Texte
Jean ii Riolan
Responsiones duæ (1655),
Responsio ad Pecquetianos
3e de 6 parties  >

Codes couleur
Citer cette lettre
Imprimer cette lettre
Imprimer cette lettre avec ses notes

×
  [1] [2] Appel de note
  [a] [b] Sources de la lettre
  [1] [2] Entrée d'index
  Gouverneur Entrée de glossaire
×
Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Jean ii Riolan Responsiones duæ (1655), Responsio ad Pecquetianos, 3e de 6 parties

Adresse permanente : https://numerabilis.u-paris.fr/editions-critiques/pecquet/?do=pg&let=1056

(Consulté le 27/03/2025)

 

[Page 89 | LAT | IMG]

Réponse au chapitre ii[1][1][2]

Page 188, Qui semel verecundiæ fines transilierit, hunc gnauiter impudentem esse oportet : [2][3] le lecteur en verra la vérité dans ce chapitre où l’auteur veut faire croire que « Riolan craint de s’attirer l’opprobre et le mépris de la Faculté de Paris [4] (ce qu’il a ajouté en voulant parler de lui-même) parce qu’il a écrit contre Pecquet » ; [5] et il en déduit que « grande est la force de la vérité », qui a poussé Riolan à un tel aveu. [3]

Texte du libelle diffamatoire[1]

« Grande est la force de la science, déclare Riolan au tout début de sa Responsio[6] en présageant que, pour son élan non moins puissant que singulier, il aura raison de craindre l’opprobre et le mépris de la Faculté de médecine de Paris, dont il est le plus ancien des collègues, [7] parce qu’il engage le combat contre les Experimenta anatomica nova. Tout comme il s’est précédemment attaqué au très savant Harvey, en s’opposant aux preuves très manifestes que ses nombreuses observations ont apportées sur la circulation du sang[8] il conteste ce livre avec tout autant de conviction et met en pièces ce qui y est dit des voies thoraciques du chyle. » [9]

Nier qu’on voit les canaux thoraciques, c’est [Page 90 | LAT | IMG] se battre contre la nature et refuser de croire ce qui saute aux yeux[4] Riolan ne conteste pas la réalité de vos lactifères, mais seulement leur fonction : il l’a répété cent fois, et tu chorda semper oberras eadem[5][10] Ils existent manifestement, bien qu’il n’y en ait souvent qu’un, mais ils ne servent pas à conduire le sang dans le cœur pour que la sanguification s’y accomplisse. [11]

Texte de la Responsio de Riolan[1]

« Pereycus, bien que bon peintre, a été méprisé pour n’avoir pas cessé de représenter des boutiques de barbier et des ânes. [12][13] Cela dit, moi, dont on a depuis longtemps admiré les travaux en anatomie, qui l’ai professée depuis cinquante ans en l’Université de Paris, laquelle est très célèbre par toute l’Europe, et qui ai enfin obtenu, par la grâce de Dieu, le rang honorifique de doyen par ancienneté de notre Faculté, je n’ai pas tort de craindre qu’on me couvre d’opprobre et de honte quand, après la joute, ou plutôt l’amicale discussion que j’ai engagée avec le très savant et habile anatomiste anglais Harvey, qui est de même âge que moi, j’entreprends maintenant un nouveau combat contre un jeune homme faiblement armé, “ qui n’a pas encore dépassé ses premières années de jeune adulte ”, comme en attestent ses lettres de recommandation, [14] et qui n’est donc encore qu’un adolescent. » [6]

Après cela, l’auteur se répand en louanges de Pecquet, comme s’il y avait un prix à gagner à le glorifier : [15] « Les multiples observations de ce sagace jeune homme ont révélé que le chyle, ou suc blanc que vient d’engendrer la digestion des aliments dans le ventre, monte dans deux [Page 91 | LAT | IMG] canaux situés de part et d’autre de la cavité thoracique. Sans autre intention que d’aider ceux qui viendront après lui, il a décrit une réalité que ni la médecine ni la physique n’avaient jusqu’ici révélée à aucun mortel. En prenant la nature pour maître, il a écrit que les anatomistes et les philosophes de tous les siècles qui l’ont précédé se sont trompés et que cette partie de la physiologie animale avait entièrement échappé à leurs regards. » Je soutiens, moi, que les approbateurs du livre pecquétien se sont honteusement égarés et tout à fait trompés quand ils affirment avoir vu les aberrations qui y sont démontrées, comme je l’ai remarqué, parmi d’autres impostures de Pecquet[7][16]

Page 189, « En vain, Riolan menace du fouet de sa censure et entreprend de le confondre en l’accusant d’arrogance et d’impudente forfanterie, mais surtout en ajoutant que, pour attiser leur jalousie, il a bravé tous les anatomistes. » Il n’y a aucun écrit plus impudent et plus enflé de forfanterie et d’arrogance que l’épître dédicatoire de Pecquet : [17] il y insulte tous les anatomistes et médecins en affirmant que tous se sont trompés, ce que, quant à vous, vous soutenez.

