voyez, insérez-y une canule au-dessus du lien et injectez de l’eau ou de l’air, ou alors, après avoir desserré le lien susdit, appuyez le doigt au-dessous de lui pour faire monter du chyle dans les rameaux lactés. [4] Une fois que vous les aurez repérés, ouvrez la veine axillaire entre ses ligatures et après avoir épongé le sang, cherchez la valvule [18] ou les orifices du canal thoracique que franchit manifestement l’air ou l’eau que vous y avez injecté, ou le chyle que vous y avez fait monter en le comprimant. Vous apprendrez le reste en répétant souvent cette dissection car elle est la plus difficile de toute la pratique anatomique, et il est plus aisé [Page 71 | LAT | IMG] de pointer tout cela du doigt sur une préparation que de l’expliquer par écrit. [5] Se fourvoient ceux qui approuvent ce qu’ils n’ont pas vu ou qui croient ce qu’on leur raconte. Celui qui dissèque trouvera les dieux en pénétrant dans l’antre et l’ermitage de Démocrite. [6][19][20] Non habemus ista odorifera, nec emptorem decipimus nihil inventurum cum intraverit, præter illa qvæ in fronte suspensa sunt. [7][21][FIN de l’Historia anatomica.]
Le corpus galénique contient neuf livres de Anatomicis Administrationibus, περι Ανατομικων Εγχειρηων, qui décrivent les « administrations (dissections) anatomiques ».
Thomas Bartholin ne s’est pas simplifié la tâche, et n’a pas ménagé son lecteur (sans parler de son traducteur), en décrivant tout ensemble l’anatomie humaine et animale des lactifères thoraciques : ça n’est tout de même pas le même exercice de disséquer le cadavre d’un pendu et d’ouvrir un chien vivant.
En pleine fidélité avec ce qu’il avait écrit dans les chapitres xv‑xvii de son Historia anatomica, Thomas Bartholin n’hésitait pas à tromper le lecteur en lui disant qu’il verrait distinctement des lactifères mésentériques pénétrer dans le foie.
Thomas Bartholin jugeait inutile de préciser que le lien dont il parlait était celui qui avait été posé sur les lactifères thoraciques au début de la dissection. De même, pour les ligatures veineuses jugulaire et axillaire gauches décrites dans la phrase précédente et qui figurent à nouveau dans la suivante, il n’a pas rappelé que leur aval, c’est-à-dire la veine cave supérieure, avait été lié avec la totalité des pédicules cardiaques. Il donnait ici le moyen de voir l’insertion des lactifères dans la subclavière gauche en y injectant de l’air ou de l’eau, ou en y faisant monter le chyle qui stagnait au-dessous de leur ligature.
Comme on pouvait le craindre dès le début (v. supra note [2]), à vouloir expliquer en même temps et en abrégé ce qu’on voit chez le chien et chez l’homme, Thomas Bartholin a manqué de précision et de clarté, au risque de décourager le lecteur, même avec l’aide d’une traduction fort bienveillante.
Pour l’essentiel, sa description correspond à ce qu’on observe lors d’une vivisection canine, c’est-à-dire à ce que Jean Pecquet avait beaucoup plus brillamment publié dans les trois magistrales dissections de ses Experimenta nova anatomica. Les ligatures des lactifères n’ont pas du tout la même efficacité chez un animal à l’agonie et sur un cadavre humain, même mort depuis moins d’une heure. Tout avait donc dû être beaucoup moins évident et convaincant à l’autopsie des deux pendus de Copenhague ; mais Bartholin ne pouvait pas en convenir car c’est en elle que résidait toute l’originalité de son Historia anatomica.
Le sens de cette phrase serait tout à fait obscur si, parmi les lettres que contient le corpus hippocratique, {a} il n’y avait celle à laquelle Émile Littré a donné le numéro 17. Hippocrate l’aurait écrite au dénommé Damagète pour lui raconter que les citoyens d’Abdère lui avaient demandé de venir voir Démocrite qu’ils croyaient fou ; mais après sa consultation, le médecin les en aurait dissuadés. {b} Dans un style qui ne lui ressemble guère, il décrit le lieu retiré où vivait le philosophe et comment il y menait ses recherches anatomiques : {c}
« De là on apercevait le logis de Démocrite, et Démocrite lui-même assis sous un platane épais et très bas, vêtu d’une tunique grossière, seul, le corps négligé, sur un siège de pierre, le teint très jaune et amaigri, la barbe longue. Près de lui, à droite, un filet d’eau, courant sur la pente de la colline, murmurait doucement. Sur cette colline était un temple consacré, autant que je conjecturai, aux nymphes, et tapissé de vignes nées spontanément. Démocrite tenait avec tout le soin possible un livre sur ses genoux ; quelques autres étaient jetés à sa droite et à sa gauche ; et de nombreux animaux entièrement ouverts étaient entassés. Lui, tantôt, se penchant, écrivait d’une teneur, {d} et tantôt il cessait, arrêté longtemps et méditant en lui-même. Puis, peu après, cela fait, il se levait, se promenait, examinait les entrailles des animaux, les déposait, revenait et se rasseyait. » {e}
- V. note [6], lettre de Jacques Mentel à Jean Pecquet.
