L. 20.  >
À Claude II Belin,
le 16 février 1635

Monsieur, [a][1][1][2]

Je vous demande mille fois pardon de ce que j’ai été si négligent et si paresseux à vous écrire depuis tant de temps. Je vous prie de n’en attribuer la cause à aucun refroidissement de ma part en votre endroit ; envers vous, dis-je, auquel je me confesse avoir tant d’obligations que je perds l’espérance de m’en pouvoir jamais acquitter ; mais seulement à ma négligence qui m’est tellement naturelle que je ne puis chasser de moi comme je voudrais cet importun hôte domestique, [2] qui m’empêche à toute heure de m’acquitter de mon devoir envers mes bons amis, parmi lesquels je vous fais tenir le premier rang pour la grande affection que m’avez tant de fois témoignée, sans aucun mien mérite, et pour toutes les obligations que j’ai à votre bon naturel. Après donc vous avoir supplié de m’excuser le passé, je vous dirai, en commençant par les nouvelles de ce pays, que, mercredi dernier, le roi [3] fit arrêter prisonniers dans le Louvre [4][5] MM. de Puylaurens, [6] du Fargis, [7] du Coudray-Montpensier, [8] Senantes [9] et quelques autres officiers de Monsieur, [10] qui sont aujourd’hui dans le Bois de Vincennes [11][12][13] et dans la Bastille ; [3][14] on tient pour assuré qu’il y a du capital, [4] vu qu’ils ont déjà des commissaires. On dit que jeudi prochain le roi s’en va à Compiègne [15][16][17] et que, delà, il ira en Lorraine [18] donner ordre aux affaires d’Allemagne. [5] Nous avons ici de livres nouveaux le grand recueil des pièces particulières qui ont par ci-devant eu jour pour la défense du gouvernement de M. le cardinal : [19] c’est une réponse perpétuelle à ceux qui ont écrit contre lui pour Monsieur, frère du roi, et la reine mère ; [20] il est in‑fo[6][21] De toutes ces pièces, il n’y en a que trois de nouvelles, savoir est une longue préface, qui est excellente, une pièce satirique contre Saint-Germain, [22] aumônier de la reine mère, auteur putatif de plusieurs livres contre M. le cardinal, [7] et le procès d’Alpheston, [23] de Châlons. [8][24] De plus, nous avons la nouvelle histoire du roi d’à présent in‑fo, faite par Dupleix [25] sur les mémoires de M. le cardinal, laquelle pourtant ne contient pas tant de particularités que l’on en espérait. Nous avons pareillement le premier tome des Conseils de M. Baillou ; [9][26] postremo, de animæ immortalitate, nova Demonstratio Aristotelica adversus Pomponatium et eius asseclas[10][27][28][29] J’ai ici appris que M. Dacier [30] était mort ; si cela est, je vous prie de me mander à votre loisir quand et comment. Je vous baise les mains, et à tous vos honnêtes parents, en demeurant, Monsieur, votre très humble et affectionné serviteur,

Patin.

De Paris, ce 16e de février 1635.


a.

Ms BnF no 9358, fo 26 ; Triaire no xx (pages 79‑81).

1.

En 1635, s’ouvrait la guerre qui opposa la France aux Habsbourg d’Espagne jusqu’en 1659 (paix des Pyrénées). Le 6 septembre 1634, à Nördlingen, la coalition catholique des Habsbourg d’Autriche et d’Espagne avait écrasé l’union protestante germano-suédoise.

Mémoires du cardinal de Richelieu [1634] (page 566 de l’édition de Michaud et Poujoulat, tome 8 de la Nouvelle collection des mémoires…, 1838) :

