Il ne semble pas tout à fait impossible que les lactifères thoraciques, qui sont voisins des mamelles, contribuent en quelque façon à y distribuer du lait. [2] Galien, au chapitre iii du Livre sur ses propres ouvrages, dit qu’il a rédigé un Épitomé des œuvres de Marinus, qui, dans le livre iv de son Anatomie, parle de vaisseaux mammaires contenant du lait ; [2][3][4] si elle avait été conservée, peut-être aurait-elle été utile à notre savoir. Certains auteurs se seraient convaincus d’avoir vu, dans le thorax humain, des branches laiteuses gagnant les mamelles, mais je crains que les nerfs qui y descendent ne les aient induits en erreur. Maints indices incitent à penser comme Hippocrate, dans son Livre sur la Nature de l’enfant, [5] que du lait ou du chyle est poussé vers les mamelles, et j’ai naguère dit ce que j’en pensais dans mon Anatomie réformée. [3][6] Les nourrices déclarent d’elles-mêmes que quand elles tendent les seins aux nourrissons, [7] le lait semble leur descendre des épaules (où s’insèrent les lactifères thoraciques), [8] non sans une sensation douloureuse, et redoutent franchement que ce qu’elles mangent ne gagne leurs mamelles par crainte de se charger en aliment mal digéré. De plus, [Page 63 | LAT | IMG] on observe que quantité de matières absorbées avec la nourriture sont transportées dans les seins des femmes avec le lait. Martianus [9] en a consigné l’exemple, vu à Rome, de l’épouse d’un maçon qui, dans l’heure suivant la prise d’un médicament purgatif, [10] tendit son sein à la fillette d’un an qu’elle allaitait, et en raison d’un si bref intervalle, l’enfant en fut si rudement purgée qu’on craignit qu’elle en mourût ; mais la mère n’éprouva aucun effet du remède. Hippocrate, dans les Épidémies, [11] fait la même remarque à propos d’une chèvre et d’une femme qui avaient pris de l’élatérium, [12] et d’autres ont écrit sur les laits, comme Theophraste, [13] Dioscoride, [14] Varro, [15] Massaria, etc. [4][16] Au témoignage d’Aristote, livre vii de l’Histoire des animaux, [17] chapitre xi, des poils avalés en buvant ressortent par les mamelons, soit isolément quand on les presse, soit avec le lait. [18] Le susdit Martianus raconte encore que le fils de Domitia Griffoni, âgé d’un mois, a très souvent exonéré du bran dans ses fèces, parce que sa nourrice mangeait du pain de son. Toujours à Rome, on a extrait du mamelon d’une femme allaitante un brin de chicorée qu’elle avait mangé au cours de son précédent repas. Enfin, pour se purger, Pompilia, épouse de Melsi, avait avalé six livres de lait de chèvre, [19] qui lui coulèrent très rapidement dans les mamelles, lesquelles enflèrent avec de très intenses douleurs. [5] Hippocrate, dans son Livre sur la Nature de l’enfant, parle de veines qui vont à la matrice et aux mamelles, mais sans expliquer quelles elles sont, [3] et Martianus, dans ses annotations sur le Livre des Chairs, [20] admet l’existence de canaux lactés cachés qui entrent et sortent des mamelles. [6] P. Castellus, dans son livre ii des Émétiques, chapitre xlix, soupçonne que la matière du lait parvient aux mamelles en empruntant soit des voies encore inconnues, soit les porosités qui sont dans les tissus flasques. [7][21] Vesling, dans la dernière édition de son Syntagma, [Page 64 | LAT | IMG] admet des vapeurs laiteuses empruntant des voies qui échappent encore au regard. [22] Jo. Dan. Horst, dans la première partie, section ii, chapitre i de son Guide pour la médecine, met hardiment en avant l’existence de veines lactées et rouges dans les mamelles. [23][24] J.C. Benedictus, lettre v, livre iv des Épîtres médicales, défend certes Hippocrate, mais approuve le fonctionnement conjoint de l’utérus et des seins. [25][26] Rien ne résout mieux ce débat que les nouveaux lactifères du thorax : voisins des mamelles et de la cavité thoracique, ils envoient des rameaux de tous côtés, et il serait aisé d’en chercher la preuve en disséquant une femme enceinte ou allaitante qui serait morte après s’être nourrie. [8][27]Il n’est pas si simple d’observer cela dans le sexe masculin, à moins que les mamelons ne regorgent de lait, ce qui est rare, mais se voit pourtant parfois, surtout chez les enfants. [28] Chez le voleur dont nous avons récemment fait l’anatomie, un sérum bilieux [29][30] s’écoulait du thorax par les vaisseaux mammaires ; [31][32] mais leur anastomose avec les épigastriques, que les anatomistes ont tant vantée, est si rarement visible que, dans mon expérience, elle a plus souvent fait défaut qu’existé, et on se demande bien comment elle pourrait être la source d’une telle abondance de lait. Riolan, anatomiste