- V. notes [7]‑[8], susdite lettre de Mentel.
- V. note [27], Brevis Destructio d’Hyginus Thalassius, chapitre iii.
- Sans discontinuer ni lever la tête.
- Littré Hip, volume 9, page 351.
Cela n’explique pas ce que Thomas Bartholin entendait exactement par « trouver les dieux » (Deos invenire).
Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, xxxiii, contre les séduisantes maximes qu’on prête aux philosophes, mais qui défigurent la profondeur de leurs réflexions : {a}
« Nous n’avons pas de ces appâts {b} et ne trompons pas l’acheteur qui, en entrant dans le magasin, ne trouvera rien de plus que ce qu’on a mis à l’étalage. »
- Thomas Bartholin, quant à lui, visait, me semble-t-il, les conteurs de sornettes médicales, mais ne lui est-il pas arrivé d’en débiter aussi quelques-unes ?
- Juste Lipse et d’autres savants philologues ont préféré remplacer odorifera [ce qui est agréablement parfumé] par ocliferia [ce qui saute aux yeux] : « appâts » me semble résoudre le dilemme.
Ainsi s’achève l’Historia anatomica de Bartholin, dont il convient, à mon avis, de retenir trois points majeurs :
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CAP. XX.
Anatomica Vasorum novorum Admi-
nistratio.
Exemplo Galeni Administrationem novorum va-
sorum Anatomicam paucis trademus, illorum in
gratiam qvibus ea necdum vidisse licuit. Cadaver
seu humanum seu brutorum qvarta qvinta vel septima
hora post pastum ligatum vel stragulatum rudi manu
aperito, et remoto sterno cum annexo mediastino, vali-
da manu pulmones alterutris lateris cum adhærentibus
visceribus in oppositum latus reflectito, ut dorsi abdita
in conspectum prodeant. Mox conspicua sub aortam
et œsophagum in medio spinæ dorsi vel circa medium,
vasa candida sive ductus sero relucentes scalpello à vicinis
cautè separato, et vinculo subtili sive sub axillari vena, si-
ve in medio thoracis ligato. Alio vinculo reliqva cordis
vasa intercipienda infra supraqve, ob ruituri sangvinis me-
tum. Postea abdomen diffinde, et visis in mesenterio la-
cteis, insertioneqve in hepar, universum mesenterium cum
intestinis ad latus alterutrum revolvito, ut glandulas la-
cteas novas se Receptaculum in situ suo et connexione
cum mesenterio intuearis inter musculos lumbares et
renes inqve Cæliacæ arteriæ et descendentis cavæ confi-
nio juxta Emulgentes. Hinc intestina ab infimis exordio
facto separa et cum ventriculo, hepate, liene ex abdomi-
Page 70, thomæ bartholini de lacteis thoracicis historia anatomica.
ne elimina, nudo si placuerit mesenterio cum glandula
media et pancreate relicto. Videbis glandulas novas
candicantes et ad tactum molles, chyloqve vel sero turgidas,
qvæ si non compareant, renes eleva, sub qvibus solet pars
illarum delitescere. Tum, ut adscendentes surculos la-
cteos contempleris, diaphragma per partes discinde et à
vertebris accuratè libera, unaqve aortam arteriam, venam ca-
vam, et œsophagum cum visceribus thoracis vel exime
vel caput versus supra scapulam dextram reclinato, et to-
tum vasis lactei ductum in dorso observabis circa dia-
pharagmatis regionem tumidiorem, circa qvintam verte-
bram dorsi ad sinistram claviculam serpentem. Deniqve
axillarem venam sinistram remota costa prima et clavi-
cula sinistra denudato, jugularemqve externam vicinam.
In utraqve utriusqve lateris vinculo injecto versus caput et ar-
tus sanguinem remorare. Nullo negocio insertionem
lacteorum thoracicorum invenies, siqve de fibrillis visis
dubitas, fistulâ in thoracicis supra vinculum adige vel a-
qvam vel spiritum, vel vinculum laxa digitoqve chylum
sursum propelle. Qvibus visis aperta axillari inter liga-
turas, abstersoqve cruore, valvulam qvære vel foraminula
qvæ chylum vel serum vel spiritum ex thoracicis pressis
vel inflatis manifestè admittunt. Reliqva exercitatio
freqvens docebit. Qvanqvam enim in tota Anatome
nulla difficilior occurrat administratio, facilius tamen
Page 71, thomæ bartholini de lacteis thoracicis historia anatomica.
intento digito hæ monstratur, qvam describitur. Fal-
luntur, qvi non visis acqviescunt, aut auditis credunt.
Democriti spelunca et secessus intrandus, ubi Deos inve-
niet sector. Non habemus ista odorifera, nec emptorem
decipimus nihil inventurum cum intraverit,
præter illa qvæ in fronte su-
spensa sunt.
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
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