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Jean ii Riolan
Responsiones duæ (1655),
Responsio ad Pecquetianos
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Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean ii Riolan Responsiones duæ (1655), Responsio ad Pecquetianos, 4e de 6 parties

Adresse permanente : https://numerabilis.u-paris.fr/editions-critiques/pecquet/?do=pg&let=1057

(Consulté le 24/06/2025)

 

[Page 108 | LAT | IMG] [1]

Quand le second pecquétien [2] reproche à Riolan de tirer son principal argument des « impuretés du chyle qui souillent les esprits vitaux », [3] il a tiré cela de la deuxième lettre [4] parce qu’il avait prévu mon objection et y avait répondu. [1][5] Je lui sais profondément gré de m’avoir ainsi procuré de très puissantes armes pour rejeter la sanguification dans le cœur, [6] mais mon raisonnement est tout à fait différent du sien. [7]

Page 203, Riolan a « l’habitude bien ancrée de réfuter un argument inexpugnable, car tiré de l’expérience », sans considération pour les œuvres de la nature. « Ainsi, par exemple, réfute-t-il la démonstration de la circulation du sang dans la veine porte, [8] que la ligature de la racine du mésentère rend manifeste chez un chien vivant, [9] et plus encore celle de son tronc porte tout près du foie, qui le vide de son sang en amont du lien, mais qui s’en remplit dès qu’on le dénoue. » Vous ignorez qu’entre ces deux ligatures le tronc porte reçoit le sang venant [Page 109 | LAT | IMG] des veines splénique [10] et mésentérique, et s’en remplit quand on les dénoue. [2]

Page 204, il emprunte maints passages aux livres de Riolan en les abrégeant, mais non sans les corrompre car il en omet des mots essentiels. Ainsi a-t-il soustrait tous les mots que je mets ici en exergue, quand il me reproche, à la page 149, de désapprouver les expériences en écrivant : « Quel médecin vouant son temps à la pratique, voudra gaspiller son travail et son argent à explorer ces questions qui n’ajoutent rien à la bonne manière de remédier ? Il préférera rester fidèle à l’antique doctrine, qui est vraisemblable car elle a été approuvée de tout temps par toutes les nations, à se ridiculiser en optant pour le doute et l’incertitude, s’il adhère aux opinions paradoxales de Harvey, qui ne peuvent résister au raisonnement, ni être démontrées par la vue et le toucher. À l’âge que j’ai atteint, je m’abstiens donc volontiers et sciemment de ces expériences extrêmement pénibles, et en laisse le soin à d’autres, qui sont curieux, jeunes et riches. » [3] Tel est mon exact propos que le second Pecquétien a tronqué suivant sa mauvaise habitude. J’ai exposé mes raisons de ne pas approuver ces expériences aux pages 148‑149 de mon débat contre Harvey[11][12] J’ajoute ce qu’Horapollon a écrit dans son chapitre 36 : « Les Égyptiens donnent à entendre que quiconque a de quoi vivre, s’appliquera aux lettres, et que celui qui manque du nécessaire, se livrera à un autre art. De là vient qu’ils appellent la science Sbo, mot qui signifie nourriture pleine. » [4][13]

Page 205, il blâme Riolan pour avoir accusé deux médecins de Paris d’être « complices et cautions » de la doctrine pecquétienne, ce dont il confirme ensuite la vérité : « Puisque le cœur est l’organe premier de [Page 110 | LAT | IMG] l’hématose, alors il en existe un second », mais il n’en résulte pas que « le censeur ne peut penser à nul autre que le foie », car comment prouvera-t-il que le foie est secondaire ? Néanmoins, « comment ne rougit-il pas de s’imaginer que l’auteur d’une lettre qui tenait un propos si clairvoyant a été le conseiller d’un crime ? » C’est pourtant vous qui devriez rougir d’avoir écrit dans ladite lettre à Pecquet que son livre lui « a appris, en accord avec le principe dont Aristote [14] s’était convaincu, que le cœur est l’organe premier de l’hématose. » [5][15] La sanguification commence donc dans le cœur, et Riolan se plaint légitimement que les médecins de Paris, comme en atteste ce jeune docteur, soient divisés en deux factions, contre et pour l’antimoine ; et que ces derniers aient entrepris une conspiration, en signant un pacte pour établir la toute-puissance stibiale. Dans sa plainte auprès des médecins de Paris, quand il demande à être rétabli dans sa dignité, le foie fait cependant remarquer qu’il ne pourra l’obtenir : la ligue séditieuse des stibiaux s’y opposera car quand cette question est soulevée dans les Écoles, elle fait taire les antistibiaux. [6][16][17]

