Consentiente æquissimo Senatu Rothomagensi, boni publici amantissimo, ad postulationem Medicorum Urbis.
Ad Clarissimum Virum D.D. Ioannem Riolanvm, etc.
[Nouvelles et rares Observations de Charles Le Noble, [1] docteur en médecine et anatomiste de Rouen, sur les Veines lactées mésentériques et thoraciques, recueillies sur des cadavres humains qui avaient été bien nourris quatre heures avant d’être pendus, et qu’il a sur-le-champ publiquement disséqués de sa propre main. [2]
Sur la demande des médecins de la ville, avec l’assentiment du parlement de Rouen, très équitable et attaché au bien public.
Adressée au très éminent M. Jean Riolan, etc.] [1][3]
Charles le Noble, docteur en médecine agrégé au Collège des médecins de Rouen, adresse ses plus profonds respects à M. Jean Riolan, très érudit et docte médecin, de loin le plus éminent de tous les anatomistes, doyen des professeurs royaux en la très célèbre et ancienne Faculté de médecine de Paris. [2]L’éminence de votre science est telle, très illustre Monsieur, que quiconque entreprend de lire les livres auxquels vous avez consacré toutes vos veilles, est d’autant moins capable d’égaler la profonde subtilité de votre génie qu’il doit profondément s’extasier devant l’inépuisable fécondité de votre érudition. Quand les presses des imprimeurs mettent au jour ces enfants, aussi remarquables qu’ingénieux, de votre inépuisable labeur, tous se les procurent sans délai, dans la crainte que l’édition ne s’en épuise ; et quand ils prennent de l’âge, tous les couvent en leur sein. Entre autres merveilles qui font admirer vos ouvrages, celle qui surpasse tout le reste est que vous parveniez à convaincre de vous louer ceux que vous auriez dû suspecter d’être vos censeurs : votre manque de douceur et [Page 4 | LAT | IMG] la très vigoureuse sévérité de vos jugements vous vaudraient les assauts des jaloux si les chantres de votre gloire, poussés par de très fermes incitations à vous imiter, n’avaient pris en haine ceux qui attaquent vos travaux. Vous considérer comme le premier des anatomistes de notre temps est grandement sous-estimer vos mérites, car ceux des prochains siècles vous tiendront encore pour leur prince, même quand ils dénonceront l’ignorance de leurs prédécesseurs, car vos lumineuses dissections ont dévoilé maints secrets du corps humain que les Anciens ont ignorés ; et quand ils les ont découverts, ils les ont laissés dans une extrême confusion, et vous les avez approfondis, mieux expliqués et présentés, grâce à une méthode plus soigneuse, en sorte qu’ils sont maintenant très aisément accessibles à tous. Quantité d’auteurs ont certes beaucoup et longtemps transpiré pour faire progresser l’anatomie, mais c’est vous seul qui lui avez fait atteindre sa perfection. Bien que l’Antiquité ait abusivement cru être venue à bout de tous les articles de cette science, sa postérité a plus justement estimé qu’elle n’avait que posé les fondements du monument à construire, et à vous seul a été accordé d’y mettre la dernière main et d’en poser le faîte. Je ne me permets pas d’en dire plus à votre louange, et j’en viens à ce qui m’a poussé à vous écrire : étant donné les très brillants ouvrages de doctrine que vous avez laissés à la postérité, et sans sembler vouloir trop vous flatter, je sollicite avec grande insistance votre avis sur le mouvement du chyle (qui est le sujet de ma lettre). J’ai toujours eu tant d’admiration pour vous que, après avoir [Page 5 | LAT | IMG] tenu en faible estime les innombrables volumes qui ont traité d’anatomie, je consacre mes courtes soirées (mes journées étant occupées par l’exercice de la médecine) à reprendre l’ensemble de vos ouvrages, non pas en les feuilletant distraitement, mais en les lisant avec la même attention que j’y mettais jadis, et en tenant mon esprit à l’écart de l’opinion que des étrangers ont conçue sur ledit mouvement du chyle. Un docteur qui connaît depuis longtemps vos travaux vous supplie donc, avec ardent espoir, que vous lui donniez votre jugement sur cette question. En suivant le conseil de Galien [4] et l’exemple d’Hérodote, [5] dont vous-même avez suivi les traces [3] (car dans vos livres, avant d’exposer votre doctrine sur la circulation du sang, vous la secouez, la remuez et l’attaquez, comme on fait dans les disputes académiques de diverses écoles), je ne juge pas inutile de vous présenter mon jugement sur le mouvement du chyle, qui est fort différent de ce que les auteurs en ont dit jusqu’ici, et qu’ont fondé les enseignements tirés des fréquentes dissections que je pratique publiquement dans cette ville. Je le soumets à vos critiques pour que vous me disiez s’il s’écarte tant soit peu de la vérité et pour qu’il en devienne ainsi plus probant et solide.
Mon opinion sur le lieu où la nature conduit le chyle et sur le dessein qu’elle a en faisant ainsi, rejoint celle de Pecquet sur certains points, tout en s’en écartant sur de nombreux autres. L’endroit où s’insèrent les lactifères pecquétiens [6] [Page 6 | LAT | IMG] est la première question à discuter en détail. Je soumets tout cela à votre avis en étant le plus bref et le moins verbeux qu’il me sera possible, car je ne veux abuser ni de votre patience ni de votre temps (dont je sais qu’il est extrêmement précieux pour vous-même et pour le monde savant).
Il est clair pour tout le monde que les veines lactées [7] recueillent le chyle expulsé par les intestins, puis s’enfuit pour tomber dans le réservoir de Pecquet [8] ou dans les glandes lombaires de Bartholin ; [9] qu’il chemine ensuite dans le canal ou les canaux pecquétiens et s’écoule de proche en proche dans les veines axillaires ou subclavières, [10] où il se jette dans le sang, en se mêlant indistinctement à lui ; et qu’enfin, conformément à la doctrine de la circulation, il parvient dans le ventricule sanguin droit du cœur. [11]
Je pense pourtant que cela n’établit pas que le cœur soit le principe de la sanguification, [12] puisque cette expérience ne le prouve pas, et j’estime que seule une partie du chyle emprunte cette voie.
Dans quel dessein la nature a-t-elle établi ce mouvement ? Le raisonnement pourra seul éclaircir et dénouer une question si obscure et emmêlée. La vérité naît et se fait connaître par l’art et la méthode de l’accouchement, mais le jugement l’affermit et la réflexion l’alimente, comme fait une nourrice ; [13] son rayonnement distingue le vrai du vraisemblable (dont Platon [14] a dit que c’est le propre de tout habile homme de l’art), à la manière dont la lumière permet de reconnaître les couleurs que l’obscurité empêchait les yeux de percevoir. Galien a donc donné à la raison l’excellent et très exact nom d’art qui dépasse tous les arts, [4][15] [Page 7 | LAT | IMG] et j’oserai hardiment en déduire que c’est le précepte que les empiriques ont délaissé : [16] pour avoir repoussé la méthode médicale que toutes les facultés enseignent, ceux-là s’exposent au blâme et même à la haine ; ils ont honteusement glissé dans une infinité d’erreurs et nous les avons très souvent entendus outrager quantité de gens. À la porte de leur ville, les Athéniens ont érigé des statues en bronze représentant l’union de Vulcain [17] et de Pallas [18] avec l’idée de montrer que le travail et l’intelligence sont la source des arts et de leur perfectionnement ; et il semble que Platon ait signifié la même chose quand il dit que Minerve et Vulcain ont contribué de manière égale au partage du monde. [5][19][20]
Puisque je me permets de raisonner sur cette matière, je dirai librement que si le cœur reçoit une portion du chyle, cela ne me convainc pas qu’il possède le pouvoir de produire le sang, [21] car les raisons présentées plus bas me font penser autrement, en établissant que cette fonction appartient au foie [22] et en démontrant promptement que le cœur est fort peu disposé à la remplir.
