La section intitulée Guilielmi Harveii Epistolæ quædam, ex adversariis Georgii Ent, Equitis aurati, et Collegii Medicorum Londinensis aliquando præsidis, exscriptæ [Copies de quelques lettres de William Harvey, tirées des papiers de George Ent, chevalier de l’éperon d’or et jadis président du Collège des médecins de Londres] [1][1][2][3] (pages 611‑636) des Opera omnia de William Harvey [2] contient une sélection de neuf lettres latines écrites à divers médecins. [3] Trois d’entre elles permettent de comprendre, à sa source, le point de vue de Harvey sur les travaux de Jean Pecquet. [4]
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Réponse à Robert Morison, docteur en médecine à Paris (avril 1652). [5][4]
Très distingué Monsieur,
Votre très aimable lettre est restée jusqu’ici sans réponse de ma part, car je n’ai eu en mains le petit livre de M. Pecquet (dont vous attendiez mon jugement) qu’à la fin du mois dernier. Il traînait, je crois, entre celles d’une personne qui, soit par négligence à remplir son devoir, soit par empressement à lire les nouveautés, a longtemps retardé mon souhait d’en jouir. Pour que vous entendiez donc exactement ce que j’en pense, sachez que je loue très hautement cet auteur pour sa diligence à disséquer, [5] sa dextérité à accomplir des expériences nouvelles et son ingéniosité à interpréter leurs résultats. La tortueuse voie qu’il décrit nous donne accès aux secrets replis de la vérité et, en faisant appel au suffrage de nos perceptions sensorielles, nous fait voir les ouvrages de Dieu, leur guide et maître. Le brillant [Page 621 | LAT | IMG] parcours qu’il décrit, parce qu’il n’éblouit que par l’éclat de ses raisonnements, le mène souvent à s’égarer : il n’en montre qu’une conjecture probable mais extrêmement fallacieuse. [6]
En revanche, je me félicite que, par ses convaincantes expériences et ses clairs raisonnements, il ait confirmé mon jugement sur la circulation du sang. Je voudrais seulement qu’il eût reconnu que le cœur jouit d’un triple mouvement : la systole, où il se contracte et chasse le sang qu’il contient, est suivie de la relaxation, action inverse où les fibres du cœur destinées à le mouvoir se relâchent, [7] et ces deux temps intéressent la substance même du cœur, comme font tous les autres muscles ; puis survient enfin la diastole, où le cœur se dilate sous l’impulsion du sang venant des oreillettes dans les ventricules ; les ventricules ainsi remplis et distendus incitent le cœur à se contracter, et la systole suit immédiatement ce mouvement, qui la précède constamment. [6][8]
Pour en venir aux veines lactées qu’Aselli [9] a découvertes, et que Pecquet a depuis pourvues d’un réceptacle et de petits canaux [10][11] qui joignent cette citerne ou réservoir aux veines subclavières, [12] j’en dirai librement mon avis : voilà bien longtemps, et même (oserai-je dire) avant qu’Aselli ait publié son opuscule, [13] nous avons observé ces petits canaux blancs et une abondance de lait [14] en disséquant plusieurs parties du corps, et ce surtout dans les glandes de jeunes animaux (comme dans le mésentère où il y en a grande quantité) ; et nous avons pensé que de là venait le goût si agréable du thymus de veau et d’agneau, qu’on appelle en anglais (comme vous savez) the sweet bread. [7][15] Maintes raisons et diverses expériences ne m’ont pas convaincu que ce suc lactescent était du chyle qui, parti des intestins, [16] se répandrait dans toutes les parties du corps pour les nourrir. Je pensai bien plutôt que cela survenait parfois, comme fortuitement, et que c’était l’effet d’une très riche alimentation et d’une digestion de bonne qualité, selon la même loi de la nature qui [Page 622 | LAT | IMG] donne naissance à la graisse, [17] à la moelle osseuse, [18] à la semence, [19] à la pilosité abondante, etc. ; ou de la même façon que la saine résolution des ulcères et des plaies engendre du pus, qu’on tient pour d’autant plus louable qu’il approche de la consistance du lait (c’est-à-dire qu’il est blanc, délié et homogène), d’où certains Anciens ont estimé que le pus était de même essence que le lait. [8][20] Sans mettre en doute l’existence de ces vaisseaux, je ne puis partager l’avis d’Aselli sur le fait qu’ils sont chylifères, et ce pour des motifs qu’il me faut maintenant expliquer car ils m’ont conduit à une conclusion opposée. Il semble en effet que le suc contenu dans les veines lactées soit purement et simplement du lait, tel qu’on en trouve dans les veines lactées des mamelles. [21] Il me paraît peu vraisemblable (tout comme à Auzout, dans la lettre qu’il a écrite à Pecquet) que le lait soit du chyle et que le corps entier s’en nourrisse. [9][22] Les arguments qu’on oppose à cela, en vue de prouver qu’il s’agit bien de chyle, ne sont pas suffisamment forts pour m’en persuader. Je désirerais donc qu’un raisonnement solide et de claires expériences démontrent un jour qu’après être passé des intestins dans le thorax, le chyle fournit sa nourriture à tout le corps. Tant que ces preuves feront défaut, c’est en vain que nous poursuivrons les recherches et spéculerons sur la nature de ces vaisseaux. Comment serviraient-ils à transporter la totalité du chyle et l’aliment du corps entier si leur apparence n’est pas identique chez tous les animaux ? Chez les uns ils se rendent dans le foie [23] et chez d’autres, dans la seule veine porte, [24] quand chez certains ils ne gagnent aucune de ces deux destinations. Chez les uns, on voit quantité de lactifères dans le pancréas, [25] et chez d’autres, dans le thymus, quand chez certains vous n’en verrez dans aucun de ces deux organes. Chez maints animaux, on ne trouve absolument aucun chylifère (voyez Liceti, épître xiii, titre 2, page 83, et la Pratique de Sennert, livre v, titre 2, 3e partie, chapitre i), [26][27] et ils ne s’observent en permanence chez aucun d’entre eux. [10] De tels vaisseaux nourriciers devraient pourtant être obligatoirement présents chez tous les animaux et à tout moment, parce que le dommage entraîné par la dissipation incessante des esprits et des parties [Page 623 | LAT | IMG] du corps n’est évitable que par un apport continu de nourriture. S’ajoute à cela que leur maigre capacité ne semble pas suffisante à assurer cette fonction, ni que leur structure y soit idéalement adaptée : il faudrait en effet que leurs plus minces rameaux se terminent dans de plus larges, lesquels convergent en un très gros collecteur dont le volume corresponde à celui de tous les autres canaux, comme on le voit dans les branches de la veine porte, de la même manière que le tronc d’un arbre correspond exactement à la capacité de ses racines. Si des conduits transportent un quelconque liquide, il est nécessaire que ceux qui l’évacuent aient une taille égale : il faudrait donc à l’évidence que les chylifères (que Pecquet situe dans le thorax) soient au moins de même calibre que les deux uretères, [11][28] car sinon, ceux qui boivent une conge d’eaux minérales, [29] voire plus, ne pourraient les faire passer dans la vessie avec une telle rapidité ; et puisque les composants de l’urine empruntent copieusement cette voie, je ne vois pas du tout comment ces veines peuvent conserver leur couleur laiteuse, ni comment l’urine peut n’en être absolument pas teintée. [12] J’ajoute que le chyle n’a les mêmes consistance et couleur que le lait ni chez tous les animaux ni à toutes les heures de la journée ; et que donc ces vaisseaux, s’ils le transportent, ne peuvent en permanence (bien qu’ils le fassent temporairement) contenir un liquide blanchâtre ; ils devraient prendre par moment une teinte jaune, verte ou autre (comme l’urine se colore diversement après qu’on a mangé de la rhubarbe, des asperges, des figues d’Inde ou d’autres mets) [30][31][32] et n’être plus du tout colorés quand ils sont remplis d’eaux minérales transparentes. [13] En outre, si cette matière blanchâtre tirée des intestins était passée dans ces canaux ou y avait été attirée, ce liquide aurait certainement dû se répandre partout dans lesdits intestins ou dans leurs parois spongieuses ; il ne semble pas vraisemblable en effet qu’une quelconque humeur, par simple et soudaine filtration, change de nature et se convertisse en lait. Bien au contraire, si le chyle traversait simplement la paroi des intestins, il devrait sûrement conserver [Page 624 | LAT | IMG] quelque trace de son ancienne nature, et présenter la couleur et l’odeur du liquide qu’on trouve dans les intestins, et donc sentir la pourriture. Tout ce qui y est contenu, de leur origine à leur extrémité, est teinté par la bile et exhale un parfum méphitique. [14][33][34] Certains pensent donc que le corps se nourrit de chyle sublimé en vapeur, parce que souvent les vapeurs que l’alambic extrait des matières fétides ne sentent pas mauvais.