Page 206, Riolan a vu et loué, comme ses collègues pecquétiens, les veines lactées thoraciques que Pecquet a découvertes, mais Riolan a tout fait pour le tailler en pièces dès qu’il parlait de leurs insertions ; [18] et pire encore quand il parlait de leur fonction, page 186, car notre vieillard n’a pas reconnu leur véritable utilité, ce qui l’a mené à réprimander Pecquet plus sévèrement encore, page 187 ; [7][19] mais rien n’est plus faible et léger que les arguments dont Hyginus Thalassius l’assaille à la même page 206, et je ne souffrirai pas qu’il étouffe ainsi la lumière qui brille encore en moi, même si je perds mon temps à lutter contre la vérité de ce que Pecquet a écrit. [Page 111 | LAT | IMG]

Si la scission des médecins de Paris est authentique, je redoute fort (et vous vous souvenez d’avoir prononcé cet oracle fatal) que notre Faculté ne finisse par être culbutée de fond en comble, et que celle de Montpellier s’introduise dans la capitale, sans éviter que circa ægros miseræ sententiarum concertationes, nullo idem censente, ne videatur accessio alterius. Considérez donc bien, disait Cassiodore, Medici, dum non vultis vobis inuicem cedere, ne inuenta vestra videamini dissipare. Adviendra finalement ce qui s’est produit à Rome, d’après Pline, Per quæ effectum est, vt nihil magis prodesse videatur, quàm multitudo grassantium in tanta Medicorum discordia ; et alors perditio tua ex te Israël, erit[8][20][21][22] La sanguification ne s’accomplirait que dans le cœur, le foie aurait pour unique fonction d’être le filtre et le réservoir de la bile. [23] Depuis que l’Université de Paris a été fondée et se tient debout, jamais un de ses docteurs n’a prononcé et consigné par écrit paradoxe si absurde et dangereux pour la vie humaine. Jamais nos anciens maîtres n’auraient toléré qu’il dît cela sans le punir, soit en le radiant de la liste de nos docteurs, soit en obtenant de lui qu’il abjurât un dogme si faux et pernicieux, et qu’il l’abandonnât. Vous tournez en dérision la piété de Riolan et en riez quand, approchant du terme de son existence, il pense à « se compter parmi les célicoles » ; [24] mais comme vous en avez coutume, vous avez mutilé le propos qu’il a tenu à la fin de sa préface contre Spiegel ; [9][25] et pour venger Pecquet et ses suppôts, vous menacez Riolan de sévères punitions qu’il n’a pas méritées, car il a solidement ancré dans le cœur, depuis l’enfance, ce qu’a dit le prophète et roi David, Initium sapientiæ timor Domini[26] et il observe plus diligemment encore ce précepte, [Page 112 | LAT | IMG] une fois qu’il est devenu vieux, en se rappelant celui du Sage Siracide, Gloria Senum est timor Domini[10][27]

Page 205, pour vous monter vraiment « stibialissime » et vous gagner la faveur de la faction stibiale (pour employer vos mots), vous affirmez impudemment que « toutes les universités, et particulièrement celle de Paris, ont approuvé le vin émétique qu’on tire du safran d’antimoine métallique, [28] dont l’emploi, tout aussi dénué de danger que l’invention des canaux pecquétiens, enrichit pareillement la science médicale. » [11]

Il est parfaitement faux que « Riolan qualifie ses collègues de pestes stibiales et stygiales » car il a dit cela des méfaits de l’antimoine qui mortifie et déchire la substance du foie : « Empêchez ce crime et chassez cette peste de votre Faculté ! » ; [6] c’est ainsi que je parle de ce métal, et non des docteurs de Paris, que je vénère tous et dont j’ai chanté les louanges dans un livre qui a paru naguère, ce que personne n’avait entrepris au cours des huit siècles écoulés depuis que l’École de médecine parisienne a été créée, et dans le livre i de mon Anthropographie, sur la construction de l’amphithéâtre d’anatomie. [12][29][30] Pourquoi plaisantez-vous si longuement sur la laine de chèvre ?Dic de tribus capellis[13][31] secouez et réfutez donc mes arguments, comme vous l’avez promis à grands cris ; sinon je vous dirai, comme Horace fit jadis :

Parturient montes, nascetur ridiculus mus.

Incerta hæc si tu postulas
ratione certa facere, nihil plus ages
quàm si des operam, vt cum ratione insanias
[14][32]

Bartholin s’y est essayé dans ses Doutes anatomiques[33] que j’ai résolus, [34] mais vous recuisez stupidement le même chou,

Occidit miseros crambe repetita magistros[15][35]

[Page 113 | LAT | IMG]

Réponse au chapitre iv[36]

Dans les trois précédents chapitres, les suppôts pecquétiens se sont efforcés, par leurs insultes, calomnies, mensonges et impostures, de diffamer Riolan, qu’ils ont dénigré et méprisé pour accroître la gloire de Pecquet. Dans celui qui les suit, ils ont médité de s’en prendre sérieusement et vaillamment à lui en démontrant la fonction des lactifères thoraciques, mais en s’y prenant très sottement comme je vais en procurer la preuve manifeste.