« La nouvelle de cette défaite apporta d’autant plus d’étonnement que moins elle était espérée. Le cardinal {a} crut qu’il n’y avait rien qui pût causer plus de désavantage aux affaires du roi que de témoigner avoir le courage abattu pour ce mauvais succès, et représenta à Sa Majesté qu’il était certain que, si le parti {b} était tout à fait ruiné, l’effort de la puissance de la Maison d’Autriche tomberait sur la France ; qu’il était certain encore qu’après l’échec arrivé depuis peu, le parti ne pouvait subsister s’il n’était soutenu d’un secours présent et notable, et d’une espérance plus grande et d’un nom puissant […] ; qu’il était certain de plus que, bien que la France ne se déclarât pas en cette occasion, la Maison d’Autriche ne serait pas moins animée contre elle parce qu’elle estimerait que nulle autre cause ne l’en aurait empêchée que son imprudence, sa faiblesse ou sa crainte ; qu’il était certain encore que le pire conseil que la France pût prendre était de se conduire en sorte qu’elle pût demeurer seule à supporter l’effort {c} de l’empereur et de l’Espagne ; ce qui serait indubitable si elle ne recueillait et ne ralliait les restes de ce grand parti, qui avait subsisté depuis longtemps en Allemagne, par le moyen de quoi le pis qui lui pût arriver serait de soutenir pour un temps la dépense de la guerre d’Allemagne, et ce avec des princes qui y seraient intéressés et seraient de la partie ; au lieu qu’autrement il la faudrait soutenir dans le cœur de la France, sans l’assistance des princes dans les États desquels la guerre subsisterait longtemps. »


  1. Richelieu.

  2. Protestant.

  3. L’hostilité.

En janvier 1635, les Espagnols, forts de cette conjoncture, s’étaient attaqués aux Français en leur prenant Phillipsbourg, puis Spire et Landau. Le 26 mars, ils allaient envahir l’électorat de Trèves (v. note [30] du Grotiana 2), placé sous la protection du roi de France. Le 19 mai 1635, un héraut d’armes, officier gascon nommé Gratiollet, précédé d’un trompette, vint à Bruxelles porter au cardinal-infant (frère benjamin d’Anne d’Autriche, v. note [13], lettre 23) la déclaration de guerre de la France à l’Espagne. Les hostilités commencèrent par un succès français, à Avein, en Luxembourg, le 20 mai ; puis ce fut le désastre de Corbie, tombée entre les mains des Espagnols le 15 août, qui s’approchèrent dès lors dangereusement de Paris.

2.

À comprendre probablement comme le tracas de la vie familiale quotidienne.

3.

La Bastille et le donjon de Vincennes étaient les deux grandes prisons royales de la capitale.

Forteresse bâtie au xive s. sous le règne de Charles v pour défendre l’entrée est de Paris (porte Saint-Antoine), la Bastille était composée de huit tours réunies par un épais rempart, entouré d’un large et profond fossé. Sans grande efficacité militaire, elle avait principalement servi à abriter le trésor royal, jusqu’à l’avènement de Richelieu, qui l’avait convertie en prison d’État pouvant accueillir une soixantaine de détenus.

Le domaine royal de Vincennes, à 7 kilomètres à l’est de Paris, était constitué d’un vaste bois servant à la chasse et d’un château, lui aussi essentiellement construit par Charles v. Ce vaste édifice servait alors à la fois de résidence royale, qui fut embellie plus tard dans le cours du xviie s., et de prison d’État. Plusieurs détenus illustres se sont succédé dans le donjon au fil des lettres de Guy Patin, tels le duc de Beaufort, les trois princes (Condé, Conti et Longueville), le cardinal de Retz ou Nicolas Fouquet.

4.

Pour dire que « l’affaire est de haute importance ».

V. note [14], lettre 18, pour Puylaurens.

En qualité de conseiller d’État, Charles d’Angennes, comte du Fargis (v. note [30] du Borboniana 8 manuscrit pour ses ascendants), avait été ambassadeur en Espagne de 1620 à 1624. Il était le mari de Madeleine de Silly, comtesse de Rochepot, dame d’atour de la reine Marie de Médicis, qui s’était gravement compromise par ses intrigues contre Richelieu. Le couple avait dû fuir à Bruxelles en 1631 et la comtesse avait été condamnée à mort par contumace. En 1632, du Fargis était retourné en Espagne pour favoriser les menées de Monsieur contre la Couronne de France. Le retour en grâce de Gaston d’Orléans avait entraîné l’amnistie de du Fargis, mais il n’en jouit guère longtemps.

Henri d’Escoubleau, marquis du Coudray-Montpensier (mort en 1688), maréchal de camp, blessa à mort, en duel, en février 1642, Frédéric de La Trémoille, comte de Laval (Adam).

François de Havard, sieur puis marquis (1636) de Senantes combattit dans l’armée d’Italie en 1636-1638. En 1639, il se mit au service de la duchesse de Savoie avant d’être licencié en 1644. Établi dans la noblesse piémontaise, il mourut à Turin en 1689.