qui a blanchi sous le harnais, a certes décrit dans le chapitre iii, livre iii de son Anthropographie, [33] chez une parturiente récemment décédée, une artère mammaire interne et une épigastrique dont l’épaisseur et le calibre égalaient ceux d’une plume à écrire ; mais il faut attribuer cela à une stagnation prolongée du sang ou au ralentissement de son mouvement, ou aux efforts de l’accouchement, puisqu’ils dilatent fort quantité d’autres vaisseaux qui entourent l’utérus, comme Beslerus l’a dessiné dans la figure iii de son Anatomie de la femme. [34] Qui plus est, dans son addenda, Riolan a observé, en compagnie de son collègue M. Matthieu, [35] de semblables dilatations variqueuses chez un homme originaire de la Marche, [Page 65 | LAT | IMG] qui s’étendaient sur toute la longueur du ventre, depuis le thorax jusqu’au pubis. Chez une chienne gravide qu’il disséquait vivante, [36] le très diligent Highmore, au livre ii, première partie, chapitre iii, de sa Recherche anatomique, [37] a ouvert la grande veine azygos, [38] dans laquelle se déversent les intercostales, et vu s’écouler des dites veines une humeur laiteuse mêlée au sang ; comme elle était exactement de même nature que celle qu’on trouve dans les mamelles, il suspecte qu’elle provenait des artères thoraciques et mammaires. [9] Pour ma part, je crois pourtant qu’une branche du canal thoracique, insérée dans l’azygos, y a déversé une partie de son chyle puisque, chez les chiens et d’autres bêtes qui ont les mamelles attachées à l’abdomen, il est fort rare qu’elles communiquent avec les artères intercostales ou thoraciques. Pour examiner cette question, je me suis mis à la recherche de chiennes gravides ou allaitantes, dont je m’occuperai le moment venu, quand j’en aurai fini avec cette présente thèse.
Pecquet dit n’avoir pas vu de lactifères gagner les mamelles, et le très savant Auzout [39] explique cela par la position des vaisseaux lactés chez les bêtes qui ne leur ouvre pas de communication facile avec elles ; [40] mais le contraire me semble plus vraisemblable puisque leurs mamelles sont plus proches de l’abdomen que celles de la femme qui porte ses petits dans les bras, comme a pensé Aristote. Cela fait que chez les très nombreux chiens que nous avons disséqués, nous avons vu que les veines lactées sont rares dans le thorax, mais innombrables dans l’abdomen, et ce sont sans doute celles qu’Érasistrate [41] y a observées chez les chèvres. Au livre vii, chapitre xxii, de l’Utilité des parties, Galien [42] a donné les raisons pour lesquelles l’être humain est presque le seul à avoir les mamelles sur le thorax, alors que la plupart des bêtes les ont sur l’abdomen ; mais d’autres l’ont expliqué autrement. [10] Selon la tradition des rabbins, Rabbi Abha dit que Dieu a posé les seins des femmes devant la région du cœur [Page 66 | LAT | IMG] pour que l’enfant en tire courage et sagesse, Rabbi Jehuda, pour que l’enfant ne soit pas obligé de voir les parties honteuses de sa mère, et Rabbi Matthana, pour qu’il ne soit pas obligé de téter dans un lieu malpropre, au rapport de Buxtorfius, chapitre iii de sa Synagoga Judaica. [11][43] En outre, si la supposition d’Hippocrate était vraie, je conjecturerais volontiers que le chyle qui va dans les mamelles humaines est fort cru et recherche plus avidement la chaleur voisine du cœur que ne fait le chyle plus robuste des chiens et des autres quadrupèdes, chez qui il vient de l’estomac et n’est pas exposé aux dommages externes car le rachis courbé vers le sol protège leurs mamelles, comme Galien l’a remarqué à la fin du chapitre précédemment cité. Quant à l’autre argument d’Auzout et à sa singulière expérience, [44] Castellus en répond à la page 180 de ses Emetica, livre ii, chapitre lix, sur une question qui n’est guère différente, car ce problème peut s’examiner pareillement dans le thorax et dans l’abdomen. [12] J’apprends qu’a récemment paru à Rouen un opuscule de Guiffart [45] sur la substance ou matière du lait, où il nie qu’il s’agit de chyle apporté par le canal pecquétien, [46] mais je serai contraint d’ignorer sur quels nouveaux arguments et expériences il se fonde tant que les libraires ne nous auront pas procuré son livre. [13]
Thomas Bartholin ne disposait que de la première édition des Experimenta nova anatomica (1651), où seul Adrien Auzout, dans sa lettre de soutien à Jean Pecquet, a parlé du lait, en refusant de croire que les lactifères thoraciques gagnent les mamelles : v. sa note [4], qui signale une addition d’Auzout (en 1654) visant à répondre aux arguments que Bartholin expose dans le présent chapitre.