Si deux parties du corps qui sont de nature et de tempérament dissemblables, placées dans des endroits distincts et ayant des parenchymes différents, avaient la même vertu agissante et pouvaient accomplir les mêmes fonctions, il en résulterait sûrement alors que l’action d’un cœur sain réparerait les dommages engendrés par un foie malade ; mais cela renverserait le dogme établi par l’ancienne médecine, selon lequel la défaillance d’une partie donnée n’est réparable par l’action d’aucune autre ; et puisque, selon une règle essentielle de Galien, chaque fois qu’une partie exerce une fonction qui ne lui est communiquée par aucune autre, il faut qu’elle possède un tempérament particulier [Page 8 | LAT | IMG] qui lui permet d’accomplir cette fonction ; la conclusion s’impose donc que quand existent une structure propre et un tempérament particulier, la partie qui les possède exerce aussi une fonction propre, qui ne peut être partagée par aucune autre partie. [6]
Comment, au nom du ciel, le cœur, dont l’action est si vigoureuse et efficace, est-il capable de convertir en sang la substance fuyante du chyle qui le traverse à grande vitesse ?
Comment pourra-t-il se faire qu’une matière adopte une forme nouvelle si des dispositions préalables ne l’y ont convenablement préparée ? Qui dirait qu’un instant de contact avec le cœur suffit, en un seul passage, à modifier le chyle qui s’y rue avec extrême vélocité, de manière qu’il engendre soudainement du sang ? Pour qu’une telle transformation ait lieu, il est absolument nécessaire que le chyle soit retenu dans le cœur et y séjourne pendant le temps suffisant pour la rendre possible ; ou alors il faut tout à fait contredire le philosophe [23] qui, entre autres conditions requises pour la perfection d’une action, exige surtout que son agent exerce un effet continu pendant la durée requise, parce que si sa vertu opérante est limitée et faible, il ne peut accomplir la tâche que la nature lui a impartie ; son pouvoir peut toutefois s’exercer en plusieurs étapes successives si chacune est de durée convenable.
Cette fonction du cœur devrait donc échapper à la loi commune, que la nature a inviolablement prescrite aux autres parties du corps pour accomplir leurs actions propres. Une telle assertion semble absurde si rien [Page 9 | LAT | IMG] ne la fonde solidement, car alors, si le pylore retient si longtemps les aliments dans l’estomac, [24] n’est-ce pas pour que passe dans le chyle ce que leur substance contient de meilleur et de plus pur ?
Et s’il est nécessaire que le sang et ses esprits fort épurés et subtils, à partir desquels se forme directement la semence, s’attardent longuement dans les canaux séminaux, n’est-ce pas pour que les testicules leur communiquent leur vertu prolifique, puisque cette humeur, bien qu’elle soit fluide et diluée, doit disposer d’un temps suffisant pour s’écouler peu à peu en parcourant toute la longueur des vaisseaux déférents qui s’enchevêtrent en un labyrinthe de multiples lacets ? [25]
Si enfin la merveilleuse providence de la nature, par singulier artifice, a construit un réseau admirable qui entoure la selle de l’os sphénoïde, [26] et y a ajouté les plexus choroïdes [27] qui sont dans les ventricules cérébraux, n’est-ce pas pour que le sang parfaitement élaboré, qui engendre les esprits animaux, [28] parcoure doucement d’innombrables sinuosités anfractueuses et exiguës, et y séjourne le temps de se préparer à recevoir le sceau de la faculté animale et en acquérir les propriétés ? [7]
Une autre preuve vient des très soigneuses observations de Galien, qui l’ont mené à dire qu’une multitude de veinules gagne le foie et le farcit, [29] en sorte que le chyle séjourne longtemps dans ces veines avant d’en sortir, et pénètre dans le parenchyme hépatique pour que sa chaleur puisse le cuire, comme fermente le vin nouveau, et le transformer pour engendrer un sang louable. [8] Néanmoins, au cours de cette ébullition, un sédiment se forme à partir des excréments chyleux, [Page 10 | LAT | IMG] lequel est féculent et épais, d’où surnage, comme une écume, une partie ténue et légère qui flotte à la surface du sang. C’est ainsi qu’est produit et préparé le sang qui sera ensuite conduit au cœur pour y acquérir son ultime perfection : par rayonnement et impression, ses passages réitérés dans les ventricules (car la circulation permanente l’y mène encore et encore) [30] lui confèrent sa faculté vitale. [31]
La sanguification est difficilement attribuable au cœur, organe que la nature n’a pas doté de capacités aussi diverses ; et à non moindre raison, sinon à plus forte raison, on pourrait dire que son officine se situe aussi dans les poumons, où la circulation mène le chyle, et où il séjourne plus longtemps que dans le cœur, dont le mouvement continu l’expulse promptement, sans lui laisser le temps de s’y reposer. [9][32][33]
Si la structure du foie favorise mon opinion, sa taille et sa couleur plaident aussi fortement contre la doctrine de Pecquet. Elles font en effet assez clairement comprendre que la fonction naturelle de ce viscère ne consiste pas à séparer la bile du sang (comme l’explique Pecquet), [34] car cela n’est assuré que par la vésicule : son remarquable dispositif de sécrétion lui permet de l’éliminer après qu’elle l’a attirée dans sa cavité, qui agit à la manière d’un aimant, [35] de la même façon que les reins purgent le sang du sérum ; [10][36][37] mais si la sentence nouvelle de Pecquet avait quelque fondement raisonnable, la taille des reins devrait dépasser celle du foie, puisque le volume du sérum est bien supérieur à celui de la bile ; Bartholin (qui pense comme Pecquet) dit en effet que les reins [Page 11 | LAT | IMG] sont au nombre de deux parce que le sérum est le plus abondant de tous les excréments, son volume dépasse celui des deux biles, et le sang doit être son véhicule. [11][38][39][40] En outre, selon Aristote, [41] après Hippocrate, [42] ils auraient pu être plus grands pour maintenir plus solidement la veine cave, [43] qu’ils jouxtent de chaque côté, comme font des ancres. [12][44][45]
Si ce très noble viscère servait principalement à séparer la bile, les animaux chez qui elle est très abondante, et dont la vésicule biliaire est ample et volumineuse, devraient avoir un foie plus grand et épais. L’expérience enseigne pourtant que la vésicule de l’homme est plus menue que celle de nombreux animaux, mais que son foie est beaucoup plus volumineux et développé que le leur. Tous les anatomistes sont d’accord là-dessus, comme vous en avez particulièrement témoigné (à tout le moins quand on compare le foie humain à celui d’autres animaux de taille similaire) ; et Bartholin a remarqué que « sa taille et son épaisseur chez l’homme sont remarquables et très grandes (comme sont celles du cerveau), non tant en raison de la nutrition, comme c’est le cas chez les bêtes, que de la génération des esprits animaux, qui se dissipent sans relâche (mais qui dérivent eux-mêmes des esprits vitaux tirés du sang), [46] et pour diverses fonctions propres à l’homme » ; le même auteur ajoute qu’« il est plus grand encore dans les corps de tempérament très froid, ainsi que chez les timides et les gloutons, de manière à leur augmenter la chaleur du cœur ». [13] De tout cela s’ensuit clairement que c’est au foie que revient la charge de convertir le chyle en sang, et non pas seulement celle de filtrer le sang pour le débarrasser de la bile qui s’y est mélangée.
[Page 12 | LAT | IMG] Quant à la couleur du foie (quand il est sain), la nature lui a donné une teinte qui tire plutôt sur le jaune que sur le rouge, puisque de même que « les mains des teinturiers prennent la couleur des pigments qu’ils utilisent », pour parler comme Pecquet, [10] de même est-il bien certain et démontré, que le côlon tout entier prend la couleur de l’excrément qu’il évacue. [47][48]
D’ailleurs, l’ictère [49] qui succède à une inflammation du foie [50] traduit le fait que cet incendie s’est transmis à la totalité du sang, lequel s’altère en une si grande quantité de bile que, dépassant la capacité de la vésicule, la couleur naturelle, jaune, de cette humeur débordante teinte les excréments contenus dans les gros intestins, les urines et la totalité du corps, ce qui, dans le foie, a pour conséquence une corruption manifeste de la sanguification. Aucune intempérie du cœur, si ardente soit-elle, n’est capable d’y provoquer si rapidement une altération d’une telle ampleur. [14]
Il ne sera pas non plus inutile que je cite cette maladie assez commune que les moutons attrapent en broutant de la renoncule flammule, à laquelle les bergers donnent en France le nom de douve : [51] on leur trouve le foie entièrement gâté et corrompu, souvent envahi d’innombrables vésicules remplies d’eau, où sont toujours éparpillés de petits animaux ou bestioles, dont la forme est semblable à celle du poisson qu’on appelle la sole ; leur multiplication dans le foie, provoque sa pourriture, son érosion, et finalement parfois sa destruction ; les germes de cette putréfaction se montrent d’abord et pullulent dans les parties de ce viscère qui jouxtent les branches de la veine porte [52] car c’est là, si je ne me trompe, qu’arrive le chyle empoisonné et corrosif ; [53] il n’y a donc pas à s’étonner [Page 13 | LAT | IMG] si les bouchers et les bergers, en examinant certaines veines des yeux (car cet épuisement du foie provoque un effondrement de la sanguification) [54] présument que les moutons sont atteints de cette maladie ; [15] elle ne provoque pourtant aucun dommage du cœur, qu’elle aurait certainement dû léser et ruiner plutôt que le foie, mais c’est là que le chyle destiné à se transformer en sang subit son altération première, tandis que la partie du chyle qui se précipite directement dans le cœur en est continuellement expulsée.