Page 190, « Si Riolan s’est permis de clamer et vanter sa science en maints endroits de ses livres, il a dépassé les bornes de la modestie quand il s’est établi comme le plus puissant athlète de l’anatomie, et même comme un roi capable de rivaliser avec Alexandre le Grand. » [8][18] Que ce badinage est donc ridicule et insipide, pas un grain de sel, mais beaucoup de fiel ! Jamais Riolan ne s’est tenu pour le premier de tous les anatomistes, il a toujours parlé de lui-même avec humilité. Il n’a pas écrit d’animadversions pour insulter les auteurs morts et vivants, ni par mépris ou dégoût de leurs travaux, afin de louer et mettre en avant les siens. Jamais encore cette ambitieuse et folle manie [Page 92 | LAT | IMG] d’écrire, et cette maligne démangeaison de dénigrer ne lui ont frappé et ruiné l’esprit. J’ai dit la même chose dans la préface de mes Animadversions sur l’Anatomie de Du Laurens[9][19]

Si le voulais badiner, je vous affirmerais que je pourrais discuter d’anatomie avec les rois d’Égypte qui, au témoignage de Pline, ouvraient les corps des morts pour y chercher les maladies, car ces petits rois étaient médecins, comme la Sainte Écriture le prouve dans Isaïe où, quand le peuple lui demande Esto Rex noster, il répond : Medicus non sum, nec in domo mea panis est, neque vestimentum[10][20][21][22]

Bien des gens ont blâmé et provoqué Harvey, mais il n’a voulu répondre à personne, hormis à Riolan parce qu’il faisait bien plus grand cas de ses animadversions que de celles émanant des autres, comme il l’a déclaré au début de sa Réponse à Riolan ; [23][24] intrépide, j’ai engagé le combat et il m’aura valu de la gloire si Æneæ magni dextrâ caderem[11][25][26]

Magna dabit nobis tantus solatia victor,
Nec tam turpe foret vinci, quam certasse decorum
[12][27]

Page 190, « Pecquet ne se glorifie pas de sa découverte, dont il confesse qu’il l’a reçue comme un présent de la divine Providence, dévoilant un splendide trésor à un ignorant. Il ne fait pas injure aux autres anatomistes, mais attribue leur ignorance, à l’infortune de l’humaine condition. » Riolan lui objecte légitimement que Tu es gallinæ filius albæ,

Nos viles pulli, nati infelicibus ouis[13][28]

« Dans les livres qu’ils ont écrits avec autorité sur les lactifères thoraciques, maints auteurs qui professent dans les universités fleurissantes d’Europe et ont hautement mérité de l’anatomie, ont publiquement félicité Pecquet : [Page 93 | LAT | IMG] tels ont été Bartholin au Danemark [29] et Guiffart en Normandie. » [30] Hormis ces deux-là, vous ne pouvez en citer d’autres. Bartholin, dans son livre sur les lactifères loue sa découverte, [31] mais blâme sa description, sa manière d’écrire [32] et bien d’autres choses que j’ai tirées des éloges qu’il lui a adressés. Guiffart critique les explications mécaniques du dit Pecquet, sans oser s’opposer nettement à lui, dont le silence vaut approbation de ces animadversions.

Après avoir été reçu docteur de Montpellier[33] il y a sottement montré son invention dans l’amphithéâtre anatomique, [34][35] mais on l’a sifflé et mis dehors. Il a passé cela sous silence, se contentant de nommer Martet, anatomista (pour reprendre le mot barbare qu’il emploie) de Montpellier, à qui il a appris la manière d’explorer les lactifères thoraciques, « en présence du très illustre (les dieux me pardonnent !) Rivière, professeur royal », lequel n’a approuvé ni sa découverte, ni son livre, tout comme les autres professeurs à qui il en a fait la demande. [14][36][37][38] Les médecins de toutes les régions de France, qu’ils soient professeurs d’université ou agrégés au collège d’une grande ville, lui ont opposé le même refus, mis à part deux docteurs de Paris dont il a obtenu (on ne sait comment) qu’ils le défendent et soutiennent. [39][40] Tous les médecins ont cru bon de se tourner vers Riolan, professeur royal d’anatomie natif de Paris, depuis longtemps admiré pour ses ouvrages ; et après la parution de sa première Responsio, personne n’a plus voulu se porter garant de toutes ces sornettes ; même le susdit Guiffart est resté silencieux après qu’il a vu la remontrance de Riolan, dont il a été l’élève.

