Charles le Noble, docteur en médecine agrégé au Collège des médecins de Rouen, adresse ses plus profonds respects à M. Jean Riolan, très érudit et docte médecin, de loin le plus éminent de tous les anatomistes, doyen des professeurs royaux en la très célèbre et ancienne Faculté de médecine de Paris. [2]
L’éminence de votre science est telle, très illustre Monsieur, que quiconque entreprend de lire les livres auxquels vous avez consacré toutes vos veilles, est d’autant moins capable d’égaler la profonde subtilité de votre génie qu’il doit profondément s’extasier devant l’inépuisable fécondité de votre érudition. Quand les presses des imprimeurs mettent au jour ces enfants, aussi remarquables qu’ingénieux, de votre inépuisable labeur, tous se les procurent sans délai, dans la crainte que l’édition ne s’en épuise ; et quand ils prennent de l’âge, tous les couvent en leur sein. Entre autres merveilles qui font admirer vos ouvrages, celle qui surpasse tout le reste est que vous parveniez à convaincre de vous louer ceux que vous auriez dû suspecter d’être vos censeurs : votre manque de douceur et [Page 4 | LAT | IMG] la très vigoureuse sévérité de vos jugements vous vaudraient les assauts des jaloux si les chantres de votre gloire, poussés par de très fermes incitations à vous imiter, n’avaient pris en haine ceux qui attaquent vos travaux. Vous considérer comme le premier des anatomistes de notre temps est grandement sous-estimer vos mérites, car ceux des prochains siècles vous tiendront encore pour leur prince, même quand ils dénonceront l’ignorance de leurs prédécesseurs, car vos lumineuses dissections ont dévoilé maints secrets du corps humain que les Anciens ont ignorés ; et quand ils les ont découverts, ils les ont laissés dans une extrême confusion, et vous les avez approfondis, mieux expliqués et présentés, grâce à une méthode plus soigneuse, en sorte qu’ils sont maintenant très aisément accessibles à tous. Quantité d’auteurs ont certes beaucoup et longtemps transpiré pour faire progresser l’anatomie, mais c’est vous seul qui lui avez fait atteindre sa perfection. Bien que l’Antiquité ait abusivement cru être venue à bout de tous les articles de cette science, sa postérité a plus justement estimé qu’elle n’avait que posé les fondements du monument à construire, et à vous seul a été accordé d’y mettre la dernière main et d’en poser le faîte. Je ne me permets pas d’en dire plus à votre louange, et j’en viens à ce qui m’a poussé à vous écrire : étant donné les très brillants ouvrages de doctrine que vous avez laissés à la postérité, et sans sembler vouloir trop vous flatter, je sollicite avec grande insistance votre avis sur le mouvement du chyle (qui est le sujet de ma lettre). J’ai toujours eu tant d’admiration pour vous que, après avoir [Page 5 | LAT | IMG] tenu en faible estime les innombrables volumes qui ont traité d’anatomie, je consacre mes courtes soirées (mes journées étant occupées par l’exercice de la médecine) à reprendre l’ensemble de vos ouvrages, non pas en les feuilletant distraitement, mais en les lisant avec la même attention que j’y mettais jadis, et en tenant mon esprit à l’écart de l’opinion que des étrangers ont conçue sur ledit mouvement du chyle. Un docteur qui connaît depuis longtemps vos travaux vous supplie donc, avec ardent espoir, que vous lui donniez votre jugement sur cette question. En suivant le conseil de Galien [4] et l’exemple d’Hérodote, [5] dont vous-même avez suivi les traces [3] (car dans vos livres, avant d’exposer votre doctrine sur la circulation du sang, vous la secouez, la remuez et l’attaquez, comme on fait dans les disputes académiques de diverses écoles), je ne juge pas inutile de vous présenter mon jugement sur le mouvement du chyle, qui est fort différent de ce que les auteurs en ont dit jusqu’ici, et qu’ont fondé les enseignements tirés des fréquentes dissections que je pratique publiquement dans cette ville. Je le soumets à vos critiques pour que vous me disiez s’il s’écarte tant soit peu de la vérité et pour qu’il en devienne ainsi plus probant et solide.