M. Pecquet attribue à la respiration la cause de ce mouvement lacté. [35] Pour ma part, bien que maintes raisons me persuadent du contraire, je ne dirai rien à ce sujet tant qu’on n’aura pas clairement établi le pourquoi de ce mouvement. Si je lui concède (ce qu’il postule comme allant de soi, sans s’être fondé sur aucun argumentaire convaincant) que le chyle suit continuellement ce cheminement, pour qu’il soit conduit des intestins aux veines subclavières, Pecquet doit absolument dire qu’avant d’atteindre le cœur, où il a récemment découvert que ses vaisseaux achèvent leur course, le chyle se mêle au sang qui pénétrera aussitôt dans le ventricule droit, en vue de subir une plus riche digestion. Chacun lui demandera pourtant à juste titre pourquoi le chyle ne passe pas dans la veine porte, puis dans le foie et la veine cave, comme l’ont, dit-on, observé Aselli et d’autres. Pourquoi même ne croirions-nous pas pareillement que le chyle entre dans les origines des veines mésaraïques et s’y mêle aussitôt au sang pour acquérir ainsi sa chaleur et perfection, en vue de nourrir toutes les parties du corps ? Le cœur en vient alors à être tenu pour le plus éminent des organes, et pour la source de la chaleur et de la vie, [36] pour la seule et unique raison qu’il contient une énorme quantité de sang, lequel, comme dit Aristote, ne se trouve pas dans des veines, comme il fait dans les autres parties du corps, mais dans de vastes cavités, semblables à une citerne. [15][37] Contre cet état des choses, je tire argument du fait que tant d’artères et de veines irriguent les intestins, [38] en plus grand nombre que toute autre partie du corps, et ce de la même manière que les vaisseaux se développent dans l’utérus pendant le temps de la grossesse. [16][39] La Nature, en effet n’agit jamais à la légère : tous les animaux [Page 625 | LAT | IMG] pourvus de sang ont besoin de se nourrir et possèdent à cette fin des veines mésaraïques ainsi que des veines lactées, mais ces dernières sont en bien moindre nombre et n’ont qu’une existence temporaire. S’il faut porter un jugement sur l’utilité des parties, dans la mesure où nous ne les voyons ni chez tous les animaux ni tout le temps, ces filaments blancs, très semblables à une toile d’araignée, n’ont sans aucun doute pas été établis pour distribuer la nourriture : le liquide qui s’y trouve ne doit donc pas être appelé chyle, et la susdite fonction doit bien plutôt être attribuée aux veines mésaraïques. [17] Ce que nous montre l’animal est ce qui lui est nécessaire pour croître et, par conséquent, ce dont il se nourrit, car la croissance est indissociable de l’aliment. L’âme grandit donc ainsi naturellement, dans la mesure où elle a eu accès à la nourriture dès le moment de sa formation. Il est parfaitement établi (comme nous l’avons dit ailleurs) que les embryons de tous les animaux pourvus de sang sont nourris par la mère à l’aide des vaisseaux ombilicaux, [40][41] et grâce à la circulation sanguine. Ils ne se nourrissent pourtant pas de sang (comme une majorité le croit), mais à la manière des animaux à plumes, qu’alimente d’abord le blanc, puis le jaune de l’œuf, qui finit par se rétracter et s’oblitérer dans l’abdomen du poussin. [42] Tous les vaisseaux ombilicaux s’insèrent dans le foie, ou du moins le traversent, même chez les animaux où ils gagnent la veine porte, de la même façon que, chez les poussins, les vaisseaux dérivés du jaune y terminent toujours leur course. Le poussin se nourrit d’un aliment préparé (qu’il tire du blanc et du jaune d’œuf), exactement de la même manière qu’ensuite il se nourrit pendant toute la durée de son existence. La même chose se produit pareillement chez tous les embryons (comme nous l’avons fait remarquer ailleurs) : leurs veines transportent l’aliment mêlé au sang, et il finit par atteindre le cœur ; et de là, en passant par les artères, il s’écoule vers toutes les parties du corps. [18] Une fois né, le petit acquiert son indépendance, n’a plus besoin d’être directement nourri par le sang de sa mère et recourt à son estomac et à ses intestins. Ainsi le poussin jouit-il de l’œuf, comme les plantes le font de la terre, car ils en tirent un aliment digéré. Dès sa conception, par l’intermédiaire [Page 626 | LAT | IMG] de la circulation, il a puisé sa nourriture dans l’œuf, grâce aux vaisseaux ombilicaux (veines et artères) ; plus tard, une fois éclos, il est pareillement alimenté par ses intestins, grâce aux veines mésaraïques ; si bien que dans les deux cas, le chyle parvient au foie par les mêmes voies et de manière identique. Je ne vois donc aucune raison pour que le chyle ne suive pas un cheminement unique et ne soit transporté de la même façon chez tous les autres animaux ; et vous ne pouvez assurément pas imaginer un quelconque autre trajet, si (comme il est bien vrai) le mouvement circulaire du sang est nécessaire à l’accomplissement de cette fonction. [43][44]
Je loue certes hautement l’ingéniosité de M. Pecquet et sa découverte du réservoir, mais tout cela n’est pas pour moi d’une si grande importance que je doive mettre maintenant en pièces le jugement que j’ai précédemment prononcé. J’ai en effet maintes fois observé divers réservoirs de lait chez de tout jeunes animaux, et chez l’embryon. Leur thymus se trouve à tel point enflé de lait qu’il m’est arrivé de suspecter qu’il s’agissait à première vue d’un abcès, et que j’aurais cru à une suppuration des poumons, car la tuméfaction y semblait plus volumineuse. Souvent même, on voit une abondance de lait dans les mamelons des nouveau-nés, comme aussi dans les seins des jeunes gens bien en chair et trop bien nourris. J’ai même vu chez un grand cerf bien gras un réceptacle plein de lait (là où Pecquet a situé son réservoir), il était si volumineux qu’on pouvait le comparer avec sa caillette. [19][45]
Vous avez eu là, très savant Monsieur, selon votre volonté, ce que je réponds pour le moment à votre lettre. Si vous présentez de ma part tous mes compliments à M. Pequet et à M. Gayan, [20][46] vous comblerez le vœu de votre très affectionné et obéissant
william harvey. À Londres, le 28 avril 1652. [21]
À Johann Daniel Horst, archiatre de Hesse, à Darmstadt (février 1655). [22][47]
Excellent Monsieur,
En dépit des longues années qui se sont écoulées et de la grande distance qui nous sépare, je me réjouis fort que vous vous souveniez encore de moi. Je désirerais de tout cœur satisfaire à votre requête, mais mon âge avancé ne me l’autorise pas, car il me met un pied dans la tombe et m’afflige souvent de sérieux et récurrents soucis de santé. [23] Quant au jugement de Riolan [48][49] et à sa sentence sur la circulation du sang, il est parfaitement clair que sa grande entreprise l’a mené à proférer de grandes sornettes, et je n’ai encore vu personne à qui ses fictions aient plu. Schlegel a écrit avec plus d’exactitude et de modestie, et si le destin le lui avait permis, il aurait rabattu les arguments de Riolan, tout comme les infamies dont il l’a accablé ; mais j’apprends avec tristesse qu’il est mort voilà quelques mois. [24][50] Vous sollicitez aussi mon avis sur les veines lactées, qu’on dit être des canaux thoraciques. Ils requièrent un regard perçant et un esprit délivré de tout souci pour que vous puissiez décider quoi que ce soit d’assuré sur ces minuscules vaisseaux et, comme je vous ai dit, je ne dispose ni de l’un ni de l’autre. Voilà environ deux ans qu’on m’a posé cette question et j’ai répondu assez longuement comme suit : on ne sait pas assez clairement si la matière très dense, qui coule dans ces vaisseaux blancs et se dispersera dans la graisse, est du chyle ou du lait ; lesdits vaisseaux sont absents chez certains animaux, comme les oiseaux et les poissons, bien que leur nutrition dépende vraisemblablement des mêmes lois ; il est impossible d’expliquer correctement pourquoi chez l’embryon tout l’aliment, qui lui est apporté par la veine ombilicale, traverse le foie, et pourquoi cela cesserait une fois qu’il est sorti de sa prison utérine et a acquis son indépendance ; les conduits thoraciques sont trop fins et leur orifice (par où ce chyle s’écoule dans la veine [Page 630 | LAT | IMG] subclavière) est trop étroit pour qu’y puisse passer tout l’aliment qui subviendra aux besoins du corps entier ; je me suis aussi demandé pourquoi une telle multitude d’artères et de veines irriguent l’intestin si elles ne doivent rien en extraire, d’autant plus qu’il s’agit de parties membraneuses dont la survie ne requiert pas une si grande abondance de sang. [25][51]
J’ai depuis longtemps écrit ces arguments et d’autres semblables, non que je sois profondément obstiné à porter ce jugement, mais pour explorer ce qu’on peut pertinemment opposer à celui qui défend cet avis nouveau. Je loue bien sûr très hautement la singulière ingéniosité de Pecquet et des autres [26] dans leur recherche de la vérité, mais sans douter que bien des faits demeurent enfouis dans le puits de Démocrite [52] et que les prochains siècles s’acharneront infatigablement à les en sortir. [27] Voilà tout ce que j’ai à vous répondre pour le moment, en espérant que vous le prendrez en bonne part, étant donné votre incomparable bienveillance à mon égard. Vale, très savant Monsieur, et vivez heureusement comme le souhaite de tout cœur votre tout dévoué
william harvey. À Londres, le 1er février 1654-1655. [28]
Au très brillant et honoré Johann Daniel Horst, archiatre de Hesse, à Darmstadt (juillet 1655). [29][53]
Excellent Monsieur,
Un âge déjà fort avancé, qui m’a fait délaisser le zèle épuisant d’explorer les finesses nouvelles, ne permet plus que je me plonge intimement dans l’examen ardu des découvertes récentes et, après de longues années de labeur, aimant désormais l’oisiveté et le repos, je n’en ai plus le courage. Loin de moi l’idée de me sentir capable d’arbitrer cette querelle !