Page 190, « Riolan est le seul à accuser Pecquet, [Page 94 | LAT | IMG] alors qu’il a particulièrement souhaité l’honorer en prônant ses talents. » Je ne doute pas que c’est ce qu’aurait fait Pecquet si l’auteur de la première lettre [41] ne l’en avait dissuadé, quand il a jugé Riolan indigne de ces mystères d’Éleusis ; [42] car naguère Pecquet fréquentait la maison de Riolan, qui le recevait volontiers et, voyant son intérêt pour l’étude de l’anatomie, l’aidait à résoudre les questions qu’il lui soumettait.

Page 191, « Riolan désire rabaisser ce jeune homme jusqu’à médire de la jeunesse tout entière. » Où ai-je donc médit de la sorte ? J’ai cependant dit que « ramené au rang de simple soldat », je vais débattre avec lui et « sans égard pour ma dignité de vieillard, je descendrai dans l’arène ». Ainsi Oreste, dans Euripide, s’apprêtant à lutter contre un vieil homme, redoute-t-il son aspect, et lui demande-t-il de couper sa barbe ou de la cacher. [43][44] L’autre suppôt pecquétien saisit là une occasion de plaisanter : Comme si le vieux Riolan avait pu se transformer en jeune homme, et retrouver ensuite sa dignité sénile[15] Riolan ne s’est jamais teint la barbe et les cheveux, ni fardé le visage ; il sait bien ce que Martial a écrit contre ceux qui se masquent ainsi :

Mentiris Iuenem, tinctis, Lentine, capillis,
      Tam subitò coruus, qui modò cygnus eras ?
Non omnes fallis, scit te Proserpina canum,
      Personam capiti detrahet illa tuo
[16][45][46]

En outre, Riolan n’a jamais dissuadé les jeunes d’étudier l’anatomie ; il y invite et exhorte, au contraire, tous les philiatres ; il leur a inculqué ce dessein à maintes reprises, comme au début de son Anthropographie[47] ou dans son commentaire du livre de Galien sur les Os : [48] [Page 95 | LAT | IMG] Lubenter patiar ob assiduum artis Anatomicæ studium, mortuale glossarium me vocari, non mutum et elingue, sed vocale, omnes Medicinæ studiosos ad studium Anatomicum inuitans et conuocans. Je renvoie encore le lecteur au chapitre xvi, livre i, où je démontre que l’anatomie demande à être étudiée dès la jeunesse et qu’un esprit bien formé y brille plus qu’un esprit grossier. [17] À vrai dire si les zélateurs pecquétiens avaient été instruits de la sorte, ils auraient de plus sûrs jugements sur cette discipline.

Pages 191-192, pour toutes les insultes dont vous avez voulu honteusement flétrir un vieillard, je vous réponds ce que j’ai déjà dit : « L’âge, selon Plaute dans le Trinummus, est le condiment de la sagesse » [49] car, selon Platon dans Le Banquet, « l’œil du corps s’affaiblit quand celui de l’esprit resplendit ». [18][50][51][52] Ailleurs dans Platon, un prêtre égyptien réprimande et blâme élégamment les Grecs : « Vous autres Grecs, vous serez toujours des enfants jeunes d’intelligence, vous ne possédez aucune vieille tradition ni aucune science vénérable par son antiquité ; vous n’avez de goût que pour la nouveauté. » [53] « Ceux qui sont conscients de leur ignorance, dit Aristote, admirent ceux qui leur parlent de grandes choses dépassant leur faculté d’entendement » : voilà dépeints les disciples du très audacieux Pecquet, qui se prononce hardiment sur la fonction de ses veines lactées thoraciques, en disant qu’elles assurent la sanguification dans le cœur. Si, selon Aristote, « le jeune homme est peu apte à étudier la philosophie morale, parce qu’elle n’est pas fondée sur la connaissance, mais sur l’action », il pourra beaucoup moins encore maîtriser quoi que ce soit de nouveau en [Page 96 | LAT | IMG] médecine, science qui ne s’acquiert pas sans longues pratique et expérience.

