Texte
Thomas Bartholin
Historia anatomica
sur les lactifères thoraciques (1652)
chapitre iv  >

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Description abrégée des lactifères d’Aselli[1]

Nous avions jusqu’ici suivi les vaines conjectures des autres, qui avaient gâté le travail parce qu’ils avaient examiné la nature en s’aidant de leur raisonnement et non de leurs sens. Nous serions encore embourbés dans cette fange si la bonne fortune de Gaspare Aselli[2] anatomiste de Pavie, ne nous avait révélé l’existence d’un quatrième genre de vaisseaux dans le mésentère, qu’il a appelés veines lactées [3] en raison de leur splendide couleur, et auxquels la nature a confié la charge pleine et entière de distribuer le chyle. Le premier coup d’œil révèle qu’une multitude de telles veines emplies de chyle sont à l’évidence et naturellement dispersées dans tout le mésentère des animaux vivants qu’on dissèque après les avoir nourris, [4] ainsi que dans celui des humains [Page  11 | LAT | IMG] comme nous-mêmes l’avons démontré à maintes reprises, ainsi qu’ont fait d’autres tels que Tulp[5] Vesling[6] Folli[7] Gassendi [8] ou Highmore[9][1] et ce serait faire offense à la bonne foi de nier un fait aussi manifeste. Les lactifères se déploient sur toute la longueur de l’intestin et aussi sur le cæcum, [10] mais sont plus nombreux sur le grêle, et tout particulièrement sur le jéjunum ; [11] telles des vrilles de vigne, ils rejoignent la glande centrale du mésentère, [12] d’où une partie rejoindrait directement la veine porte au moyen de diverses insertions, une autre les veines émulgentes[13] et une autre la veine cave, selon ce qu’ont observé, après Aselli, de Wale [14] et tous les diligents opérateurs. [2] Il n’est donc plus permis de douter que le chyle emprunte cette voie, que chacun verra plus sûrement encore en y posant des ligatures chez les animaux vivants. Le liquide qu’ils contiennent distingue ces vaisseaux des veines mésaraïques[15] qu’il subsiste après la mort ou qu’il disparaisse une fois sa distribution achevée, en ne laissant que la forme de leurs tuniques fibreuses. Ce ne sont pas non plus des artères, car leur paroi est composée d’une simple couche, ils ne battent pas et contiennent un suc blanc. Leur cavité et la multitude de leurs ramifications empêchent de les confondre avec des nerfs. Enfin, il ne s’agit ni de graisse [16] ni de réservoirs contenant une matière adipeuse : Gassendi a caressé ce doute, mais il n’a pas lieu d’être puisque la froideur cadavérique les solidifierait plutôt qu’elle ne les ferait disparaître ; Hippocrate [17] et Folli pensent que le chyle a une consistance très proche de celle de la graisse, mais nous ne partageons pas cet avis, pour les raisons que nous avons exposées dans notre Anatomia reformata [18] et que, contrairement à son habitude, Riolan a aimablement louées. [3]


1.

V. notes :

2.

Je n’ai pas corrigé la description de Thomas Bartholin qui peut à tort laisser entendre que des lactifères proviennent du côlon, en aval du cæcum.

V. note [6], Experimenta nova anatomica, chapitre i, pour les deux lettres que Jan de Wale lui a écrites sur le mouvement du chyle. Sans blâmer ouvertement Gaspare Aselli pour son erreur, les deux anatomistes convenaient que ce qu’il avait appelé « pancréas » était le réservoir mésentérique du chyle.

3.

Dans l’« Anatomie réformée » des Bartholin père et fils, {a} la Lactearum venarum Historia [Description des veines lactées] occupe les pages 418‑425 (avec deux figures) du chapitre iii, Libellus i de Venis. Thomas Bartholin renvoyait au cinquième et dernier paragraphe de la discussion finale, qui porte sur leurs fonctions (page 424) :

Gassendus eruditus, per lacteas venas contentum candidum succum deferri per universum corpus arbitratur ad adipis generationem : Verum autem chylum proximè per porum biliarum ex ventriculo deduci ad hepar. Sed neutrum concedi potest. Non prius, ob rationes suprà lib. i adductas contra Folium de pinguenidis materia, quas approbat laudatque Riolanus. Nec postremum, quia inficeretur chylus occursu amari humoris, quanquam casu necessitatis obstructo jejuno id fieri posse concedat Vir laudatus.

