La section intitulée Guilielmi Harveii Epistolæ quædam, ex adversariis Georgii Ent, Equitis aurati, et Collegii Medicorum Londinensis aliquando præsidis, exscriptæ [Copies de quelques lettres de William Harvey, tirées des papiers de George Ent, chevalier de l’éperon d’or et jadis président du Collège des médecins de Londres] [1][1][2][3] (pages 611‑636) des Opera omnia de William Harvey [2] contient une sélection de neuf lettres latines écrites à divers médecins. [3] Trois d’entre elles permettent de comprendre, à sa source, le point de vue de Harvey sur les travaux de Jean Pecquet. [4]
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Réponse à Robert Morison, docteur en médecine à Paris (avril 1652). [5][4]
Très distingué Monsieur,
Votre très aimable lettre est restée jusqu’ici sans réponse de ma part, car je n’ai eu en mains le petit livre de M. Pecquet (dont vous attendiez mon jugement) qu’à la fin du mois dernier. Il traînait, je crois, entre celles d’une personne qui, soit par négligence à remplir son devoir, soit par empressement à lire les nouveautés, a longtemps retardé mon souhait d’en jouir. Pour que vous entendiez donc exactement ce que j’en pense, sachez que je loue très hautement cet auteur pour sa diligence à disséquer, [5] sa dextérité à accomplir des expériences nouvelles et son ingéniosité à interpréter leurs résultats. La tortueuse voie qu’il décrit nous donne accès aux secrets replis de la vérité et, en faisant appel au suffrage de nos perceptions sensorielles, nous fait voir les ouvrages de Dieu, leur guide et maître. Le brillant [Page 621 | LAT | IMG] parcours qu’il décrit, parce qu’il n’éblouit que par l’éclat de ses raisonnements, le mène souvent à s’égarer : il n’en montre qu’une conjecture probable mais extrêmement fallacieuse. [6]
En revanche, je me félicite que, par ses convaincantes expériences et ses clairs raisonnements, il ait confirmé mon jugement sur la circulation du sang. Je voudrais seulement qu’il eût reconnu que le cœur jouit d’un triple mouvement : la systole, où il se contracte et chasse le sang qu’il contient, est suivie de la relaxation, action inverse où les fibres du cœur destinées à le mouvoir se relâchent, [7] et ces deux temps intéressent la substance même du cœur, comme font tous les autres muscles ; puis survient enfin la diastole, où le cœur se dilate sous l’impulsion du sang venant des oreillettes dans les ventricules ; les ventricules ainsi remplis et distendus incitent le cœur à se contracter, et la systole suit immédiatement ce mouvement, qui la précède constamment. [6][8]
Pour en venir aux veines lactées qu’Aselli [9] a découvertes, et que Pecquet a depuis pourvues d’un réceptacle et de petits canaux [10][11] qui joignent cette citerne ou réservoir aux veines subclavières, [12] j’en dirai librement mon avis : voilà bien longtemps, et même (oserai-je dire) avant qu’Aselli ait publié son opuscule, [13] nous avons observé ces petits canaux blancs et une abondance de lait [14] en disséquant plusieurs parties du corps, et ce surtout dans les glandes de jeunes animaux (comme dans le mésentère où il y en a grande quantité) ; et nous avons pensé que de là venait le goût si agréable du thymus de veau et d’agneau, qu’on appelle en anglais (comme vous savez) the sweet bread. [7][15] Maintes raisons et diverses expériences ne m’ont pas convaincu que ce suc lactescent était du chyle qui, parti des intestins, [16] se répandrait dans toutes les parties du corps pour les nourrir. Je pensai bien plutôt que cela survenait parfois, comme fortuitement, et que c’était l’effet d’une très riche alimentation et d’une digestion de bonne qualité, selon la même loi de la nature qui [Page 622 | LAT | IMG] donne naissance à la