Pecquet n’a abordé la question qu’en 1654, dans l’expérience iv de sa Nova Dissertatio : il était convaincu de la communication des lactifères avec les glandes mammaires, mais sans être parvenu à la démontrer anatomiquement, en dépit de tentatives répétées ; toute sa discussion cherche à y répondre aux objections de Jean ii Riolan, sans citer Thomas Bartholin.
Marinus ou Marinos, médecin gréco-romain contemporain de Néron (ier s.), est principalement connu par ce qu’en a écrit Galien ; lequel dit, dans le chapitre iii de son Liber de Libris propriis [Livre sur mes propres ouvrages], avoir rédigé un Épitomé [Abrégé] des vingt livres d’anatomie de Marinus, avec ce passage sur son livre iv (Kühn, volume 19, page 26, traduit du grec) :
In quarto autem, quæ functio arteriæ et quis usu et unde incipiant, cæteræque de iis quæstiones, tum deinceps de ureteribus, de urinariis meatibus et uracho ex quo hæret, pendetque fœtus ad umbilicum et vasis seminariis et bilis vasis et meatibus et glandulis et de vase quod est à glandulis, de que gutture, deque vasis mammarum in quibus lac, deque fusis in corpore et quæ vasis continentur. Et qui in quibus humores contineantur et fusa et de alimento.[Le quatrième livre traite : des artères, leur fonction, leur utilité, où elles ont leur origine, et d’autres questions à leur sujet ; ensuite, les uretères, les voies urinaires, le cordon ombilical auquel est attaché et suspendu le fœtus ; les vaisseaux gonadiques, les vaisseaux et voies biliaires ; les glandes et le vaisseau qui en sort ; la gorge et les vaisseaux des mamelles dans lesquels est le lait ; des fuseaux dans le corps, des vaisseaux qu’ils contiennent et des humeurs qu’ils contiennent, et de l’aliment].
Pour entamer sa laborieuse démonstration, Thomas Bartholin n’hésitait pas à racler les plus poussiéreux fonds de tiroir.
V. note [7], lettre de Thomas Bartholin à Johann Daniel Horst (1655), pour les échanges de lait entre les seins et l’utérus chez la femme enceinte qu’Hippocrate a imaginés dans son traité de la Nature de l’enfant, en disant que le lait dérive de la graisse alimentaire (à laquelle il ne donnait pas le nom de chyle).