[Le savant Gassendi estime que les veines lactées délivrent leur suc blanc dans tout le corps pour engendrer la graisse, mais aussi que le chyle, aussitôt sorti de l’estomac, gagne le foie en passant par le pore biliaire. {b} Aucune de ces deux propositions n’est admissible : ni la première, pour les raisons que j’ai opposées à Folli dans le livre i, sur la substance de la graisse, {c} et que Riolan loue et approuve ; {d} ni la seconde, parce que le contact d’une humeur amère corromprait le chyle, bien que cela puisse survenir accidentellement lors d’une obstruction du jéjunum, comme l’admet cet auteur respecté]. {e}


  1. Leyde, 1651, V. note [5], lettre d’Adrien Auzout à Jean Pecquet.

  2. Dans son Excerptum Prius, de Nutritione Animalium, in quo inter cætera disseritur de Venis Lacteis [Premier recueil sur la Nutrition des animaux, où il est, entre autres sujets, question des Veines lactées] (Lyon, 1649), Pierre Gassendi a supposé que le chyle monte dans le foie par les canaux biliaires (en proposant d’appeler chylodoque le cholédoque). {i} Il a parlé de la graisse dans le même essai, page lx :

    Visæ sunt Imprimis huiusmodi venæ cum liquore illo suo albo reputari posse nihil esse aliud, quàm materies adipis, quo mesenterium infercitur. Videlicet potest argumento esse, quod ille testatur, statim ac animal exspirat, hasce venas obliterari, sicque suo cum succo euanescere, vt vix illum sui vestigium relinquant. Quippe hoc adipis est proprium, vt vigente calore rarescens, liquiescens, ac fluens, excedente calore concrescat, coaguletur, sistaturque. Quam enim quæso, aliam ob caussam hic fluor tam citò coagularetur, cùm præsertim neque chylosus, qui in stomacho, aut intestinis ; neque sanguineus, qui in venis ; neque lacteus, qui in mammis ; neque omnino alius sit adeò subitaneæ coagulationi obnoxius ?

    [On peut penser que le liquide blanc contenu dans ces veines semble n’être rien d’autre que la matière de la graisse dont le mésentère est farci. Une preuve possible en est que ces veines s’oblitèrent aussitôt l’animal mort et leur suc disparaît sans presque laisser aucune trace, car le propre de cette graisse est de se dissiper en se liquéfiant et s’écoulant sous l’effet d’une forte chaleur, mais de se solidifier, agglomérer et figer sous l’effet d’un refroidissement. Pour quelle autre raison ce liquide se coagulerait-il si vite, alors que ni le chyle qui est dans l’estomac et dans les intestins, ni le sang qui est dans les veines, ni le lait qui est dans les mamelles, ni le liquide qui est n’importe où ailleurs n’est sujet à ce phénomène ?] {ii}

    1. V. note [1], Historia anatomica, chapitre iii.

    2. Suivent les constats de Gassendi et Peiresc à l’autopsie d’un condamné bien nourri avant sa pendaison, à Aix-en-Provence en 1634, (publiés à Paris, 1641) : v. note [4], Experimenta nova anatomica, chapitre vi.

      La supposition de Gassendi n’est qu’une douteuse vue de l’esprit, mais avec le surprenant flair d’établir un lien entre le chyle et l’absorption des graisses.

  3. Les observations de Cecilio Folli sur la graisse et le chyle sont référencées dans la note [1] supra ; Bartholin l’a brièvement critiqué dans le chapitre iii, De Pinguenide, livre i de son Anatomia reformata, page 22 (le passage entre crochets marque son addition au texte de son père) :

    Forma pinguenidis, quamdiu in vasis est, non est concreta ; sed liquida, et fusa ob calorem, qui adhuc in vasis continetur. [Per urinam liquida excreta fuit ; observante Helmontio, et sanæ mulieri per alvum, Hildano. Folius liquidam credit esse propter homgeneitatem, concrescere extra ob fibrarum heterogeneitatem. Sed fibrarum, aut in corpore, aut extra, dissimilitudinem, nemo facile advertat.

    [Quant à sa forme, la graisse, aussi longtemps qu’elle est dans les vaisseaux, n’est pas solide, mais liquide et fondue, en raison de la chaleur qui est encore contenue dans les vaisseaux. (Van Helmont a observé son élimination sous forme liquide par l’urine, et Fabrice de Hilden, dans les fèces. Folli croit qu’elle est liquide en raison de l’homogénéité de ses fibres, mais qu’elle se solidifie à l’extérieur en raison de leur hétérogénéité ; mais personne ne constate aisément la différence des dites fibres entre l’intérieur et l’extérieur du corps)].

    V. note [33], lettre de Thomas Bartholin à Johann Daniel Horst (1655), pour son rejet des idées de Folli, dont la suite de l’histoire a prouvé la singulière pertinence.

  4. Riolan a critiqué la précédente édition de l’Anatomie des Bartholin (Leyde, 1645) dans ses Animadversiones in Caspari Bartholini Institutiones anatomicas [Animadversions sur les Institutions anatomiques de Caspar Bartholin], parues dans ses Opuscula anatomica nova (avec la dernière édition de l’Anthropographia, Paris, 1649). Le seul propos vaguement aimable que j’ai trouvé dans cet opuscule de 30 pages est à la page 766, paragraphe De Intestinis :

    Bartholinus pater et filius ita accuratè describunt vasa duodeni intestini, ac si intuiti sessent.

    [Les Bartholin père et fils présentent au lecteur les vaisseaux du duodénum avec autant d’exactitude que s’il les avait sous les yeux].