[Page 631 | LAT | IMG] J’ai certes voulu me plier à votre volonté en vous écrivant mon avis sur les veines lactées et leurs canaux thoraciques, [22] et en recopiant ce que j’avais précédemment répondu à un médecin de Paris. [5] Sans prétendre que ma sentence fût solide, mes objections visaient un tant soit peu à tirer l’oreille de tous ceux qui jugent leurs petites découvertes capables de procurer des solutions évidentes à tous les problèmes.
Pour la réponse que vous m’avez envoyée, [29] je n’ai pas jugé fortuit le recueil de cette humeur lactée dans les vaisseaux d’Aselli, laissant penser que je ne tenais pas pour certaines les preuves de leur existence, mais j’ai nié qu’on les trouve chez tous les animaux et à toute heure (comme le cours ininterrompu de la nutrition me semble le requérir). Une matière déjà ténue et fort diluée, et qu’une digestion supplémentaire transformera finalement en graisse, ne se solidifie pas nécessairement après la mort de l’animal, mais j’ai pour le moins maladroitement présenté l’exemple du pus. [8] Le principal pivot de notre débat tenait à l’évidence au fait que le liquide contenu dans les lactifères d’Aselli soit bien du chyle : je pense que vous ne l’avez pas solidement démontré quand vous dites que le chyle sort de l’intestin, que ni les artères, ni les veines, ni les nerfs ne peuvent en transporter une goutte, et qu’il ne reste donc que les lactifères pour assurer cette fonction. Puisque d’innombrables veines rampent partout sur les intestins et renvoient au cœur le sang qu’elles ont reçu des artères, je ne vois quant à moi aucune raison sérieuse pour qu’elles ne puissent en même temps puiser le chyle qui pénètre dans ces veines et le porter au cœur ; et qui plus est, il est vraisemblable qu’une partie du chyle sorte directement de l’estomac, avant d’avoir atteint les intestins (et comment expliquer autrement la récupération si rapide des forces et des esprits lors des évanouissements ?), mais sans qu’aucune veine lactée ne parvienne à l’estomac. [30][54][55][56]
Vous me dites avoir écrit une lettre à Bartholin, [57] et je ne doute pas que, comme vous le souhaitez, il vous répondra, mais il n’est dorénavant plus utile que [Page 632 | LAT | IMG] je vous ennuie sur ce sujet. Je dirai seulement (sans parler ici des autres voies qu’il peut emprunter) que le suc nutritif qui est transporté par les artères utérines s’infiltre dans l’utérus sans plus de difficulté que s’écoule le sérum dans les reins en passant par les artères émulgentes. [58][59] Ce suc ne peut pas être qualifié de contraire à la nature et ne doit pas être mis sur le même plan que le vagissement utérin, puisqu’il est perpétuellement présent chez les femmes enceintes, tandis que la survenue de ce vagissement est tout à fait exceptionnelle. [31][60] Vous ajoutez que les nouveau-nés ont des excréments différents des enfants qui ont bu du lait, ne serait-ce qu’une seule fois, mais pour ma part je les trouve identiques, hormis leur odeur, et je pense que la noirceur du méconium peut légitimement être attribuée au long séjour des fèces dans le ventre du fœtus. [32][61]
Vous écrivez aussi que c’est à moi qu’il incombe d’attaquer la véritable utilité des canaux nouvellement mis au jour, mais il s’agit d’un effort trop ambitieux pour convenir à un vieillard que les ans ont brisé et que d’autres soucis préoccupent. Il ne m’est pas non plus possible de confier aisément cette tâche à maints autres que moi et qui seraient, comme vous dites, à ma disposition ; mais tel n’est pas le cas, et Highmore ne réside pas à Londres, sans que je l’aie même vu depuis sept ans. [33][62] Telle est aujourd’hui, très honoré Monsieur, ma réponse, que vous tiendrez en bonne et juste estime, comme venant de votre très affectueux et dévoué
william harvey. À Londres, le 13 juillet, 1655, vieux style. [34]
V. notule {c}, note Patin 14/587, pour l’Ordre impérial germanique de l’éperon d’or.
George Ent (Sandwich, Kent 1604-1689), médecin et anatomiste anglais, est auteur d’une Apologia pro Circulatione sanguinis [Apologie en faveur de la Circulation du sang] (Londres, 1651).
Disciple et ami de William Harvey, et héritier de sa bibliothèque, Ent avait rédigé la dédicace de ses Exercitationes [Essais] sur la reproduction des animaux (Amsterdam, 1651, v. note [10], première Responsio de Jean ii Riolan, 4e partie), adressée au président et aux membres du Collège médical de Londres.
Frédéric Blanchard {a} a eu l’extrême gentillesse de me communiquer les références du livre que Walter Charlton {b} a dédié en 1659 à Clarissimo atque Ornatissimo Viro D. Georgio Ent, M.D. et Celebrrimi Medicorum Londinensiusm Collegij, Socio dignissimo [Très brillant et nonoré M. George Ent, docteur en médecin et très éminent membre du très célèbre Collège des médecins de Londres] :
Natural History of Nutrition, Life and voluntary Motion. Containing all the new discoveries od Anatomist’s, and most probable opinions of Physicans, concerning the Oeconomie of human nature ; metdodically deliverred in Exercitations physico-anatomical.[Histoire naturelle de la Nutrition, de la Vie et du Mouvement volontaire. Contenant toutes les nouvelles découvertes des anatomistes et opinions jugées les plus probables par les médecins sur l’économie de la nature humaine ; méthodiquement présentées sous la forme d’essais physico-anatomiques]. {c}
- V. note [44], Lettre de Thomas Bartholin à Johann Daniel Horst.
- V. note Patin 45/209.
- Londres, Henry Herringman, 1659, in‑4o de 210 pages.
Les découvertes de Jean Pecquet et Thomas Bartholin y sont expliquées et célébrées avec enthousiasme dans quatres essais :
- 2. Of Chylification (pages 11‑16) :
- 3. Of the journey od Chyle [Le voyage du chyle] (pages 16‑32), mais sans sa « tempête » ;
- 4. Of Sanguification (pages 32‑49) ;
- 9. Of the Lympheducts [Lymphatiques] (pages 149‑155).
Guilielmi Harveii Opera omnia : a Collegio Medicorum Londinensis edita : mdcclxvi [Œuvres complètes de William Harvey éditées par le Collège des médecins de Londres, 1766] (Londres, Guilielmus Bowyer, in‑4o de 673 pages). Cet ouvrage a été traduit en anglais par Robert Willis, The Works of William Harvey (Londres, Sydenham Society, 1847, in‑8o de 624 pages) ; les lettres y sont imprimées pages 593‑617.
Après avoir cessé de professer à Oxford en 1646 (ralliement de l’Université au Parliament), soit trois ans avant que le roi Charles ier, dont il avait été premier médecin, eût été décapité (février 1649), Harvey avait renoncé à tout engagement officiel pour se consacrer uniquement à l’exercice de la médecine et de l’anatomie, au sein du Collège de Londres.
Ces trois lettres seraient plus instructives encore si nous disposions des transcriptions complètes de celles que les deux correspondants de William Harvey lui ont écrites, mais je n’en ai trouvé que des fragments imprimés (v. infra notes [29] et [33]).
S’y ajoute la lettre de Thomas Bartholin à Johann Daniel Horst sur ce sujet, datée de Copenhague le 31 mars 1655 (imprimée ibid. même année).
V. note Patin 10/1048 pour le scepticisme de William Harvey sur les lactifères en 1649.
Robert Morison (Aberdeen 1620-Oxford 1683) s’était réfugié en France après avoir combattu dans les armées du roi Charles ier et fut reçu docteur en médecine de la Faculté d’Angers en 1648. Son appartenance à la cour de Gaston d’Orléans lui permit d’exercer la médecine à Paris. Revenu en Grande-Bretagne après la Restauration (1660), il fut nommé titulaire de la chaire de botanique de l’Université d’Oxford en 1670. Son principal ouvrage est un copieux complément de l’Hortus Regius Blesensis [Jardin royal de Blois] d’Abel Brunier (Paris, 1653, v. note Patin 74/332), qui parut à Londres en 1669 (Éloy).
Cette lettre a été communiquée à Johann Daniel Horst puis à Thomas Bartholin, qui en ont commenté les arguments : v. notes [28] infra et [32] de la lettre de Bartholin à Horst.
À la systole et à la diastole, William Harvey ajoutait la périsystole (télésystole ou protodiastole) dont Jean ii Riolan a parlé (v. note [34] de sa première Responsio, 6e partie), mais que Jean Pecquet a ignorée dans sa Dissertatio anatomica de 1651.