L’arrestation des gentilshommes de Gaston d’Orléans avait eu lieu le 14 février. Puylaurens fut pris par de Gordes, capitaine des gardes, dans le cabinet du roi, au Louvre, où il venait s’entretenir avec Richelieu. Coudray-Montpensier avait dîné chez le garde des sceaux, avec Richelieu et du Fargis. Après le repas, ayant manifesté l’intention d’aller au Louvre, Richelieu lui avait offert de l’y conduire. À peine arrivé, Charost, autre capitaine des gardes, s’était saisi de lui au nom du roi. Cette attaque contre l’entourage de Gaston était sans doute liée à son refus de rompre son mariage lorrain au moment où la guerre allait s’ouvrir contre les Habsbourg. Pour le public, cette arrestation subite, sans cause appréciable, était un événement qui pouvait jeter la France dans le péril qu’on avait conjuré par la réconciliation du roi et de son frère.

5.

Compiègne, en Picardie (Oise), à 75 kilomètres au nord de Paris, se situe au centre d’une vaste forêt et a été une résidence royale depuis les Mérovingiens. Le château dans lequel Louis xiii prenait plaisir à séjourner était celui que Charles v avait fait édifier au xive s. En 1635, le souverain entreprit d’y faire entièrement rénover les appartements royaux (dont rien ne subsiste aujourd’hui).

6.

Le Recueil de diverses pièces pour servir à l’histoire de France (sans lieu ni nom, 1635, in‑fo ; rééditions en 1640, sans lieu ni nom, in‑4o, et 1643) est un ouvrage de Paul Hay, marquis du Chastelet (Laval 1592-Paris 26 avril 1636), conseiller puis avocat général au parlement de Bretagne, maître des requêtes en 1623, était conseiller d’État depuis 1633. Il avait gagné les bonnes grâces du cardinal de Richelieu, qui l’employa fréquemment et l’appelait familièrement son lévrier. Il avait été l’un des juges du maréchal de Marillac et 1632 et élu membre de la première Académie française en 1634. Sa préface du Recueil (Au Lecteur), longue de 83 pages, est un vibrant éloge de Richelieu qui s’achève sur ces deux phrases :

« On parlera toujours trop peu des mérites de ce grand ministre, et la calomnie de ceux qui pensent l’avoir déchiré ne sera jamais assez condamnée. La multitude de tant de choses différentes, plutôt que le discours de chacune, a fait croître cet ouvrage qui serait infini si j’avais entrepris d’y écrire toutes les vertus du cardinal et tous les vices de ses ennemis. »

En trouvant cet ouvrage excellent, Guy Patin ne dissimulait alors pas son admiration pour Richelieu, qui se transforma par la suite en profonde détestation.

7.

Mathieu de Mourgues (ou Morgues), abbé de Saint-Germain (château de Saint-Germain-Laparade, dans le Velay, 1582-Paris 1670) avait d’abord été professeur en Avignon chez les jésuites, mais avait quitté leur Compagnie pour se rendre à Paris. Il s’y était livré avec succès à l’éloquence de la chaire et devint prédicateur de la reine Margot (1613), première épouse de Henri iv (v. note [4], lettre latine 456), puis aumônier de la reine régente Marie de Médicis, sa veuve. Richelieu avait ensuite chargé l’abbé d’écrire divers ouvrages en sa faveur ; mais en 1631, quand le cardinal avait chassé la reine mère, Mourgues lui était resté fidèle et l’avait suivie à Bruxelles ; il ne put, pour ce motif, prendre possession de l’évêché de Luçon, auquel il venait d’être appelé. Richelieu, qui redoutait extrêmement l’humeur sarcastique de Mathieu de Mourgues, avait en vain mis tout en œuvre pour qu’on le lui livrât.

Écrivain prolifique, l’abbé de Saint-Germain publiait en 1635 :

Ce fut seulement après la mort du cardinal (décembre 1642) qu’il put revenir à Paris. Il mit sa verve sarcastique au service des frondeurs de Paris contre Mazarin, puis il termina ses jours aux Incurables (v. note [13], lettre 286).