Aristote, dans son Éthique, livre  vi, chapitre viii, écrit que les jeunes gens peuvent devenir d’excellents géomètres, mathématiciens et musiciens (comme est Pecquet), mais ne sont pas capables de devenir prudents. [19][54] Hoc enim præstare quod in rebus agendis præcipuum est, non est munus Iuuenum, sed seniorum, qui præter cæteros excellunt intellectu, iudicio, experientiâ, rationis lumine, et summa circumspectione[55] Annorum multitudo docet sapientiam, dit Job au chapitre 32. [56] Senilis authoritas maior est, quod plura nosse et vidisse creduntur, dit Quintilien, [57] qui est ce dont Job se glorifie avec humilité au chapitre 29 ; et saint Jérôme écrit dans ses Lettres : Senex crescente sapentia fit doctior, et veterum studiorum dulcissimos fructus metit[58] Euripide, Les Phéniciennes :

Non prorsus omnibus grauis premitur malis
Fili, Senectus ; huic temporis longinquitas
Tribuit experientiam, acrior hinc senum
Quam Iuniorum orationis est vigor
[20]

Je terminerai cet article à la gloire de l’âge mûr avec une très jolie phrase de L’Ecclésiastique : « Quelle belle chose que le jugement joint aux cheveux blancs et, pour les anciens, de connaître le conseil ! Quelle belle chose que la sagesse chez les vieillards et, chez les grands du monde une pensée réfléchie ! La couronne des vieillards, c’est une riche expérience, leur fierté, c’est la crainte du Seigneur. » [21][59] Le jeune Pecquet s’est donc témérairement prononcé sur la nouvelle fonction du cœur, et c’est sans raison ni jugement que les docteurs pecquétiens de Paris le soutiennent. « L’usage, ce sont les hommes qui l’ont établi pour eux-mêmes, ne sachant pas sur quoi ils statuaient et [Page 97 | LAT | IMG] sans être capables de comprendre ce qu’entendent les devins ; qui est instruit juge certes toujours correctement, mais celui qui ne l’est pas juge tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre », dit Hippocrate au livre i du Régime[22][60]

Réponse au chapitre iii[1][61]

Avant d’examiner ce troisième chapitre, je ferai une digression : puisque telle est la première défense qu’oppose le docteur Mentel et afin que nous luttions à armes égales, je désire lui soustraire les titres de noblesse dont il se pare en se disant gentilhomme et très noble arrière-petit-fils de celui à qui le monde est redevable de l’imprimerie. Ses armoiries ne m’intimideront pas car elles sont controuvées : ses ascendances sont rustiques, il est né de parents très pauvres dans le village de Bussiares, à côté de Gandelu, ville située à quatre lieues de Château-Thierry ; [23] c’est donc en l’air qu’il se targue d’être gentilhomme, en se prétendant issu de Mentelin, inventeur de la typographie, [62] qu’il dit avoir été anobli par l’empereur germanique et honoré de titres ronflants. Que ce pauvre Arpinas [63] se contente donc du prestige que confère celui de docteur en médecine de Paris, puisque, comme ses collègues, c’est sa seule noblesse et son unique distinction : Nobilitas sola est, atque vnica virtus ; Nam genus et Proauos, et qua non fecimus ipsi, vix ea nostra voco[24] Bien qu’il soit son ami, l’honnête et très savant Gabriel Naudé [64] n’a pu supporter que Mentel s’arroge et se flatte ainsi de titres vains et futiles : il a écrit sur Mentel inventeur de l’imprimerie, et remarqué dans ce qu’il a publié peu avant de mourir que l’autre Mentel a menacé de lui répondre. Si sa [Page 98 | LAT | IMG] fable lui plaît, que Mentel imite donc ces vers d’Accius le Tragédien :

Argos me conferam, nam illic sum Nobilis,
Nec cui cognoscar noto
[25][65]

Mentel a assuré la publication du livre de Pecquet et l’a présentée comme sienne à Naudé ; lequel, quand il a vu que la sanguification y était attribuée au cœur, et non plus au foie, [66] lui a demandé à ce qu’en pensait Riolan ; à quoi Mentel a répondu : « Nous n’avons pas besoin de son approbation car la mienne et celle de Mercenne suffisent ; je suis aussi compétent que Riolan en anatomie et j’ai assisté plus de dix fois aux démonstrations de Pecquet. » À quoi Naudé a reparti : « Je n’y croirai jamais si Riolan ne l’a pas approuvé, car je le tiens pour un juge et arbitre impartial en la matière, et il faut croire ceux qui connaissent le mieux cette discipline. » Voilà ce qu’il m’a fidèlement et sincèrement relaté, mais non sans indignation et en m’invitant à rédiger une Responsio, comme j’ai fait, sur son exhortation. Cela a pourtant ravivé en moi l’irritant souvenir du témoignage que Mentel avait produit à mon sujet dans un petit discours qu’il avait publiquement prononcé devant les Écoles de médecine à l’occasion de son doctorat, [67] et m’avait dédié, disant : « Aimez-vous l’anatomie ? Alors voyez, observez, consultez Riolan, lui qui m’a formé, lui qui est le premier des anatomistes qui ont jamais existé, existent ou existeront ! Il est généreux, conforme à l’esprit d’Hippocrate et authentiquement modeste, ajoutait-il, de reconnaître ceux qui vous ont permis de progresser. Et dans mon cas, très docte Riolan, c’est vous qui en occupez la première place ; et sauf à me couvrir d’opprobre, je n’ai pu m’empêcher de proclamer que tous les médecins, même les plus habiles, et ceux qui viennent d’autres pays, ambitionnent l’honneur de vous avoir eu pour maître. De nos jours, il est honteux qu’un médecin [Page 99 | LAT | IMG] ne puisse pas proclamer qu’il a appris son métier en observant l’aigle des anatomistes et que ses conseils l’ont aidé à acquérir un renom. Puisque c’est ce que m’ont procuré ses enseignements, privés comme publics, sans m’efforcer de tirer indûment ma gloire de la vôtre, je vous vénère et admire pour m’avoir guidé l’esprit dans l’étude de la médecine, etc. » [26]