La dernière phrase de Harvey signifie qu’il n’y a pas de quatrième temps entre la diastole et la systole : il méconnaissait la très courte télédiastole (protosystole), pendant laquelle, toutes les valves étant fermées, les ventricules tendent leurs fibres musculaires (contraction isovolumétrique) avant de chasser le sang qu’ils contiennent.
Vulgairement appelé « ris » ou « fagoue » en français, et mets délicat en cuisine, le thymus est une grosse glande lymphatique située devant les parties inférieure du cou et supérieure du thorax, qui joue un rôle majeur dans l’établissement des défenses immunitaires et dont ne subsistent que des reliquats à l’âge adulte.
Harvey a parlé du thymus chez les fœtus humains, en assimilant le chyle à du lait, dans son 55e Exercitatio [Essai] « sur la Reproduction des animaux » (Amsterdam, 1651) : v. notule {j}, note Patin 1/1078.
La pathologie moderne tient le pus (v. note [4], Experimenta nova anatomica, chapitre ii) pour le produit final de l’inflammation (v. note Patin 6/1446), essentiellement formé de sérum et de globules blancs (polynucléaires altérés). Le pus des abcès tuberculeux, dits froids, est appelé caséum, pour sa ressemblance avec le lait caillé.
V. note [4] de la lettre d’Adrien Auzout, qui refusait d’admettre que le lait fût tout bonnement du chyle.
Les deux références fournies par William Harvey émettent des doutes sur l’interprétation des lactifères mésentériques de Gaspare Aselli, mais je n’y ai pas lu d’affirmation catégorique sur leur totale absence chez certains animaux : {a}
- Ces textes conviennent seulement que les lactifères ne sont visibles que par intermittence dans le mésentère des animaux.
- V. note Patin 4/63.
- Udine, Nicolaus Schirattus, 1646, in‑4o de 389 pages.
- V. note [39], Responsio ad Pecquetianos, 5e partie, pour l’extrait d’une lettre de Johann Vesling où il disait avoir observé les lactifères thoraciques avant 1649.
- V. note Patin 21/6.
- V. note Patin 12/44.
William Harvey était de mauvaise foi car c’est précisément ce que Jean Pecquet a décrit quand les voies du chyle sont pleines, dans les heures suivant un copieux repas.
Antique mesure de volume, la conge équivalait à 3,25 litres.
Sans malheureusement l’exploiter jusqu’au bout, William Harvey mettait judicieusement le doigt sur le défaut le plus criant de la théorie de Jean Pecquet : toute la matière alimentaire (chyme) que les intestins absorbent ne passe pas par les voies du chyle : v. infra note [17].
À l’élimination urinaire des eaux minérales, des asperges et du jus de figues d’Inde, dont a parlé Jean Pecquet sans vraiment convaincre grand monde (v. note [19], Dissertatio anatomica, chapitre xi), William Harvey ajoutait la rhubarbe (v. note Patin 2/69), qui peut donner à l’urine une couleur safranée, voire rougeâtre.
Emprunté au latin (mefitis, mefiticus), l’adjectif méphitique vient de Méphitis, déesse antique de la puanteur et autre nom de Junon. {a} François Rabelais l’a employé en plusieurs endroits, notamment dans le chapitre xxix, Comment nous visitâmes le pays de Satin, du Cinquième livre, avec cette savoureuse description de la licorne :
« Une d’icelles je vis, accompagnée de divers animaux sauvages, émonder {b} une fontaine. Là, me dit Panurge que son courtaut {c} ressemblait à cette unicorne, non en longueur du tout, mais en vertu et en propriété car, ainsi comme elle purifiait l’eau des mares et fontaines, d’ordure ou venin aucun {d} qui y était, et ces animaux divers en sûreté venaient boire après elle. Ainsi sûrement on pouvait après lui farfouiller sans danger de chancre, de vérole, pisse-chaude, poulains grenés, {e} et tels autres menus suffrages : {f} car si mal aucun était au trou méphitique, il émondait tout avec sa corne nerveuse. »
- V. note Patin 3/286.
- Nettoyer.
- Son pénis.
- De toute ordure ou poison.
- Adénopathie vénérienne.
- Furetière : « on a aussi appelé suffrages tous les secours, aumônes et fournitures qu’on faisait à quelqu’un : d’où vient que toutes les menues redevances qu’on stipule dans un bail au delà du prix principal, sont appelées menus suffrages. »
Les arguments de William Harvey visaient légitimement à montrer que Jean Pecquet avait tort de croire que la totalité des aliments ingérés (y compris l’eau) empruntaient la voie thoracique du chyle.
Aristote, Parties des animaux, livre iii, chapitre iv : {a}
« Parmi les viscères et dans le corps entier, le cœur est le seul à avoir du sang, sans avoir de veines, tandis que tous les autres organes du corps ont du sang contenu dans des veines. Cette disposition se comprend tout à fait puisque le sang part du cœur pour se précipiter dans les veines, tandis que le sang ne vient d’aucune autre partie dans le cœur. C’est lui qui est le principe et la source du sang, {b} ou, si l’on veut, son premier réceptacle. »
- Traduction de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, 1891.
- V. note [10], Experimenta nova anatomica, chapitre i, pour un autre passage du même traité où Aristote attribue pareillement la fabrication du sang au cœur.
Description des ligaments larges de l’utérus par William Harvey, dans son 64e Exercitatio [Essai] sur la reproduction des animaux (Amsterdam, 1651, v. supra note [1]), De Cervarum et Damarum utero [L’Utérus des biches et de daines] (pages 284‑285) :
Quemadmodum in muliere, uterus, ejusque tubæ, (seu cornua) cum reliquis ad eum pertinentibus, ossi pubis, dorso, et circumjacentibus partibus alligantur, mediante latâ et carnosâ membranâ ; (tanquam vinculo suspensorio) quam Anatomici vespertilionum alas nominant ; quòd uterus hoc modo suspensus, vespertilionem cum expansis alis referat : ità similiter in damis et cervis, cornua uteri utrinque cum testiculis, omnibúsque uteri vasis, circumvicinis partibus (præsertim dorso) crassâ membranâ annectuntur ; ínque ea partes omnes dictæ suspenduntur ; idémque officium partibus uterinis præstat, quod mesenterium intestinis, et mesometrion utero gallinæ. Nam ut à mesenterio, venæ et arteriæ mesaraïcæ ad intestina derivantur ; ità quoque vasa uterina per dictam membranam disseminantur.[Chez la femme, l’utérus et ses tubes (ou cornes) {a} sont reliés aux structures de voisinage – os pubien, rachis et parties adjacentes – par l’intermédiaire d’une vaste membrane charnue (comme par un câble suspenseur), que les anatomistes appellent les ailes de chauve-souris, car elle forme comme les ailes déployées de cet animal. {b} De même façon, chez les daines et les biches, les deux cornes de l’utérus, avec les deux testicules {c} et tous les vaisseaux utérins, sont reliées aux parties voisines (surtout en arrière) par une épaisse membrane, à laquelle sont suspendus tous les susdits organes, assurant ainsi pour les parties utérines la même fonction que le mésentère pour les intestins et que le mésomètre pour l’utérus de la poule : ainsi, les vaisseaux utérins passent-ils dans ladite membrane comme font les veines et les artères mésaraïques pour atteindre les intestins].
- Trompes reliant l’utérus aux deux ovaires.
- Ligaments ronds qui attachent l’utérus, ses trompes et les deux ovaires à la paroi pelvienne, recouverts par les deux replis du péritoine qui forment les ligaments larges.
- Ovaires alors tenus pour les testicules féminins.
William Harvey était de nouveau (v. supra note [12]) à deux doigts de la vérité physiologique moderne, mais hélas sans pousser son raisonnement jusqu’à l’idée que l’aliment tiré de l’intestin grêle puisse se séparer en deux parties : celle, glucidique et protidique (sucres et viandes), qui se rend au foie par les veines mésaraïques, et celle, lipidique (graisses), qui emprunte les voies du chyle pour monter dans le thorax.