Mon opinion sur le lieu où la nature conduit le chyle et sur le dessein qu’elle a en faisant ainsi, rejoint celle de Pecquet sur certains points, tout en s’en écartant sur de nombreux autres. L’endroit où s’insèrent les lactifères pecquétiens [6] [Page 6 | LAT | IMG] est la première question à discuter en détail. Je soumets tout cela à votre avis en étant le plus bref et le moins verbeux qu’il me sera possible, car je ne veux abuser ni de votre patience ni de votre temps (dont je sais qu’il est extrêmement précieux pour vous-même et pour le monde savant).
Il est clair pour tout le monde que les veines lactées [7] recueillent le chyle expulsé par les intestins, puis s’enfuit pour tomber dans le réservoir de Pecquet [8] ou dans les glandes lombaires de Bartholin ; [9] qu’il chemine ensuite dans le canal ou les canaux pecquétiens et s’écoule de proche en proche dans les veines axillaires ou subclavières, [10] où il se jette dans le sang, en se mêlant indistinctement à lui ; et qu’enfin, conformément à la doctrine de la circulation, il parvient dans le ventricule sanguin droit du cœur. [11]
Je pense pourtant que cela n’établit pas que le cœur soit le principe de la sanguification, [12] puisque cette expérience ne le prouve pas, et j’estime que seule une partie du chyle emprunte cette voie.
Dans quel dessein la nature a-t-elle établi ce mouvement ? Le raisonnement pourra seul éclaircir et dénouer une question si obscure et emmêlée. La vérité naît et se fait connaître par l’art et la méthode de l’accouchement, mais le jugement l’affermit et la réflexion l’alimente, comme fait une nourrice ; [13] son rayonnement distingue le vrai du vraisemblable (dont Platon [14] a dit que c’est le propre de tout habile homme de l’art), à la manière dont la lumière permet de reconnaître les couleurs que l’obscurité empêchait les yeux de percevoir. Galien a donc donné à la raison l’excellent et très exact nom d’art qui dépasse tous les arts, [4][15] [Page 7 | LAT | IMG] et j’oserai hardiment en déduire que c’est le précepte que les empiriques ont délaissé : [16] pour avoir repoussé la méthode médicale que toutes les facultés enseignent, ceux-là s’exposent au blâme et même à la haine ; ils ont honteusement glissé dans une infinité d’erreurs et nous les avons très souvent entendus outrager quantité de gens. À la porte de leur ville, les Athéniens ont érigé des statues en bronze représentant l’union de Vulcain [17] et de Pallas [18] avec l’idée de montrer que le travail et l’intelligence sont la source des arts et de leur perfectionnement ; et il semble que Platon ait signifié la même chose quand il dit que Minerve et Vulcain ont contribué de manière égale au partage du monde. [5][19][20]
Puisque je me permets de raisonner sur cette matière, je dirai librement que si le cœur reçoit une portion du chyle, cela ne me convainc pas qu’il possède le pouvoir de produire le sang, [21] car les raisons présentées plus bas me font penser autrement, en établissant que cette fonction appartient au foie [22] et en démontrant promptement que le cœur est fort peu disposé à la remplir.
Si deux parties du corps qui sont de nature et de tempérament dissemblables, placées dans des endroits distincts et ayant des parenchymes différents, avaient la même vertu agissante et pouvaient accomplir les mêmes fonctions, il en résulterait sûrement alors que l’action d’un cœur sain réparerait les dommages engendrés par un foie malade ; mais cela renverserait le dogme établi par l’ancienne médecine, selon lequel la défaillance d’une partie donnée n’est réparable par l’action d’aucune autre ; et puisque, selon une règle essentielle de Galien, chaque fois qu’une partie exerce une fonction qui ne lui est communiquée par aucune autre, il faut qu’elle possède un tempérament particulier [Page 8 | LAT | IMG] qui lui permet d’accomplir cette fonction ; la conclusion s’impose donc que quand existent une structure propre et un tempérament particulier, la partie qui les possède exerce aussi une fonction propre, qui ne peut être partagée par aucune autre partie. [6]
Comment, au nom du ciel, le cœur, dont l’action est si vigoureuse et efficace, est-il capable de convertir en sang la substance fuyante du chyle qui le traverse à grande vitesse ?