Pour en revenir aux inventeurs de l’imprimerie, j’en ai trouvé trois : certains pensent qu’il s’agit de Johannes Gutenberg[68] Allemand originaire de Mayence ou de Strasbourg, en l’an 1440, ou de Johannes Faustius[69] la même année ; d’autres, que ce fut Laurentius Costerius[70] à Haarlem, comme le démontre le très savant Marcus Zuerius Boxhornius[27][71] Mentel, docteur de Paris, a ressuscité Mentelin en puisant dans le chapitre lxv de l’Historia Germanica de Wimphelingus, où, parlant de la nouvelle invention de l’imprimerie, il l’attribue à Johannes Gutenberg de Strasbourg et ajoute : Interea Ioannes Mentelin id opificij genus incœptans, multa volumina castigatè ac polite imprimendo, factus est breui opulentissimus[28][72] Mentel en fait donc son ancêtre et l’a confirmé par un brevet royal que lui a procuré M. de La Chambre, [73] très habile et savant premier des médecins ordinaires du roi, qui sert auprès de Monsieur notre très illustre chancelier. [74] Si vous voulez lire le jugement du très distingué M. Gabriel Naudé, je l’ai joint à la fin de cette Responsio[29]

J’avais d’ailleurs acheté à Cologne un nobiliaire germanique en deux tomes, tirés du cartulaire de la Chambre impériale, rédigés en allemand et imprimés dans un format oblong à la façon des cahiers de musique, avec les armoiries, [Page 100 | LAT | IMG] mais je n’y ai pas trouvé d’insignes de noblesse au nom de Mentel ou Mentelin. Ceux que l’empereur aurait, selon vous, accordés à l’imprimeur Mentel sont donc faux et inventés. Contenez-vous donc, comme s’en glorifiait Cicéron, virtute tuâ Maioribus tuis præluxisse[30][75]

Eutrapelus cuicumque nocere volebat,
Vestimenta dabat preciosa, etc
[31][76]

Je vous souhaite semblable fortune, qui convienne à votre noblesse. Celle de Mentel ne donne donc pas plus de vigueur à son témoignage et à son avis sur la découverte de Pecquet qu’au jugement des médecins de Paris.

Authentique approbation de Mentel[1]

Vous savez, Monsieur Pecquet, qu’en raison de notre différence d’âge, contentionis funem scidisti : [32][77] comme si l’esprit du bienfaisant chef des péripatéticiens [78] sur l’immensité de la nature avait migré dans le vôtre, vous avez prouvé par vos sens et votre raisonnement que le cœur est l’officine de la vigueur vitale et l’échanson du sang.

Quiconque suit l’opinion reçue et transmise depuis la nuit des temps vous demandera ce qu’il advient désormais du foie. [79] Il s’appuie naturellement sur l’estomac, [80 pour favoriser la coction des aliments que nous avalons, comme en les embrassant de son amicale chaleur ; mais surtout, il extrait du sang bilieux qui lui parvient par la veine porte [81] l’humeur âcre qu’il recrache dans la vésicule qui est au-dessous de lui ; [82][83] et puisque l’ordre de la nature de demande, elle s’en va ensuite dans les intestins.

Voici qu’alors vous, jeune docteur pecquétien, voyez les défenseurs des canaux thoraciques [84][85] statuer que le chyle [Page 101 | LAT | IMG] est reçu par le foie, et reconnaître ainsi les mêmes facultés et fonctions hépatiques que Riolan. Vous énoncez donc des faussetés qui sont contraires à l’opinion que vous exposez à la page 239 : « Jamais le principal et premier viscère de l’économie naturelle ne sera dessaisi du droit et pouvoir de fabriquer le sang, il sera toujours le siège de cette faculté vitale, toujours l’officine de la sanguification à qui le foie permet de demeurer saine et sauve, mais qui est lésée dès qu’il est malade. » Tels sont vos propres mots[33][86][87][88]