Turpe est difficiles habere nugas,
Et stultus labor est ineptiarum
[16]

Pages 207‑208, si ces docteurs de Paris avaient loyalement affronté Riolan, ils auraient dû examiner la dernière opinion qu’il a présentée dans son jugement nouveau sur les veines lactées du thorax. Il y a remarqué que, selon Vésale[37] la branche mésentérique [38] se dirige sous le mésentère vers la grande glande, [39] où le chyle ruisselle de tous côtés, en passant par les veines mésaraïques. Ce sont celles dont Hérophile [40] a établi qu’elles ne naissaient pas du foie : Galien, vers la fin du livre iv sur l’Utilité des parties[41] atteste que, selon Hérophile, ces veines aboutissaient à des corps glanduleux, tandis que toutes les autres remontaient le chyle au hile du foie ; [17] il établissait ainsi deux sortes de veines mésentériques, dont les unes menaient le chyle aux glandes et les autres, au foie. Comme les médecins, les aruspices de l’Antiquité voyaient les veines lactées quand ils ouvraient du bétail vivant pour célébrer leurs sacrifices expiatoires ou prédire l’avenir en [Page 114 | LAT | IMG] scrutant leurs entrailles, et s’ils observaient quelque chose d’insolite, ils en tiraient des oracles. [42] Les Romains donnaient au mésentère le nom de lactes, selon Plaute, dans le Curculio : præ vacuitate laxis lactibus accedo[18][43] Dans sa version latine de l’Histoire des animaux d’Aristote et ailleurs, Gaza a traduit mesenterion par lactes[19][44][45] Quand, en disséquant un chien, Aselli [46] a vu le mésentère laiteux, il a cru que ces veines étaient celles qu’Hérophile avait observées, et il en a tiré occasion d’écrire son livre sur les Veines lactées. Étant pour ma part convaincu que les veines du mésentère puisent et emportent le chyle, je n’ai pas prêté grande attention à la blancheur des veines mésaraïques chez des animaux bien nourris, puisque cela n’apportait rien à l’art de mieux exercer la médecine et que les philiatres avaient tenu leur observation pour incontestable. [20] Pecquet a vu et soigneusement examiné les lactifères, et a découvert le réservoir qui reçoit le chyle ruisselant de partout. [47] Toutefois les branches cæcale et mésentérique inférieure, qui se distribuent dans le gros intestin, ne possèdent pas leur réservoir propre, et ni Pecquet ni les docteurs de Paris qui sont ses disciples n’ont observé de telles branches. [48][49] Ensuite, le chyle devrait se diviser pour se rendre au foie et au cœur en empruntant des rameaux distincts ; si, de fait, les veines issues du tronc mésentérique atteignent le réservoir et sont obturées par des valvules, elles en ramènent soit du chyle soit du sang artériel car, selon les lois de la circulation, elles sont jointes aux artères mésentériques, qui se divisent en autant de branches qu’il y a de veines mésentériques, lesquelles transportent le chyle avec le sang. [21]

[Page 115 | LAT | IMG] Page 207, premier argument : Riolan dit que d’innombrables veines lactées ne peuvent se résoudre en deux veinules thoraciques afin de mener la totalité du chyle au cœur, pour qu’il s’y transforme en sang destiné à nourrir le corps. J’ai ailleurs écrit, ajoutent-ils, que quatre lactifères délivrent le chyle au foie : [22] j’ai parlé là comme Aselli ; mais il me semble admirable que, selon Pecquet, deux canaux puissent faire remonter le chyle jusqu’au cœur, alors même qu’on n’en trouve très souvent qu’un seul, lequel est fin et chemine à gauche, et c’est d’ailleurs le seul que Pecquet et Gayan, le chirurgien qui l’assiste, savent montrer. [50][51][52]

Le chemin aurait été plus court si ce canal s’était inséré dans la veine cave inférieure, [53] sous le foie, et c’est ce que la nature aurait fait si son dessein était d’envoyer le chyle dans le cœur en le mêlant au sang : et si elle ne s’y est pas prise ainsi, répondra le suppôt pecquétien, c’est que cette voie ne convenait pas.