De tout ce qu’ont écrit les Bartholin dans le chapitre i, De Mammis (pages 208‑216), livre ii, de leur Anatomia reformata, {a} je retiens principalement ce passage sur les vaisseaux mammaires (pages 210‑211) :
Venas recipiunt mammæ alias cutaneas et externas ab axillari, [thoracicas dictas superiores] quæ in gravidis et lactantibus sæpe livent : alias internas, longo itinere ductas, quo diutius elaboretur sanguis : dictas mammarias : quæ descendunt utrinque una, à trunco venæ axillaris sub osse pectoris, ad mammarum usque glandulas. His obviam veniunt aliæ ascendentes, per rectos musculos, de quibus supra ; ut nimirum mammæ cum utero consensum habeant ; unde nato infante sanguis non amplius ad uterum, sed ad mammas fertur, et in lac vertitur. Hinc etiam lactantes raro mensium fluxum agnoscunt. Hinc aliquando puelli nimia suctione, sanguis exit per mammas. Immo animadversum est menstrua fluxisse per mammillas, et lac per uterum ; quod tamen rarius fit.[Sed per venas materia lactis quæcunque sit, non potest ad mammas ferri, ex Circulationis principiis. Venæ mammariæ reportant tantum si quid residuum fuerit à nutritione mammarum et generatione lactis. Præterea non semper cum Epigastricis, nisi rarò, junguntur, nimisque copia exiles parvæque sunt Epigastricæ, quam tantum sanguinis solæ adferant ex utero, pro puero liberalius sugente].
Arteriæ veniunt à trunco superiore arteriæ magnæ. [Et à ramis subclaviis, quæ eadem ratione cum Epigastricis arteriis, ut de venis dictum est, junguntur. (…)
Materiam autem lactis duplicem ex Hippocrate defendunt Prosper Marianus et Petrus Castellus, sanguinem nempe et chylum, Copiosam materiam ex cibis et potibus nondum concoctis in venriculo, exprimi ad mammas à fœtu ante partum in utero tumente, et post partum à viis suctione dilatatis : Exiguam alteram à sanguine generari ab utero ascendente, quæ agentis potius ob calorem suum, quam materiæ habeat rationem. Sanguinem solum lactis materiam non esse {…}.]
[Les veines que reçoivent les mamelles sont : les unes cutanées et superficielles (dites thoraciques supérieures), {b} qui dépendent de l’axillaire et qui bleuissent souvent pendant la grossesse et l’allaitement ; les autres, dites mammaires, qui sont profondes et ont un long trajet, ce qui permet au sang d’y être plus longtemps élaboré, elles naissent du tronc de la veine axillaire et il en descend une de chaque côté derrière le sternum, jusqu’aux glandes mammaires. Elles sont rejointes par les veines ascendantes, passant par les muscles droits de l’abdomen, dont il a été question plus haut. Cela fait qu’existe une communication entre les seins et l’utérus : après la naissance, le sang ne gagne plus l’utérus, mais les mamelles, et y est transformé en lait ; les femmes allaitantes ont rarement leurs règles ; quand l’enfant tète trop puissamment, du sang peut sortir des mamelons ; il arrive même très rarement que les menstrues s’écoulent par les seins et du lait par l’utérus.
(Les règles de la circulation font pourtant que la matière du lait, quelle qu’en soit la nature, ne peut gagner les seins par les veines mammaires, et elles ne font que ramener le sang qui n’a pas été consommé pour la nutrition des seins et pour la production du lait. En outre elles rejoignent inconstamment, voire rarement les veines épigastriques, lesquelles sont trop grêles et peu nombreuses pour apporter de l’utérus la quantité de matière dont a besoin un nourrisson qui tète copieusement.)
Les artères viennent du tronc supérieur de l’aorte {c} (et des branches subclavières qui, de même que les veines et comme on l’a dit plus haut, se joignent aux épigastriques). {…}
Comme Hippocrate, Prospero Marziano et Petrus Castellus défendent l’idée que la matière du lait est double, sang et chyle : {d} les aliments et les boissons qui n’ont pas encore été digérées dans l’estomac procurent une abondante matière qui est envoyée dans les mamelles par le fœtus qui grandit dans l’utérus avant l’accouchement, et après sa naissance, par des voies que dilate la tétée ; {e} une faible quantité de matière est fournie par le sang qui monte de l’utérus, mais il agit plus par sa chaleur propre que par sa substance. À lui seul, le sang n’est pas la matière du lait {…}).]
- Leyde, 1651, v. note [5], lettre d’Adrien Auzout à Jean Pecquet.
- Les crochets [en latin] ou les parenthèses (dans ma traduction) balisent les additions de Thomas Bartholin au texte de son père, Caspar ; mais il n’a pas toujours remplacé les termes qui sont devenus incompatibles avec le sens de la circulation sanguine.
- Tronc brachio-céphalique (à droite) et sous-clavière gauche.
- V. note [2], Historia anatomica, chapitre v.
