Texte
Jean Pecquet
Nova de thoracicis
lacteis Dissertatio
(1654)
Expérience iii  >

[Page 122 | LAT | IMG] [1]

Ayant ouvert l’abdomen pour faciliter l’abord du thorax, que j’expose à son tour, [2] j’incise le péricarde et, sans faire aucune ligature, je coupe aussitôt le cœur transversalement, au milieu du cône ventriculaire. J’éponge [Page 123 | LAT | IMG] le sang se déversant des vaisseaux qui alimentent les ventricules, mais sans comprimer le réservoir, [3] et je puis alors voir si du chyle s’écoule de l’un ou l’autre côté du cœur, c’est-à-dire à gauche, du poumon par l’artère veineuse[4][5] ou à droite par la veine cave. [1][6] Dès que j’appuie la main au centre du mésentère[7] j’admire du côté droit un torrent de chyle parfaitement blanc qui jaillit de l’oreillette droite ; [8][9] et quand je comprime à plusieurs reprises le réservoir, j’en vois pareillement se répandre. Ensuite, je pratique une longue incision des veines caves au-dessus et au-dessous du cœur, sans voir de ruisseau chyleux sortir du cœur pour blanchir la veine cave inférieure, [10] mais la supérieure [11] est remplie de liquide laiteux parfaitement blanc jusqu’aux deux subclavières ou axillaires (pour complaire à Riolan, étant donné que les chiens n’ont pas de clavicules). [2][12] En comprimant de nouveau le réceptacle, tu vois le chyle sourdre par de manifestes orifices dans chaque veine axillaire : ils sont proches des deux jugulaires externes, [13] tantôt de part et d’autre, tantôt autrement, mais dans tous les animaux que j’ai ouverts, je les ai toujours trouvés dans les branches axillaires.

Conclusions que je tire de cette expérience.

  1. Puisqu’aucun autre passage que le thorax [14] ne s’ouvre au chyle contenu dans le mésentère ou dans le réservoir, il y monte tout droit pour se jeter dans le ventricule cardiaque droit. [15]

  2. Le chyle s’y écoule depuis les branches subclavières en passant par la veine cave supérieure.

  3. Dans la veine cave supérieure, le chyle [Page 124 | LAT | IMG] se mélange au sang comme l’eau au vin, et l’expérience ne manque pas de le confirmer : [16] si tu comprimes la racine du mésentère ou le réservoir quand la veine cave est encore pleine de sang, tu verras le chyle s’y confondre avec lui sans qu’il perde presque rien de sa couleur pourpre ; et il m’est arrivé d’ouvrir l’oreillette droite du cœur et le sang qui s’en est écoulé avait sa couleur ordinaire, car le chyle contenu dans la veine cave avait déjà perdu sa teinte lactée. Tu conclurais donc que le sang fait la même chose que le vin : quand on y mêle un peu d’eau, elle s’y dilue pour se confondre avec lui, comme si elle adoptait sa nature ; de la même façon aussi que le vin versé dans des jarres y décharge ses ordures en perdant sa lie et son tartre, le chyle, finalement transformé en sang dans la marmite du cœur, s’écoule par les artères, les chairs et les veines vers les émonctoires que la nature a établis pour le purger de ses excréments, où (comme je pense) la filtration éliminera ses impuretés. [3][17]

    S’il arrive que le cœur n’ait pas pu digérer entièrement un chyle revêche lors de sa première fermentation et l’ait laissé passer dans cet état, il reviendra au cœur autant de fois que nécessaire après avoir circulé jusqu’à ce que l’officine cardiaque l’ait transformé en sang parfait. Sans parler inconsidérément, cela ne se fait pas simplement en un tour, dans le flot continu des humeurs mêlées, et varie selon que la chaleur et la vigueur du cœur disposent facilement ou difficilement la matière chyleuse à la sanguification[18]

  4. Le chyle, après s’être écoulé dans la veine cave supérieure avec le sang auquel il est mêlé, descend [Page 125 | LAT | IMG] dans le ventricule cardiaque droit (comme l’enseigne la circulation), et Riolan (qui admet la circulation dans les gros vaisseaux, et donc dans la veine cave supérieure) [4] aurait ainsi pu répondre lui-même à la question qu’il pose page 149 : [19] « Comment le chyle se rue-t-il dans le gouffre du cœur, et s’attarde-t-il dans l’oreillette droite ? » C’est, comme je dis, parce que ladite oreillette se contracte avant le ventricule qui lui est attaché, et qu’elle est donc la première à recevoir le mélange de sang et de chyle ; ensuite et sans délai, dans la continuité de leur élan, leur écoulement s’infléchit en direction de la cavité ventriculaire.

  5. Le Cœur est la véritable officine de l’hématose car c’est là que commence la fermentation du chyle, qui le fait changer de nature. [20] La veine cave supérieure n’est en effet pas un lieu propice à la sanguification, car le sang qui s’y jette vient du cerveau, dont le tempérament est froid, et des mains qui sont les parties des membres les plus exposées à la froidure. Ajoute à cela que le chyle non digéré est en lui-même froid, et que c’est dans le cœur qu’il acquiert une chaleur parfaite. [21] Je dis donc que le chyle se transforme en sang dans le cœur.

    La dissection en apporte la confirmation : la raison pour laquelle le réservoir a été découvert (comme nos expériences anatomiques te l’ont appris) tient précisément au flot blanchâtre de chyle qu’on a trouvé dans le sang de la veine cave supérieure coulant vers le cœur, au point de faire soupçonner la présence d’un abcès. [5][22][23] Puisque, dans leur diversité et dans leurs affections variées, les corps ne se transforment pas de la même façon, et bien que les aliments soient soumis à la digestion, pour accomplir tant la chylose que l’hématose, il est indubitable que le chyle et le sang passent par le cœur, même si ce ne peut être que très brièvement. Il aboutira à une hématose moins parfaite [Page 126 | LAT | IMG] quand la conformation est faible que quand elle est robuste : chétive, elle ne procurera pas tout ce qui est nécessaire pour rétablir les défauts d’un corps languissant ; et c’est pour cette raison, je pense, que la divine providence a instauré cette merveilleuse circulation du sang, afin que de multiples passages dans l’officine parachèvent ce qu’un seul n’a pas suffi à accomplir. Ainsi le sang est-il mieux digéré et terminé chez certains que chez d’autres, car la nature a doté ceux-ci d’une solide vigueur, quand ceux-là l’ont moindre et s’en trouvent un peu débilités. Tous se nourrissent pourtant de mets identiques préparés de même manière.