Voici encore d’autres arguments qui consolident mon opinion :
- les veines lactées de Pecquet [16] sont grêles quand on prend en compte la taille du corps et celle des lactifères mésentériques, qui sont non seulement plus gros mais beaucoup plus nombreux que les thoraciques ;
- le réservoir du chyle est extrêmement étroit ;
- la capacité du ou des canaux pecquétiens (mais il n’y en a plus souvent qu’un) est fort réduite et resserrée ; [55]
- en divers endroits de la face inférieure du foie, les rameaux qui naissent de la veine porte sont plus gros et nombreux que ceux de la veine cave inférieure à la face convexe du foie [56] (nous avons observé que les branches de la porte comme de la cave, qui se dispersent dans la substance hépatique, sont percées d’innombrables trous, à la manière d’un tamis) ;
- qui plus est, les veines mésentériques [57] sont plus grandes et bien plus nombreuses qu’il n’est nécessaire pour recevoir la quantité de sang que leur délivrent les artères qui irriguent les intestins ; [58] et de fait, si la totalité de la nourriture leur arrivait, [Page 14 | LAT | IMG] la portion du sang et des esprits qu’il leur faudrait charrier serait bien plus importante que celle dont le cerveau a besoin ; [17][59]
- sont enfin à remarquer les voies ordinairement empruntées par le sang qui doit passer de la mère au fœtus pour l’alimenter, [60][61] où il n’y a absolument pas lieu de débattre sur le fait qu’avant de parvenir au cœur, il a pénétré dans les vaisseaux du foie, [62] pour y être à nouveau modifié et raffermi par une digestion plus complète, et pour en sortir mieux disposé à nourrir la totalité du corps, car il a plus facilement et sûrement reçu l’empreinte de la faculté vitale.
Si quelqu’un trouve ces objections peu convaincantes et cherche refuge dans la louable expérience, je le conjure solennellement d’établir un lien intime et manifeste entre la circulation du sang et la sanguification cardiaque, en mettant au jour les voies qui mènent le sang au foie pour y être purgé avant que les artères ne le répandent dans tout le corps.
Sans cette voie encore inconnue, dont la légitimité et la probabilité n’ont jamais été solidement établies, il subsiste l’absurdité de penser que le sang se répand dans les parties qu’il doit nourrir en étant mélangé à l’excrément bilieux. [10]
Je laisse ici de côté d’autres arguments que vous et d’autres avez déjà publiés, ou que leur nouveauté ne m’a pas encore permis d’ajouter à la liste que j’ai présentée.
Je ne pense pas que l’originalité de son opinion lui vaudra à Pecquet d’être suivi, sans douter que ses défenseurs [Page 15 | LAT | IMG] ne manqueront pas de lui rester fidèles sur ce terrain.
Ces prémices suffisent pourtant si bien à contredire la doctrine de Pecquet que je puis maintenant légitimement affirmer que la plus grande partie du chyle passe dans le foie par les veines mésaraïques, qu’il y est transformé en sang, etc.
Le chyle qui coule dans les veines mésaraïques échappe aux yeux des observateurs, mais cela ne doit faire obstacle à mon opinion, car un examen plus attentif de la question montrera aisément qu’il s’y trouve à la fois du chyle et du sang et qu’ils s’y mélangent intimement l’un à l’autre. Cela n’est pas différent de ce qui se passe quand le chyle pénètre dans les veines subclavières ou axillaires, où il devient sur-le-champ impossible de le distinguer du sang, à ce que dit Pecquet lui-même, car il devient rouge, comme fait l’eau en prenant la couleur et l’aspect du vin dans lequel on la verse. [18]
Je prétends que, par les voies indiquées plus haut, une autre partie du chyle, principalement celle qui est aqueuse et déliée, s’écoule finalement dans le cœur, non pas certes pour y être transformée en sang (car, comme nous l’avons dit, seul le foie assure cette sanguification), mais pour y recevoir, en même temps que le sang, le sceau de la faculté vitale, que communique le fécond et admirable rayonnement du cœur ; et pour gagner ensuite les parties plus froides et humides du corps, et les vivifier par la nourriture bien tempérée qu’elle leur procure car, à n’en pas douter, la nature n’aurait pas mis à leur disposition cet aliment s’il ne leur convenait pas, ne leur était pas familier et ne se liait pas à elles. Si le foie avait en effet la faculté de transformer tout le chyle en sang, ces parties manqueraient de l’aliment qui leur convient car, étant de tempérament [Page 16 | LAT | IMG] très froid, elles repoussent la chaleur du sang pur qui leur est contraire et peut leur nuire. [63]
Paris, Gasparus Meturas, 1655, in‑4o de 46 pages : supplément aux Responsiones duæ [Deux Réponses] de Jean ii Riolan, qui est relié à leur suite.
Une édition séparée mais absolument identique des Observationes a paru la même année, ibid. et id. Elle a précédé, toujours en 1655, le Clypeus de Guillaume de Hénaut (alias Jean Pecquet), qui y a immédiatement répondu, puis les Responsiones duæ de Jean ii Riolan qui ont souvent cité le Clypeus et les « Nouvelles et rares Observations » de Charles Le Noble.
Les dissections que Le Noble a effectuées sur des condamnés bien nourris avant d’être pendus sont relatées dans la seconde partie de sa lettre.
Charles Le Noble était mal renseigné : le Collège royal de France (v. note Patin 15/153) était indépendant de l’Université de Paris, même si beaucoup de ses professeurs (ou lecteurs) en étaient issus. Jean ii Riolan était leur doyen d’âge, mais en mars 1655, il cédait sa chaire d’anatomie, botanique et pharmacie, en survivance à Guy Patin.
Le latin de Le Noble est absolument exécrable, c’est même un des plus rébarbatifs que j’ai lus sur la tempête du chyle. Étant donné pourtant la place qu’il occupe dans le dessein de notre édition, et la brillante et originale intuition de la physiologie moderne qui y est exposée (v. infra notes [9], [17] et [18]), je me suis résolu à en donner une version simplifiée : surtout pour son introduction louangeuse (car le style s’améliore ensuite), il s’agit moins d’une traduction que d’une interprétation, en faisant tout mon possible pour qu’elle soit lisible et fidèle à la brillante pensée de Le Noble.
Hérodote (historien et géographe grec du ve s. av. J.‑C., v. note Patin 31/406) est considéré comme le père de la méthode historique : Jean ii Riolan avait pour louable habitude de résumer l’histoire de la question qu’il traitait et a été, pour cette raison, l’un des très rares auteurs de son temps à avoir volontiers cité Hérodote dans ses œuvres médicales.