graisse, [17] à la moelle osseuse, [18] à la semence, [19] à la pilosité abondante, etc. ; ou de la même façon que la saine résolution des ulcères et des plaies engendre du pus, qu’on tient pour d’autant plus louable qu’il approche de la consistance du lait (c’est-à-dire qu’il est blanc, délié et homogène), d’où certains Anciens ont estimé que le pus était de même essence que le lait. [8][20] Sans mettre en doute l’existence de ces vaisseaux, je ne puis partager l’avis d’Aselli sur le fait qu’ils sont chylifères, et ce pour des motifs qu’il me faut maintenant expliquer car ils m’ont conduit à une conclusion opposée. Il semble en effet que le suc contenu dans les veines lactées soit purement et simplement du lait, tel qu’on en trouve dans les veines lactées des mamelles. [21] Il me paraît peu vraisemblable (tout comme à Auzout, dans la lettre qu’il a écrite à Pecquet) que le lait soit du chyle et que le corps entier s’en nourrisse. [9][22] Les arguments qu’on oppose à cela, en vue de prouver qu’il s’agit bien de chyle, ne sont pas suffisamment forts pour m’en persuader. Je désirerais donc qu’un raisonnement solide et de claires expériences démontrent un jour qu’après être passé des intestins dans le thorax, le chyle fournit sa nourriture à tout le corps. Tant que ces preuves feront défaut, c’est en vain que nous poursuivrons les recherches et spéculerons sur la nature de ces vaisseaux. Comment serviraient-ils à transporter la totalité du chyle et l’aliment du corps entier si leur apparence n’est pas identique chez tous les animaux ? Chez les uns ils se rendent dans le foie [23] et chez d’autres, dans la seule veine porte, [24] quand chez certains ils ne gagnent aucune de ces deux destinations. Chez les uns, on voit quantité de lactifères dans le pancréas, [25] et chez d’autres, dans le thymus, quand chez certains vous n’en verrez dans aucun de ces deux organes. Chez maints animaux, on ne trouve absolument aucun chylifère (voyez Liceti, épître xiii, titre 2, page 83, et la Pratique de Sennert, livre v, titre 2, 3e partie, chapitre i), [26][27] et ils ne s’observent en permanence chez aucun d’entre eux. [10] De tels vaisseaux nourriciers devraient pourtant être obligatoirement présents chez tous les animaux et à tout moment, parce que le dommage entraîné par la dissipation incessante des esprits et des parties [Page 623 | LAT | IMG] du corps n’est évitable que par un apport continu de nourriture. S’ajoute à cela que leur maigre capacité ne semble pas suffisante à assurer cette fonction, ni que leur structure y soit idéalement adaptée : il faudrait en effet que leurs plus minces rameaux se terminent dans de plus larges, lesquels convergent en un très gros collecteur dont le volume corresponde à celui de tous les autres canaux, comme on le voit dans les branches de la veine porte, de la même manière que le tronc d’un arbre correspond exactement à la capacité de ses racines. Si des conduits transportent un quelconque liquide, il est nécessaire que ceux qui l’évacuent aient une taille égale : il faudrait donc à l’évidence que les chylifères (que Pecquet situe dans le thorax) soient au moins de même calibre que les deux uretères, [11][28] car sinon, ceux qui boivent une conge d’eaux minérales, [29] voire plus, ne pourraient les faire passer dans la vessie avec une telle rapidité ; et puisque les composants de l’urine empruntent copieusement cette voie, je ne vois pas du tout comment ces veines peuvent conserver leur couleur laiteuse, ni comment l’urine peut n’en être absolument pas teintée. [12] J’ajoute que le chyle n’a les mêmes consistance et couleur que le lait ni chez tous les animaux ni à toutes les heures de la journée ; et que donc ces vaisseaux, s’ils le