Comment pourra-t-il se faire qu’une matière adopte une forme nouvelle si des dispositions préalables ne l’y ont convenablement préparée ? Qui dirait qu’un instant de contact avec le cœur suffit, en un seul passage, à modifier le chyle qui s’y rue avec extrême vélocité, de manière qu’il engendre soudainement du sang ? Pour qu’une telle transformation ait lieu, il est absolument nécessaire que le chyle soit retenu dans le cœur et y séjourne pendant le temps suffisant pour la rendre possible ; ou alors il faut tout à fait contredire le philosophe [23] qui, entre autres conditions requises pour la perfection d’une action, exige surtout que son agent exerce un effet continu pendant la durée requise, parce que si sa vertu opérante est limitée et faible, il ne peut accomplir la tâche que la nature lui a impartie ; son pouvoir peut toutefois s’exercer en plusieurs étapes successives si chacune est de durée convenable.
Cette fonction du cœur devrait donc échapper à la loi commune, que la nature a inviolablement prescrite aux autres parties du corps pour accomplir leurs actions propres. Une telle assertion semble absurde si rien [Page 9 | LAT | IMG] ne la fonde solidement, car alors, si le pylore retient si longtemps les aliments dans l’estomac, [24] n’est-ce pas pour que passe dans le chyle ce que leur substance contient de meilleur et de plus pur ?
Et s’il est nécessaire que le sang et ses esprits fort épurés et subtils, à partir desquels se forme directement la semence, s’attardent longuement dans les canaux séminaux, n’est-ce pas pour que les testicules leur communiquent leur vertu prolifique, puisque cette humeur, bien qu’elle soit fluide et diluée, doit disposer d’un temps suffisant pour s’écouler peu à peu en parcourant toute la longueur des vaisseaux déférents qui s’enchevêtrent en un labyrinthe de multiples lacets ? [25]
Si enfin la merveilleuse providence de la nature, par singulier artifice, a construit un réseau admirable qui entoure la selle de l’os sphénoïde, [26] et y a ajouté les plexus choroïdes [27] qui sont dans les ventricules cérébraux, n’est-ce pas pour que le sang parfaitement élaboré, qui engendre les esprits animaux, [28] parcoure doucement d’innombrables sinuosités anfractueuses et exiguës, et y séjourne le temps de se préparer à recevoir le sceau de la faculté animale et en acquérir les propriétés ? [7]
Une autre preuve vient des très soigneuses observations de Galien, qui l’ont mené à dire qu’une multitude de veinules gagne le foie et le farcit, [29] en sorte que le chyle séjourne longtemps dans ces veines avant d’en sortir, et pénètre dans le parenchyme hépatique pour que sa chaleur puisse le cuire, comme fermente le vin nouveau, et le transformer pour engendrer un sang louable. [8] Néanmoins, au cours de cette ébullition, un sédiment se forme à partir des excréments chyleux, [Page 10 | LAT | IMG] lequel est féculent et épais, d’où surnage, comme une écume, une partie ténue et légère qui flotte à la surface du sang. C’est ainsi qu’est produit et préparé le sang qui sera ensuite conduit au cœur pour y acquérir son ultime perfection : par rayonnement et impression, ses passages réitérés dans les ventricules (car la circulation permanente l’y mène encore et encore) [30] lui confèrent sa faculté vitale. [31]
La sanguification est difficilement attribuable au cœur, organe que la nature n’a pas doté de capacités aussi diverses ; et à non moindre raison, sinon à plus forte raison, on pourrait dire que son officine se situe aussi dans les poumons, où la circulation mène le chyle, et où il séjourne plus longtemps que dans le cœur, dont le mouvement continu l’expulse promptement, sans lui laisser le temps de s’y reposer. [9][32][33]
Si la structure du foie favorise mon opinion, sa taille et sa couleur plaident aussi fortement contre la doctrine de Pecquet. Elles font en effet assez clairement comprendre que la fonction naturelle de ce viscère ne consiste pas à séparer la bile du sang (comme l’explique Pecquet), [34] car cela n’est assuré que par la vésicule : son remarquable dispositif de sécrétion lui permet de l’éliminer après qu’elle l’a attirée dans sa cavité, qui agit à la manière d’un aimant, [35] de la même façon que les reins purgent le sang du sérum ; [10][36][37] mais si la sentence nouvelle de Pecquet avait quelque fondement raisonnable, la taille des reins devrait dépasser celle du foie, puisque le volume du sérum est bien supérieur à celui de la bile ; Bartholin (qui pense comme Pecquet) dit en effet que les reins [Page 11 | LAT | IMG] sont au nombre de deux parce que le sérum est le plus abondant de tous les excréments, son volume dépasse celui des deux biles, et le sang doit être son véhicule. [11][38][39][40] En outre, selon Aristote, [41] après Hippocrate, [42] ils auraient pu être plus grands pour maintenir plus solidement la veine cave, [43] qu’ils jouxtent de chaque côté, comme font des ancres. [12][44][45]