Contrairement aux précédents propos, qui émanaient des préceptes généraux de Socrate (maïeutique, ou accouchement de la pensée), de Platon et d’Aristote, celui-ci venait d’un texte précis de Galien, au livre i, chapitre iv, De l’Utilité des parties, sur la raison et la main de l’homme, qui sont les instruments naturels de ses arts et de sa défense :
Pulchre igitur Aristoteles manum velut organum quoddam ante organa esse dixit. Pulchre autem et aliquis nostrum, Aristotelem imitatus, rationem velut artem quandam ante artes esse dixerit. Sicut enim manus, quanquam nullum sit eorum, quæ particularia sunt organa, quia tamen omnia recte potest recipere, organum est ante omnia organa : ita et ratio, quia nulla quidem ex artibus est particulraibus, omnes autem in se ipsam recipere nata est, ob id ars ante artes fuerit. Homo igitur animalium omnium solus, cum artem ante artes in anima habeat rationem, optimo jure organum ante organa in corpore manum possedit. {a}« Aristote a donc dit excellemment que la main est, en quelque sorte, un certain instrument {b} qui tient lieu d’instruments. À l’imitation d’Aristote, nous pourrions aussi très bien soutenir que la raison {c} est un certain art {d} qui tient lieu des autres arts. En effet, comme la main, n’étant aucun des instruments particuliers, tient lieu de tous les instruments, puisqu’elle peut très bien les manier tous, de même la raison, qui n’est aucun des arts particuliers, puisqu’elle est capable de les recevoir tous, serait un art qui tiendrait lieu des arts. L’homme donc, étant de tous les animaux le seul qui possède dans son âme {e} un art qui tient lieu des arts, jouit en conséquence dans son corps d’un instrument qui tient lieu des instruments. » {f}
- Traduction latine de Kühn, volume 3, pages 8‑9.
- οργανος.
- λογος.
- τεχνη.
- ψυχη.
- Traduction française de Daremberg, volume 1, page 117.
Vulcain (Héphaïstos des Grecs) est le dieu romain du feu et des forgerons. De son union avec Gaïa serait né Érichthonius qui fut élevé par Minerve {a} (qu’une autre version du mythe rend mère de l’enfant) et devint le 4e roi légendaire d’Athènes, ce qui explique le culte que la cité vouait au dieu et à la déesse.
Dans son dialogue Protagoras, Platon fait raconter au sophiste éponyme la fable de la création du monde. Au temps où des dieux seuls existaient, ils chargèrent Épiméthée et son frère Prométhée {b} de pourvoir les créatures terrestres de leurs attributs. Ils se répartirent la tâche, le second se chargeant de vérifier l’équité du partage arrêté par le premier : {c}
« L’espèce humaine restait donc dépourvue de tout, et il ne savait quel parti prendre à son égard. Dans cet embarras, Prométhée survint pour jeter un coup d’œil sur la distribution. Il trouva que les autres animaux étaient partagés avec beaucoup de sagesse, mais que l’homme était nu, sans chaussure, sans vêtements, sans défense. Cependant, le jour marqué approchait où l’homme devait sortir de terre et paraître à la lumière. Prométhée, fort incertain sur la manière dont il pourvoirait à la sûreté de l’homme, prit le parti de dérober à Vulcain et à Minerve les arts et le feu, car sans le feu, la connaissance des arts serait impossible et inutile ; et il en fit présent à l’homme. Ainsi notre espèce reçut l’industrie nécessaire au soutien de sa vie ; mais elle n’eut point la politique, car elle était chez Jupiter, et il n’était pas encore au pouvoir de Prométhée d’entrer dans la citadelle, séjour de Jupiter, devant laquelle veillaient des gardes redoutables. Il se glisse donc en cachette dans l’atelier où Minerve et Vulcain travaillaient en commun, dérobe l’art de Vulcain, qui s’exerce par le feu, avec les autres arts propres à Minerve, et les donne à l’homme ; {d} voilà comment l’homme a le moyen de subsister. Prométhée, à ce qu’on dit, porta dans la suite la peine de son larcin, dont Épiméthée avait été la cause. L’homme ayant donc quelque part aux avantages divins, fut aussi le seul d’entre les animaux qui, à cause de son affinité avec les dieux, reconnut leur existence, conçut la pensée de leur dresser des autels, et de leur ériger des statues. Ensuite il trouva bientôt l’art d’articuler des sons, et de former des mots ; il se procura une habitation, des vêtements, des chaussures, de quoi se couvrir la nuit, et tira sa nourriture de la terre. »
- Pallas des Grecs, v. note Patin 13/6.
- V. notule {c}, note [15], Brevis Destructio d’Hyginus Thalassius, chapitre i.
- Traduction de Victor Cousin, 1826.
- Jupiter punit le Titan Prométhée de son larcin en lui faisant éternellement dévorer le foie par un aigle.
Avec ses deux allusions à Minerve et Vulcain, Charles Le Noble se montrait partisan d’une féconde coopération entre les deux courants du progrès médical, dogmatisme et empirisme (raisonnement et expérimentation, v. note [9], lettre d’Adrien Auzout à Jean Pecquet).
Galien a résumé ce précepte dans le livre iv de l’Utilité des parties, au début du chapitre xii : {a}
« C’est maintenant le moment convenable de passer au foie, en rappelant tout d’abord les principes établis dans d’autres traités, principes utiles non pas seulement à notre but actuel, mais à toute la suite de notre discours. Nous avons déjà dit qu’à l’égard des parties {b} composées du corps auxquelles est confiée quelque fonction, et que nous nommons organes, {c} il faut, à l’aide de dissections, examiner quelle est la partie qui ne se rencontre pas ailleurs dans tout le corps, et se persuader que dans l’organe entier c’est elle qui est le principe de l’action spéciale, tandis que les autres parties ont des usages communs. » {d}
- Daremberg, volume 1, page 304.
- μορια.
- οργανα.
- Ce sont notamment les vaisseaux, les nerfs, et les tissus de soutien et d’enveloppe, dits conjonctifs, qui assurent la forme et la structure de l’organe.
Charles Le Noble empruntait à Galien (v. infra note [8]) ses trois exemples de l’ancienne physiologie (entièrement approuvée par Jean ii Riolan) selon laquelle :
V. note [33], lettre de Jacques Mentel à Jean Pecquet, pour l’avis de Galien sur le foie, comme premier organe de la sanguification et principe des veines, dans le livre iv de l’Utilité des parties. Les veines du foie y sont traitées dans le chapitre xiii : {a}
« Et pour commencer par la première des questions posées, pourquoi la nature, après avoir réuni aux portes du foie ces veines nombreuses qui apportent de bas en haut la nourriture de l’estomac et de tous les intestins, les divise-t-elle de nouveau en veines innombrables ? Car elle a réuni les ramifications [gastro-intestinales], comme n’ayant besoin que d’un seul tronc ; puis elle les divise à l’instant, comme les ayant réunies inutilement, tandis qu’elle aurait pu, créant dans le viscère une grande cavité sanguine, y insérer, à la partie inférieure, la veine qui, se trouvant aux portes du foie, charrie de bas en haut le sang [fourni par la transformation des aliments dans l’estomac et les intestins], et à la partie supérieure, celle qui lui succède et qui promène cet aliment dans tout le corps. […] {b}Ce n’est donc pas en vue de l’élimination que la nature a créé dans le foie un si vaste plexus veineux, c’est pour que la nourriture séjournant dans le viscère s’y hématose complètement ; {c} car si elle eût créé, dans le foie comme dans le cœur, une grande cavité unique pour servir de réceptacle ; si ensuite elle y avait introduit le sang par une seule veine pour l’en faire sortir par une autre, l’humeur {d} apportée de l’estomac n’aurait pas séjourné un instant dans le foie, mais traversant rapidement tout ce viscère, le sang eût été entraîné par la force du courant qui le distribue dans le corps. {e}
C’est donc pour arrêter plus longtemps et pour transformer complètement l’aliment qu’existe ce réseau de voies étroites dans le foie, le pylore dans l’estomac, et les circonvolutions dans les intestins. C’est ainsi encore qu’en avant des testicules se trouvent ces replis variés d’artères et de veines, et à la tête, sous la dure-mère, ce plexus artériel appelé plexus rétiforme. {f}
Quand la nature veut prolonger en un endroit le séjour de quelque matière, elle oppose un obstacle à sa marche progressive. S’il n’eût existé dans le foie qu’une grande cavité, le sang n’y eût pas séjourné aussi longtemps, une très faible partie de ce sang aurait été mise en contact avec la substance du viscère, en sorte que la sanguification eût été imparfaite ; car si la substance propre du foie est le premier organe de l’hématose, l’aliment, qui avait avec elle un contact prolongé, devait s’approprier la forme du sang avec plus de promptitude et d’efficacité. C’est pour cela que les veines mêmes du foie ont été créées par la nature plus grêles que toutes celles du corps entier. Ces dernières, éloignées du principe de l’hématose, et ayant besoin de défenses contre les lésions, ont été avec raison douées par elle d’une grande force. Une preuve considérable à l’appui de cette assertion, c’est que leur tunique est plus ou moins épaisse en raison de la protection qu’elles réclament, ainsi qu’on le verra par la suite du discours ; celles du foie, au contraire, sont très minces, car elles ne courent aucun risque (attendu qu’elles trouvent un appui sûr dans le viscère) ; elles opèrent ainsi beaucoup mieux l’hématose. »
- Daremberg, volume 1, pages 309‑311.