    Je ne disconviendrai pourtant pas que cette disparité entre les êtres dépende d’une disposition variable du chyle. Il est certain que s’en trouve parfois du fort bien digéré et très pur, qui brille d’une blancheur très éclatante, et dont la densité très serrée fige sa substance, mais qu’ailleurs il est plus fluide et sa couleur s’atténue pour prendre l’apparence d’une sérosité blanchâtre ; tantôt il séduit par sa très agréable douceur, mais tantôt il pique par sa saveur fort âcre est salée ; et tout cela selon qu’il a plus ou moins longtemps circulé dans des cœurs pareillement disposés à parfaire la nutrition du corps.

    Garde-toi pourtant de penser que ces contrastes proviennent le moins du monde d’une incommodité du cœur (puisqu’il reçoit le chyle tel qu’il est), en omettant toutefois l’effet profondément néfaste qu’y exerce un mélange de poison et de corruption ; mais je veux dire qu’en une seule diastole, [24] une plus ou moins grande quantité de sang atteint sa perfection, que le cœur n’en est en rien grandement affecté et que, quand un seul passage n’a pu suffire, il répétera son ouvrage pour donner au sang une qualité parfaite. [6][25][26]

    Je ne puis là-dessus qu’être surpris par la légèreté des objections riolaniques dans la seconde partie de ses Opuscula, page 174, [27] où il dit que « le chyle cru et non digéré » (c’est-à-dire blanc et n’ayant, pense-t-il, pas encore acquis le dernier complément qui lui permet d’assurer [Page 127 | LAT | IMG] une complète sanguification) « chargé de divers aliments, s’écoule par de très longs vaisseaux depuis les lombes jusqu’aux branches subclavières de la veine cave et atteint le cœur, lequel sera par conséquent le chaudron et la marmite du chyle, destiné à en faire du sang ». Page 187, [28] comme j’ai déjà remarqué plus haut, [7] il ajoute : « Ce chyle se déverse même dans le tronc de la veine cave près des axillaires, afin qu’une portion du sang s’attarde dans le cœur, étant devenue plus épaisse après qu’il s’est mélangé à elle. » Il reconnaît donc que le chyle cru et non digéré chargé de divers aliments, ayant parcouru de très longs conduits, depuis les lombes jusqu’aux branches subclavières de la veine cave, se mêle au sang puis s’écoule dans le ventricule droit du cœur. Puisqu’il s’est efforcé de figurer ces faits par des mots, faute d’avoir lui-même expérimenté, il admet que le chyle passe du mésentère dans la veine cave supérieure ; il doit donc aussi convenir que ledit chyle, mêlé au sang contenu dans la veine cave, sans être du tout passé par le foie, s’écoule dans le ventricule cardiaque droit, et qu’alors dans sa forme crue et non digérée, etc. Pourquoi, je vous le demande, mon cher Riolan, dites-vous (page 179) que ce chyle, dont vous jugez (page 187) qu’il « sert, à la manière d’un levain fort chaud et acide, à la préparation du nouveau sang artériel », « déposera ses ordures dans les poumons [29] en passant le ventricule droit, ou les entraînera avec lui dans le ventricule gauche du cœur, [30] où est élaboré le nouveau sang artériel, et ensuite dans l’aorte [31] qui sera la première à recevoir ces détritus avant qu’ils ne parviennent aux veines » ? Vous conviendrez alors que ledit sang, mêlé bien malgré lui au chyle et à ses impuretés, ne peut qu’être expédié dans les émonctoires que sont les reins [32] pour le sérum, [33] le cerveau pour la pituite, [34] le foie pour la bile et les aigreurs, [35] le pancréas pour la lymphe[36] la rate pour les lies et l’excrément mélancolique. [8][37][38]

    Ce chyle est, en effet, je crois, loin d’être ce que prétend [Page 128 | LAT | IMG] Riolan quand il se persuade, en vertu de sa propre autorité à conjecturer, et de ce qu’il a constaté de ses propres yeux quand « l’habile anatomiste et chirurgien Gayan » [39] le lui a montré, que celui qui s’écoule dans la veine cave, soit supérieure soit l’inférieure, est moins féculent que celui qui se rend dans le foie par des canaux qu’il s’est imaginés ; mais son raisonnement n’est pas encore défaillant au point d’arguer que ces deux chyles, puisqu’il y perçoit une couleur, une odeur et une consistance identiques, ne sont qu’une répugnante mixture d’excréments (ce qui est contraire à la vérité et qu’il ne semble pas admettre, tout comme moi et par exception). [9][40][41]

    Je suis aussi bien loin d’avoir la stupidité de penser que le chyle parvenant dans les branches subclavières s’est débarrassé de ses impuretés avant de gagner le cœur pour s’en décharger : il les mêlerait au sang qui le reçoit puis les y brouillerait pour finir par les retrouver ; soit pour parler avec encore plus de vérité et de clarté, les déchets qui n’auront pas été séparés resteront à séparer. Exactement la même chose se produirait si le chyle s’écoulait du mésentère dans la veine cave inférieure. Riolan se montre en effet futile quand il signale ici et là que ce chyle superflu ou même corrompu abandonne ce qu’il contient de sérum dans les reins en passant par les cavités des veines émulgentes[42] oubliant (je pense) la vérité qu’il a énoncée quand il a lui-même dit que ces veines sont disposées pour reverser dans ladite veine cave le sang que les artères émulgentes leur ont envoyé. Peut-être a-t-il observé quelque part deux liquides qui se meuvent en sens contraires dans un même conduit. De plus, tout ce qui se mêle au sang dans la veine cave devra le suivre jusqu’au cœur, et cela vaut pour les éléments du chyle que contiennent les veines, qui s’écoulent pareillement vers le cœur.