Mentel n’a pas voulu abandonner sa première sentence sur la fonction des lactifères car c’est lui qui l’a conçue et mise en avant : « un confluent placé à la racine du mésentère » et il lui a sauté aux yeux, écrit-il dans la seconde édition de sa lettre, « en l’an 1629, ayant ouvert l’abdomen d’un molosse à la recherche des veines lactées », en se rappelant « les avoir bien montrées aux philiatres », et en établissant ainsi que c’est lui qui a découvert le réservoir du chyle. [34][89] Pecquet n’a mis au jour que les lactifères thoraciques, et l’honneur d’avoir le premier vu le réservoir revient à Mentel, mais il n’a pas voulu s’en déclarer auteur, préférant choisir un jeune médecin de Rouen [90] pour trompeter à la fois son réceptacle et son éminente noblesse. [29][91] Voici comme ce jeune docteur parle de Mentel à qui il a dédié son opuscule, qui l’a lui-même composé : « Là encore, se voit comment vous avez hérité de votre illustre ancêtre (à qui nous devons l’imprimerie) le don de découvrir les secrets et les mystères enfouis dans le monde souterrain. N’étant encore qu’un imberbe Apollon, [92] un simple bachelier, [93] mais élu archidiacre [94] des philiatres en l’an 1629, l’occasion vous fut offerte de discourir sur les lactifères d’Aselli ; [95] dans l’amphithéâtre d’anatomie, [96] vous avez alors ouvert le ventre d’un chien qu’on avait par hasard nourri, [97] et sous les regards de tous, en parvenant fort heureusement [Page 102 | LAT | IMG] à disséquer les veines lactées jusqu’à leur terminaison, voilà qu’admiré par l’auditoire et sous ses acclamations, vous avez découvert le réservoir du chyle ; et en 1635, ayant hautement mérité de devenir professeur de chirurgie, [98] au même endroit et dans les mêmes circonstances, vous dévoilez ledit réservoir du chyle devant une foule d’étudiants de cette discipline ; cela n’a pas manqué de témoins oculaires, comme en fit notamment foi un chirurgien parisien du nom de Fournier[99] En 1647, le chirurgien Gayan [100] a fait la même démonstration et Pecquet en personne y a assisté, [101] comme en témoigne la lettre qu’il vous a envoyée, datée du 2 août 1650. La doctrine pecquétienne doit vraiment beaucoup à votre heureuse découverte. »

Jusque-là, ce jeune médecin chante bien plus haut les louanges de Mentel que de Pecquet, non sans soupçon que Mentel en ait été l’instigateur ou le promoteur, car il ne voulait pas, comme Iapix dans Virgile,

————— mutas agitare inglorius artes[102]

Au même endroit, on lit que quand Riolan a dit vouloir que Pecquet prît l’avis de ses aînés, Hyginus Thalassius voulait parler de lui-même. [35] Je n’ai pourtant mentionné cela nulle part, et si Pecquet avait agi de la sorte, je l’aurais bien et sainement conseillé en lui disant qu’il devait se contenter d’avoir trouvé les lactifères thoraciques, en se gardant absolument de se prononcer sur leur fonction, dans le transport du chyle vers les ventricules du cœur.

Page 197, « Il ne se soucie guère des autres anciens maîtres qui n’ont pas été consultés et que Riolan appelle circulateurs. » Je n’entends nullement faire injure en appelant colporteurs forains ou charlatans les médecins pragmatiques, comme ont fait Sénèque, Galien et les jurisconsultes ; et sous le nom de pragmatiques je comprends ou désigne tous ces médecins, ou plutôt tous ces médicastres qui aujourd’hui, par l’excessive indulgence de Thémis, [103] [Page 103 | LAT | IMG] en quelque façon qu’ils exercent le métier à Paris, le sont presque tous, et leur nombre égale presque celui des docteurs de la Faculté. [36][104][105]

Et c’est pourquoi lesdits pragmatiques ont montré du doigt Riolan, comme il l’a lui-même remarqué dans sa lettre de consolation à Harvey : Multi nostros labores legunt, tanquam nænias et fabulas, nec tamen audent iis contradicere. Nos etiam appellant Circulatores per contemptum et Ironiam, credúntque nobis plurimum illudere et obstrepere hoc sarcasmo, quod mihi passim obiicitur[37] En nos Écoles de médecine, certains membres malveillants du parti antimonial [106] l’ont aussi traité de circulateur quand a été publiquement disputée sa thèse sur la circulation du sang[107] Si mundus omnis Histrionam exercet, comme dit Pétrone[38][108] la charlatanerie est partout en vigueur et règne en maître parmi les médecins, puisque chacun fait commerce de ses miraculeux remèdes.