transportent, ne peuvent en permanence (bien qu’ils le fassent temporairement) contenir un liquide blanchâtre ; ils devraient prendre par moment une teinte jaune, verte ou autre (comme l’urine se colore diversement après qu’on a mangé de la rhubarbe, des asperges, des figues d’Inde ou d’autres mets) [30][31][32] et n’être plus du tout colorés quand ils sont remplis d’eaux minérales transparentes. [13] En outre, si cette matière blanchâtre tirée des intestins était passée dans ces canaux ou y avait été attirée, ce liquide aurait certainement dû se répandre partout dans lesdits intestins ou dans leurs parois spongieuses ; il ne semble pas vraisemblable en effet qu’une quelconque humeur, par simple et soudaine filtration, change de nature et se convertisse en lait. Bien au contraire, si le chyle traversait simplement la paroi des intestins, il devrait sûrement conserver [Page 624 | LAT | IMG] quelque trace de son ancienne nature, et présenter la couleur et l’odeur du liquide qu’on trouve dans les intestins, et donc sentir la pourriture. Tout ce qui y est contenu, de leur origine à leur extrémité, est teinté par la bile et exhale un parfum méphitique. [14][33][34] Certains pensent donc que le corps se nourrit de chyle sublimé en vapeur, parce que souvent les vapeurs que l’alambic extrait des matières fétides ne sentent pas mauvais.
M. Pecquet attribue à la respiration la cause de ce mouvement lacté. [35] Pour ma part, bien que maintes raisons me persuadent du contraire, je ne dirai rien à ce sujet tant qu’on n’aura pas clairement établi le pourquoi de ce mouvement. Si je lui concède (ce qu’il postule comme allant de soi, sans s’être fondé sur aucun argumentaire convaincant) que le chyle suit continuellement ce cheminement, pour qu’il soit conduit des intestins aux veines subclavières, Pecquet doit absolument dire qu’avant d’atteindre le cœur, où il a récemment découvert que ses vaisseaux achèvent leur course, le chyle se mêle au sang qui pénétrera aussitôt dans le ventricule droit, en vue de subir une plus riche digestion. Chacun lui demandera pourtant à juste titre pourquoi le chyle ne passe pas dans la veine porte, puis dans le foie et la veine cave, comme l’ont, dit-on, observé Aselli et d’autres. Pourquoi même ne croirions-nous pas pareillement que le chyle entre dans les origines des veines mésaraïques et s’y mêle aussitôt au sang pour acquérir ainsi sa chaleur et perfection, en vue de nourrir toutes les parties du corps ? Le cœur en vient alors à être tenu pour le plus éminent des organes, et pour la source de la chaleur et de la vie, [36] pour la seule et unique raison qu’il contient une énorme quantité de sang, lequel, comme dit Aristote, ne se trouve pas dans des veines, comme il fait dans les autres parties du corps, mais dans de vastes cavités, semblables à une citerne. [15][37] Contre cet état des choses, je tire argument du fait que tant d’artères et de veines irriguent les intestins, [38] en plus grand nombre que toute autre partie du corps, et ce de la même manière que les vaisseaux se développent dans l’utérus pendant le temps de la grossesse. [16][39] La Nature, en effet n’agit jamais à la légère : tous les animaux [Page 625 | LAT | IMG] pourvus de sang ont besoin de se nourrir et possèdent à cette fin des veines mésaraïques ainsi que des veines lactées, mais ces dernières sont en bien moindre nombre et n’ont qu’une existence temporaire. S’il faut porter un jugement sur l’utilité des parties, dans la mesure où nous ne les voyons ni chez tous les animaux ni tout le temps, ces filaments blancs, très semblables à une toile d’araignée, n’ont sans aucun doute pas été établis pour distribuer la nourriture : le liquide qui s’y trouve ne doit donc pas