- Galien réfutait Érasistrate pour qui cette disposition permettait la séparation de la bile jaune (sans du tout parler de la formation du sang).
- S’y transforme complètement en sang.
- χυμος.
- Galien jugeait inutile, comme allant de soi, de dire que le cœur ne pouvait pas être l’organe de la sanguification.
- V. supra note [7] pour la reprise de trois de ces exemples par Charles Le Noble.
L’argument de Charles Le Noble a bien résisté à l’épreuve du temps et peut être tenu pour un juste pressentiment de l’hématose moderne : les échanges gazeux, assurés par les globules rouges, ne s’opèrent en effet pas dans les cavités cardiaques, mais dans les capillaires des poumons ; v. note [11], Dissertatio anatomica, chapitre v, pour leur explication et pour l’intuition similaire de Jean Pecquet en 1651.
En prétendant à tort que la bile est produite par la vésicule (et non par le foie, noblesse oblige), Charles Le Noble attaquait ici ce que Jean Pecquet a défendu dans le chapitre xii de la Dissertatio anatomica, sur la « Fonction filtrante du foie ».
Anatomia reformata des Bartholin, livre i, chapitre xviii, De Renibus, pages 109‑112 :
Ex sanguine triplex repurgatur excrementum : bilis tenuis in folliculum fellis, bilis crassa in canalem biliarium, et serum in renes. […] Bini reperiuntur, quia inter omnia excrementa serosum est copiosissimum, et utramque bilem excrementitiam superat, ob sanguinem, cujus vehiculum esse debet, donec sanguis in cavæ ampliores venas pervenit ; et ut uno affecto, alter humorem trahat serosum.[Le sang se purge de trois excréments : la bile ténue dans la vésicule biliaire, la bile épaisse dans le canal cholédoque et le sérum dans les reins. […] Ils sont au nombre de deux, parce que le sérum est le plus abondant de tous les excréments, son volume dépasse celui des deux biles, et le sang doit être son véhicule {b} jusqu’à son arrivée dans la veine cave qui est très volumineuse ; et parce que, quand un rein est lésé, l’autre puise l’humeur séreuse].
- Leyde, 1651 (v. note [5], lettre d’Adrien Auzout à Jean Pecquet) : le texte cité a été écrit par Caspar Bartholin et n’a pas été modifié par son fils Thomas.
- Passage repris mot pour mot par Charles Le Noble.
Aristote, Parties des animaux, livre iii, chapitre vii (traduction de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, 1885) :
« Les viscères placés au-dessous du diaphragme sont tous faits généralement en vue des veines, afin que, libres et suspendues comme elles le sont, elles restent attachées par ce lien au reste du corps. On dirait qu’elles sont jetées comme des ancres dans le corps à travers les organes qu’elles découpent, partant de la grande veine pour se diriger vers le foie et la rate. La nature de ces viscères, c’est d’être en quelque sorte des clous qui riveraient la grande veine au corps. Sur les côtés, ce sont le foie et la rate qui circonscrivent la grande veine, puisque c’est uniquement d’elle que partent les veines qui aboutissent aux parties transversales, et que les reins jouent le même rôle, dans les parties postérieures. »
Jean ii Riolan a cité ce passage dans le livre ii de son Anthropographie, chapitre xxi, De Hepate, page 121, avec ce commentaire : {a}
Quod videtur desumptum ex Hippocrate, libtro de Oss. nat. Vbi venam Cauam firmari scribit à Renibus velut anchoris iactis ηγκυροβοληται[Il semble avoir tiré cela d’Hippocrate, sur la Nature des os, où il écrit que les reins amarrent la veine cave comme si elle y avait jeté ses ancres, êgkurobolêtaï]. {b}
- Paris, 1649, v. note [5‑2], première Responsio de Riolan, 3e partie.
- Ce mot grec, qui s’écrit plutôt avec un alpha initial (αγκυροβοληται), ne figure pas dans le traité cité, dont le paragraphe 14 dit de la veine cave qu’« elle s’enracine [απερριζωται] aussi dans les reins » (Littré Hip, volume 9, pages 188‑189).
Riolan paraît avoir emprunté sa variante à une édition de ce traité hippocratique qui a échappé à mes recherches, mais que Bartolomeo Eustachi a aussi reprise à la page 59, lignes 21‑23, chapitre xiiii, De Renum vasis ex Hippocrate [Les vaisseaux des reins selon Hippocrate] de son traité de Renum structura (Venise, 1563, v. note [1], Experimenta nova anatomica, chapitre vi).
Charles Le Noble empruntait aux deux ouvrages d’anatomie qu’il avait précédemment cités.
Hepar humanum si conferatur cum Iecinore aliorum animalium eiusdem magnitudinis, vastius et amplius deprehendetur, et inter homines qui sunt voracissimi, grandius Hepar habent.[Comparé à celui des autres animaux de même taille, on observe que le foie humain est plus vaste et ample, et il est plus grand encore chez les gloutons].
Magnitudo et crassities est in homine insignis et maxima (uti et cerebrum) non tantum ob nutritionem, quemadmodum in brutis ; sed ob spirituum animalium procreationem, qui dissipantur sæpius (et ex vitalibus generantur, hi vero ex sanguine) et magis ob varias in homine functiones. Majus tamen est in frigidioris intemperiei corporibus, et in timidis et gulosis, ut calor cordis augescat.[Sa taille et son épaisseur chez l’homme sont remarquables et très grandes (comme sont celles du cerveau), non tant en raison de la nutrition, comme c’est le cas chez les bêtes, qu’en raison de la génération des esprits animaux, qui se dissipent sans relâche (mais qui dérivent eux-mêmes des esprits vitaux tirés du sang), {b} et pour diverses fonctions propres à l’homme. Il est plus grand encore dans les corps de tempérament très froid, ainsi que chez les timides et les gloutons, de manière à leur augmenter la chaleur du cœur].
- Cette orthographe étymologique (ηπαρ) est voulue, mais pédante car he est la translittération latine ordinaire de la voyelle grecque êta initiale.
- Ce propos n’est pas non plus orthodoxe car le foie est ordinairement tenu pour produire des esprits dits naturels qui deviennent vitaux dans le cœur, puis animaux dans le cerveau.
Au-delà de l’inflammation des hépatites (et de la cirrhose, rangée avec les squirres), on était alors encore très loin d’avoir dénombré les principales autres causes d’ictère : rétention biliaire mécanique avec décoloration des selles), lithiasique ou tumorale ; hémolyse ; stase hépatique liée à une défaillance cardiaque ; etc.
« Douve est le nom vulgaire de deux espèces de renoncules qui croissent dans les marais : grande douve, nom vulgaire de la renoncule langue ; petite douve, nom vulgaire de la renoncule flammule. Le nom de la douve, “ fossé ”, a été sans doute transporté à la douve, plante qui croît dans les douves pleines d’eau, dans les marais » (Littré DLF).
Charles Le Noble entendait ici signifier à Jean Pecquet qu’il connaissait bien mieux que lui la maladie ovine qu’il avait rapportée dans l’expérience i de sa Nova Dissertatio (v. sa note [14]). La remarque de Le Noble sur l’anémie des moutons atteints (décoloration des conjonctives) est d’une surprenante pertinence diagnostique, même si elle n’est pas liée à une défaillance de la sanguification hépatique, mais à une consommation du sang (hématophagie) par les parasites.
Le texte latin imprimé parle ici des lactifères (mésentériques) d’Aselli (Asellij), mais la cohérence du discours impose de les remplacer par ceux (thoraciques) de Pecquet (Pecqueti), même si l’errata du livre ne signale pas la faute. V. note [4] du Clypeus, 4e partie, pour une conséquence de cette coquille.