- Ces voies alors vagues et inconnues sont devenues les lactifères thoraciques après leur découverte. Je ne comprends pas pourquoi, pendant la grossesse, les glandes mammaires recevraient du fœtus de quoi fabriquer du lait, mais je n’ai pas trouvé le moyen de traduire autrement.
Voilà donc précisément d’où Bartholin partait pour échafauder sa rêverie sur le rôle du chyle et des lactifères thoraciques dans la production du lait par les mamelles.
V. infra notes [5] pour les références à la première observation de Martianus et aux Épidémies d’Hippocrate, et [7], notule {c}, pour le lait qui descend des épaules, dans lesdites Épidémies.
L’énumération mal agencée de Thomas Bartholin citait quatre autres auteurs sur le lait.
- Mort en 1598, v. note Patin 14/239.
- Practica medica [Pratique médicale], Lyon, Laurentius Durand, 1622, in‑8o : livre iv, sur les maladies des femmes, chapitre ii, sur la suppression des règles, page 497.
Thomas Bartholin a résumé dans le désordre le commentaire de Prospero Marziano (Martianus) sur Hippocrate sur la Nature de l’enfant, page 43, repères B‑E :
Si lac ex sanguine generaretur, non ex succo à cibis et potibus expresso, impossibile esset odorem, et facultatem ingestorum adhuc retinere, quandoquidem nullus odor, aut qualitas manifesta oberuatur in sanguine cibariorum è quibus conflatus est, et multò minus in ijs, quæ ex sanguine generantur. Contrà verò lac sæpe odorem retinet, et facultatem ingestorum ; ut docet experientia Hipp. ipso assentiente lib. enim 6. Epid. sect. 2. vers. 38. legimus ; Mulier, Capra elaterium, aut cucumerem siluestrem comedentes, pueris purgatio. Idque mihi cognitum est experimento. D. Francisca, vxor magistri Baptistæ de Castellis cementarij in Vrbe, assumpto medicamento purgante, statim mammam porrexit puellæ aniculæ, quam lactabat, non existimans, tam citò virtutem medicamenti ad mammas peruenire posse (nam id à me vetitum fuerat ante) quæ adeò fortiter purgata est, vt de superpurgatione læthali dubitatum sit. Matri verò ne semel quidem aluus subducta est, signum euidens medicamentum ad mammas functionis violentia statim raptum fuisse, quemadmodum etiam euenit D. Pompiliæ vxori D. Adami Melsi aromatarij in urbe notissimi, quæ cum purgandi gratia lactis caprini sex libras vnica vice assumpsisset, vi suctionis totum conuersum est ad mammas, ita vt cum puella, quam lactabat, sugendo non sufficeret, coacta est plures adhibere infantes, qui sugerent : aliàs mammæ disrumpi præ turgentia videbantur. Hæc et alia multa his similia quotidiè obseruantur, quæ sicuti Hipp. sententiam indubitatam faciunt, ita contrarias penitus euertunt, vt non satis mirari possim, non dicam tot medicos, quando plerique à Gal. placitis obcæcati, sæpe ne lucem quidem Solis videre possunt ; sed principem philosophorum Arist. si lactis totam materiam credidit sanguinem ; non portionem tantummodo exiguam ab vtero ascendentem ad mammas, Hipp. consentiens, quæ et ipsa tandem in lac transmutatur, cognouit enim, à ventriculo ad mammas per substantiæ porositates ferri, non succum modo tenuem iam dictum ; sed etiam crassiora corpuscula, nam 7. de Hist. anim. cap. 11 testatur, si lactans pilum cum cibo, aut potu ingerat, ad mammas pervenire, in earumque papillis consistentem, morbum inducere, quem τριχιας vocat. Sed longè pilis crassiora è mammis cum lacte exijsse cognoui. Narrauit enim mihi illustriss. et admodum Excell. Prosper Cechinus Chirurgus in Vrbe primarius aliquando è papilla mulieris extraxisse surculum cicorij, quod vesperi præcedenti comederat, præsente D. Antonio eius alumno, qui idem mihi affirmauit, in cuius rei confirmationem Domina Domitia de Griffonibus matrona nobilis, et omni fide dignissima obseruauerat, puerulum filium suum adhuc menstruum sæpius cum stercore excreuisse furfures quam pane furfuraceum comedebat nutrix, vt alui adstrictioni immodicæ occurreret. Quæ omnia palam faciunt materiam lactis esse succum alimentorum, nondum concoctum à ventre ad mammas per carnis porsitates attractum, ita vt quò mulier carne rarior est, eò maiorem lactis copiam producat, vt Hipp. testatur, et ideò non sunt necessarij ductus conspicui, qui præfatum succum deferant ad mammas : per quos si lactis materia procederet, non obseruatum fuisset à præceptore, carne rariores, lacte magis abundare ; sed quæ venas amplas habent, quæ sunt illis contrariæ.