    [Page 129 | LAT | IMG] Le chyle, dont il pense qu’il pénètre dans la veine cave inférieure, n’aura pas alors pu aller décharger sa bile dans le foie. Il n’existe qu’une seule communication entre la veine cave et le foie, à savoir la branche qui sort de la gibbosité hépatique, [43] et donc, ou bien le mouvement du sang (dont Riolan lui-même dit qu’il le fait sortir du foie) se ferait en sens contraire de celui qui convient pour en extraire la bile, ou bien alors, selon l’ancienne et fausse théorie de l’attraction, [44] qui n’est en rien avérée, nous serions contraints d’admettre la possibilité que deux liquides s’écoulent en sens contraires dans un même vaisseau.

    Page 186, l’exemple de l’instrument, qu’on appelle en français un montevin[45] qui fait monter de l’eau à travers du vin, ne doit pas non plus m’inciter à dire ne sapiat ultra crepidam sutor[10][46] Le comble de la témérité est de proférer précipitamment un jugement sur une science qu’on ne maîtrise pas, et l’ignorant se met en péril quand il traite de machines et de questions mécaniques. Riolan ne divaguant pas en toute occasion, n’a ouvertement dardé aucune raillerie contre ma sentence sur l’attraction, à moins qu’il n’ait ici voulu sourdement tramer contre elle. Cet appareil est à la disposition de qui voudra s’en servir : il consiste en deux fioles de verre, dont l’une, possédant un col fort étroit, est remplie d’eau et introduite dans l’autre, qui est pleine de vin et dont le col est un peu plus large, de façon qu’il admette verticalement l’ampoule de celle qui contient l’eau ; tu verras le vin monter rapidement dans la fiole supérieure, à la manière d’un nuage propulsé à travers l’eau, jusqu’à ce qu’il finisse par échanger sa place avec celle de l’eau qui tombe au fond. Dans cet instrument, l’eau envoie le vin vers le haut, comme elle ferait pour de l’huile, de même que pour l’air qu’elle chasse du fond d’une vessie qui en est pleine. Toutefois, cela ne permet pas de conclure à l’existence de deux principes selon lesquels l’eau descend, tandis que l’air, l’huile et le vin montent, car ils se portent en haut sous l’effet du seul poids de l’eau qui cherche à gagner la fiole inférieure et qui, pour cette raison, éloigne de l’aplomb de sa verticale les corps plus ou moins lourds qui s’y trouvent, [Page 130 | LAT | IMG] qu’ils soient solides ou liquides. [11]

    De quelque manière qu’on ait exploré ce phénomène sur des corps élémentés, [12] il ne s’ensuit pourtant pas qu’on doive en appliquer les principes aux corps des êtres vivants (notamment quant aux comportements du chyle et du sang, ou de leurs excréments) : leur séparation ne dépend assurément pas de leurs densités respectives, mais du crible qui les filtre ; et c’est pour cette raison que la providentielle nature a établi des émonctoires en divers endroits du corps, car sinon le sang se comporterait comme quand il est abandonné à sa propre pesanteur dans un récipient après une phlébotomie : [47] étant beaucoup plus lourd que le sérum et que l’eau, il se fixerait dans les parties inférieures, le sérum nageant au-dessus de lui ; et ainsi, quand nous sommes debout, le sang (dis-je) sombrerait dans les pieds, tandis que monterait à la tête le sérum qui s’est exprimé du sang (ce qui ne s’est jamais produit jusqu’ici).

    Voici le raisonnement qui m’a convaincu que le sang est plus dense que l’eau : je me suis longtemps soucié de comprendre pourquoi les corps des animaux morts coulent immédiatement quand on les plonge dans l’eau puis remontent à la surface après quelques jours, et dans cette perplexité, je me suis efforcé de pénétrer ce grand mystère de la nature. [48] Il est nécessaire (me dis-je) que, pendant la durée de son immersion, le cadavre se défasse d’une matière qu’il contient et qui soit plus pesante que l’eau. Étant donné que le sang qui subsiste dans les veines après la mort était la seule partie parfaitement intacte à conserver aussi longtemps une fluidité propice à son écoulement, cela me fit suspecter que le fait soit dû à son échappement ; et comme j’ai de mes yeux vu, chez les plongeurs en eaux profondes qui reviennent presque épuisés au rivage, du sang s’écouler des narines ou d’ailleurs, quand existait une plaie, j’en aurais aisément conclu que les cadavres restent immergés sous l’effet du poids de leur sang, bien plus que de leur eau ou de leur sérum. [13][49]

    [Page 131 | LAT | IMG] Riolan ne nous fera pas croire que ces excréments du chyle qu’il déverse dans le cœur, s’écoulent dans les poumons puisque, selon lui, le sang est chassé du ventricule droit dans le gauche en passant à travers la cloison qui les sépare, [14][50] « afin (dit-il) que s’y forme le nouveau sang artériel », sans que ne pénètre dans les poumons plus de sang qu’il n’est nécessaire à leur nutrition, lequel doit être parfaitement purifié « afin (dit-il page 179) que le cœur et les poumons ne soient pas moins bien nourris que les autres parties du corps ». Pourquoi prétend-il alors que ces excréments du chyle sont poussés à descendre dans le cœur ? Et dans quel but s’exclame-t-il avec indignation, page 181 : « Qui sera homme assez insensé pour croire que le cœur, qui est le trône de l’âme, [51] et l’astre du Soleil, fasse la cuisine de tout le corps dans son cabinet, et que toutes les impuretés de la région alvine s’y transportent ? Si cela était, la vie de l’homme serait bien misérable et sujette à une infinité de maladies et d’incommodités, à raison des ordures du chyle qui y monteraient sans cesse  » ?