être appelé chyle, et la susdite fonction doit bien plutôt être attribuée aux veines mésaraïques. [17] Ce que nous montre l’animal est ce qui lui est nécessaire pour croître et, par conséquent, ce dont il se nourrit, car la croissance est indissociable de l’aliment. L’âme grandit donc ainsi naturellement, dans la mesure où elle a eu accès à la nourriture dès le moment de sa formation. Il est parfaitement établi (comme nous l’avons dit ailleurs) que les embryons de tous les animaux pourvus de sang sont nourris par la mère à l’aide des vaisseaux ombilicaux, [40][41] et grâce à la circulation sanguine. Ils ne se nourrissent pourtant pas de sang (comme une majorité le croit), mais à la manière des animaux à plumes, qu’alimente d’abord le blanc, puis le jaune de l’œuf, qui finit par se rétracter et s’oblitérer dans l’abdomen du poussin. [42] Tous les vaisseaux ombilicaux s’insèrent dans le foie, ou du moins le traversent, même chez les animaux où ils gagnent la veine porte, de la même façon que, chez les poussins, les vaisseaux dérivés du jaune y terminent toujours leur course. Le poussin se nourrit d’un aliment préparé (qu’il tire du blanc et du jaune d’œuf), exactement de la même manière qu’ensuite il se nourrit pendant toute la durée de son existence. La même chose se produit pareillement chez tous les embryons (comme nous l’avons fait remarquer ailleurs) : leurs veines transportent l’aliment mêlé au sang, et il finit par atteindre le cœur ; et de là, en passant par les artères, il s’écoule vers toutes les parties du corps. [18] Une fois né, le petit acquiert son indépendance, n’a plus besoin d’être directement nourri par le sang de sa mère et recourt à son estomac et à ses intestins. Ainsi le poussin jouit-il de l’œuf, comme les plantes le font de la terre, car ils en tirent un aliment digéré. Dès sa conception, par l’intermédiaire [Page 626 | LAT | IMG] de la circulation, il a puisé sa nourriture dans l’œuf, grâce aux vaisseaux ombilicaux (veines et artères) ; plus tard, une fois éclos, il est pareillement alimenté par ses intestins, grâce aux veines mésaraïques ; si bien que dans les deux cas, le chyle parvient au foie par les mêmes voies et de manière identique. Je ne vois donc aucune raison pour que le chyle ne suive pas un cheminement unique et ne soit transporté de la même façon chez tous les autres animaux ; et vous ne pouvez assurément pas imaginer un quelconque autre trajet, si (comme il est bien vrai) le mouvement circulaire du sang est nécessaire à l’accomplissement de cette fonction. [43][44]
Je loue certes hautement l’ingéniosité de M. Pecquet et sa découverte du réservoir, mais tout cela n’est pas pour moi d’une si grande importance que je doive mettre maintenant en pièces le jugement que j’ai précédemment prononcé. J’ai en effet maintes fois observé divers réservoirs de lait chez de tout jeunes animaux, et chez l’embryon. Leur thymus se trouve à tel point enflé de lait qu’il m’est arrivé de suspecter qu’il s’agissait à première vue d’un abcès, et que j’aurais cru à une suppuration des poumons, car la tuméfaction y semblait plus volumineuse. Souvent même, on voit une abondance de lait dans les mamelons des nouveau-nés, comme aussi dans les seins des jeunes gens bien en chair et trop bien nourris. J’ai même vu chez un grand cerf bien gras un réceptacle plein de lait (là où Pecquet a situé son réservoir), il était si volumineux qu’on pouvait le comparer avec sa caillette. [19][45]
Vous avez eu là, très savant Monsieur, selon votre volonté, ce que je réponds pour le moment à votre lettre. Si vous présentez de ma part tous mes compliments à M. Pequet et à M. Gayan, [20][46] vous comblerez le vœu de votre très affectionné et obéissant
william harvey.