Page 208, cet imposteur et méchant chicaneur invente les raisons que j’aurais avancées, car le chemin de la veine cave inférieure n’était pas plus commode. Puisque je reconnaissais que le canal de Pecquet monte jusqu’à la veine axillaire, j’ai réfléchi à sa fonction, soit à la raison pour laquelle il transporte une petite partie du chyle. Pecquet présume qu’il s’agit de la totalité du chyle, mais le docteur pecquétien reconnaît la taille inégale des vaisseaux et sépare le chyle en deux portions : la plus déliée et la plus pure emprunte la voie thoracique, et la plus épaisse gagne les veines mésaraïques pour se mêler au sang et se rend au foie, où elle est transformée en sang et purgée, avant finalement d’arriver dans les cavités du cœur qui lui confèrent [Page 116 | LAT | IMG] sa perfection. [54] Ainsi donc le chyle hépatique est-il purgé dans le foie et parachevé dans le cœur. Il ajoute que cette répartition entre les veines mésaraïques et les lactifères va parfaitement à l’encontre de la découverte pecquétienne, et s’y oppose même tout à fait. Ainsi donc se trouverait-il deux sangs distincts dans le corps, parvenant séparément au cœur : l’un, hépatique, est passé par le foie, et l’autre, cardiaque, dérive du chyle monté dans le cœur par les lactifères thoraciques ; les lactifères mésentériques les ont tous deux fait s’écouler dans le réservoir, et celui qui emprunte les veines mésaraïques pour aller dans le foie est le même que celui qui est transporté vers le cœur par les canaux thoraciques. [23] Ces vaisseaux sont néanmoins pareillement perforés et le chyle sourd au travers de leurs petits orifices, à l’instar de la rosée qui est emportée par les lactifères du thorax, mais il a été purifié dans les parois de l’intestin de la même façon que celui qui va au foie : ni l’un ni l’autre n’ont ainsi besoin d’épuration ; votre théorie est donc fausse quand elle distingue un chyle cardiaque parfaitement pur, et un chyle hépatique grossier et impur. [55]

Si, selon vous, du chyle passe dans les veines mésentérique, pourquoi ne s’agit-il pas de sa totalité ? N’existe-t-il pas dans les intestins un triage qui sépare votre chyle en ses deux portions, ténue et épaisse ? Sans cela, le cœur et le foie puisent leur chyle à la même source.

Voilà maintenant que vous vous écartez de la doctrine de Pecquet, votre précepteur, qui établit le cœur comme seul organe de la sanguification, en soutenant mordicus [Page 117 | LAT | IMG] que le foie attire et retient la bile ; et votre collègue a confirmé cela dans sa lettre de félicitations, qu’il a revue et augmentée. [56] J’ai déjà annoté vos expériences de la page 210 et j’ai démontré, dans mon Anthropographie et dans mes secondes Animadversions contre l’Anatomie réformée de Bartholin[57] que le foie affamé attire le chyle le plus ténu de l’estomac par les veines du tronc porte qui sont fixées à l’estomac. [24][58]

Page 211, « La circulation du sang dans la veine porte déplaît à Riolan, mais j’aimerais qu’il prouvât la fausseté de la très probante expérience présentée par Harvey. » Puisque vous m’y poussez, vous avez fait voir que vous ne savez pas l’anatomie quand vous avez dit que « la ligature de la racine du mésentère la rend manifeste chez un chien vivant, et plus encore celle de son tronc tout près du foie, qui le vide de son sang en aval du lien, mais s’en remplit dès qu’on le dénoue ». Pourquoi s’en étonner ? N’y a-t-il pas, entre la veine porte qu’on a liée près du foie et la racine du mésentère qu’on a oblitérée, d’innombrables veines qui extraient et sucent alors le chyle du tronc porte comme sont les trois branches mésentériques et la splénique ? Quand on relâche la striction du mésentère, un autre sang vient remplir la veine porte, pour remplacer celui que les parties voisines ont capté et attiré : convenez donc maintenant de votre ignorance. [25]

« La circulation est bien plus nécessaire encore dans la veine porte, où le sang impur et bourbeux, ralenti dans un endroit stagnant, pourrirait très facilement ». Vous ne savez pas que le diaphragme, par son mouvement propre, comparable à celui d’un éventail, agite et remue les viscères qui lui sont appendus ou qui en sont voisins. [59] Ne connaissez-vous pas non plus la puissance de la contraction péristaltique [Page 118 | LAT | IMG] intestinale, [60] telle qu’on la voit sur les anses qui surgissent d’une plaie de l’abdomen ? Ce mouvement est certes très affaibli chez les animaux mourants dont on a ouvert le ventre. Ignorez-vous aussi qu’à tout instant le tronc cœliaque et l’artère splénique apportent du sang nouveau, et que leurs battements sont manifestes ? [61][62] et que quand le sang regorge dans les vaisseaux de la région alvine, il reflue dans le tronc de l’aorte descendante ? [63]