Charles Le Noble parlait bien ici des veines sanguines mésaraïques (v. infra note [18]), et non des lactifères mésentériques. Son argument, bien que timide, car exposé au conditionnel, est admirablement pertinent : en période de digestion, le débit sanguin dans ces veines devrait être supérieur à celui du tronc cœliaque et de l’artère mésentérique supérieure car au sang s’ajoute une partie du chyle issu de la digestion et de l’absorption des aliments, à l’exception de leur partie graisseuse. Le Noble frôlait donc la notion des deux chyles, hydrosoluble (glucido-protidique) et liposoluble (graisseux), telle qu’elle est expliquée dans la note [2] de l’Historia anatomica de Thomas Bartholin, chapitre xv. Le raisonnement du sagace médecin de Rouen se fondait néanmoins sur une faille, car la physiologie moderne a établi que le débit artériel mésentérique augmente nettement en période digestive afin d’apporter aux intestins l’énergie dont ils ont besoin pour faire face à l’afflux de substances à absorber.
L’argument suivant, qui clôt leur liste, ne mérite pas ce compliment.
Parlant de la veine cave supérieure, Jean Pecquet a comparé le mélange du chyle au sang avec celui de l’eau au vin dans la troisième conclusion qu’il a tirée de l’expérience iii de sa Dissertatio anatomica, publiée en 1654 (pages 123‑124).
Charles Le Noble confirmait ici très clairement sa brillante intuition qu’une importante partie du chyle gagne le foie en se mêlant au sang des veines mésaraïques (v. supra note [17]), ce qui le rend invisible, et non pas en empruntant les lactifères mésentériques, étant donné qu’aucun d’eux ne gagne ce viscère. Dans la fin de cette première partie de sa lettre, il convient que le reste du chyle gagne le cœur en passant par la voie thoracique mise au jour par Pecquet ; il spécule ensuite sur des notions de chaleur et de froideur qui ont depuis perdu toute pertinence médicale.
La publication de cette lettre par Jean ii Riolan est à mettre à son crédit car elle était parfaitement justifiée ; et voilà bien récompensés mes laborieux efforts de traduction et d’interprétation (v. supra note [2]), et aussi ceux du lecteur qui ne s’est pas laissé décourager par la prose initialement rébarbative de Le Noble.
Page 3, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
Eruditissimo et Doctissimo Medico, omnium
Anatomicorum longè præstantissimo, ac Re-
giorum in nobilissima et antiquissima Pari-
siensis Medicinæ Facultate Professorum De-
cano, Domino, D. Ioanni Riolano,
eius obseruantissimus Carolus le
Noble, Doctor Medicus in Medicorum
Rothomagensium Collegium cooptatus.Ea est, Vir Illvstrissime,
insignis tuæ doctrinæ altitudo, vt
nesciat quisquis aggreditur elu-
cubratos à te libros legere, vtrum
profundam ingenij tui subtilita-
tem minùs valeat assequi, an verò
magis debeat vberem eruditionis fœcunditatem
admirari. Illi mentis tuæ indefessè laborantis tam
mirabiles quàm ingeniosi partus, mox vt obste-
tricante prælo nascuntur, omnium, ne pereant,
excipiuntur manibus ; nullius, vt adolescant, non
fouentur sinu : et inter cætera, quæ tuis in Ope-
ribus mira suspiciuntur, hoc omnem superat ad-
mirationem, quod tuos sentias laudatores, quos
censores suspicari debueras, et obtusis suaui, sed
Page 4, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
potentissima sententiarum tuarum grauitate,
inuidorum telis, eos tuæ gloriæ præcones expe-
riaris, qui seuerioribus æmulandi stimulis com-
pulsi, se tuorum Operum deuouerant impugna-
tores. Et certè conceptam de Te opinionem tuis
longè meritis inferiorem habet, qui omnium æui
nostri Anatomicorum Te principem iactat ; ha-
bebunt enim à Te futura sæcula, quor præteri-
torum ignorantiam accusent, et inscitiæ supe-
riores Anatomicos iure posteriores possint ar-
guere : siquidem et antiquis ignota multa in hu-
mano corpore arcana, oculatissimâ experientiæ
indagatione isti, et ab ipsis olim inuenta,
sed multa adhuc confusione intricata, iam ex-
plicatiùs à Te digesta, locupletiùs aucta, exactio-
ri methodo tradita, cuilibet nunc facillimè per-
uia redduntur. In perficienda quidem te Ana-
tomica, diuturna multáque plurimorum desu-
dauit industria, sed vni Tibi debet, quod perfe-
cta sit, et quamuis hanc artem suis omnibus nu-
meris absolutam nimium credula putauerit. An-
tiquitas, meliori tamen ratione persuasa poste-
ritas sentiet, prima dumtaxat à veteribus iacta
fuisse huius operis fundamenta : tibi verò vni
concessum, manum huic extremam, et vltimum
complementi fastigium adhibuisse. Plura de tuis
laudibus hic attexere non patitur, quod ad Te
scribere me compulit argumentum, ne potiùs gra-
tulari tibi videar, ob relicta posteritati præstan-
tioris doctrinæ monimenta, quam (quod præ-
sentis Epistolæ scopus est) tuam de motu Chyli
sententiam impensiùs efflagitare. Cùm enim eâ
semper fuerim erga te mente affectus, vt post-
Page 5, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
habitis innumeris quæ de arte Anatomica scrip-
ta sunt voluminibus, furtiuas horas, (quas inter-
diu tractandæ Medicinæ subripio) vigilias, stu-
dium, me denique conferre totum tuis libris non
præcipiti lectione euoluendis, sed profundâ ma-
turáque attentione expendendis iam pridem as-
sueuerim, refugit animus conceptæ de motu Chyli
opinionis quærere censores alienos : Vnum Te
supplex petit sperátque iudicem, quem vnum
iamdiu domesticum cœpit habere Doctorem.
Itaque Galeni Consilium, Herodoti exemplum,
tuáque ipsius vestigia sequutus, (qui nempe pri-
usquam tuis in libris tuam de Circulatione Sangui-
nis doctrinam intexeres, dissertationibus Acade-
micis excutiendam et scholaribus impugnandam
argumentis ventilandámque exposueris) ego quod
sentio de motu Chyli (quem sanè longè aliter mo-
ueri comperio, quàm huc usque viderim ab Au-
thoribus traditum) nefas esse duxi in Anatomi-
cis demonstrationibus, quas in hac Vrbe pro-
priâ, non alienâ manu celebro non infrequen-
tes, publicè priùs edocere, quàm meam super
hac re sententiam æquissimæ tuæ censuræ subie-
cissem, vt si minimè à veritate me iudicaueris
aberrasse, hoc saltem mea hæc doctrina cunctis
fiat probabilior, quod tui authoritate iudicij mu-
nita, firmata, et stabilita fuerit.Verùm quia ista opinio in quibusdam conue-
nit, et in multis discerpat à Pecquetiana doctri-
na, mihi idcirco, quid sentiam de loco, in quem
impulsu Naturæ Chylus deducitur, et quem ad
finem illuc aduoluatur, simúlque de ratione si-
tus et insertionis vasorum Pecquetianorum, priùs
Page 6, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
edisserendi necessitas incumbit, quæ quidem vt
omnia tuo iudicio submitto, sic quantum potero
breuissimè persequar, ne velle tuâ patientiâ
abuti, tuique temporis (quod Tibi et Orbi ma-
ximè pretiosum est) iacturam aliquam attentare
videar.Nemini non liquet Chylum ab intestinis eie-
ctum in venas Lacteas Asellij se recipere, indé-
que fugitiuo lapsu in Pecqueti receptaculum, aut
lumbares Bartholini glandulas commeare ; hinc
etiam per canalem, siue canales Pecquetianos in-
cedentem, in Venas axillares aut subclauias con-
tinuis successionibus influere, vbi in sanguinem
incurrens, illique se confusè immiscens, tandem
ex doctrina de Circulatione tradita in dextrum
cordis ventriculum αιματωδη {a} delabitur.Verùm ex his, vt puto, non conuincitur Cor
esse αιματωσεως principium, cùm id ista non
probet experientia, sed nonnullam dumtaxat
Chyli partem in illud deduci, quod esse veritati
maximè consentaneum arbitror.At quis in illo motu Naturæ scopus ? quæstio-
nem perobscuram illustrare et intricatam eno-
dare sola ratio poterit. Vt enim parturientis ex-
perientiæ arte ac methodo nata veritas innote-
scat, sic dum firmatur iudicio, ratione velut nu-
trice fouetur, et illius irradiatione (quod omni-
no ad peritum artificem pertinere Plato asseruit)
verum non secus à verosimili secernitur, quàm
lucis beneficio varij distinguuntur inter se colo-
res, qui tenebris inuoluti, caligantis oculi falle-
bant aspectum. Ea propter Galenus optimè et
acutissimè artem ante omnes artes rationem nun-
- Sic pour : αιματωδης (errata).