[Si le lait provenait du sang, et non du suc extrait des aliments solides et liquides, le lait ne pourrait pas conserver l’odeur et la faculté de la nourriture ingérée, puisque ne s’observe dans le sang aucune odeur ou qualité manifeste des mets qui l’ont formé, et moins encore dans les matières qui dérivent du sang. Tout au contraire, le lait retient souvent l’odeur et la faculté de ce qui a été mangé ou bu, comme nous l’enseigne l’expérience d’Hippocrate, au livre vi des Épidémies, section 2, § 38, où nous lisons : Mulier, capra, elaterium aut cucumerem siluestrem comedentes, pueris purgatio. {b} Je sais cela d’expérience : à Rome, Donna Francesca, épouse du maître maçon Battista de Castellis, ayant pris un médicament purgatif, tendit aussitôt son sein à la fillette d’un an qu’elle allaitait, pensant que la vertu du médicament ne pouvait se transmettre si rapidement au lait (mais en dépit de l’interdiction que je lui en avais faite) ; l’enfant en fut si rudement purgée qu’on craignit qu’elle en mourût ; la mère alla plusieurs fois à la selle, ce qui est un signe évident qu’emporté par sa violence, le médicament s’était sur-le-champ précipité vers les mamelles. {c} La même chose arriva à Donna Pompilia, épouse d’Adamo Melsi, épicier {d} d’excellente réputation à Rome : pour se purger, elle avait avalé d’un trait six livres de lait de chèvre ; {e} en tétant vigoureusement, la fillette qu’elle allaitait puisa tout ce liquide dans ses mamelles, si bien que, la petite ne suffisant pas à le boire, cette femme vit ses seins enfler jusqu’à être près de rompre et elle fut contrainte de nourrir plusieurs autres enfants. {f} On fait tous les jours quantité d’observations semblables, qui rendent si indiscutable la sentence d’Hippocrate qu’elles réduisent à néant les arguments de ceux qui la contredisent, sans avoir à dire mon étonnement devant tant de médecins qu’ont aveuglés les décrets de Galien, à tel point qu’ils sont incapables de voir la lumière du Soleil. Si Aristote, le prince des philosophes, a pourtant cru que le sang procure toute la matière du lait, Hippocrate est convenu qu’une partie non négligeable en monte de l’utérus aux mamelles pour y être finalement transformée en lait ; tout en sachant, comme j’ai déjà dit, que ce qui y vient de l’estomac, par les porosités des tissus, n’en représente pas seulement la portion déliée, mais aussi les grumeaux les plus épais, comme en atteste le livre vii, chapitre xi de l’Histoire des animaux : si une femme allaitante ingère un poil en mangeant ou en buvant, il parvient et se fixe dans ses mamelons pour y provoquer une maladie qu’il appelle trichiase. {g} Pour ma part, j’ai vu sortir des seins, avec le lait, des matières bien plus épaisses que des poils, et Prosper Cechinus, très illustre et excellent premier chirurgien de Rome, m’a raconté avoir un jour extrait du mamelon d’une femme un brin de la chicorée qu’elle avait mangée la veille, et ce en présence du signor Antonio, son élève, qui me l’a lui-même confirmé. {h} À l’appui de cela, la Donna Domitia Griffoni, noble dame absolument digne de confiance, a très souvent observé la présence de bran de son dans les fèces de son petit garçon, qui n’était encore âgé que d’un mois et dont la nourrice mangeait du pain de son pour se soigner d’une constipation opiniâtre. {i} Tous ces faits démontrent que la matière du lait est le suc des aliments que les intestins n’ont pas encore digérés et que les mamelles attirent à elles par l’intermédiaire des porosités de la chair. Il en résulte que plus la chair d’une femme est flasque, plus elle produit de lait, comme en atteste Hippocrate, {j} sans qu’il soit nécessaire de bien voir les conduits qui portent ledit suc dans les seins ; et même si le grand précepteur de notre art n’a pas remarqué que la matière du lait emprunte ces canaux, où le lait abonde d’autant plus que la chair des femmes est lâche, à l’inverse de celles qui ont des veines de gros calibre].