    Ô toi qui es ami de la vérité, remarque bien, je te prie, mais avec des yeux pleins de commisération pour ce vieillard, l’irrémédiable obstination de sa contradictoire sagesse ! Après avoir affirmé que le chyle parvient dans le cœur mêlé au sang des veines caves supérieure et inférieure, le voilà qui prétend que si ledit chyle y pénétrait il serait nocif pour le cœur, l’imprégnerait de ses excréments et rendrait misérable la vie de l’homme : en un mot donc, aucun chyle n’entre dans le cœur. Et il dit, page 187 : « Ces deux veines lactées sont ainsi faites et disposées, peut-être afin que le sang qui coule avec trop de violence dans les artères par la circulation se rende plus grossier dans les veines, aux endroits où le tronc de la veine cave se divise, à savoir vers les rameaux axillaires et près des iliaques. » [52] Et plus bas : « Peut-être ce chyle se verse-t-il dans le tronc de la veine cave, près des rameaux axillaires, afin qu’une portion du sang, s’étant épaissie par le mélange de ce chyle, demeure et tarde plus longtemps dans le cœur, pour y servir, comme d’un levain plus chaud et plus acide, à la préparation du nouveau sang artériel. » Il oublie là tout à fait ce qu’il avait dit page 183 : « Pour moi, [Page 132 | LAT | IMG] je crois que ces veines lactées ne sont pas inutiles, et qu’elles servent à reporter le chyle des boyaux au foie ; mais il est impossible qu’elles portent ce chyle au cœur, à raison de la distance du travers de huit doigts qu’il y a du cœur à l’insertion de ces veines lactées dans les rameaux subclaviers. Car si l’intention de la nature eût été d’envoyer le chyle par la veine cave au cœur, pour y en préparer le sang, elle eût bien plus commodément pu insérer ces veines lactées dans la veine cave, près du diaphragme, où elle n’est éloignée du cœur que du travers de deux doigts, ou plutôt de l’épaisseur du diaphragme, afin que le chyle se mêlant avec le sang qui monte, entrât aussi avec lui dans le cœur. »

    Puisse ainsi Riolan batailler contre ses propres idées en se contredisant furieusement lui-même : ainsi, tout en s’y opposant, s’acharne-t-il âprement à rendre le chyle au foie qui n’en veut pas ! Parvenu à la fin de son raisonnement, puisse-t-il apprendre à reconnaître enfin la vérité ! Puisse-t-il donner une consistance identique au sang veineux et au liquide chyleux, puisqu’il pense si obstinément que le chyle épaissit le sang ! Puisse-t-il proclamer la complète vérité de son propos sur le sérum sanguin qui est dérivé du chyle, et sur le sang qui coule dans les artères après être devenu plus séreux que celui des veines, alors que le chyle épaissit le sérum !

    Je passe sous silence les chausse-trapes de ses objections puisqu’il les sème en vérité bien plus contre lui-même que contre moi. Qu’il sorte de ses chicaneries avec une sagesse égale à celle qu’il me reproche, puisqu’en la matière ne m’agrée que ce que j’avais entrepris de prouver ! [53]


1.

De même que les précédentes, cette troisième expérience porte sur un chien (v. infra note [2]) qui a été copieusement nourri quelques heures avant la vivisection. Dans un déluge de sang qui a provoqué sa mort rapide, la partie antérieure du massif ventriculaire a été réséquée, exposant les deux orifices atrioventriculaires : la valve tricuspide fermant l’oreillette droite où arrivent les veines caves, supérieure (où aboutit le chyle) et inférieure ; et la valve mitrale fermant l’oreillette gauche où arrivent les veines pulmonaires, pour former l’ensemble qui portait le nom d’artère veineuse.

2.

V. note [8], Experimenta nova anatomica, chapitre ii, pour cette faute d’anatomie canine, que Jean Pecquet avait commise dans son édition de 1651, mais corrigée en 1654. Tout ce qu’il décrit ici ne peut s’observer que chez un animal entièrement exsangue ; les deux figures des Experimenta nova anatomica illustrent bien son propos.

3.

Pour une comparaison vraiment convaincante, c’est du lait, et non de l’eau, que Jean Pecquet aurait dû mêler au vin. Il aurait aussi pu tirer bien meilleur argument de la lactescence du sérum qui s’observe dans les heures qui suivent un repas (v. le 3e point de la note [34], 4e partie de la première Responsio de Jean ii Riolan), mais ce phénomène n’était alors ni tenu pour normal ni correctement interprété.

4.

V. infra notes [7] et [14] pour la justification de cette parenthèse ironique, qui renvoyait Jean ii Riolan à sa conception de la circulation sanguine, qu’il admettait dans les grands vaisseaux (aorte et veines caves), mais niait dans les viscères mésentériques (contenus dans le péritoine).

5.

V. note [4], Experimenta nova anatomica, chapitre ii.

6.

Ces propos de Jean Pecquet étaient et sont toujours incapables, en dépit de ses deux certum est… [il est certain que…], de convaincre quiconque du fait que la circulation sanguine est parfaitement adaptée à la transformation du chyle en sang par le cœur. Tout était bien plus simple et plausible auparavant, quand on refusait (comme faisait Jean ii Riolan) de substituer le cœur au foie dans la transformation des aliments en substance nourrissante pour l’organisme.

7.

V. supra note [4] pour l’ironie de Jean Pecquet sur le fait que Jean ii Riolan était tout de même forcé de croire en partie à la circulation sanguine.

J’ai modernisé et rendu plus fidèle la traduction (entre guillemets) des quatre extraits que, dans le présent paragraphe Pecquet a empruntés au Discours contre la nouvelle doctrine des veines lactées de Riolan mis en français par Sauvin en 1661 (v. sa note [1]). Les autres citations qui suivent sont aussi extraites de ce Discours.