    Riolan a donné un avis sur Folli dans ses Opuscula nova anatomica (Paris, 1653), {i} à la page 3 des Animadversiones secundæ, ad Anatomiam Reformatam Thomæ Bartholini [Secondes animadversions sur l’Anatomie réformée de Thomas Bartholin] :

    Materiam pinguenidis Lacteum esse succum, seu chyli pinguiorem partem, scripsit Cæcilius Folius, ex eoque ossa nutriri. Inter obiectiones satis imbecillas hanc adfert, nullum esse ductum à Mesenterio ad extrema : at repertis Tubulis Pecquetianis, ductus sunt manifesti, tam supernè, quàm infernè, ad ossium nutritionem, si admittatur distributio chyli ex corde, per arterias.

    [Cecilio Folli a écrit que la matière de la graisse est un suc lacté, ou la partie la plus épaisse du chyle, dont les os se nourrissent. Entre autres objections assez faibles, il {ii} lui oppose celle-ci : aucun conduit ne relie le mésentère aux extrémités ; mais il en existe manifestement depuis la découverte des canaux pecquétiens, et ce tant vers les membres supérieurs qu’inférieurs, et ils sont capables de nourrir les os si on admet la distribution du chyle à partir du cœur par les artères]. {iii}

    1. V. note [2], Nova Dissertatio, épître dédicatoire.

    2. Bartholin.

    3. Riolan apportait de l’eau au moulin de Folli en imaginant une source « pecquétienne » de la graisse médullaire osseuse.
  5. Bartholin me semble conclure en parlant de Gassendi (et non de Riolan), mais je n’ai pas trouvé où il a ainsi parlé de l’obstruction jéjunale.

Hippocrate a parlé de la graisse dans le § 22, Leucophlegmasie transformée en hydropisie du traité des Maladies (Littré Hip, volume 7, pages 221‑223) :

« Le phlegme se transforme d’ordinaire en hydropisie de cette façon : la graisse se fond et, par la chaleur qui est dans le phlegme, devient de l’eau. {a} Voici à quoi on distinguera le cas curable du cas incurable : tant qu’il reste de la graisse au bas-ventre, le malade peut être guéri. »


  1. Le chyle est une forme de flegme (ou pituite), mais il faut beaucoup d’imagination pour faire dire à ce texte que la fusion du chyle provoque l’ascite de l’hydropisie.

Toutes ces spéculations sur la graisse paraissent aujourd’hui aussi confuses que fantaisistes, mais doivent retenir l’attention étant donné le rôle capital que le métabolisme des lipides et l’élaboration du tissu adipeux ont conféré au chyle.

a.

Page 10, thomæ bartholini de lacteis thoracicis historia anatomica.

CAP. IV.

Compendiosa Lactearum Asellij Historia.

Hactenus per inanes aliorum conjecturas ivimus,
qvi revera operam luserunt, qvod seposito sensu
naturam ad rationis normam examinarint. In qvo
luto adhuc hæreremus, nisi qvartum in mesentero vaso-
rum genus Casp. Asellij Anatomici Tricinensis felicitas A
1622. nobis isset, qvod venas lacteas à coloris splen-
dore nominavit, qvibus universum hoc distributionis chyli
negocium natura demandavit. Docet profectò ocularis in-
spectio, venas sui generis qvamplurimas per mesenterium
sparsas lacteo chylo turgere in vivorum animalium juxta
et strangulatorum post pastum sectione, ipsisqve homini-

b.

Page 11, thomæ bartholini de lacteis thoracicis historia anatomica.

bus, qvod cum Tulpio, Veslingio, Folio, Gassendo, High-
moro
, nos Hafniæ non semel demonstravimus. Religio
sit tam manifestæ experientiæ fidem denegare. Progres-
sus Lactearum ab omnibus intestinis, etiam cœco, fre-
qvuentius tamen à tenuibus et copiosissimæ ad jejunum, {a}
unde ad glandulam mesenterij mediam perductæ instar
capreolorum vitium implicantur, indeqve partim ad he-
par cum porta variis insertionibus abeunt recta, partim
ad Emulgentes, partim ad cavam, qvemadmodum post
Asellium Walæus, et omnes oculati observarunt, ut chy-
lum hac semita incedere dubitare amplius non liceat,
qvod adhibita qvoqve ligaturâ in vivis certius depræhen-
des. Distincta autem esse à mesaraicis venis vasa, humor
contentus indicat, qvi vel constans manet post mortem,
vel distributione finita disparet, relictâ tantum fibrilla-
rum specie. Nec arterias esse, simplex tunica permittit,
qvies et candidus succus. Neqve cum nervis esse confun-
denda, cavitas probat et ramorum multitudo. Tandem
neqve adipem esse aut adiposæ materiæ receptacula, qvod
dubium Gassendus movit, vel hinc patet, qvod acceden-
te cadaveris frigiditate densarentur potius, qvam dispa-
rerent. Chylum autem proximam pinguedinis materi-
am esse, Hippocrati Folioqve adhuc non concedimus, ob
rationes in Anatome Reformata à nobis allatas, lauda-
tasqve à Riolano, præter morem hic nobis amico.


  1. Sic pour : à jejuno (errata).


Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Thomas Bartholin, Historia anatomica sur les lactifères thoraciques (1652), chapitre iv

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(Consulté le 09/12/2025)

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