- Rome, 1626, v. note [2], Historia anatomica, chapitre v.
- Dans Littré Hip, ce passage correspond à la 15e section du livre (volume 5, page 323) :
« Une femme, une chèvre, ayant mangé de l’élatérium ou du concombre sylvestre, {i} les enfants mêmes sont purgés. »
- Dénominations communes d’un puissant purgatif végétal, dont Littré a traduit les noms grecs en latin de Linné : ελατηριον, momordica elaterium, et σικυον αγριον, momordica claterium.
- Première histoire de Marziano que Bartholin a résumée (et modifiée).
- V. note Patin 15/544.
- Environ 2,7 litres.
- Quatrième histoire de Marziano que Bartholin a résumée.
- Aristote, loc. cit. (mais chapitre x dans l’édition de Jules Barthélemy-Saint-Hilaire, 1883) :
« La mamelle est tellement spongieuse que, si une femme avale un poil dans sa boisson, elle ressent une douleur dans les seins (ce qui s’appelle “ avoir le poil ”), et la douleur persiste jusqu’à ce que le poil soit sorti spontanément avec le lait, ou qu’il en ait été tiré par l’enfant qui tète. »Trévoux sur la trichiase (trichiasis, v. notule {b}, note [21], Historia anatomica, chapitre ix) : « signifie encore une maladie des mamelles, appelée vulgairement “ le poil ”, parce qu’on croit qu’elle est causée par un poil avalé par hasard en buvant, qui étant conduit par la voie de la circulation à ces parties, s’y arrête, y excite une grande douleur, une tumeur inflammatoire, un abcès, à moins que le poil n’en sorte par expression ou par succion avec le lait. C’est une maladie assez ordinaire aux nourrices, qui vient plutôt d’un lait grumelé que d’un poil. »
- Troisième histoire de Marziano que Bartholin a résumée.
- Deuxième histoire de Marziano que Bartholin a résumée.
- De la Nature de l’enfant, § 21 (Littré Hip, volume 7, page 513) : « Chez la femme à chair dense, le lait donne signe et coule plus tard ; chez les femmes à chair lâche, plus tôt. »
Ce commentaire hippocratique de Prospero Marziano (page 50, repères C‑D) suit le précédent (v. supra note [5]), pour dire que ce qu’on ne voit pas peut exister et le doit même, quand la raison l’impose :
[…] quamuis huius lactis ductus conspicuus ad vterum non conspiciatur, non ob id, illius euidentem vsum tollere oportet, quandoquidem sicuti sanguis ab vtero ad mammas fertur, vt materiam lacti præstet, quod omnibus est receptum, cum tamen (vt supra indicauimus) via nobis omninò ignota sit, ità nihil prohibet eodem modo per cæcos quosdam ductus lac in mammis genitum ad vterum remeare, et tunicas fœtum continentes penetrando alimenti exiguum ei præstare, quo ventriculus, qui solo sanguine nutriri non potest, aliqua ex parte reficiatur, eadem ratione, qua spiritus, siue aer ore attractus ad cor pueri peruenit.[(…) même si le canal emprunté par ce lait pour aller dans l’utérus n’est pas clairement visible, il ne faut pas nier son évidente utilité : tout le monde admet que le sang va de l’utérus aux mamelles pour y fournir de la matière au lait, mais en empruntant (comme nous l’avons dit plus haut) une voie qui nous est tout à fait inconnue ; de même, rien n’empêche que par des conduits cachés, le lait qui est fabriqué dans les mamelles gagne l’utérus, pénètre dans les membranes qui enveloppent le fœtus et lui procure la petite quantité d’aliment dont se nourrit pour partie l’estomac, car le sang ne peut y suffire ; et ce de la même façon que l’esprit vital ou l’air, attiré par la bouche, parvient au cœur du fœtus].