Page 197, vous me reprochez d’avoir dit que Fernel, le plus grand des médecins, « établit le foyer de la fièvre dans les grands vaisseaux qui cheminent entre les aisselles et les aines ». [39][109][110] Je ne l’admets pas car si le sang, selon Hippocrate, est en perpétuel mouvement et si on admet la circulation harvéenne, il est impossible de situer le foyer de la fièvre dans lesdits vaisseaux. Mon regretté père, Jean Riolan[111] a critiqué la Physiologie de Fernel et contre son livre sur les Causes cachées des choses[112] mais aucun médecin ne s’en est offensé. [40]

Hormis l’anatomiste Riolan, un des médecins de Paris s’est-il opposé aux atroces insultes qu’Hofmann [113] a proférées contre Fernel [Page 104 | LAT | IMG] et contre le renom de leurs propres livres ? Riolan a été modéré quand il a parlé de la copieuse saignée, [114] sans traiter les médecins de Paris d’assassins, comme fit jadis Louis Duret, à la page 252 de son commentaire sur les Coaques d’Hippocrate[41][115][116]

Page 197, quant à Hippocrate, vous ne savez pas que maints auteurs interprètent les livres des Épidémies comme traitant de ses pérégrinations et non des maladies qui se répandent dans la population : le fait est que puisqu’il était confronté à peu de malades dans son île de Cos[117] il se trouva contraint de voyager ; mais lors de ces expéditions, comme il était encore jeune, il disposait de peu de remèdes à prescrire aux patients ; conscient pourtant que la nature guérit de nombreux maux, il aurait su que les traitements intempestifs perturbent très souvent son élan spontané. [42][118]

Votre autre citation est tirée de Celse[119] au début du livre iii, et qui aura lu mon livre sur la Circulation du sang, pages 586‑587, prendra bonne note des contradictions de Galien[120] et du jugement que Fernel a porté sur la pratique et la thérapeutique galénistes. Quiconque possède mon livre, ou se le fait prêter par d’autres, ne regrettera pas d’avoir lu ces passages. [43]

Mentel a vraiment été fort hardi, dans sa lettre, quand il a écrit : « Galien s’est montré plus empressé à contrer Aristote qu’à chercher la vérité, comme dans la légèreté des arguments auxquels il a recouru. » [44]

Page 198, au sujet des lettres que des docteurs de Paris ont écrites à Emilio Parisano[121] Riolan n’a nommé aucun d’eux car il croit qu’elles sont factices et qu’ils n’en sont pas auteurs ; et dans le cas contraire, il s’en serait plaint auprès d’eux parce qu’ils auraient alors loué un homme qui ignore [Page 105 | LAT | IMG] l’anatomie pour signifier leur mépris envers Riolan ; [45] et je le qualifie d’ignorant après que d’autres Italiens et Anglais ont porté le même jugement sur lui.

Pour ce qu’Hyginus Thalassius écrit à propos de Guy Patin « qui a mérité autant de gifles qu’il y a de vers dans son épigramme », j’ai emprunté cela à l’épître dédicatoire qu’Hofmann avait écrite à M. Patin, où il lui parlait du très long poème qui précède le premier livre de Parisano, de Subtilitate[46] Que ces reproches sont ineptes, leur dessein n’étant que de trouver matière à diffamer Riolan !

Page 199, il est parfaitement faux et mensonger de me reprocher de m’être moqué de l’École « semistibiale et semistygiale » dans mon épître dédicatoire. [122] Jamais je n’ai dit cela, et en voici la transcription fidèle : Præstantissimis Medicis Doctoribus Scholæ Medicæ Parisiensis Orthodoxis, Hippocraticæ Medicinæ cultoribus, neutiquam stibialibus et stygialibus[123] En déduisez-vous que ladite École a été « semistibiale et semistygiale » ? C’est vous-même qui la proclamez telle et le confirmez en approuvant l’antimoine, afin de passer pour « stibialissime », et qu’on vous tienne pour le coryphée de cette faction. [47]

Page 199, ma plainte ne touche pas à l’existence des veines lactées, mais au transport du chyle vers le cœur par ces canaux, pour y être converti en sang. Si vous me démontrez cela, comme à d’autres savants, herbam tibi porriget ; [48] sinon, je vous déclarerai, vous et votre associé, imposteurs et faussaires que la charlatanerie de Pecquet a dupés en vous faisant voir des choses impossibles.