Page 7, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
cupauit, quam quod ausu temerario ducem de-
seruerint Empirici, eos omnium Scholarum ob
abiuratam in administranda Medicina metho-
dum non modò reprehensionem, sed et maleuo-
lentiam subeuntes, in infinitos errores turpiter
prolapsos, et in multis quotidie offendere sæ-
pissime audiuimus. Et sanè Athenienses dum sta-
tuis æneis supra vrbis portam collocatis Vulca-
ni cum Pallade coniugium effinxerunt, maximè
putandi sunt innuisse artes labore simul et inge-
nio comparari ac perfici, idémque videtur à Pla-
tone adumbratum, cùm in mundi diuisione ean-
dem Minervæ et Vulcano partem dixit obti-
gisse.Quandoquidem igitur ducem licet in hac ma-
teria rationem sequi, liberè dicam mihi non pro-
bari, tametsi Cor excipiat chyli partem, in eo
virtutem inesse sanguinis productiuam, aliud
enim inferius adscriptæ rationes euincunt, et
dum id munus ad jecur pertinere statuitur, illico
minimè Cordi conuenire demonstratur.Si autem duæ partes natura, et temperie inter
se dissimiles, disiunctæ situ, et molis constitutio-
ne diuersæ, virtutem in agendo similem habe-
rent, eadémque possent exequi munia, inde om-
nino contingeret vt vitiati iecoris damna vi-
uida sani cordis actio resarciret, illúdque rueret
vulgatum antiquitus in Medicina pronuntiatum,
quod scilicet vnius officialis partis error nulla
alterius operatione reparetur ; et vt ex hac præ-
cipua Galeni regula, vbicumque aliqua pars
operationem habet nulli alteri communicatam,
necessario etiam habet propriam temperiem, per
Page 8, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
quam edit eam operationem, ita vbicumque pro-
pria constitutio, et peculiaris temperies reperi-
tur, ab ea quoque parte propriam operationem,
neque alteri communem emanare necessum est
concludere.Quænam obsecro fingi potest cordis actio tam
vegeta et efficax, vt fugacem chyli substantiam
ac celeri motu transeuntem vertat in sanguinem ?Quî fieri poterit, vt materia nouæ formæ sub-
stituatur, nisi præviis ad ipsam dispositionibus
idoneè pæparata ? has autem quis tam breui, et
quasi momentanea Cordis agentis applicatione
dicat posse sufficienter induci, vt in ipso transitu
et quidem satis veloci, tam præceps chyli alte-
ratio,támque subita sanguinis generatio sequa-
tur ? profectò aut ad istiusmodi transformatio-
nem prorsus necessaria est chyli retentio et sub-
sidentia in corde sufficiens, et ad congruam vs-
que temporis mensuram prorogata, aut procul
amandandus est Philosophus, qui inter cæteras
ad perfectionem actionis conditiones, hanc po-
tissimum requirit, vt continuo debito temporis
interuallo, passo coniunctum, et applicatum sit
agens, nempe cùm agentis creati virtus finita sit
ac debilis, nequit in instanti perfici eius opera-
tio, sed per successiuas temporis moras vim acti-
uam exerens non sine conuenienti temporis tra-
ctu intentum à natura effectum producere po-
test.Ista deinde cordis actio eximenda foret à com-
muni operandi lege, cæteris corporis partibus à
natura ad suas ipsarum actiones inuiolatè præ-
stituta, quod videretur absurdum, sine firmo
Page 9, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
fundamento asserere. Nunquid à pyloro tamdiu
sistitur alimentum in ventriculo, donec transeat
in chylum quidquid in eo substantiæ melioris at-
que purioris est ?Nunquid ipsummet sanguinem ac spiritus ma-
gis defæcatos et subtiliores, à quibus immediatè
semen coalescit, vt prolificam à testiculis virtu-
tem accipiant, necesse est diu in canalibus sper-
maticis immorari, siquidem sine iusto temporis
spatio non potest ille humor, licet fluidus et
λεπτομερης, longa vasorum deferentium curricula
multis et labyrinthæis inter se plexibus irretita
sensim effluendo permeare ?Nónne tandem, tametsi et sanguine perfectis-
simè elaborato à natura generentur spiritus ani-
males, mira tamen eiusdem Naturæ prouidentia
præter rete mirabile in circuitu sellæ ossis sphe-
noïdis singulari artificio protensum, adhuc in
ventriculis plexum choroidem efformauit, vt il-
le sanguis tot et tam exiguos, tótque nexibus in-
tricatos amfractus pedetentim excurrendo, sit
ibi longo detentus hospitio, impressum tandem
tarda præparatione facultatis animalis sigillum
atque characterem acciperet.Valet etiam ad id comprobandum quod tam
verè dictum est à Galeno, quam studiosè obser-
uatum, scilicet venulis innumeris et mirabiliter
insertis esse jecur vndique plenum, vt chylus in
illis diutius retentus et tandem in parenchyma-
tis substantiam expressus, ab ipsius caliditate ve-
lut vinum musteum feruere, concoqui, alterari
in laudabilis sanguinis generationem posset. In
hac autem ebullitione ex ipsis excrementis quod
Page 10, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
fæculentum quidem est ac crassum subsidere, in-
natare verò quod tenue est et leue, ac veluti spu-
mam quandam in sanguinis superficie fluitare.
Postquam verò hac ratione generatus est ac præ-
paratus sanguis, in Cor vltimò perficiendus solitis
vehiculis deducitur ; binos enim cordis ventri-
culos traiiciendo non semel (nam diutina circu-
latione rursus illuc iterúmque reducitur) vitalis
facultatis irradiatione et impressione donatur.Illud autem munus frustra cordi tribueretur,
si sanguinem gigneret, cùm non constet esse à na-
tura eidem parti officiali concessum, vt tam di-
uersa operetur ; et præterea si non potiori, certè
non inferiori ratione dici possent pulmones αι-
ματωσεως officina, quod illuc etiam, ex Circula-
tionis doctrina, deferatur Chylus, et ibi diu-
tius resideat, quàm consistat in Corde, ex quo
dum motu continuo celeriter egredi compellitur,
nullum ei in eo conquiescendi spatium relin-
quitur.Verùm si iecinoris compositio meæ faueat sen-
tentiæ, eius etiam magnitudo atque color Pec-
queti doctrinæ non parum aduersatur ; ex iis
enim satis intelligitur, aliud esse natiuum huius
visceris officium, quàm vt bilem à sanguine (eo
quo explicat modo Pecquetus) secernat, quam
sola fellis vesicula, mira secretione separare po-
tuit, et in sese velut magnetica virtute attrahere :
vtque renes eundem sero repurgant, si noua ista
Pecqueti opinio ratione aliqua niteretur, magni-
tudine renes jecur superare debuissent, quemad-
modum bilis quantitas seri excessu vincitur ; re-
nes enim, inquit Bartholinus, (Pecqueti ομο-
Page 11, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
ψυφος) bini reperiuntur, quia inter omnia excre-
menta serosum est copiosissimum, et vtramque
bilem excrementiam superat, ob sanguinem
cuius vehiculum esse debet : Cùm insuper forsan
maiores ea ratione facti fuerint, vt ex Aristotele
post Hippocratem, vtrinque positi, Venam Ca-
uam velut anchoræ iactæ stabilirent.Aut certè si segregando huiusmodi excremen-
to præcipuè deseruiret nobilissimum illud viscus,
animalia in quibus magis abundat bilis, et fellis
vesicula magis patula et spatiosa est, jecur pro-
inde amplius et crassius habuissent, cùm tamen
doceat experientia in homine vesiculam quidem
fellis angustiorem esse quam in multis animali-
bus, jecur autem magis dilatatum et amplum,
quàm in illis, ex omnium Anatomicorum con-
sensu, tuóque inprimis testimonio, (modò con-
feratur cum iecinore aliorum animalium eiusdem
magnitudinis) et vt notauit Bartholinus,
magnitudo et crassities hepatis in homine insi-
gnis et maxima (vti et cerebrum) non tantùm
ob nutritionem, quemadmodum in brutis, sed ob
spirituum animalium procreationem, qui dissi-
pantur sæpius, (et ex vitalibus generantur, hi
verò ex sanguine) et magis ob varias in homine
functiones. Hæc præterea subiungit idem Au-
thor, maius tamen est hepar in frigidioris intem-
periei corporibus, et in timidis et gulosis, vt ca-
lor Cordis augescat ; Ex quibus non obscurè
consequitur, quod ad illud conuertere chylum in
sanguinem pertineat, non autem hunc solum-
modo transcolare, admixtæque bilis expedire
consortio.