Page 211, parmi les solides raisons pour lesquelles j’ai réfuté la circulation du sang dans la veine porte et son retour au cœur, vous avez choisi la plus fragile, qui est en lien avec la comparaison historique du microcosme et du macrocosme, sur laquelle je n’insiste pas, et pour faire étalage de votre savoir, vous discutez du mouvement de la mer, par exemple de son flux et reflux, sur quoi les physiciens et les mathématiciens ne sont pas d’accord entre eux. On y compte autant de chapitres qu’il y a d’avis et le procès n’est pas encore jugé, aussi m’abstiendrai-je de donner le mien sur une question aussi délicate et ardue. [26]

Page 213, « Ce deuxième argument, dites-vous, se résout de la même manière que le premier », et Riolan ne trouvera aucune proportion entre le nombre des veines mésentériques et celui des pores par où elles pénètrent dans le foie, car elles sont innombrables et si peu d’orifices ne peuvent leur suffire. Je réponds en un mot à votre inepte raisonnement : il ne peut y avoir aucune proportion entre ces deux nombres, car je n’ai compté ni les veines mésaraïques ni les rameaux terminaux de la veine porte, que vous appelez des pores, [64] et ladite proportion n’est pas nécessaire, étant donné que s’intercale le tronc de la veine porte, dont le calibre est quatre fois plus grand que celui des deux canaux lactifères pecquétiens (dont il n’existe très souvent qu’un) ; [Page 119 | LAT | IMG] et pourtant, il devrait y avoir équivalence de capacité entre lesdits canaux thoraciques et la grande abondance de sang qui s’écoule du cœur, car la majorité des hommes le consomment et dépensent avec voracité pour nourrir leur corps et assurer, selon la Statique de Sanctorius, sa transpiration insensible ; [27][65][66] ce que doit procurer une alimentation copieuse, qu’il faut apporter au cœur pour compenser la dépense de sang. Les lactifères thoraciques ne peuvent assurer cela, alors que si la sanguification est hépatique, et non cardiaque, elle en est capable, étant donné que la grande taille du foie et sa situation très proche du cœur permettent au sang d’y être transféré rapidement.

J’ajoute que, selon vous, page 240, [67] « Le foie est l’autre source de la chaleur innée [68] parce que le riche fonds de son vaste et épais parenchyme renferme une très grande quantité d’esprits naturels ; [69] en outre, les innombrables veines qui y sont éparpillées contiennent beaucoup de sang. » Vous êtes donc ridicule quand vous ne voulez ni établir d’égalité entre les veines du mésentère et les veines de la porte et du foie, ni les joindre les unes aux autres. [28]

Page 214, troisième argument : « L’expérience et le regard montrent manifestement que quand une main appuie sur les lactifères thoraciques, le chyle s’écoule jusqu’au cœur, en jaillissant comme de l’eau dans la veine cave, qu’on a incisée longitudinalement. » Ce n’est pas ce qu’affirme votre maître Pecquet[29] et si vous pouvez me montrer et prouver cela chez un animal vivant, je vous proclamerai supérieur à lui et j’admettrai votre répartition du chyle entre le foie et le cœur. Vous avez pourtant écrit ailleurs, page 218, que le chyle, en passant par les fins orifices des veinules lactées, s’écoule goutte à goutte dans la veine axillaire [70] et se mêle immédiatement au sang, en sorte qu’il ne subsiste aucune trace de sa blancheur. Je vous cite pas plus longuement sur ce sujet, dont je ne continuerai plus à débattre contre les pecquétiens[30]

[Page 120 | LAT | IMG] Page 215, quatrième argument : Ailleurs dans le corps, on ne trouve pas une aussi grande abondance de graisse que dans le mésentère et les reins ; elle peut donc écraser et étouffer le réservoir et l’origine des canaux thoraciques. À ma remarque, vous répondez que « si la graisse n’écrase pas les veines du rein, pourquoi écraserait-elle les nôtres ? » Vous ne savez pas que dans la campagne d’Agrigente, en Sicile, les reins des moutons sont si chargés de graisse qu’ils s’en trouvent étouffés, qu’Aristote a appelé cette maladie περινεφρα et qu’elle peut affecter les humains ; [31][71][72] elle est due à l’écrasement du réservoir, autrement nommé citerne de Pecquet, avec destruction de la jonction entre les glandes mésentériques inférieures et les veines lactées thoraciques. [73]

Page 215, votre cinquième argument traite de la poussée ascendante du chyle dans les canaux thoraciques, et Gayan m’y a démontré sa présence ; mais en toute bonne foi chrétienne, il ne m’a fait voir qu’un unique canal dans le thorax, qui contenait une humeur bleuâtre, peut-être due au mélange du chyle avec le sang : et voilà tout, car lors de sa prudente dissection, craignant qu’ils ne fussent absents, il n’a cherché à me montrer ni le réservoir, ni le canal droit du chyle, ni l’insertion du gauche dans la veine axillaire.