À Londres, le 28 avril 1652. [21]
À Johann Daniel Horst, archiatre de Hesse, à Darmstadt (février 1655). [22][47]
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Excellent Monsieur,
En dépit des longues années qui se sont écoulées et de la grande distance qui nous sépare, je me réjouis fort que vous vous souveniez encore de moi. Je désirerais de tout cœur satisfaire à votre requête, mais mon âge avancé ne me l’autorise pas, car il me met un pied dans la tombe et m’afflige souvent de sérieux et récurrents soucis de santé. [23] Quant au jugement de Riolan [48][49] et à sa sentence sur la circulation du sang, il est parfaitement clair que sa grande entreprise l’a mené à proférer de grandes sornettes, et je n’ai encore vu personne à qui ses fictions aient plu. Schlegel a écrit avec plus d’exactitude et de modestie, et si le destin le lui avait permis, il aurait rabattu les arguments de Riolan, tout comme les infamies dont il l’a accablé ; mais j’apprends avec tristesse qu’il est mort voilà quelques mois. [24][50] Vous sollicitez aussi mon avis sur les veines lactées, qu’on dit être des canaux thoraciques. Ils requièrent un regard perçant et un esprit délivré de tout souci pour que vous puissiez décider quoi que ce soit d’assuré sur ces minuscules vaisseaux et, comme je vous ai dit, je ne dispose ni de l’un ni de l’autre. Voilà environ deux ans qu’on m’a posé cette question et j’ai répondu assez longuement comme suit : on ne sait pas assez clairement si la matière très dense, qui coule dans ces vaisseaux blancs et se dispersera dans la graisse, est du chyle ou du lait ; lesdits vaisseaux sont absents chez certains animaux, comme les oiseaux et les poissons, bien que leur nutrition dépende vraisemblablement des mêmes lois ; il est impossible d’expliquer correctement pourquoi chez l’embryon tout l’aliment, qui lui est apporté par la veine ombilicale, traverse le foie, et pourquoi cela cesserait une fois qu’il est sorti de sa prison utérine et a acquis son indépendance ; les conduits thoraciques sont trop fins et leur orifice (par où ce chyle s’écoule dans la veine [Page 630 | LAT | IMG] subclavière) est trop étroit pour qu’y puisse passer tout l’aliment qui subviendra aux besoins du corps entier ; je me suis aussi demandé pourquoi une telle multitude d’artères et de veines irriguent l’intestin si elles ne doivent rien en extraire, d’autant plus qu’il s’agit de parties membraneuses dont la survie ne requiert pas une si grande abondance de sang. [25][51]
J’ai depuis longtemps écrit ces arguments et d’autres semblables, non que je sois profondément obstiné à porter ce jugement, mais pour explorer ce qu’on peut pertinemment opposer à celui qui défend cet avis nouveau. Je loue bien sûr très hautement la singulière ingéniosité de Pecquet et des autres [26] dans leur recherche de la vérité, mais sans douter que bien des faits demeurent enfouis dans le puits de Démocrite [52] et que les prochains siècles s’acharneront infatigablement à les en sortir. [27] Voilà tout ce que j’ai à vous répondre pour le moment, en espérant que vous le prendrez en bonne part, étant donné votre incomparable bienveillance à mon égard. Vale, très savant Monsieur, et vivez heureusement comme le souhaite de tout cœur votre tout dévoué
william harvey.
À Londres, le 1er février 1654-1655. [28]
Au très brillant et honoré Johann Daniel Horst, archiatre de Hesse, à Darmstadt (juillet 1655). [29][53]
Excellent Monsieur,
Un âge déjà fort avancé, qui m’a fait délaisser le zèle épuisant d’explorer les finesses nouvelles, ne permet plus que je me plonge intimement dans l’examen ardu des découvertes récentes et, après de longues années de labeur, aimant désormais l’oisiveté et le repos, je n’en ai plus le courage. Loin de moi l’idée de me sentir capable d’arbitrer cette querelle !