William Harvey n’écrivait certes pas un traité, mais une simple lettre. Ce qu’il disait était imprégné de son dernier livre sur la reproduction des animaux (v. supra note [16]), où il avait principalement étudié celle des poulets et des cervidés. On peine toutefois à suivre son raisonnement, à tel point que je suis allé regarder la traduction anglaise publiée en 1847 (v. supra note [2]), qui a un peu enjolivé le propos du très éminent maître (pages 608‑609) :
Now it is a most certain fact (as I have shown elsewhere) that the embryos of all red-blooded animals are nourished by means of the umbilical vessels from the mother, and this in virtue of the circulation of blood. They are not nourished, however immediately by the blood, as many have imagined, but after the manner of the chick in ovo, which is first nourished by the albumen, and then by the vitellus, which is finally drawn into and included within the abdomen of the chick. All the umbilical vessels, however, are inserted into the liver, or at all events pass through it, even in those animals whose umbilical vessels enter the vena portæ, as in the chick, in which the vessels proceeding from the yelk always so terminate. In the selfsame way, therefore, as the chick is nourished from a nutriment (viz. the albumen and vitellus,) previously prepared, even so does it continue to be nourished through the whole course ot its independent existence. And the same thing, as I have elsewhere shown, is common to all embryos whatsoever : the nourishment mingled with the blood, is transmitted through their veins to the heart, whence moving on by the arteries, it is carried to every part of the body.[C’est maintenant un fait absolument certain (comme je l’ai montré ailleurs) que les embryons de tous les animaux à sang rouge {a} sont nourris par la mère à l’aide des vaisseaux ombilicaux, et ce grâce à la circulation sanguine. Ils ne sont pourtant pas nourris immédiatement {b} par le sang, comme beaucoup l’ont imaginé, mais à la manière du poulet dans l’œuf, {c} qui est d’abord nourri par le blanc, puis par le jaune, qui finit par se rétracter et s’oblitérer dans l’abdomen du poussin. Tous les vaisseaux ombilicaux s’insèrent néanmoins dans le foie, ou en tout cas le traversent, même chez les animaux dont les vaisseaux ombilicaux entrent dans la veine porte, comme le poussin, chez qui les vaisseaux dérivant du jaune se terminent toujours ainsi. Donc, exactement de la même manière que dans l’œuf, le poussin s’est nourri d’un aliment préparé (qu’il tire du blanc et du jaune), il se nourrira pendant toute la durée de son existence indépendante. {d} La même chose, comme je l’ai montré ailleurs, est commune à tous les embryons qu’on voudra : l’aliment mêlé au sang est transmis par leurs veines au cœur, d’où, continuant son mouvement par les artères, il est transporté dans toutes les parties du corps].
- Mes italiques signalent les principales divergences de traduction.
- C’est-à-dire directement, sans intermédiaire : introduction d’une nuance qui ne suffit pas à gommer l’étrangeté du propos (quand on l’applique aux animaux vivipares).
- Texte latin : pennatorum, « des animaux à plumes ».
- Pour dire maladroitement (me semble-t-il) que le poulet, une fois éclos, se nourrit de son propre sang qui distribue l’aliment préparé par le tube digestif et le foie (et non plus, bien sûr, par le blanc et le jaune de l’œuf), comme la suite de la lettre le fait clairement entendre.
Caillette (Furetière) : « le troisième et le quatrième ventricule [estomac] du bœuf, ou des autres animaux qui ruminent. C’est le lieu où se fait le chyle, et d’où les aliments tombent dans les intestins. La caillette se vend avec les tripes. C’est dans la caillette des veaux ou agneaux que se forme la présure qui caille le lait, ce qui lui a fait donner le nom de caillette. »
William Harvey invitait clairement Robert Morison à montrer sa lettre à Jean Pecquet et à son collaborateur, le chirurgien Louis Gayan. Elle a sans nul doute circulé car un très large extrait en est imprimé pages 61‑65 de la Epistolarum medicinalium Decas [Décade de lettres médicales] (Francfort, 1656) {a} de Johann Daniel Horst, {b} sans claire indication de sa provenance. {c}
- V. note Patin 16/9015.
- V. infra note [22].
- En appendice B d’une lettre à son frère puîné Gregor iii Horst (v. notule {b}, note Patin 28/662), datée du 16 novembre 1653.
En somme, Harvey ne niait pas la voie thoracique nouvelle du chyle, mais l’estimait d’importance très secondaire et incertaine. Sur des arguments théoriques, il tenait le chyle blanc pour du lait et rejetait catégoriquement (comme Jean ii Riolan) l’idée d’une sanguification cardiaque, jugée contraire aux fondements de la médecine et aux enseignements fournis par ses travaux sur le développement embryonnaire.
Le « vieux style » de datation, selon le calendrier julien, était en vigueur à Londres, avec dix jours d’avance sur le calendrier grégorien (nouveau style) des pays où le catholicisme prévalait (v. note Patin 12/440) ; en outre, l’année julienne commençait au mois de mars, avec le printemps. William Harvey a donc daté sa lettre de Londres, le 8 mai 1652 grégorien.
Johann Daniel Horst, professeur de médecine à Giessen, archiatre (premier médecin) du landgrave de Hesse-Darmstadt (v. note Patin 31/458), a correspondu avec Guy Patin.
Johann Daniel Horst avait peut-être invité William Harvey à venir le voir à Darmstadt (v. note Patin 14/523). Alors au sommet de sa gloire, Harvey était âgé de 77 ans. Né en 1616, Horst avait pu suivre son enseignement à Oxford, mais je n’en ai trouvé aucune preuve.
V. note [20], Brevis Destructio d’Hyginus Thalassius, chapitre i, pour Paul Markward Schlegel et sa dispute avec Jean ii Riolan (1650-1652).
Riolan a surtout détaillé ses objections contre la circulation harvéenne et présenté la sienne, {a} dans les 25 chapitres (pages 539‑604) de son Instauratio magna Physicæ et Medicinæ, per novam Doctrinam de motu Circulatorio sanguinis in Corde [Grande Reconstruction de l’histoire naturelle et de la médecine par une nouvelle théorie sur le mouvement circulaire du sang dans le cœur]. {b}
- Résumée dans les notes Patin 18/192 et [4], lettre de Riolan à la Compagnie des docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris.
- Opuscula anatomica nova qui suivent son Anthropographia de 1649, v. note [1], 3e partie de sa première Responsio à Jean Pecquet.
Écrit en février 1655, ce court argumentaire résume magistralement les réticences que William Harvey avait détaillées dans sa lettre à Robert Morison (avril 1652), et prouvait que, s’il n’avait plus la force d’expérimenter lui-même, il avait conservé toute la puissance de son raisonnement. Le fait est que Jean Pecquet n’y avait pas apporté de réponses entièrement satisfaisantes dans la réédition (1654) de ses Experimenta nova anatomica, notamment sur le dernier point de Harvey, qui est de loin le plus dirimant car il met le doigt sur un fait physiologique incontestable, touchant à l’essence même de la circulation veineuse porte (nutrition glucidique et protidique immédiate du corps entier par le foie, v. supra note [17]).
V. notule {b}, note [23], préface de la première Responsio de Jean ii Riolan, pour l’aspect variable du chyle selon les espèces animales.
Le plus ardent défenseur de Jean Pecquet en Europe était alors Thomas Bartholin, éminent professeur de médecine à Copenhague, dont il sera nommément question dans la lettre suivante de William Harvey (v. infra note [31]).
William Harvey ne croyait pas si bien dire : il a fallu deux siècles (1651-1855) pour que Claude Bernard sorte la physiologie du chyle de l’ornière où Jean Pecquet l’avait enfoncée (v. note [10] de la Brève histoire du chyle).
V. note Patin 4/345 pour la symbolique du puits de Démocrite (v. note [6], Experimenta nova anatomica, chapitre 6), au fond duquel est tapie la vérité.
Date julienne correspondant au 10 février 1655 : v. supra note [21].
La lettre suivante (v. infra note [29]) à Johann Daniel Horst autorise à penser que William Harvey avait joint à celle-ci une copie de la réponse qu’il avait écrite à Robert Morison en avril 1652 (v. supra note [5]).