8.

Dans sa revue de ce qu’on tenait alors pour les émonctoires, ou organes destinés à évacuer les déchets corporels, Jean Pecquet :

9.

À la fin de la préface de sa première Responsio, Jean ii Riolan a dit que Louis Gayan (le chirurgien qui aidait Jean Pecquet à disséquer, v. note [7], Experimenta nova anatomica, chapitre vi) lui avait personnellement montré les voies du chyle.

Le propos imaginaire de Riolan sur l’existence de deux chyles distincts ne figure pas explicitement dans sa première Responsio, mais Jean Pecquet reprenait ce qu’il y a écrit en haut de la page 179 (5e partie, Discours contre la nouvelle doctrine des veines lactées) et en bas de la page 191 (6e partie, Sur la circulation du sang).

10.

« qu’un cordonnier ne sait pas ce qu’il dit quand il monte au-dessus de la chaussure » : proverbe issu d’une anecdote contée par Pline l’Ancien (v. note [39], Responsio ad Pecquetianos, 2e partie), pour dire « à chacun son métier ».

Jean Pecquet, qui jubilait ici d’être à la pointe du savoir en dynamique des fluides, allait fournir des renseignements complémentaires sur le montevin que Jean ii Riolan avait mis en avant pour expliquer les mouvements contraires de deux liquides dans un même conduit : v. note [20] de son Discours sur les veines lactées.

11.

Même traduit avec soin et en s’affranchissant de la syntaxe latine tourmentée de Jean Pecquet, le principe du montevin ne devient compréhensible que si les deux fioles sont disposées comme je l’ai décrit, de mon mieux et en lisant entre les lignes : dans ce cas les deux liquides se déplacent effectivement en sens inverses (descente de l’eau et montée du vin), sans se mélanger, dans un même conduit, à savoir le col fin de la fiole supérieure. Le phénomène s’explique par les pressions et les densités inégales des deux fluides.

12.

Élémenté (elementatus) est un adjectif oublié de la langue philosophique médiévale (Littré DLF) : « Composé d’éléments. “ Saint Bonaventure enseigne que les corps élémentés sont des composés dans lesquels entrent les quatre éléments ” », avec renvoi au Discours sur l’état des lettres au xiiie siècle de Pierre Daunou (Paris, 1860, § xv page 187). Autrement dit, ainsi que le fait comprendre la suite de la phrase, un corps élémenté est un composé inanimé (comme sont l’eau, l’air, le vin ou l’huile).

13.

L’acharnement de Jean Pecquet à interpréter hardiment des phénomènes alors impossibles à comprendre l’égarait dans des associations d’idées fantaisistes. Il invoquait ce qui est devenu le barotraumatisme des plongeurs de fond pour s’imaginer que les morts remontent à la surface parce qu’ils se délesteraient lentement du sang qui leur reste dans le corps. Le savoir lui manquait alors pour concevoir la solution inverse (qui est la bonne), selon laquelle une substance plus légère que l’eau s’accumule dans les cadavres, à savoir les « vents » (gaz) dégagés par leur putréfaction, dont l’origine est microbienne.

La sédimentation du caillot sanguin dans un flacon de verre lui suffisait à montrer que le sang est « plus pesant que l’eau » ; même en ignorant qu’il est composé d’une partie liquide (sérum) et d’une partie solide (cellules), dont l’une est plus légère que l’autre. Le phénomène était alors bien connu, mais encore loin d’être correctement interprété.

14.

V. notule {a}, note [10], première Responsio de Jean ii Riolan Sur la circulation du sang, pour la conception erronée de Galien, enfin décapitée par William Harvey, selon laquelle le sang passait normalement du ventricule gauche dans le droit en traversant la cloison qui les sépare.

a.

Page 122, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
Nova de thoracicis lacteis Dissertatio
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                              experimentum iii

Fisso abdomine ad faciliorem thoracis, quem sine
mora resero, aperturam, absque ulla ligatura pe-
ricardium vulnero, eóque expeditum cor per coni
medium transversâ plagâ diffindo. Ex ventriculis

b.

Page 123, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
Nova de thoracicis lacteis Dissertatio
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sanguinem atque adeo ex venis illuc confluentibus,
absque tamen receptaculi pressurâ, spongiis exhau-
rio, ac tum spectare libet in utrum ventriculorum,
id est utrum ex pulmone per venosam arteriam in
sinistrum, an in dexterum per cavam chylus cordi
succedat. Comprimo manu mesenterij centrum et
statim miror in dextrum cordis ventriculum per ca-
vam chyli candidissimi scaturiginem et ad prementis
manûs receptaculum identidem iteratas vices etiam
chylum iterato impetu video erumpere : tum supra
cor infraque cavam in longum findo, nec ullo adver-
to chylosi liquoris rivulo descendemtem à corde ca-
vam candicare : at vero ascendentem adusque sub-
claviorum, aut (ut Riolano placet quoniam reverà
canibus claviculæ nullæ sunt) axillarium diverticula
hinc et inde candidissimo lacte refertam. Rursus
compresso receptaculo per foramina oculis omnino
manifesta chylus in axillarem venam præcipitat : pa-
tent autem illa prope jugulares externas hinc et inde
nonnunquam, interdum secus, sed in omnibus quæ-
cunque aperui, semper in ramis axillaribus reperta
sunt.

            Ex hoc Experimento concludo.

I. Quandoquidem nullum aliud patet mesenterij,
neque receptaculi chylo nisi per thoracem
iter, rectà chylum in dextrum cordis devolvi ven-
triculum.

II. Eò loci chylum ad ramos devolutum subcla-
vios per ascendentem cavam corruere.

III. Chylum in ascendente cava cum sanguine

c.