[Page 631 | LAT | IMG] J’ai certes voulu me plier à votre volonté en vous écrivant mon avis sur les veines lactées et leurs canaux thoraciques, [22] et en recopiant ce que j’avais précédemment répondu à un médecin de Paris. [5] Sans prétendre que ma sentence fût solide, mes objections visaient un tant soit peu à tirer l’oreille de tous ceux qui jugent leurs petites découvertes capables de procurer des solutions évidentes à tous les problèmes.
Pour la réponse que vous m’avez envoyée, [29] je n’ai pas jugé fortuit le recueil de cette humeur lactée dans les vaisseaux d’Aselli, laissant penser que je ne tenais pas pour certaines les preuves de leur existence, mais j’ai nié qu’on les trouve chez tous les animaux et à toute heure (comme le cours ininterrompu de la nutrition me semble le requérir). Une matière déjà ténue et fort diluée, et qu’une digestion supplémentaire transformera finalement en graisse, ne se solidifie pas nécessairement après la mort de l’animal, mais j’ai pour le moins maladroitement présenté l’exemple du pus. [8] Le principal pivot de notre débat tenait à l’évidence au fait que le liquide contenu dans les lactifères d’Aselli soit bien du chyle : je pense que vous ne l’avez pas solidement démontré quand vous dites que le chyle sort de l’intestin, que ni les artères, ni les veines, ni les nerfs ne peuvent en transporter une goutte, et qu’il ne reste donc que les lactifères pour assurer cette fonction. Puisque d’innombrables veines rampent partout sur les intestins et renvoient au cœur le sang qu’elles ont reçu des artères, je ne vois quant à moi aucune raison sérieuse pour qu’elles ne puissent en même temps puiser le chyle qui pénètre dans ces veines et le porter au cœur ; et qui plus est, il est vraisemblable qu’une partie du chyle sorte directement de l’estomac, avant d’avoir atteint les intestins (et comment expliquer autrement la récupération si rapide des forces et des esprits lors des évanouissements ?), mais sans qu’aucune veine lactée ne parvienne à l’estomac. [30][54][55][56]
Vous me dites avoir écrit une lettre à Bartholin, [57] et je ne doute pas que, comme vous le souhaitez, il vous répondra, mais il n’est dorénavant plus utile que [Page 632 | LAT | IMG] je vous ennuie sur ce sujet. Je dirai seulement (sans parler ici des autres voies qu’il peut emprunter) que le suc nutritif qui est transporté par les artères utérines s’infiltre dans l’utérus sans plus de difficulté que s’écoule le sérum dans les reins en passant par les artères émulgentes. [58][59] Ce suc ne peut pas être qualifié de contraire à la nature et ne doit pas être mis sur le même plan que le vagissement utérin, puisqu’il est perpétuellement présent chez les femmes enceintes, tandis que la survenue de ce vagissement est tout à fait exceptionnelle. [31][60] Vous ajoutez que les nouveau-nés ont des excréments différents des enfants qui ont bu du lait, ne serait-ce qu’une seule fois, mais pour ma part je les trouve identiques, hormis leur odeur, et je pense que la noirceur du méconium peut légitimement être attribuée au long séjour des fèces dans le ventre du fœtus. [32][61]
Vous écrivez aussi que c’est à moi qu’il incombe d’attaquer la véritable utilité des canaux nouvellement mis au jour, mais il s’agit d’un effort trop ambitieux pour convenir à un vieillard que les ans ont brisé et que d’autres soucis préoccupent. Il ne m’est pas non plus possible de confier aisément cette tâche à maints autres que moi et qui seraient, comme vous dites, à ma disposition ; mais tel n’est pas le cas, et Highmore ne réside pas à Londres, sans que je l’aie même vu depuis sept ans. [33][62] Telle est aujourd’hui, très honoré Monsieur, ma réponse, que vous tiendrez en bonne et juste estime, comme venant de votre très affectueux et dévoué
william harvey.
À Londres, le 13 juillet, 1655, vieux style. [34]
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