Si le disciple de Pecquet avait loyalement agi à mon égard, il aurait remarqué que, dans mon Jugement nouveau, qu’il a vu et lu, les canaux lactés de la veine porte sont gonflés de chyle quand le réservoir en est plein, mais qu’ils n’en contiennent plus quand son transfert dans [Page 121 | LAT | IMG] le foie est achevé ; et qu’en outre, Vésale et Rondelet [74] ont précédemment observé le canal thoracique gauche ; pour le droit, ils admettent qu’il s’agit de la branche azygos, [75] qui s’insère dans la veine cave et descend en direction des reins. [32]

Voici ma réponse à son septième argument : à des moments variables, la bile s’écoule de la vésicule ou par le canal cholédoque dans les intestins, [76] alors que le chyle n’en a pas encore été évacué, qu’il s’agisse de sa portion qui va au cœur ou de celle qui va au foie. [77] Le chyle qui gagne le foie emprunte les veines mésentériques et arrive dans la veine porte avec la bile, tandis que l’humeur mélancolique s’éloigne vers la rate, [78] et que le sérum [79] s’en va dans les reins et les veines émulgentes[80] Ainsi ce chyle hépatique a-t-il été purifié, mais celui qui se dirige vers le cœur, en empruntant les lactifères thoraciques, n’a subi aucune séparation des excréments qu’il contient [81] avant d’y parvenir, si bien qu’il souillera les poumons et le cœur. [82][83] Comme vous en convenez, il ne pourra être débarrassé de ses impuretés qu’après de nombreuses circulations, mais pendant ce temps, c’est un sang corrompu qui sera envoyé dans toutes les parties du corps pour les nourrir, et que les veines conduiront ensuite aux portes du foie où il sera purgé. [33][84] Que cette transmigration du chyle transformé en sang est donc longue et difficile, avant qu’il ne soit purifié !

Dans votre huitième argument, vous écrivez : « Ce n’est pas du chyle qui parvient au cœur, mais du sang imprégné d’une portion du chyle ; et ce mélange ne contient qu’une petite quantité de chyle, car il sourd goutte à goutte dans les subclavières. » Ce n’est donc pas la moitié de tout le chyle qui monte à profusion et à grands flots vers les axillaires. Néanmoins, vous avez écrit, page 214, que « le chyle s’écoule manifestement jusqu’au cœur, en jaillissant comme de l’eau [Page 122 | LAT | IMG] dans la veine cave, qu’on a incisée longitudinalement », comme l’a dit votre cher Pecquet dans la première partie de son livre, mais il s’est rétracté dans sa réponse à Riolan : [85] je constate ainsi qu’elle avait été rédigée et préparée depuis longtemps déjà. [34]

Pages 220‑221, neuvième argument : le disciple de Pecquet se glorifie que j’aie tiré de sa lettre et qu’il m’ait procuré des flèches pour attaquer la montée du chyle vers le cœur, mais en y répondant que la nature agit de la meilleure façon, car elle a trouvé des voies qui purifient manifestement le chyle. « Il est purgé de ses détritus dans la région alvine : il les abandonne non seulement dans les intestins, quand il est filtré par leurs parois, mais aussi dans la substance spongieuse du pancréas où, selon Aselli[86] s’intriquent de curieuses anfractuosités et un réseau semblable aux vrilles d’une vigne, qui contient une substance lactée. » [35] Ce passage montre que vous ignorez la structure du réservoir, parce que vous ne l’avez pas soigneusement examiné et ne comprenez pas ce qu’a écrit votre maître : vous le contredisez car il rit du pancréas d’Aselli et le rejette ; quant à vous, vous confondez la glande du mésentère, qu’Aselli appelle pancréas, et le vrai pancréas, qui est placé sous le foie et l’estomac. Pecquet veut que son chyle s’écoule dans la cavité du réservoir, mais vous écrivez qu’il s’y attarde et qu’il est purgé « dans la substance spongieuse du pancréas où s’intriquent de curieuses anfractuosités et un réseau semblable aux vrilles d’une vigne, qui contient une substance lactée », en oubliant ce qu’a dit votre précepteur : Aselli a mis au jour les lactifères, [36] ; et voilà comme, en se contentant de ce jugement superficiel, il se joue de ce très éminent anatomiste dont vous suivez l’opinion !

