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Lettres de soutien
adressées à Jean Pecquet :
Pierre De Mercenne (1651)  >

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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Lettres de soutien adressées à Jean Pecquet : Pierre De Mercenne (1651)

Adresse permanente : https://numerabilis.u-paris.fr/editions-critiques/pecquet/?do=pg&let=0047

(Consulté le 27/03/2025)

 

[Page 152 | LAT | IMG]

Pierre De Mercenne[1] docteur en médecine de Paris,
salue le très brillant M. Jean Pecquet
[1][2]

Très savant Monsieur,

Acceptez tous mes compliments pour avoir porté le flambeau dans les profondeurs cachées de la nature et été, je pense, le premier à dévoiler une structure que les autres avaient jusqu’ici ignorée. Je dis cela sans la moindre jalousie, car je ne suis pas de ceux que la soif de nouveauté détourne aisément du savoir établi de longue date. « En contemplant la nature », depuis déjà quelque temps, il m’a paru bon, comme à Pline, de « penser qu’en elle rien n’est incroyable » ; [2][3] mais toute innovation touchant à l’histoire naturelle m’est suspecte si elle n’a été fondée avec absolue certitude sur la perception des sens et sur l’expérience, qui est la maîtresse de la connaissance. Après avoir vu de mes yeux et touché de mes mains les veines remplies de chyle, que vous avez le premier découvertes dans le thorax, [4] constaté qu’elles atteignent les branches de la veine cave supérieure, [5][6] non loin du cœur, et observé qu’une remarquable abondance de chyle a distendu la très fine et transparente petite membrane, qui se loge presque tout le long des vertèbres lombaires, [Page 153 | LAT | IMG] l’autopsie [3] m’a pourtant convaincu qu’existe un réservoir du chyle [7] et qu’il est la source de veines qui le conduisent dans le thorax ; n’en déplaise à certains esprits subtils, que feu notre cher Mersenne [8] appelait en plaisantant philosophi chartacei[4] parce qu’ils ne veulent tirer leur savoir que des livres, mais jamais de l’examen de la nature. Que ceux-là objectent que les limites entre la première et la deuxième région sont embrouillées si on confond les officines où le chyle est préparé et celles où le sang est élaboré, [9] étant donné qu’alors un chyle encore cru et brut parvient dans le cœur, et que les esprits vitaux [10] se trouvent ainsi souillés par les relents de cuisine et, plus encore, par leur mélange à de l’aliment non digéré, que ceux-là fuient la nouveauté du dogme, mais la nature ne se taira pas pour défendre sa propre cause. Elle leur répondra qu’elle accomplit toujours ce qu’il y a de meilleur et de plus convenable pour le salut des êtres vivants, et que ce qu’on observe chez chacun d’entre eux n’est pas nouveau et y a existé depuis que le monde est monde. La nature est en effet soumise à une loi éternelle et immuable, elle n’a pas conçu pour les animaux de notre temps une structure nouvelle, ni fabriqué des parties insolites pour assurer la chylose et l’hématose [5] en vue de bouleverser les opinions répandues chez les hommes. Par cette découverte, elle semble bien plutôt nous reprocher en quelque façon de juger qu’elle a pour habitude de contrarier l’ordre établi ; comme si un modèle de ses œuvres était implanté dans nos esprits, et que son dessein était de nous les cacher et non pas de nous les montrer. Vous ne pouviez donc agir plus sagement, mon cher Pecquet, qu’en puisant vos démonstrations dans les entrailles de bêtes vivantes. [11] Ce livre vivifiant et incapable de tromper vous a non seulement montré, comme à Aselli[12] les ruisseaux du chyle, mais aussi leur destination réelle et comment ce liquide monte dans le thorax ; il vous a appris, en accord avec le principe dont [Page 154 | LAT | IMG] Aristote [13] s’était convaincu, [6] que le cœur est l’organe premier de l’hématose ; [14] il vous a fait voir l’admirable et perpétuel mouvement circulaire du sang, [15] dont l’importance est telle en physiologie qu’il faut en déduire la cause véritable des autres fonctions animales. Je m’arrête là pour m’en tenir au format d’une lettre, mais sans permettre que mon affection vous fasse jamais défaut, non plus qu’aux savants habiles hommes. Vale. De Paris, le 31e de janvier 1651.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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