La pièce satirique contre Saint-Germain contenue dans le Recueil de Hay du Chastelet est une réponse au libelle intitulé L’Hellébore pour nos mal-contents, cueilli au jardin d’un anti-Machiavel (édition sans lieu ni nom de 1643, page 739) :

« Cette pièce a été faite par Saint-Germain et imprimée au Pays-Bas, {b} en faveur des ministres d’Espagne, contre les mécontents de Flandres, au même temps qu’il écrivait contre les ministres de France. »


  1. Ouvrage reparus sous le titre de : « Dernière édition, corrigée et augmentée de plusieurs choses qui ne sont point aux éditions contrefaites, auxquelles s’est commis des fautes contre l’intention de l’auteur » (Anvers, Sur la dernière copie corrigée par l’auteur, sans nom, 1643, in‑4o), en 14 parties, avec un « Ordre des pièces contenues en ce volume, et le temps auquel elles ont été imprimées, et comme l’auteur les amises en cette dernière édition ».

  2. En 1632.

En voici un virulent extrait (page 754) :

« Mais le pis que je vois en cela est que ce ne sont point toujours les plus gens de bien qui se plaignent de la corruption du siècle ; mais souvent les plus vicieux, les plus malhabiles, les plus corrompus. Tu cries que tout est perdu, que la vertu n’est point reconnue, que les faveurs sont distribuées à personnes indignes, que les affaires sont entre les mains de petites gens, ou gens incapables. Et qui es-tu qui dit cela ? Ne vois-tu point ton valet, ton laquais derrière toi qui se plaint de la fortune de l’avoir assujetti à un si sot homme, qui par les lois de la nature devait servir à celui qui le sert, et qui est beaucoup plus habile homme, et plus habile homme que lui ? Tu penses, sous ombre que ton père t’a laissé du bien, et qui peut-être s’est damné pour te l’acquérir ; sous ombre qu’il t’a laissé un bel office, une belle charge, en laquelle tu n’entends rien et dont tu es indigne ; sous ombre que tu as une grande prélature, où tu es entré par simonie ou autre mauvais moyen ; tu penses, dis-je, être un grand personnage et avoir droit de contreroller {a} les actions mêmes du Souverain. Et tu ne vois point tant de gens de bien, tant de gens de valeur, tant de savoir et de vertu, qui pour avoir voulu se contenir dans les bornes de la justice et de la prud’homie {b} sont contraints de te supplier, de respecter et de supporter, ou plutôt même de vénérer toutes tes impertinences. Et cependant tu te plains que les grandes charges, les grandes dignités, les grandes faveurs ne sont point bien distribuées, tu publies que l’État a besoin de réformation, et tiens ce discours dedans un cabaret et une place d’usure, et peut-être même dans un bordel. »


  1. Censurer.

  2. V. note [12], lettre 384.

8.

Grand centre d’échanges entre Paris et le nord-est de l’Europe, Châlons (aujourd’hui Châlons-en-Champagne dans le département de la Marne) était alors souvent appelée Châlons-sur-Marne « parce qu’elle est sur cette rivière, et pour la distinguer de Chalon-sur-Saône [v. note [27], lettre 227]. L’Évêque de Châlons est un des six pairs ecclésiastiques du royaume, et l’un des trois comtes et pairs » (Trévoux).

François Alfeston (Alpheston), né à Châlons vers 1595, n’est connu que pour le complot qui lui valut une mort infamante à Metz le 22 septembre 1633. La Biographie châlonnaise d’Amédée Lhote, « employé à la bibliothèque de Châlons-sur-Marne » (Châlons, T. Martin, 1870, in‑8o, page 6) n’en apprend guère plus :

« […] soi-disant seigneur en Champagne, écuyer, fils de bonne maison. Sa vie avait été aventureuse, il avait servi sous Marillac et, durant l’emprisonnement du maréchal à Sainte-Menehould, on l’avait entendu proférer des menaces contre le cardinal. {a} Il n’en fallut pas tant pour le condamner. […] Ses bien furent confisqués. Au 10 juillet 1597, nous trouvons un sieur Pierre Alfeston, écuyer, seigneur de Montois et Francheville, gouverneur municipal de Châlons et bailli en 1617 et 1622. » {b}


  1. V. note [17], lettre 10, pour le maréchal de Marillac, dont Richelieu avait obtenu l’exécution capitale le 10 mai 1632.