Johann Daniel Horst a imprimé cette lettre de William Harvey dans l’appendice B de sa Decas de 1656, {a} pages 66‑67, avec ce préambule :
Rescripsi Nobilissimo, nunquam satis laudato Harvejo, Viro inquam incomparabili, lacteum humorem in vasis mesaraicis contentum non posse casus adscribi, quia omnibus perfectis animalibus, et semper, positis nempe requisitis necessariiis adsit. Ab adipe vero diversum scripsi, quod in mortuo cadavere dispareat, non congeletur. Nec obstare, quod Veteres lacti pus congener dixerint, atque instar puris chylus hic generari videatur : cum veteribus, Empedocli maximè, sermo fuerit de lacte mammarum, et insuper ipse Hippocrates late loquendo coctionem dicere videatur corruptionem. Lac vero mammarum et lacteum hunc humorem Mesenterii differe, me judice, sedibus, officina, usu et fine, atque colorem externum vix sufficientem esse. Dari autem ipsas venas lacteas probavi oculari inspectione. Contentum vero liquorem chylum esse verum et germanum, quod præter hunc nullus humor ex intestinis educatur. Nec obstare diversitatem vasorum allegatam : omnes enim colligi ad fluxum illum in centro Mesenterii, atque surculos plures paria præstare posse cum magno aliquo trunco. Nec opus esse ut omni tempore appareant, cum jugi spirituum effluxui non chylus, sed sanguis ferat suppetias. Chylum præterea alium esse ventriculi et intestinorum : alium in venis lacteis contentum ; hunc semper albescere, illum vero non raro luteum, viridem, nigricantem et fœtidum esse posse. Denique Chylum extrema venarum Mesaraicarum oscula subclaviarum modo subire, et sanguine misceri ; non posse dici, quia autopsia et ligatura repugnent. De Lacteis thoracicis et vasis lymphaticis dubia quædam Dn. Bartholino perscripta, his et aliis addere placuit, cum voto et precibus, ut me, imo Orbem in his erudiret Vir Oculatissimus atque Excellens, per discipulos, vel Highmorem maximè, si ipsius ætas et alia obstent. Doctissimam vero, pro more suo, vereque auream huius meo petito dedit responsionem sequentem, quam Lectori Benevolo hac quidem lege, communico, ut à Deo Opt. Max. Seni Venerando omnia fausta oret et exoret.[Au très illustre M. Harvey, qu’on n’a jamais suffisamment loué et que je tiens pour incomparable, {b} j’ai répondu que le liquide lacté contenu dans les vaisseaux mésentériques ne peut être un fait du hasard car il s’en trouve constamment chez tous les animaux, ce qui les rend nécessaires et indispensables. J’ai écrit qu’il est vraiment distinct de la graisse parce qu’il disparaît chez le cadavre et ne se solidifie pas. Il ne me semble pas y avoir d’obstacle dans le fait que les Anciens ont dit que le pus est de même essence que le lait et que le chyle est engendré comme le pus, {c} puisque les vieux auteurs, et principalement Empédocle, ont discouru sur le lait des mamelles, et qu’Hippocrate, parlant en termes généraux, semble dire que la coction est une corruption. {d} À mon avis, le lait mammaire est en vérité différent de cette humeur lactée du mésentère, tant par ses localisations, son lieu de production et son utilité que par son dessein, bien que leur couleur apparente permette difficilement de les distinguer l’un de l’autre. J’ai prouvé en les scrutant directement que lesdites veines lactées délivrent le chyle véritable et authentique qu’elles contiennent car aucune autre humeur que lui n’est extraite des intestins. La prétendue diversité de leurs vaisseaux n’est pas un argument contraire parce que tous convergent au centre du mésentère et on peut voir leurs rameaux nombreux s’unir en un certain gros tronc. Il n’est pas nécessaire qu’ils soient visibles à toute heure car ce n’est pas le chyle, mais le sang qui subvient à l’inépuisable écoulement des esprits. En outre, le chyle qui est contenu dans l’estomac et les intestins n’est pas le même que celui des veines lactées, qui est toujours blanc, tandis que l’autre peut fréquemment être jaune, vert, noirâtre et fétide. Enfin, sans cette distinction, l’observation directe et la ligature seraient contraires à la manière dont le chyle achève sa course dans les veines subclavières et s’y mélange au sang. Il a plu à M. Bartholin, après avoir achevé ses Dubia de Lacteis thoracicis et vasis lymphaticis, {e} de me faire part, dans diverses lettres, de son vœu insistant que le plus perspicace et brillant homme de notre temps {f} m’instruise, et même éclaire le monde entier, sur ces questions, et si son grand âge ou d’autres tracas l’en empêchent, d’en charger ses disciples, tout particulièrement Highmore. {g} L’ayant ainsi sollicité, il m’a, comme à son habitude, fait une réponse très savante, qui vaut véritablement de l’or. Je la communique au bienveillant lecteur, à la condition expresse qu’il prie Dieu tout-puissant d’accorder toutes sortes de félicités à notre vénérable vieillard]. {h}
- V. supra note [20].
- Ce Rescripsi, « J’ai répondu », établit que Harvey avait envoyé une copie de sa réponse à Robert Morison à Horst, dont le texte cherche à résoudre des arguments qui s’y lisaient.
- V. supra note [8].
- Je n’ai pas trouvé où Hippocrate a établi ce parallèle entre digestion et corruption. V. note [18], seconde Responsio, première partie, pour Empédocle.
- Thomas Bartholin : « Doutes sur les lactifères du thorax et les vaisseaux lymphatiques » (Copenhague et Paris, 1653, v. note Patin 19/325).
- C’est-à-dire Harvey : plus loin dans sa Decas, Horst a transcrit la lettre que Bartholin lui a écrite, datée de Copenhague, le 31 mars 1655, où il analyse longuement et assez rudement celle de Harvey à Morison (qui n’était décidément pas confidentielle), mais sans solliciter expressément une réponse de Harvey à ses critiques.
- Nathaniel Highmore, v. infra note [33].
- Le latin de Horst n’étant pas de première qualité, j’ai interprété de mon mieux plutôt que fidèlement traduit les nombreux écarts de syntaxe qui encombrent sa lettre.
Dans la lettre qu’on va lire, Harvey répondait à certains des nombreux arguments que Thomas Bartholin avait exposés dans celle qu’il avait écrite à Horst le 31 mars 1665.
Il est exact qu’il n’y a pas de chylifères au contact de l’estomac, mais le lien que William Harvey établissait entre ce défaut et le retour des forces après un évanouissement dépasse mon entendement.
L’adjectif præternaturalis, « contraire à la nature », prouve que William Harvey avait lu la longue lettre de Thomas Bartholin à Johann Daniel Horst, datée du 31 mars 1665 (v. sa note [6]), mais de guerre lasse, il ne souhaitait pas se donner la peine d’y répondre point par point.
Harvey y ajoutait l’imaginaire vagissement utérin : v. note [2], Historia anatomica de Thomas Bartholin, chapitre x.
V. note Patin 10/9005 pour le méconium qui est le premier excrément fécal émis par le nouveau-né.
Tout ce paragraphe fait allusion à des propos contestables de Johann Daniel Horst, qu’il a préféré omettre dans le résumé de la lettre à laquelle William Harvey répondait ici (v. supra note [29]). Néanmoins, Horst a eu l’honnêteté (ou la mégarde) de maintenir ledit paragraphe dans sa transcription de la présente réponse.
Nathaniel Highmore (v. note [22], préface de la première Responsio de Jean ii Riolan) n’a jamais pratiqué la médecine à Londres, mais à Sherborne (Dorset), où il a résidé pendant la plus grande partie de son existence.
L’éditeur des Opera omnia de William Harvey (Londres, 1766, v. supra note [2]) a ajouté cette note :
Nimirum Horstius epistolae suae, cui ab Harveio hac respondetur, ista verba subjunxerat : “ Nobilissime Harveie, quaeso tantum otii sume, et verum usum orbi expone lymphaticorum et thoracicorum ductum. Habes discipulos multos clarissimos, maxime Highmorum ; quo mediante facile erit dubia omnia solvere. ”[Dans sa lettre à laquelle Harvey répond ici, Horst avait joint ces mots : « Je vous prie, très éminent Harvey, de prendre le temps d’expliquer au monde la véritable utilité des canaux lymphatiques et thoraciques. Vous avez beaucoup de brillants disciples, et notamment Highmore, dont l’intermédiaire vous permettra facilement de résoudre tous les doutes. »]
Johann Daniel Horst a tenu à peu près le même propos dans sa Decas (1656, v. supra note [29]), mais je suis frustré de n’avoir pas eu accès à sa lettre originale dont l’éditeur de 1766 a disposé.
Date julienne correspondant au 23 juillet 1655 : v. supra note [21].
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Epistola tertia.
Responsoria Morisono, Medicinae Doctori :
Parisios.
Clarissime vir,Quvm literis tuis humanissimis hactenus nihil responde-
rim, id inde factum, quod libellus D. Pecqueti (super
quo judicium meum expetebas) nisi sub finem proxime præ-
terlapsi mensis, ad manus meas non pervenerit. Hærebat, cre-
do, apud aliquem, qui vel deferendi incuria, vel res novas per-
legendi aviditatem me illius fruitione diu adeo frustratus est.
Vt igitur quid de eo sentiam plane intelligas, laudo sane pluri-
mum viri illius in corporum dissectionibus diligentiam, in ex-
perimentis novis faciendis dexteritatem, et in judicio super iis-
dem ferendo solertiam. Nempe difficili hoc tramite ad verita-
tis abdita pertingimus ; sensuumque suffragiis innixi Deum in
operibus suis ducem ac praeceptorem agnoscimus : dum specio-
Page 621, Guilielmi Harveii Opera omnia.
sum illud iter, quod solo argumentorum nitore oculorum aciem
perstringit, plerumque ad avia deducit, et probabilem solum, at-
que ut plurimum sophisticam de rebus conjecturam exhibet.Quinetiam mihi quoque gratulor, quod tam certis experi-
mentis, clarisque rationibus, sententiam meam de circulatione
sanguinis confirmaverit. Vellem tamen id unum observasset,
cor nempe triplici motus genere gaudere : nimirum systole,
qua cor sese contrahit, sanguinemque in ipso contentum expel-
lit ; deinde relaxatione quadam motui illi contraria, qua cordis
fibrae motui dicatae remittuntur ; suntque hi duo motus in ip-
sa cordis substantia, quemadmodum et in aliis omnibus muscu-
lis : adest denique diastole, qua cor a sanguine ex auriculis in
ventriculos ejus impulso distenditur : ventriculique hoc pacto
repleti ac distenti cor ad contractionem sui sollicitant : atque
hic motus subsecuturam statim systolen semper praecedit.Quod attinet ad venas lacteas ab Asellio repertas, atque ulte-
riorem Pecqueti diligentiam, qua receptaculum sive cisternam
chyli condam promamque adinvenit, canaliculosque inde ad
venas subclavias deducentes ; dicam libere (quoniam id requi-
ris) quid ea de re sentiam. Jamdudum, imo vero (ausim di-
cere) priusquam Asellius libellum suum evulgaret, canaliculos
illos candidos, lactisque copiam in pluribus corporis partibus, et
praesertim in glandulis juniorum animalium (utpote in mesen-
terio, ubi earum maxima copia), data opera observavimus : in-
deque factum arbitrati sumus, quod thymus in vitulo, atque
agno tam jucunde saperet, et a nostratibus (uti nosti) the sweet
bread diceretur. Plurimas tamen ob causas, variaque experi-
menta, induci nunquam potui ut crederem lactescentem illum
succum esse chylum, qui ab intestinis illac in omnes corporis
partes ad earundem nutritionem deducatur : verum potius ca-
su interdum contingere, atque ab uberiore nutricatu et bonita-
te concoctionis profluere ; eadem nempe naturae lege, qua ad-
Page 622, Guilielmi Harveii Opera omnia.