Page 124, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
Nova de thoracicis lacteis Dissertatio
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veluti cum aquâ vinum commisceri. Neque hoc ex-
perientiâ destitutum est : si enim plenâ etiamnum ca-
vâ mesenterij centrum seu receptaculum premas, ita
confundi videas cum sanguine chylum, ut vix quid-
quam ille purpurei coloris amittat. Imò cum aperuis-
sem aliquando supra cor cavam, nihilo discolor re-
liquo sanguini cruor effusus est ; et exinde jam in ca-
va conclusi lacteo chylum exui colore : ac quemad-
modum admixta vino mediocri quantitate aqua,
per vini partes ita dispensatur, ut eam veluti natu-
ram vini, ita cum eo confunditur, ut plane sanguinem esse
concluderes : atque ut diffusum per cados vinum sor-
des evomit, fæcesque deponit et tartarum : ita chy-
lus in sanguinem tandem intra cordis cacabum trans-
mutatus per arterias, carnes et venas ad ea devolvi-
tur emunctoria, quæ purgandis ejus excrementis na-
tura constituit, suas sordes per transcolationem (ut
arbitrer) depositurus.

Quod si contingat, ut difficilis fermentationi chy-
lus legitimam à corde coctionem primâ non fuerit
tanseundi licentiâ consecutus, post circulationem
denuo refluit ad cor, ac toties repetendæ officinæ
iterat vices, donec absoluti sanguinis complemen-
tum adipiscatur : Quoties autem id fiat in continuo
confusorum liquorum fluxu, arduum, ne stultum
dicam, concipere : pendent ita {a} scilicet à cordis calo-
re, vigoréque, à chyli materia facili ad sanguifica-
tionem vel ad eandem difficili.

IV. Chylum postquam in ascendentem cavam
influxit, eodem cum sanguine, cui miscetur, motu


  1. Sic pour : ista (Errata).

d.

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.

in dextrum cordis (ut docet circulatio) labi ventri-
culum ; et hinc posse ipsum sibi Riolanum (qui circu-
lationem admittit in majoribus vasis, ac proinde in ca-
va ascendente) respondere, cum pag. 149. quærit
Quomodo ruat in cordis gurgitem chylus ? an moram faciat
in auricula dextra ?
Et quoniam auricula cordis dextra
ante lateris ejusdem ventriculum movetur, dico, pri-
mùm in eam sanguinem, et admixtum propterea chy-
lum influere, successivo deinde incitamenti ejusdem
tenore cursum reflectere in subjecti ventriculi cordis
cavitatem.

V. Veram αιματωσεως officinam esse, Cor, quan-
doquidem illic fermentatione primùm incipit chy-
lus naturam suam exuere : neque enim idonea fuit
tantæ mutationi sanguinis in ascendente cava socie-
tas : ruit scilicet sanguis à cerebro temperamenti fri-
gidi et manibus externo frigori omnium membro-
rum maximè expositis ; adde ipsius chyli, qui etiam-
num incoctus est frigidum pariter auctarium ; et pro-
inde ut in corde perfectum calorem acquirit, ita di-
co in corde chylum in sanguinem commutari.

Etiam id confirmatur autopsia : Receptaculi in-
venti causa fuit (ut experimentis nostris anatomicis
habes) justo plus ex admixta chyli copiâ pallescens,
atque adeò usque ad abscessûs suspicionem, in ascen-
dente cava juxta cor sanguinis {a} repertus. Et quoniam
in diversitate corporum, sicut et ipsarum partium
variis affectionibus, non eodem modo convertuntur,
licet obnoxia sint æqualiter coctioni cum ad chylo-
sin, tum etiam ad hæmatosin alimenta, certum est
illum, qui penè momentaneus est, chyli per cor san-
guinisque transitum, minùs ad hæmatosin perfectam


  1. Sic pour : sanguis (Errata).

e.

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.

effecturum, si semel fiat in debili naturâ, quàm in
vigenti : sanè in debili non acquisierit, {a} quidquid est
ad resarciendos corporis fatiscentis defectus neces-
sarium. Et ob id, puto, mirabilem illam institui di-
vina providentia sanguinis circulationem, ut multi-
plici per officinam transitu quod unico perfici ne-
quiverat, absolvatur. Hinc in aliis coctior sanguis,
atque perfectior ; in aliis non ita : alios robustiori vi-
gore præditos, imbecilliori alios sublanguidos na-
turâ ; cæterùm iisdem utrosque dapibus pastos et eo-
dem compositis modo.

Non tamen diffitebor diversitatem ejusmodi ex
ipsius chyli dispositione variâ procedere. Certum est
coctiorem reperiri chylum purioremque ; candicat
interdum nitidiori albedine spissiorique consistit
sunbtantiæ densitate, sicut liberiori nonnunquam
fluore diffunditur et subalbicanti sero colorem atte-
nuat ; allicit aliquando dulcedine jucundiori, sicut
et versâ vice pungit interdum acriori salsedine, fre-
quentiùs nimirum aut rariùs in corda eodem modo
ad nutritivam perfectionem disposita circulatum est.

Cave tamen putes ejusmodi varietates esse cordi
(dum chylum, qualis est, excipit) ullatenus incom-
modo ; citra tamen id dico veneni mixturam aut cor-
ruptionis, cordi ut plurimum exitiosam : sed sive
plus sanguinis unâ disatole perficiatur, sive minus,
nihil magis alteratur cor, iterato scilicet opificio,
cui unicum sufficere nequiit, perfecturum.

Nec satis hoc loco mirari possum objectionum
Riolanicarum pag. 179. 2. part. opusc. levitatem, crudus
(inquit) indigestusque chylus (id est) ut ipse sensit albus
et nondum ultimum perfectæ sanguinificationis ade


  1. Sic pour : acquisiverit.

f.