Puisque Charles Le Noble, très docte médecin et habile anatomiste de Rouen, [Page 106 | LAT | IMG] a remué cette affaire en examinant des cadavres humains, [124] en Rhodus, en saltus ! [49] Que dans l’amphithéâtre de la Faculté, en présence de Riolan et de leurs autres collègues, les docteurs pecquétiens de Paris démontrent donc les lactifères thoraciques : leur origine, leur trajet jusqu’aux axillaires, [125] l’écoulement du liquide lacté qui en descend vers le cœur. Je vous somme d’y procéder pour me faire taire, sans plus raconter que je n’ai pas voulu assister à une telle démonstration. Nulla ætas nimis sera est ad discendum, addiscens semper plurima fio senex, pour m’exprimer comme Solon ; [126] et si j’avais un pied dans la barque de Charon, je voudrais encore m’instruire avant de mourir. [50][127]

Même page. Le panégyriste de Pecquet se remet à recommander son talent et son livre : « Pecquet n’est certes ni docteur ni médecin de Paris », mais c’est le titre dont Bartholin l’a honoré. « Il ne doit pas pour autant être privé des honneurs que lui vaut sa remarquable découverte » : j’en conviens si vous en ôtez ce qu’il dit de la sanguification.

Page 200, « Pecquet ne peut pourtant pas être tenu pour entièrement étranger à la Faculté de Paris, car il se glorifie d’en être le disciple, comme furent Foes[128] Du Laurens et d’autres fort illustres médecins de ce siècle. » Vous auriez dû indiquer où il a dit cela ; vous rabaissez la gloire de ces médecins quand vous les comparez à Pecquet.

Même page. S’il « n’est pas étranger », Pecquet mériterait donc d’être légitimement intégré et agrégé à la Compagnie des médecins de Paris. Dans Cassiodore, livre iii, lettre xxxiii, non iudicari potest extraneus, qui bonarum artium est alumnus ; et ailleurs, Nulli fuit ingrata Roma, quæ dici non potest aliena[51][129] Voilà pourquoi les Pecquétiens le jugent digne [Page 107 | LAT | IMG] du titre de docteur de Paris.

Même page. « Pecquet a reçu le grade de maître ès arts et de nomination » : une fois acquittés les droits de scolarité qui doivent l’être, ce titre est octroyé à quiconque le demande ; s’il avait voulu, il aurait ensuite pu devenir docteur en l’un et l’autre droit.

Parce puer quæso, ne turpis fabula fias,
Cùm tua ridebunt vana magisteria
[52][130]

Vous auriez pourtant dû passer sur sa nomination, car cela fait connaître le gibier et la ruse du Normand qui aspire à se procurer des bénéfices ; mais dans l’errata, vous avez sottement ajouté « les privilèges qui y sont attachés ». [53] « Il a accompli ses expériences à Paris » sous les yeux de Mentel et Mercenne, docteurs de Paris, « la découverte de Pecquet ne doit donc pas être tenue pour étrangère ». L’Université de Paris doit se glorifier de cette découverte qui a été faite dans ses murs, sur des chiens, par le très ingénieux Pecquet.

Même page. « Qu’est-ce pourtant que ce censeur perpétuel trouve à condamner dans les lettres qui ont été écrites à Pecquet ? Il serait long de défendre séparément chacune d’elles, et cela dépasserait le temps dont je dispose. » Qui a défini le temps qui vous était prescrit ? Vous énoncez manifestement là ce que vous avez tiré de quelque déclamation. [54] Si vous aviez pu défendre les plus de trente notables erreurs anatomiques de Pecquet, vous n’auriez pas manqué de le faire ; mais ni lui-même ni vous, qui êtes pourtant plus compétent que lui en anatomie, n’avez été capables de répliquer.

Même page. Si Mentel, l’auteur de la première lettre, avait pu venir à bout de ce que vous appelez mes gloses, il vous y aurait communiqué ses remarques, de manière à estimer, en y ayant répondu, avoir en grande partie satisfait à votre satire. Turpis res elementarius senex, dit Sénèque, mais cette citation est mal adaptée à sa défense [Page 108 | LAT | IMG] si on y ajoute ce qui la précède dans sa même lettre xxxvi à Lucilius : Quid ergo ? aliquod est quo non sit discendum ? minimè : Sed quemadmodum omnibus annis studere honestum est, ita non omnibus institui, turpis et ridicula res est elementarius senex, iuueni parandum, Seni utendum est[55][131]

Mentel a été si content de sa lettre qu’il a pris soin d’en faire une impression séparée et de la distribuer à chacun des docteurs de la Compagnie. Elle est pourtant parée d’un honteux solécisme, que je n’ai pas voulu relever car Galien a conseillé de ne pas blâmer un médecin pour ses fautes de grammaire ; et il a écrit un livre contre ceux qui reprennent les médecins qui en commettent. [132] Mentel a supprimé cette erreur dans la seconde édition du livre de Pecquet[56]


Rédaction : guido.patin@gmail.com — Édition : info-hist@biusante.parisdescartes.fr
Licence Creative Commons "Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.
Une réalisation de la Direction des bibliothèques et musées d'Université Paris Cité