  2. V. note [24] du Borboniana 7 manuscrit pour ce Pierre Alfeston, père de François.

Le Recueil de Hay du Chastelet contient un Extrait des procès criminels faits aux nommés Alpheston, Blaise Ruflet, se faisant appeler baron de Chavaignac, le père Chanteloupe, la Roche et complices. Avec les arrêts de condamnation de mort donnés contre eux au parlement de Metz. Le tout envoyé à Paris le premier d’août mil six cent trente-quatre (édition sans lieu ni nom de 1643, pages 864‑898, année 1634). L’Histoire du parlement de Metz par Emmanuel Michel, conseiller à la Cour royale de Metz… (Paris, J. Techener, 1845), Emmanuel Michel a donné un condensé de cette affaire (pages 44‑48) :

« En 1631, Marie de Médicis, mère du roi, et son fils Gaston, duc d’Orléans, s’étaient retirés de la cour. En 1633, la reine mère, fixée à Bruxelles, s’était mise sous la protection de l’Espagne ; peu de temps après, Gaston vint l’y rejoindre avec la princesse Marguerite de Lorraine, sa femme. Le Père Chanteloupe, oratorien, s’était attaché à la fortune de la reine mère et à celle de Monsieur. Cet ecclésiastique était regardé comme l’un des principaux auteurs des troubles qui avaient éclaté dans le royaume. Le 30 mars 1631, {a} une déclaration du roi, enregistrée au parlement de Dijon où la cour se trouvait alors, ordonna de le poursuivre comme criminel de lèse-majesté. Ce P. Chanteloupe qui, par position était l’ennemi personnel du cardinal de Richelieu, fut accusé d’être l’âme d’une conspiration tramée contre la vie du premier ministre. Voici comment il se fit que le parlement de Metz {b} eut à statuer dans une affaire aussi grave. Le 14 septembre 1633, on vit arriver à Metz un gentilhomme accompagné de deux soldats. Tous trois avaient servi dans les gardes du maréchal de Marillac, mort victime de la politique du cardinal de Richelieu. Pendant leur séjour à Bruxelles, ils avaient été nourris, soit dans la maison de la reine mère, soit dans celle du P. Chanteloupe. Aussitôt qu’ils furent arrivés à Metz, ces deux soldats allèrent déclarer au seigneur de Montmart, commandant de la ville, que pendant la route leur compagnon de voyage les avait engagés à assassiner le cardinal de Richelieu. Cet officier fit arrêter les dénonciateurs et l’homme qu’ils accusaient ; celui-ci se nommait Alpheston et se disait gentilhomme originaire des environs de Châlons-sur-Marne. Le premier président Antoine de Bretagne {c} fut prévenu immédiatement. Après avoir pris connaissance de l’affaire, il expédia de suite le greffier qui avait reçu les dénonciations au garde des sceaux, qui se trouvait alors en Lorraine avec toute la cour. Le lendemain même, le roi fit adresser au parlement l’ordre d’instruire le procès d’Alpheston. Le parlement informa d’abord sur le fait de conspiration contre le cardinal, ce qui constituait un crime de lèse-majesté au second degré, puis sur un second chef capital, celui d’un assassinat. Alpheston était accusé d’avoir confié à un nommé Clerbourg, courrier du cardinal, ses projets d’attentat à la vie du premier ministre, et d’avoir tué quelques mois après ce malheureux courrier à Void, près de Toul, parce qu’il avait craint ses indiscrétions. La procédure fut instruite promptement : par arrêt du 22 septembre 1633, huit jours après l’arrestation d’Alpheston, le parlement le déclara convaincu des deux crimes à lui imputés, en conséquence le condamna à faire amende honorable devant la principale porte de la cathédrale, et à être rompu et brisé vif sur la place de Champ-à-Seille.

[…] Quelques jours après, une députation solennelle, composée du premier président, de quatre présidents à mortier, de deux conseillers, du procureur général et du premier avocat général, fut chargée d’aller à Nancy complimenter Louis xiii. La députation eut audience le mercredi 28 septembre ; le roi, qui était entouré de ses ministres, témoigna au Parlement combien ses services lui étaient agréables. En quittant le roi, les magistrats allèrent saluer le cardinal de Richelieu, qui reçut les députés fort courtoisement et remercia la Cour de la bonne justice qui avait été faite pour l’assassinat qu’Alpheston avait entrepris sur sa personne. L’arrêt de condamnation prononcé contre ce malheureux portait qu’avant l’exécution il serait appliqué à la question ordinaire {d} et extraordinaire, pour avoir par sa bouche la vérité de ses complices. Sur le vu du procès-verbal de question, le parlement ordonna que le P. Chanteloupe, La Roche, son domestique, Claude, son cocher, et Garnier, ancien secrétaire du maréchal de Marillac, seraient également arrêtés, si faire se pouvait, et que l’on instruirait leur procès. Cette grande affaire se termina par des arrêts du 7 juillet, {e} qui condamnèrent le P. Chanteloupe et le nommé La Roche, son domestique, à être rompus et brisés vifs sur le Champ-à-Seille, si pris et appréhendés pouvaient être, sinon par effigie en un tableau qui serait mis et attaché à une potence. »


  1. Sic pour 1633.

  2. V. note [29], lettre 549.

  3. V. note [13], lettre 389.

  4. V. seconde notule {d}, note [2] du Borboniana 10 manuscrit.

  5. 1634.