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.

ptus complementum) {a} ex variis eduliis conflatus, per
longissimas venas à lumbis ad subclavios ramos venæ cavæ
deductus cordi diditur. Ac proinde cor, erit chyli cacabus ol-
laque coquinaria elaborando sanguini destinata
 ; dum ipse
pag. 187. ut supra relatum est, ita loquitur Forsan (in-
quit) etiam iste chylus trunco venæ cavæ juxta axillares
infunditur, ut sanguinis portio ex permixtione chyli crassior
facta hæreat cordi
. Ergo fatetur chylum crudum indi-
gestumque ex variis eduliis conflatum per longissi-
mas venas, à lumbis ad subclavios ramos venæ cavæ
deductum, mixtim cum sanguine in dextrum cordis
ventriculum fluere. Et siquidem foret verum, quod
experientiæ defectu conatur verbis astruere, chylum
scilicet à Mesenterio in descendentem cavam succe-
dere, ergo fateri debet ejusmodi chylum mixtim
cum eo quem descendens cava includit, sanguine
effluxurum ire absque ullo versus jecur diverticulo in
dexterum cordis ventriculum, et proinde crudum
indigestúmque, etc. Nam quæro à te Riolane mi, an
iste chylus quem pag. 178. {b} censes instar fermenti ca-
lidioris et acidioris inservire ad elaborationem novi sangui-
nis arteriosi
deponat (ut asseris pag. 179. {c} per ventriculum
dextrum in pulmones suas sordes, vel secum deferat in ven-
triculum sinistrum cordis, ubi fit novus sanguis arteriosus, in-
deque in aortam, quæ prima recipiat sordes antequam ad ve-
nas perveniant ?
nam tunc fatebere vel invitus mix-
tim, cum eo chylo ejusque excrementis, iisdem dun-
taxat in emunctoriis expediri posse, sero nimirum
in renibus, pituitâ in cerebro, bile aut amaritudine
in jecore, lymphâ in pancreate, fæcibus seu melan-
cholico in liene excremento.

Absit enim ut credam chylum illum quem fatetur


  1. Sic : fermeture prématurée des parenthèses de ce passage.

  2. Sic pour : 187.

  3. Sic : fermeture de parenthèse manquante.

g.

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.

Riolanus in cavam influere sive ascendentem, sicut
ipse suismet oculis sensit demonstrante Gayano chirurgo
et anatomico perito
, sive descendentem quod propriâ
conjecturandi authoritate persuadet sibi, esse minùs
fœcutinum eo, quem ad jecur per canales à se crea-
tos derivat : necdum est eo usque ratiocinio destitu-
tus, ut, in quibus eundem senserit colorem, odorem,
saporem et consistentiam chylis, in alterutro arguat
(in veritatis dispendium, ut mecum solummodò non
consentire videatur) sordidam fœcum mixtionem.

Absit etiam à mea mente insania, qua chylum pu-
tem, qui subclavios ramos subit, in cavam excre-
menta sua, priusquam in cor succedat deponere ; per-
misceret illa scilicet contento in eadem sanguini et
proinde sibimet cum eodem sanguine commixto
confunderet, atque deposita resumeret, et ut veriùs
loquar, et sanè sapientiùs, quæ non forent deposita,
deposita persisterent. Id ipsum profectò contingeret,
si de mesenterio in cavam descendentem chylus de-
flueret. Futile est enim quod passim innuit Riolanus
per emulgentium venarum alveos in renes eiusmodi
chylum superfluum, aut etiam inquinatum quod ha-
bet serum deponere, immemor (ut puto) veritatis,
quâ fatetur ipsemet constitutos eiusmodi venarum
emulgentium ductus, ut colatum in renibus, quem
eò emulgentes arteriæ propellunt, sanguinem iidem {a}
cavæ refundant. Faciles forsitan alicubi observavit
duorum liquorum eodem canali contrario impetu
motus. Adde, si quidquid admixtum est contento in
cava sanguini eundem ad cor sequi debeat, etiam
æquum esse chyli pariter elementa ad cor cum cæte-
ris, quæ venæ continent, proruere.


  1. Sic pour : eidem.

h.

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.

Neque adduci poterit, ut credat quem chylum in
descendentem cavam putat ingredi, suam in jecur
bilem deponere. Vnicum est cum hepate cavæ com-
mercium, ejusdem scilicet ramus gibbam jecinoris
subiens partem, et ob id aut sanguinis motus (quem
et ipsemet ab hepate per hunc ramum Riolanus dedu-
cit) bilis separationi ex adverso contraïret, aut secun-
dum veterem et erroneam attractionis, quæ reverà
nulla est, suspicionem duorum cogeremur in eodem
vasculo contrarios fluidorum impetus admittere.

Nec mihi instrumenti, quo per aquam vinum trans-
cendit, vulgo un Montevin debet exemplum pag. 186.
ciere, ne sapiat ultra crepidam sutor. Temeritatis est
in ignoratam doctrinam præceps judicium effundere.
Periculosum imperito machinas et mechanica tra-
ctare negotia. Ita quia non usquequaque delirat Rio-
lanus
, nihil scommatis in meam de attractio-
ne
sententiam ne in obscuro quidem sagittavit, aut
machinatus est. Instrumentum illud cuilibet ad ma-
num est. Habeantur duæ phialæ vitreæ, quarum una
angustiori collo impleatur aquâ, et in alteram vino
plenam, et cujus collum sit paulo latius, inseratur,
sicut, quæ vinea est aqueam sustentet ad perpendi-
culum ; videbis intra superiorem phialam vinum trans
aquam in fumi erumpentis modum sursum festinare,
donec tandem cum aquâ corruente sedem mutaverit.
Eo Instrumento sursum aqua vinum propellit ut
oleum, ut aëre turgidam è fundo vesiculam, nec inde
tamen, necessariò gemina dari, aquæ quidem deor-
sum, sursum verò aëri, oleo, vino principia conclu-
dendum. Hæc scilicet in sublime feruntur solo aquæ
pondere centrum petentis, et ob id extra se per suæ
molis perpendiculum quælibet gravia seu minùs seu

i.