Si ce très noble viscère servait principalement à séparer la bile, les animaux chez qui elle est très abondante, et dont la vésicule biliaire est ample et volumineuse, devraient avoir un foie plus grand et épais. L’expérience enseigne pourtant que la vésicule de l’homme est plus menue que celle de nombreux animaux, mais que son foie est beaucoup plus volumineux et développé que le leur. Tous les anatomistes sont d’accord là-dessus, comme vous en avez particulièrement témoigné (à tout le moins quand on compare le foie humain à celui d’autres animaux de taille similaire) ; et Bartholin a remarqué que « sa taille et son épaisseur chez l’homme sont remarquables et très grandes (comme sont celles du cerveau), non tant en raison de la nutrition, comme c’est le cas chez les bêtes, que de la génération des esprits animaux, qui se dissipent sans relâche (mais qui dérivent eux-mêmes des esprits vitaux tirés du sang), [46] et pour diverses fonctions propres à l’homme » ; le même auteur ajoute qu’« il est plus grand encore dans les corps de tempérament très froid, ainsi que chez les timides et les gloutons, de manière à leur augmenter la chaleur du cœur ». [13] De tout cela s’ensuit clairement que c’est au foie que revient la charge de convertir le chyle en sang, et non pas seulement celle de filtrer le sang pour le débarrasser de la bile qui s’y est mélangée.
[Page 12 | LAT | IMG] Quant à la couleur du foie (quand il est sain), la nature lui a donné une teinte qui tire plutôt sur le jaune que sur le rouge, puisque de même que « les mains des teinturiers prennent la couleur des pigments qu’ils utilisent », pour parler comme Pecquet, [10] de même est-il bien certain et démontré, que le côlon tout entier prend la couleur de l’excrément qu’il évacue. [47][48]
D’ailleurs, l’ictère [49] qui succède à une inflammation du foie [50] traduit le fait que cet incendie s’est transmis à la totalité du sang, lequel s’altère en une si grande quantité de bile que, dépassant la capacité de la vésicule, la couleur naturelle, jaune, de cette humeur débordante teinte les excréments contenus dans les gros intestins, les urines et la totalité du corps, ce qui, dans le foie, a pour conséquence une corruption manifeste de la sanguification. Aucune intempérie du cœur, si ardente soit-elle, n’est capable d’y provoquer si rapidement une altération d’une telle ampleur. [14]
Il ne sera pas non plus inutile que je cite cette maladie assez commune que les moutons attrapent en broutant de la renoncule flammule, à laquelle les bergers donnent en France le nom de douve : [51] on leur trouve le foie entièrement gâté et corrompu, souvent envahi d’innombrables vésicules remplies d’eau, où sont toujours éparpillés de petits animaux ou bestioles, dont la forme est semblable à celle du poisson qu’on appelle la sole ; leur multiplication dans le foie, provoque sa pourriture, son érosion, et finalement parfois sa destruction ; les germes de cette putréfaction se montrent d’abord et pullulent dans les parties de ce viscère qui jouxtent les branches de la veine porte [52] car c’est là, si je ne me trompe, qu’arrive le chyle empoisonné et corrosif ; [53] il n’y a donc pas à s’étonner [Page 13 | LAT | IMG] si les bouchers et les bergers, en examinant certaines veines des yeux (car cet épuisement du foie provoque un effondrement de la sanguification) [54] présument que les moutons sont atteints de cette maladie ; [15] elle ne provoque pourtant aucun dommage du cœur, qu’elle aurait certainement dû léser et ruiner plutôt que le foie, mais c’est là que le chyle destiné à se transformer en sang subit son altération première, tandis que la partie du chyle qui se précipite directement dans le cœur en est continuellement expulsée.