Vous poursuivez en montrant que dans ce viscère le chyle est parfaitement purgé et acquiert une parfaite pureté : « La remarquable [Page 123 | LAT | IMG] blancheur du pancréas et la texture de son parenchyme, dit aussi Aselli, suggèrent que la portion la plus fangeuse et crue du chyle s’y infiltre, à la manière dont le placenta, ou foie utérin, [87] absorbe ce qui est bourbeux dans le sang maternel. Il faut ainsi croire que l’habile nature a formé tant de filtres pour qu’un chyle parfaitement purifié et purgé parvienne au cœur. »

Le lecteur remarquera la nonchalante ignorance d’un homme qui compare le pancréas d’Aselli au placenta utérin. [37] Étant donné la longueur des voies qu’il parcourt et le ralentissement qu’il subit dans sa traversée du pancréas, le chyle (qui doit monter rapidement dans le cœur) est enfin « dilué dans le sang, subissant encore une coction, sous l’effet de ce mélange, avant de gagner les cavités cardiaques. Tout étant soigneusement considéré, il est évident que le chyle ne peut être nocif pour le cœur. En effet, il ne l’est pas pour le foie, alors qu’il lui parvient à l’état cru, impur et brut, selon Riolan, et que dans ce viscère, la chaleur est plus douce et les vaisseaux sont plus fins que dans le cœur, ce qui fait qu’il contient une moindre quantité de sang ; alors pourquoi, en entrant dans le cœur, le sang humecté par la portion la plus pure et élaborée du chyle corrompra-t-il les esprits vitaux ? » Vous comparez des situations fort différentes parce qu’il restera toujours de la bile, même si elle est adoucie, dans votre moitié du chyle qui se mêle au sang cardiaque. Comme vous le croyez, le chyle qui se déverse dans le foie est aussitôt transformé et digéré, de façon qu’il perde ses parties les plus grossières et qu’elles soient toutes éliminées à l’endroit qui leur convient ; en revanche, aucune séparation de cette sorte ne se fait dans le cœur ni dans les parties que le sang doit nourrir, et c’est donc un chyle impur qui formera leur aliment. Rappelez-vous ce que vous avez dit du foie page 240 : [28] « il est l’autre source de la chaleur innée parce que le riche fonds de son vaste et épais parenchyme renferme une très grande quantité d’esprits naturels, et que les innombrables veines qui y sont éparpillées contiennent beaucoup de sang, [Page 124 | LAT | IMG] dont les particules, épaissies et comprimées par tant de chenaux étroits et de pores, permettent une multiplication de la chaleur. »

< Page 222 >, « Le chyle cardiaque contient peu de bile, et elle a été bâillonnée par le tempérament des autres parties » : vous auriez dû nommer ces parties (qui procurent cette atténuation) car ledit chyle n’en traverse aucune qui puisse le tempérer, et sa bile n’a pas encore été « libérée des liens qui l’attachent à ce mélange ». Il est donc de pire qualité car il n’a pas perdu sa bile, mais vous la dites « utile car elle rend le sang plus ardent et plus vif, puis une fois cette fonction accomplie, après de nombreuses circulations, elle est éliminée tant par le foie que par les reins. » [88] Vos arguments sont absurdes et ridicules, et se contredisent les uns les autres : si la bile est utile, elle ne doit être mise à l’écart et éliminée comme un excrément !

Page 224, le pecquétien insiste : « Riolan dit qu’il est indigne du cœur, qui est le Soleil et le roi du microcosme, d’assurer la cuisine du corps dans le cabinet de l’âme. » Je répondrai qu’il n’est pas inconvenant qu’un prince fournisse de la nourriture à ses sujets et fasse donc de sa chambre une cuisine. Il insiste encore : « Vie et nutrition ne sont que cuisine si on tient pour telle la charge de parfaire le sang, de digérer les aliments et de les distribuer. » Les parties du corps réclament un aliment bien préparé par le foie et le convertissent [Page 125 | LAT | IMG] en leur propre substance, le sang n’est destiné à rien d’autre qu’à nourrir et conserver le corps.

Page 226, « Si le sang choisit de pénétrer dans le cœur, etc. » [38] Il est amplement suffisant de croire que le cœur, selon Hippocrate et Galien, a le choix du sang et attire celui qui est pur ; il ne l’engloutit pas voracement mais n’en prend que ce dont il a besoin, car il en a toujours à sa disposition, qui attend devant ses entrées ; quand il est impur, il le recrache en le renvoyant dans le tronc de la veine cave pour qu’il soit purgé dans les intestins en passant par les veines mésentériques, ou dans les reins ; le sang ne stagnera donc pas autour du cœur.