eps, medulla, genitura, pilorum copia, et caetera nascuntur ;
et quemadmodum in proba ulcerum vulnerumque digestione
pus gignitur, quod quo propius ad lactis consistentiam accedit
(nimirum ut sit album, laeve, et aequale) eo laudabilius habe-
tur : ideoque priscrorum aliqui lac ipsum puri congener esse ex-
istimarunt. Quapropter licet de vasis illis certo constaret, ea
tamen chylifera esse Asellio consentire non possum ; idque po-
tissimum ob rationes nunc dicendas, quae animum meum in di-
versum trahunt. Videtur enim succus in venis lacteis conten-
tus esse purum putum lac, quale in venis lacteis mammarum
reperitur. Parum autem verisimile mihi (uti etiam Auzotio,
in epistola ad Pecquetum conscripta) videtur lac esse chylum,
adeoque totum corpus lacte nutriri. Quae in contrarium addu-
cuntur rationes, ut chylum esse evincant, minus nervosae sunt
quam ut fidem mihi extorqueant. Id itaque primum mihi
certis rationum momentis, et experimentorum claritudine de-
monstrari cupiam, esse nimirum chylum, qui ex intestina illac
delatus toti corpori alimetum suppeditet. Nisi enim de hac
re prius constet, frustrabitur nos omnis ulterioris indagationis
diligentia, et operosior de natura earum disquisitio. Quomo-
do autem toti chylo, corporisve nutrimento, deferendo inservi-
ant, siquidem hi ductus in diversis animalibus diversi conspi-
ciuntur ? In nonnullis abeunt ad hepar, in aliis ad portam so-
lum, in aliis vero ad neutrum eorum pertingunt. In aliquibus,
magna eorum copia in pancreate cernitur ; in aliis, thymus iis
abundat : in nonnullis autem, nihil horum in alterutro conspi-
cias. In plurimis vero animalibus, chyliferi istiusmodi canales
non omnino reperiuntur (vide Licetum, epist. xiii. tit. 2 pag.
83. et Sennertum, prax. lib. v. tit. 2. par. iii. cap.1.) ; nec in
ullis omni tempore occurrunt. Cum tamen vasa nutritioni
destinata debeant necessario omnibus animalibus omnique tem-
pore, inesse : quoniam damnum, a jugi spirituum partiumque
Page 623, Guilielmi Harveii Opera omnia.
corporis effluxu illatum, non nisi perpetua earundem alimonia
restituitur. Accedit quod angusta eorum capacitas huic usui
non minus insufficiens, quam fabrica inidonea, videatur. De-
berent enim minores ramusculi in majores desinere, hique si-
militer in ampliores alios, tandemque in maximum truncum
terminari, qui caeteris omnibus canalibus amplitudine respon-
deat ; quemadmodum in vena porta ejusque ramulis cernere
est : et perinde ac truncus arboris ipsius radicibus aequalis est.
Ideoque si canales humorem aliquem afferentes, aliis eundem
efferentibus magnitudine pares esse debeant ; oportet sane duc-
tus chyliferi (quos Pecquetus in thorace constituit) utrique sal-
tem ureteri cavitate respondeant. Alias enim qui aquarum
acidularum congium atque amplius bibunt, non possent tam
brevi tempore per haec vasa easdem in vesicam transmittere.
Et profecto cum urinae materia illac copiose pertranseat, non
video quomodo venae illae colorem suum lacteum servare pos-
sint et urinam interea ab earundem albedine nihil tingi. Addo
etiam, chylum haud in omnibus animalibus, neque omni tem-
pore, ejusdem cum lacte consistentiae et coloris esse : ac prop-
terea, si vasa illa chylum deferrent, non possent semper (quod
tamen sit) humorem albidum in se complecti ; sed interdum
flavo, viridi, aliove colore tingerentur (quemadmodum et uri-
nae ab esu rhabarbari, asparagi, ficus Indicae, et caeterorum,
varios colores induunt), et aquis mineralibus limpidis referta
nullum omnino colorem prae se ferrent. Praeterea, si materia
illa albescens ex intestinis in ductus illos transierit, vel ab iis-
dem attracta fuerit ; deberet certe eiusmodi humor in ipsis in-
testinis, vel spongiosis eorum tunicis, alicubi reperiri : non vi-
detur enim vesisimile, humorem aliquem, nuda subitaque per
intestinum transcolatione, naturam aliam induere et in lac fa-
cessere. Quinetiam si chylus esset per intestinorum tunicas
solummodo translocatus, deberet profecto naturae pristinae ves-
Page 624, Guilielmi Harveii Opera omnia.
tigium aliquod servare, humoremque in intestinis repertum co-
lore et odore referre, adeoque putride olere : quidquid enim a
summo ad imum in intestinis continetur, a bile tingitur, et me-
phitim olet. Ideoque aliqui arbitrantur corpus a chylo in va-
porem attenuato nutriri : quod vapores, a foetidis etiam rebus
in alembico exhalantes, saepe haud male oleant.Humoris hujus lactescentis motus causam D. Pecquetus
respirationi attribuit. Ego vero, etsi multa sunt quæ mihi
contrarium suadeant, nihil tamen de ea re dicam, donec pri-
us de τω οτι liquido consisterit. Vt concedam autem (quod ille
sibi dari postulat, licet illud nulla argumentationis vi evicerit)
chylum continue ea semita deferri, nempe ex intestinis ad venas
subclavias deduci, in quas vasa ab eo nuper reperta terminan-
tur ; dicendum profecto fuerit chylum, antequam ad cor per-
tingat, cum eo sanguine misceri qui mox dextrum cordis ven-
triculum ingredietur, ut concoctionem illic uberiorem nancis-
catur. Quidni autem pari jure dicat aliquis eundem in por-
tam, exinde in hepar, cavamque transire ? quemadmodum id
ab Asellio aliisque observatum dicitur. Imo vero cur nonae-
que credamus chylum in extrema venarum meseraïcarum oscu-
la ingredi, eoque pacto statim cum sanguine misceri ; ut ab ejus
calore concoctionem perfectionemque acquirat, et partibus om-
nibus nutriendis inserviat ? Enimvero cor ipsum haud alio no-
mine prae caeteriis partibus aestimandum venit, nec fons caloris
et vitae dici potest nisi quatenus sanguinis plurimum in se con-
tinet ; quem, ut ait Aristoteles, non in venis, aliarum partium
more, sed amplo sinu, veluti in cisterna, complectitur. Rem-
que ita se habere, vel illud mihi argumento est, quod tam in-
numerae arteriae venaeque ad intestina deferantur ; plures quam
ad aliam aliquam totius corporis partem : quemadmodum et
uterus gravidationis tempore plurimis vasis scatet. Natura
enim nihil temere operatur. Ideoque animalia omnia sangui-
Page 625, Guilielmi Harveii Opera omnia.
nea, quibus nutrimento opus est, venas meseraïcas dortita sunt ;
venas autem lacteas, non nisi pauca admodum ; idque non per-
petuo. Quamobrem si de usu partium judicandum est, prout
eas plerumque et in pluribus animalibus conspicimus ; procul-
dubio candida isthaec et aranearum telae simillima filamenta ;
non sunt nutrimento deferendo instituta ; nec humor, in iis
conspicuus, chyli nomine appellandus est : sed vasa meseraïca
potius illi officio destinatur. Quippe unde animal constat,
inde quoque necessario augetur, et per consequens nutritur :
idem enim est nutritivum et augmentativum. Ac propterea
anima a natura ad eundem modum augetur, quo nutrimentum
ei ab initio immediate accesserat. Est autem certissimum (vel-
uti alibi diximus) animalium omnium sanguineorum embryo-
nes vasorum umbilicarum ope a matre nutriri, idque median-
te sanguinis circulatione : non tamen nutriuntur sanguine (ut
plerisque creditum est) sed ad modum pennatorum, quae albu-
mine primum, dein vitello aluntur, qui tandem in pulli abdo-
men retrahitur et occluditur. Vasa autem umbilicalia omnia
in hepar inseruntur, vel saltem illud pertranseunt, etiam in iis
animalibus quorum vasa umbilicalia in venam portae inserun-
tur ; quemadmodum in pullis, vasa a vitello deducta semper il-
lic desinunt. Quemadmodum igitur pullus praeparato prius
nutrimento (albuminae scilicet et vitello) alitur ; ad eundem pa-
riter modum etiam postea toto vitae tractu nutritur. Idque si-
militer (ut alibi monuimus) omnibus embryonibus commune
est : nempe alimentum, una cum sanguine permistum, per ve-
nas eorum defertur, tandemque ad cor pertingit ; indeque per
arterias remeans, ad omnes totius corporis partes delabitur.