Voici encore d’autres arguments qui consolident mon opinion :
- les veines lactées de Pecquet [16] sont grêles quand on prend en compte la taille du corps et celle des lactifères mésentériques, qui sont non seulement plus gros mais beaucoup plus nombreux que les thoraciques ;
- le réservoir du chyle est extrêmement étroit ;
- la capacité du ou des canaux pecquétiens (mais il n’y en a plus souvent qu’un) est fort réduite et resserrée ; [55]
- en divers endroits de la face inférieure du foie, les rameaux qui naissent de la veine porte sont plus gros et nombreux que ceux de la veine cave inférieure à la face convexe du foie [56] (nous avons observé que les branches de la porte comme de la cave, qui se dispersent dans la substance hépatique, sont percées d’innombrables trous, à la manière d’un tamis) ;
- qui plus est, les veines mésentériques [57] sont plus grandes et bien plus nombreuses qu’il n’est nécessaire pour recevoir la quantité de sang que leur délivrent les artères qui irriguent les intestins ; [58] et de fait, si la totalité de la nourriture leur arrivait, [Page 14 | LAT | IMG] la portion du sang et des esprits qu’il leur faudrait charrier serait bien plus importante que celle dont le cerveau a besoin ; [17][59]
- sont enfin à remarquer les voies ordinairement empruntées par le sang qui doit passer de la mère au fœtus pour l’alimenter, [60][61] où il n’y a absolument pas lieu de débattre sur le fait qu’avant de parvenir au cœur, il a pénétré dans les vaisseaux du foie, [62] pour y être à nouveau modifié et raffermi par une digestion plus complète, et pour en sortir mieux disposé à nourrir la totalité du corps, car il a plus facilement et sûrement reçu l’empreinte de la faculté vitale.
Si quelqu’un trouve ces objections peu convaincantes et cherche refuge dans la louable expérience, je le conjure solennellement d’établir un lien intime et manifeste entre la circulation du sang et la sanguification cardiaque, en mettant au jour les voies qui mènent le sang au foie pour y être purgé avant que les artères ne le répandent dans tout le corps.
Sans cette voie encore inconnue, dont la légitimité et la probabilité n’ont jamais été solidement établies, il subsiste l’absurdité de penser que le sang se répand dans les parties qu’il doit nourrir en étant mélangé à l’excrément bilieux. [10]
Je laisse ici de côté d’autres arguments que vous et d’autres avez déjà publiés, ou que leur nouveauté ne m’a pas encore permis d’ajouter à la liste que j’ai présentée.
Je ne pense pas que l’originalité de son opinion lui vaudra à Pecquet d’être suivi, sans douter que ses défenseurs [Page 15 | LAT | IMG] ne manqueront pas de lui rester fidèles sur ce terrain.
Ces prémices suffisent pourtant si bien à contredire la doctrine de Pecquet que je puis maintenant légitimement affirmer que la plus grande partie du chyle passe dans le foie par les veines mésaraïques, qu’il y est transformé en sang, etc.
Le chyle qui coule dans les veines mésaraïques échappe aux yeux des observateurs, mais cela ne doit faire obstacle à mon opinion, car un examen plus attentif de la question montrera aisément qu’il s’y trouve à la fois du chyle et du sang et qu’ils s’y mélangent intimement l’un à l’autre. Cela n’est pas différent de ce qui se passe quand le chyle pénètre dans les veines subclavières ou axillaires, où il devient sur-le-champ impossible de le distinguer du sang, à ce que dit Pecquet lui-même, car il devient rouge, comme fait l’eau en prenant la couleur et l’aspect du vin dans lequel on la verse. [18]
Je prétends que, par les voies indiquées plus haut, une autre partie du chyle, principalement celle qui est aqueuse et déliée, s’écoule finalement dans le cœur, non pas certes pour y être transformée en sang (car, comme nous l’avons dit, seul le foie assure cette sanguification), mais pour y recevoir, en même temps que le sang, le sceau de la faculté vitale, que communique le fécond et admirable rayonnement du cœur ; et pour gagner ensuite les parties plus froides et humides du corps, et les vivifier par la nourriture bien tempérée qu’elle leur procure car, à n’en pas douter, la nature n’aurait pas mis à leur disposition cet aliment s’il ne leur convenait pas, ne leur était pas familier et ne se liait pas à elles. Si le foie avait en effet la faculté de transformer tout le chyle en sang, ces parties manqueraient de l’aliment qui leur convient car, étant de tempérament [Page 16 | LAT | IMG] très froid, elles repoussent la chaleur du sang pur qui leur est contraire et peut leur nuire. [63]