9.

V. notes [9], lettre 12, pour l’Histoire de Scipion Dupleix (Paris, 1621-1643), et [19], lettre 17, pour les Conseils de Guillaume de Baillou.

10.

« et enfin » :

Antonii Sirmondi, Societatis Iesu presbyteri, de immortalitate animæ Demonstratio physica et Aristotelica, adversus Pomponatium et asseclas.

[Démonstration physique et aristotélicienne sur l’immortalité de l’âme, contre Pomponace et ses suppôts, par Antoine Sirmond, {a} prêtre de la Compagnie de Jésus]. {b}


  1. Antoine Sirmond (Riom 1591-Paris 1643), neveu de Jacques (v. note [7], lettre 37) et frère de Jean (v. note [16], lettre 315), était entré dans la Compagnie de Jésus en 1608. Pascal le prit à partie dans sa Dixième Provinciale : tout le parti janséniste l’accusait d’avoir réduit le précepte d’amour de Dieu à celui de l’obéissance aux commandements.

  2. Paris, Georges Josse, 1635, in‑8o de 396 pages.

    La Demonstratio est suivie de l’Appendix sive peculiaris Pomponatii confutatio [Appendice ou réfutation particulière de Pomponace] (92 pages).


Le P. Sirmond a plus tard publié en français la somme de ses réflexions sur ce brûlant sujet :

Démonstration de l’Immortalité de l’âme, tirée des principes de la Nature. Fortifiée de ceux de l’Aristote. Où plusieurs beaux secrets d la Philosophie sont mis en leur jour. {a}


  1. Paris, Michel Soly, 1637, in‑4o. La Conclusion de tout le livre, par forme d’avis aux libertins {i} se termine sur ce dernier argument (pages 462) :

    « Il serait donc plus que raisonnable de vouloir suivre le train de la vertu, et mériter le ciel ; quand même il n’y aurait aucune preuve naturelle de l’immortalité de l’âme et de l’éternité qui ne souffrît quelque repartie. À plus forte raison, est-il à propos que nous en prenions la résolution, puisque nous n’avons point de réponse à la démonstration qu’on nous offre ici sur cette vérité si importante, dira volontiers quelqu’un en se reconnaissant. » {ii}

    1. Ce mot, tel qu’on l’entendait au xviie s., est encore l’objet de débats passionnés qui parsèment notre édition : v. note [9], lettre 60.

    2. Se reconnaître : « faire réflexion sur soi, reprendre ses sens, pour songer à ce qu’on doit faire ; en approchant de ce sens il signifie se repentir, faire pénitence » (Furetière).

Pietro Pomponazzo (Pomponace, Mantoue 1462-Bologne vers 1525) occupa successivement les chaires de Padoue (1486), Ferrare (1509), Bologne (1512) et fut à son époque le plus sagace et le plus subtil des interprètes d’Aristote. Bien que partisan de ce philosophe, il n’en signala pas moins les vices de la doctrine péripatéticienne. Il excita une violente tempête contre lui par son Tractatus de Immortalitate animæ [Traité sur l’immortalité de l’âme] (sans lieu ni nom, 1516, in‑16, pour la première de multiples éditions) : en se fondant sur Aristote, il y conclut qu’aucune des raisons alléguées pour prouver ce dogme n’a de force démonstrative catégorique ; qu’en conséquence, la raison seule est impuissante à résoudre cette question, qui ne peut être tranchée que par la révélation. V. note [67] du Naudæana 1, pour la condamnation relativement clémente que l’Inquisition de Bologne prononça contre ce livre, à considérer comme l’un des ouvrages prisés des « libertins érudits » (v. supra seconde notule {a‑i}).


Correspondance complète de Guy Patin et autres écrits, édités par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – À Claude II Belin, le 16 février 1635

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(Consulté le 07/02/2025)

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