Fœtus scilicet jam natus, suique juris factus, nec amplius im-
mediate a matre nutritus, ventriculo intestinisque suis utitur ;
sicut pullus ovo, et plantae terra gaudent, unde coctum alimen-
tum attrahunt. Quemadmodum enim pullus ab initio, medi-
Page 626, Guilielmi Harveii Opera omnia.
ante circulatione, vasorum umbilicalium (arteriarum nempe et
venarum) opera ex ovo sibi victum quaerebat ; ita postea, inde
exclusus ab intestinis per venas meseraïcas alitur : adeo ut utro-
bique chylus per eosdem ductus eodemque modo hepar per-
transeat. Neque causam ullam video quin, quo itinere chylus
in uno fertur, eodem quoque in aliis omnibus animalibus trans-
feratur : nec sane, si ad hanc rem circuitu sanguinis opus fue-
rit (uti revera est) aliud aliquod iter comminisci queas.Laudo quidem plurimum D. Pecqueti industriam, et re-
ceptaculum ab eo inventum : non est tamen tanti apud me
momenti, ut a praedicta jam sententia divellat : reperi enim
multoties, in juvenculis animalibus, varia lactis receptacula ; et
in embryone humano thymum adeo lacte intumuisse comperi,
ut primo intuitu apostematis suspicio oborietur, pulmonesque
suppuratos crederem : tumor enim ipsis pulmonibus major ap-
paruit. Saepe etiam in infantum recens natorum mamillis
lactis copiam reperi ; uti etiam in uberibus juvenum habitio-
rum et praepinguium. Vidi etiam in pingui atque amplo cer-
vo conceptaculum lacte plenum (ibi loci natum, ubi Pecque-
tus receptaculum suum contituit) tantae magnitudinis, ut abo-
maso ejus facile comparari potuerit.Haec habui, doctissime vir, quae, tibi morem gerens, ad li-
teras tuas impraesentiarum rescriberem. Caeterum, si D. Pec-
queto et D. Gayant meis verbis salutem plurimam impertieris,
valebis ex vototui amantissimi et observantissimi,
gvilielmi harveii.
Dabam Londini,
iv Calendas Maias,
Anno aerae Christianae, 1652.
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Epistola qvinta.
Joanni Danieli Horstio, achiatro hassi-
ensi : darmstadium.
Excellentissime vir,Plurimum mihi gratulor, quod tam longo interjecto
tempore, tanta loci intercapedine remotus, memoriam ta-
men nostri non abjeceris ; cuperemque mihi daretur postulatio-
ni tuae pro voto satisfacere. Sed revera hanc gratiam mihi non
facit aetas, tum per se capularis, tum recrudescente saepe vale-
tudine afflictior. Quod ad Riolani judicium, et de circulatio-
ne sanguinis sententiam attinet ; plane constat eum magno co-
natu magnas nugas egisse : nec video cuipiam hactenus illius
figmenta placuisse. Slegelius accuratius scripsit et modestius ;
et si fata voluissent, proculdubio argumenta ejus atque etiam
opprobria retudisset. Sed illum ante menses aliquot mortalita-
tem exuisse, et audio, et doleo. Quae autem de venis lacteis,
ductibusque thoracicis dictis a me quaeris, oculos perspicaces,
animumque ab aliis curis liberum requirunt, ut possis certi ali-
quid de minutis illis vasis statuere : mihi vero, ut dixi, jam
neutrum conceditur. Abhinc biennio circiter, sententiam meam
super hac re rogatus pluscula respondi : nimirum, haud satis
constare, sitne chylus, an lactis materia spissior in pinguenidem
mox abitura, quae vasa illa albida transfluit : deinde, vasa ist-
haec in quibusdam animalibus desiderari ; puta in avibus et pis-
cibus ; cum tamen illa quoque ad eandem normam nutriri veri-
simile sit : nec rationem satis idoneam assignari posse, cur in
embryone victus omnis, per venam umbilicalem delatus, hepar
pertranseat ; idem vero non contingat, postquam is jam sui ju-
ris factus ex uteri ergastulo prodierit. Praeterea, ductus tho-
racicos minores esse, et foramen (per quod chylus ille in venam
Page 630, Guilielmi Harveii Opera omnia.
subclaviam elabitur) angustius, quam ut annona omnis toti cor-
pori suffectura illac permeare possit. Quaesivi etiam, cur tam
ingens arteriarum venarumque numerus ad intestina feratur, si
nihil inde efferendum sit ? praesertim cum sint partes membra-
neae, minoresque adeo sanguinis copia indigeant.Haec et similia jampridem scripsi ; non quod obstinate
huic sententiae addictus sim ; sed ut experirer, quid a novae
hujus sententiae patronis commode dici possit in contrarium.
Laudo equidem summopere Pecqueti, aliorumque, in indigan-
da veritate industriam singularem : nec dubito, quin multa ad-
huc in Democriti puteo abscondita sint, a venturi saeculi inde-
fatigabili diligentia expromenda. Haec habui, quae impraesen-
tiarum rescribem ; quae, tu, spero, pro singulari tua humani-
tate, boni consules. Vale, vir doctissime, et vive feliciter ; quod
vovettibi ex animo addictissimus
gvilielmus harveius.
Londini, Calendis
Februarii, 1654-5.
Epistola sexta.
clarissimo atque ornatissimo viro, d. jo-
anni danieli horstio, archiatro hassi-
ensi : darmstadium.
Excellentissime vir,Non sinit aetas jam provectior, qua subtilitates novas ex-
quirendi studium defatigati relinquimus, neque etiam
animus, post diutinos labores, otii ac quietis amans, ut arduae
rerum nuper repertarum disquisitioni penitius me immisceam :
tantum abest, ut litis hujus me sequestrem statuam idoneum.
Page 631, Guilielmi Harveii Opera omnia.
Volui quidem tibi morem genere, cum sententiam meam,
super venis lacteis ductibusque thoracicis, interroganti eadem
rescripsi, quae antea medico cuidam Parisiensi responderam.
Non quidem quod illius sententiae certus essem, sed ut objec-
tionibus iis qualibuscunque aurem illis, qui ex pauculis repertis
omnia a se patefacta arbitrantur, aliquantulum vellerem.Literas autem tuas responsorias quod attinet, humoris illius
lactei in Asellii vasis collectionem, casui non ita attribui, quasi
existentiae suae causas certas non habeat : sed negavi eum in
omnibus animalibus, omnique tempore (uti constans nutritionis
tenor postulare videtur) reperiri. Nec necesse est, ut materia
jam tenuis ac dilutior, et post ulteriorem coctionem in pingue-
dinem desitura, in demortuo animali concrescat. Puris vero
exemplum non nisi oblique a me illatum est. Praecipuus vero
disputationis nostrae cardo in eo positus erat, ut plane constet
liquorem illum, qui in lacteis Asellii continetur, esse chylum.
Quod certe a te haud liquido demonstrari arbitror, dum ais chy-
lum educendum esse ex intestinis ; eum autem efferri nequa-
quam posse ope arteriarum, venarum, aut nervorum ; ac prop-
terea reliquum esse, ut munus id lactearum ministerio peraga-
tur. Ego vero causam sonticam nullam video, cur venae innu-
merabiles, quae intestina ubique perreptant, sanguinemque ibi-
dem ab arteriis acceptum ad cor reducunt, non possint una
opera et chylum ad ea loca penetrantem exsugere, et ad cor de-
ferre : eoque magis, quod verisimile sit chylum aliquem imme-
diate e ventriculo emigrare, priusquam ad intestina pertingat,
(unde enim aliter tam subita, in animi deliquio, spirituum viri-
umque instauratorio ?) cum tamen ad ventriculum lacteae nullae
perveniant.Quae ad Bartholinum a te scripta ais, non dubito quin ipse-
met iisdem ex voto tuo responderit : nec opus est ut ego tibi
Page 632, Guilielmi Harveii Opera omnia.
circa eam rem ulterius molestus sim. Dicam solum, posse
succum illum nutritium (ut alias nunc vias taceam) per arterias
uterinas delatum, non minus commode in uterum destillare,
atque serum per arterias emulgentes in renes delabitur. Neque
succus ille dici potest praeternaturalis, aut vagitui uterino com-
parari debet : cum ille in gravidis mulieribus perpetuo adsit, hic
vero rarissime contingit. Quod etiam addis, excrementa recens
natorum, ab iis differre [illorum] qui vel semel lac sumpserunt ;
ego sane, praeter colorem, vix quidquam discriminis agnosco ;
nigredinemque illam, faecum in alvo diuturnae morae, merito
adscribi posse arbitror.Quod autem mihi auctor es, ut ductuum nuper repertorum
verum usum aggrediar ; est profecto ea res majoris moliminis,
quam ut effractae aetati, senique aliis curis implicito, conveniat :
nec potest ejusmodi negotium commode multorum manibus per-
agi, etiamsi mihi talia auxilia, qualia tu memoras, ad ma-
num essent : non sunt autem ; neque Highmorus apud nos de-
git, eumque ad septennium ne vidi quidem. Haec habui
quae impraesentiarum rescriberem : tuque ea, vir ornatissime,
aequi bonique aestima, tanquam profecta atui amantissimo atque observantissimo,
gvilielmo harveio.
Dabam Londini,
tertio Idus Julias
1655. St. vet.
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.