Page 130, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
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.

solida sint seu fluida exterminantis.

Sed utcunque sit illud in elementatis exploratum,
non perinde tamen in animantium corporibus (quod
quidem ad chyli sanguinísque aut excrementorum
spectat negotia) concludendum. Eorum certè sepa-
ratio neque levitate procuratur, neque pondere : fit
illa nimirum colationis incerniculo, et eam ob rem
constituta sunt providentiâ naturæ variis in locis
emunctoria ; alioquin ut suo relictus ponderi in vas-
culo post phlebotomiam sanguis, sicut est sero multò
et aquâ gravior in inferioribus ipso supernante sero
fidit partibus, ita sanguis (inquam) dum stamus ad
pedes sideret, ad caput verò scanderet (quod hacte-
nus nusquam effectum est) expressum à sanguine se-
rum.

Quod sanguis ipsâ sit aquâ ponderiosor hoc mihi
persuasi ratiocinio. Anxiâ diu curâ causam inquisivi,
cur immersa demortuorum animalium corpora sta-
tim in fundum proruant, illicque aliquanto dierum
abscondita spatio postea demum revelata superna-
tent : hac ego conjecturâ conatus sum penetrare tan-
tum naturæ mysterium. Necesse est (inquam) tot
diebus submersum cadaver aliquid subsantiæ, cujus
sit in ipso gravitas aquâ ponderiosor amittere. At
cum reliquis integerrimum persisteret solius sangui-
nis ad effusionem idonea fluiditas, quam quidem in
demortuorum venis etiamnum retinet, jacturæ sus-
picionem induxit. Et vero quotquot ferè undis ex-
haustos ex fundo urinatores ad littus me præsente
exposuerunt narium emissario vidi aut aliàs, si quà
vulneris hiatus, sanguinem profundere. Sicut facilè
concluserim sanguinei ponderis præ aqueo vel seroso
gravitate sub undis cadaverum corpora retineri.

j.

Page 131, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
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.

Nec verosimilius isthæc chyli, quod in cor Riola-
nus
refundit excrementa pulmonibus influere ; quan-
doquidem per septum ipse medium sanguinem è dex-
tro cordis in sinistrum trudit ventriculo, ut fiat (in-
quit) novus sanguis arteriosus, nec in pumones sangui-
nis ingredi sinit ultra necessariam eorum nutritioni
copiam, atque adeò defæcatissimam, ne cor (inquit
pag. 179.) et pulmones deteriùs nutriantur, quàm reliquæ
partes corporis
. Quoniam igitur ea chyli, quem in cor
asserit descendere provolventur excrementa ? vel
quorsum tam indignabundus 181. pag. Quis (excla-
mat) sanæ mentis credat cordis viscus, solium animæ, solis
astrum, in suo conclavi culinam corporis exercere, et omnes
impuritates alvinæ regionis eo transferri ? Si hoc ita fieret,
miserabilis et ærumnosa foret hominis vita, multis incom-
modis obnoxia ex sordibus chyli supernè remeantibus
.

Adverte, sodes ô veritatis amator, sed oculis ve-
tulum miserantibus immedicabilem contradictoriæ
sapientiæ constantiam. Quem chylum in cor fatetur
eumque cum ascendentis et descendentis cavæ san-
guine permixtum succedere, asserit eundem, si eò
succederet, noxium cordi futurum, et excrementis
infecturum et miserabilem inde fore hominis vitam,
uno verbo nullum in cor chylum succedere. Et pag.
187. Sunt igitur istæ venæ duæ lacteæ ita conditæ et dispo-
sitæ, forsan ut sanguini violenter fluenti intra arterias per
circulationem, in venis crassities addatur, circa diremptus
trunci cavæ versus axillares ramos et juxta iliacos
. Et in-
fra Forsan etiam iste chylus trunco venæ cavæ juxta axil-
lares infunditur, ut sanguinis portio ex permistione chyli cras-
sior facta hæreat cordi, et instar fermenti calidioris et aci-
dioris, inserviat ad elaborationem novi sanguinis arteriosi
.
Immemor sanè eorum, quæ dixerat pag. 183. Ego

k.

Page 132, Ioan. Pecqueti Diepæi Doct. Med. Monspeliensis
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.

(inquit) non inutiles esse credo venas lacteas, sed ad reve-
hendum chylum ab intestinis ad hepâr conditas fuisse ; Ad cor
verò chylum deferre impossibile propter distantiam corsis octo
digitorum intervallo ab insertione venarum in ramos subcla-
vios. Nam si naturæ fuisset intentio ad cor per venam cavam
tuum transmittere chylum ad sanguinis confectionem, potuis-
set juxta diaphragma duorum digitorum distantiâ vel potius
diaphragmatis intervallo, à dextro ventriculo cordis venas
lacteas inserere in cavam, ut cum ascendente sanguine chy-
lus permixtus cor ipsum adiret ac penetraret
.

Pugnet utinam Riolanus adversùm se, sibimet tam
immaniter repugnantem, siquidem tam acriter pu-
gnat, ut repugnanti jecori repugnans ipse chylus re-
stituatur ; compositóque ratioconio discat tandem
veritati concedere. Conferat venosi sanguinis cum
chyloso liquore consistentiam, siquidem tam perti-
naciter spissari à chylo sanguinem putat : ac si verum
sit totum, quod habet, à chylo serum sanguinem mu-
tuari, unde fiat venoso serosior, quem fundunt arte-
riæ sanguis, si spisset sanguinem chylus, pronunciet.

Taceo cæterarum adversus me sanè minùs quàm
ipsum semet objectionum tribulos : expediat sese ea-
rum tricis eâdem, quâ me impetit sapientiâ ; quan-
doquidem in negotio mihi congruit, quod demon-
strandum susceperam.


Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean Pecquet, Nova de thoracicis lacteis Dissertatio (1654) : Expérience iii

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(Consulté le 09/12/2025)

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