Page 12, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
Præterea, quod spectat ad colorem, flaues-
centem potiùs Natura tinxisset, quàm rubicun-
dum (qualis tamen in hepate sano cernitur) cùm,
vt ex Pecqueto loquar, sicut tinctores assolent
iisdem colorum notis circa quos operantur, ma-
nus inficere, ita omne colum contractum trans-
eundo, excrementi, quod excernitur colorem
non parum referre certum sit et exploratum.Cæterùm icterus qui inflammato hepati suc-
cedit, dum eo accenso totus subinde sanguis in-
flammatur, et in tantam alteratur bilis copiam,
vt redundante fellis vesicula, flauescentis huius
humoris effusior alluuies crassorum excremen-
torum, vrinarum, totiúsque corporis nati-
uum colorem inficiat, ac deprauet, consequenter
probat in hepate sanguinem præparari ; nulla
enim Cordis vel ardentissima intemperie tanta
in eo támque velox perfici potest alteratio.Nec frustra etiam commemorabo illud mor-
bi non ignotum genus, quod oues manifestum
est contrahere ex comesto ranunculo flammeo,
vulgò à Pastoribus nuncupato Gallico vocabu-
lo De la Douue. In illis scilicet reperitur iecur
omne infectum et corruptum, sæpe vesiculis in-
numeris aqua refertis vndique plenum, semper
autem animalculis siue bestiolis soleæ piscis si-
militudinem referentibus scatens, à quibus dum
gregatim in eo generantur, inficitur, corroditur,
totúmque tandem aliquando absumitur ; Cuius
putredinis semina in illius visceris partibus Ve-
næ portæ ramos fulcientibus primùm expro-
muntur et expullulant, propter, ni fallor, ve-
nenati et erodentis chyli aduentum ; nec mirum,
Page 13, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
si lanij et opiliones ex quarundam oculorum Ve-
narum subsidentia (labefacta ob iecoris ato-
niam hæmatosi) oues hac labe conspurcatas o-
minentur, et tamen huiusmodi lues nullum de-
prehenditur perculiare Cordi detrimentum affer-
re, quod certè potius quàm jecur, hoc tabo in-
quinari ac deprauari oportuisset, nisi primùm in
hepate chylus sanguini gignendo destinatus al-
teraretur, et nisi pars altera quæ in Cor im-
pellitur præcipiti traiectione continuò expel-
leretur, vt ex rationibus inferiùs afferendis pa-
tebit euidentiùs.Facit etiam ad confirmandam opinionem
meam, Venarum Lactearum Asellij exilitas, ha-
bita enim corporis ratione aliarúmque Mesen-
tericarum, illæ non modò minores, sed numero
longè pauciores existunt.Fauet perangustum chyli receptaculum.
Fauet arctior pressiórque capacitas Pecque-
tianorum canalium, siue canalis (vt plurimum
enim reperitur vnicus :)Suffragatur quoque longè amplior ac nume-
rosior Venæ portæ in varias partis inferioris he-
patis regiones fruticosa ramificatio, quam Cauæ
in superiorem distributio (quos Venæ portæ si-
cut cauæ ramulos in iecinoris substantiam disper-
sos incerniculi instar foraminibus innumeris per-
tusos obseruauimus.)Illam etiam roborat Mesentericarum maior
amplitudo, et numerus sanè copiosor quàm re-
quiritur ad sanguinem ab arteriis excipiendum,
deferentibus nutrimentum ad intestina, quæ qui-
dem si ratione pabuli delati omnes ad ipsa, istæ
Page 14, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
Venæ pertinerent, portione sanguinis ac spiri-
tuum multò maiore quam cerebrum, indigerent.
His adde quod si arteriarum magnitudo et mul-
titudo obseruetur, constabit omnino prædictas
Venas numero pauciores, et amplitudine mino-
res esse debuisse.Vrgent tandem pro tuenda huiusmodi doctri-
na, viæ quas solet subire sanguis ex matre ad fœ-
tus attrahentis alimentum transmigrationes, {a} si-
quidem nullus ambigendi locus est, quin prius-
quam ad Cor perueniat, ipsos ingrediatur mea-
tus hepatis, vt ibi de nouo alterari et perfectiùs
concoqui valeat, indéque paratior egressus ne-
cessariam toti nutriendo corpori vitalis faculta-
tis impressionem faciliùs et cautiùs recipiat.Quibus omnibus posthabitis, si quis iterum ad
laudatam experientiam refugiat, enixè eum ob-
testor, vt manifesto et consociali connubio cir-
culationem sanguinis attributæ Cordi hæmatosi
iungat, aperiátque vias, per quas expansus in
vniuersum corpus per arterias sanguis deferatur
ad iecur in eo expurgandus.Quâ viâ etiam suppositâ, hucusque tamen le-
gitima et probabili incognitâ ; subsistet adhuc
altera absurditas, sanguinem cum excremento
bilioso in partes nutriendas diffundi.Complures alias rationes prætermitto, quæ
iam à Te et ab aliis in medium prolatæ sunt, aut
quæ recenter inuentæ superioribus possent ad-
iungi.Huius quippe opinionis nouitatem non arbi-
tror sectatores habituram, cùm præsertim quos
non dubitamus Pecqueto adfuisse, propugnatores,
- Sic pour : transmigraturus (errata).
Page 15, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
eos videremus illi hac in parte sequaces defuisse.Sufficiat itaque præmissa adversus Pecqueti
doctrinam probauisse, vt nunc iure possim affir-
mare maximam chyli partem per Venas mesaraï-
cas transuectam in iecur induci, eiúsque natu-
rali actione in sanguinem conuerti, etc.Nec opinioni meæ quidquam debet officere,
quod in istis Venis chylus intuentium oculis sub-
ducitur, huius nimirum rei rationem studiosiùs
indaganti facile patebit, id omnino ex mutuo
chyli sanguinisque occursu, et eorum recipro-
ca admixtione contingere : Non secus ac vbi pri-
mùm ramos axillares aut subclauios chylus sub-
intrauit, nulla potest illico sui specie distingui,
illum enim ait ipse Pecquetus, ex primo cum san-
guine commercio rubescere, quemadmodum
aqua vino infusa vincente albedinem rubore vi-
ni speciem coloremque induit.Alteratam {a} autem chyli partem magis scilicet
aquosam, et liquidam contendo itineribus, à me
superiùs indicatis, illapsam in Cor tandem in-
duci, non quidem vt eius operatione facessat in
sanguinem (quia id munus ad solum iecur perti-
nere dicimus) sed vt simul cum sanguine vitalis
facultatis sigillum fœcunda Cordis et mira irra-
diatione communicatum, subinde referat, ad fri-
gidiores et humidiores corporis partes contem-
perata nutritione vegetandas, quibus certè non
dubitandum, quin congruum, familiare et ευ-
προσφυτον hoc alimentum Natura deposuerit.Si enim totum chylum iecinoris facultas mu-
tasset in sanguinem, conuenienti naturæ suæ ali-
mento partes istæ caruissent, siquidem frigidio-
- Sic pour : alteram.
Page 16, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
ris partis temperamentum meri sanguinis calidi-
tatem velut sibi noxiam et contrariam respuisset.
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
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