Page 226, Homine imperito nihil ineptius, nihil rectum putat nisi quod ipse facit[39] Notre jeune pecquétien croit qu’il m’a attrapé dans ses filets et que je ne peux m’en dégager. Qu’il prête attention à ma première Responsio et la pèse soigneusement, car je m’y suis déjà suffisamment justifié de ses neuf arguments qu’il a tirés de mes Opuscules, et je ne répéterai pas. Il juge que ses réfutations sont inexpugnables, et reprend ensuite les quatre fonctions que j’ai attribuées aux lactifères thoraciques, qui perdront toute valeur si le chyle ne les emprunte pas pour gagner le cœur, mais je les ai conçues et proposées séparément pour que le lecteur y choisisse à son gré ou en trouve d’autres. [40] Ce faussaire en déduit que je les ai admises : quand on m’a fait la démonstration du canal thoracique gauche, je n’ai certes plus douté de son existence et de son ascension jusqu’à la veine axillaire gauche pour y délivrer du chyle ; mais comme la capacité de ce canal est insuffisante pour transporter la totalité du chyle, je lui ai imaginé quelques fonctions en laissant au lecteur le soin de les juger et d’y faire son choix.

[Page 126 | LAT | IMG] Page 227, il est vrai que voilà trente ans M. Puilon[89] notre très docte collègue, a fait la démonstration des lactifères mésentériques sur un cadavre que j’avais publiquement disséqué dans nos Écoles, et que nous ne nous sommes pas souciés de le faire savoir. J’ai bien dit et soutiens encore que, si on les trouve chez l’homme, ce seront des rameaux issus de la branche mésentérique de la veine porte ; et les lactifères, tant mésentériques que thoraciques, le sont pareillement, et partagent donc le liquide que contient la veine porte et la substance qu’elle transporte. [41][90]

Page 228, vous me citez disant que si ces veines lactées et ce réservoir du chyle existent chez les bêtes, il ne va pas de soi qu’on les trouve chez l’homme, jamais vous ne les y verrez à moins de le disséquer vivant, mais vous avez abrégé mon propos ; ajoutez-y donc ce que vous en avez retiré : étant donné que chez les bêtes, sitôt qu’elles ont trépassé, ils disparaissent entièrement, comme Pecquet l’assure, sans laisser aucune trace visible[42][91] Pecquet a été responsable de votre erreur sur ce point. Je ne doute plus du tout de leur existence chez l’homme depuis l’observation qu’en a faite M. Charles Le Noble[92] très docte médecin et éminent anatomiste. En me fondant sur ce que d’autres avaient rapporté, j’ai cru que du chyle passait dans la veine cave, mais Pecquet l’a obstinément nié dans sa première expérience. [93] Voilà pourquoi j’avais conçu certaines fonctions pour ce chyle qui s’écoule dans la veine cave inférieure ; et quoi donc ? cela n’a pas de rapport avec la montée du chyle vers le cœur. Vous cherchez partout querelle. [43]

Page 227, si le disciple de Pecquet agissait plus loyalement à mon endroit, il oublierait les spéculations que j’ai proposées sur l’union du canal thoracique gauche à la veine axillaire, il insisterait sur la plus mûre et récente conjecture que j’ai exposée dans mon Jugement nouveau sur [Page 127 | LAT | IMG] les Veines lactées[32] où j’ai solidement démontré que ce sont des rameaux de la veine porte et qu’elles gagnent les axillaires pour établir cette communication entre les veines porte et cave supérieure, que les anatomistes cherchent depuis fort longtemps. Néanmoins, comme il ne peut me mordre et déchirer sur ce point, il l’a laissé de côté, préférant s’occuper à blâmer mes autres spéculations. J’affirme donc que celles que j’ai proposées sur la fonction des canaux thoraciques ne sont pas tout à fait certaines : j’ai laissé à chacun la liberté d’en juger pour en retenir ou rejeter ce qu’il voudra, quand je soutiens que si du chyle atteint le cœur, ce n’est qu’en petite quantité et afin d’y remplir les fonctions que j’ai citées, mais non d’y être transformé en sang. Le disciple de Pecquet en tire argument pour prouver que j’admets l’écoulement du chyle dans le cœur et conviens ainsi que la sanguification cardiaque existe. Son imposture est manifeste.

Quant aux fonctions des lactifères en relation avec les veines porte et caves, la conjecture que j’en ai présentée dans mon Jugement nouveau aurait été détruite par la première expérience de votre précepteur, [43] car il pense y avoir clairement démontré que le réservoir ne communique absolument pas avec les veines porte et cave dans l’abdomen, bien que de très éminents professeurs d’anatomie, tels Aselli, de Wale [94] et Conring[95] parmi d’autres, aient écrit et prouvé le contraire.


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
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