En citant abondamment Prospero Marziano, Petrus Castellus a longuement débattu sur la lactogenèse dans le chapitre qu’il a consacré aux vertus thérapeutiques du lait dans ses Emetica {a}. Thomas Bartholin se référait ici à un passage de la page 179 (seconde colonne) :
Certum est à Ventriculo materiam lactis ferri ad Mammas, vel per vias adhuc incognitas, vel per porositates in corporibus raris, quod videtur Hipp. sensisse, ex Ventriculo succus exprimitur in omentum, et in carnes raras præcipuè humerorum : vnde Hipp. dixit à cibis, et potibus humeri, et mammæ inflantur ; sentiunt certè manifeste mulieres lac sibi in mammas descendere ab humeris, et optimum lac ipse dicunt haberi ab humeris ; sed quæ venæ id deferunt, nisi per spongiositates feratur ; raritas autem corporum ad transitus lactis est apta.[Il est hors de doute que la matière du lait est transportée de l’estomac aux mamelles, soit par des voies encore inconnues, soit par les porosités qui sont dans les corps lâches, comme Hippocrate semble l’avoir compris : {b} le suc alimentaire sort de l’estomac dans l’épiploon et dans les chairs peu denses, surtout celles des épaules ; et Hippocrate dit à cibis, et potibus humeri, et mammæ inflantur. {c} Les femmes sentent assurément le lait leur descendre des épaules dans les mamelles, et disent que le meilleur lait provient des épaules ; mais ce que les veines {d} en apportent n’y parvient que par des spongiosités, et les corps flasques sont propices au transfert du lait]. {e}
- Rome, 1634, v. supra notule {d}, note [3].
- V. supra notule {j}, note [5].
- Épidémies, livre ii, troisième section, § 17 (Littré Hip, volume 5, page 119) : « Par les aliments et les boissons, il se fait des gonflements venteux des épaules et des mamelles. »
- Galactophores.
- Bartholin voyait sans nul doute dans ce propos de Castellus un pressentiment des lactifères.
Sur ce fol espoir, {a} Thomas Bartholin concluait sa revue sur la formation du lait, après y avoir ajouté trois auteurs.
mammæ in muliebri corpore lac generando, officium pariter, atque usum obtinent clariorem. Componuntur, si in fœtis mulieribus, et lactantibus spectentur, ex glandulosis corporibus minutis quàmplurimis, magnitudine diversis, ut non sanguinem tantùm, è paucis parvisque vasis subministratum, sed largiter affusos à pancreate, ventriculoque vapores, ac lactescentem humiditatem, instinctu naturæ combibant.[Dans le corps féminin, les mamelles ont très clairement pour fonction et utilité de produire le lait. Quand on les examine chez les femmes enceintes ou allaitantes, elles sont composées de très nombreux petits corps glanduleux, dont la taille est variable et dont le penchant naturel est d’absorber non seulement le sang que des vaisseaux grêles et peu nombreux leur fournissent, mais aussi et bien plus largement, les vapeurs et l’humidité lactescente {c} qu’y répandent le pancréas et l’estomac].
- Nulle part dans la chrétienté on n’exécutait une femme enceinte ou allaitante qui avait été condamnée à mort.
- Padoue, 1647, dernière édition alors disponible : v. note [3], Experimenta nova anatomica, chapitre vi (première référence citée), où est détaillé l’avis de Vesling sur les veines d’Aselli.
- Sans oser le mot chyle, en l’absence de voie alors connue qui lui permette de gagner les mamelles.
Gravem autem insuper difficultatem, Circulationi parere videtur Lactis Generatio. Mirum enim videri posset cuipiam, circulationem dictam fieri posse, etiamsi quotidiè tanta lactis copia, tanta sanguinis copia corpori abscedat ? Verùm me judice non tantum ex sanguine, sed chylo fit lac. Ex chylo et nobiliori quidem per pancreas ad mammas delato. Testatur id diversitas venarum lactearum et rubrarum, quas Mammæ continent, et in conspectum se dant in hæmorrhagiis.[La formation du lait semble se heurter à une lourde difficulté si on considère la circulation, n’importe qui pouvant s’étonner qu’elle soit compatible avec le fait qu’il arrive au corps de perdre chaque jour une grande quantité de lait et de sang : {b} c’est qu’à mon avis le lait ne provient pas seulement du sang, mais aussi de chyle, ce très fameux liquide que le pancréas envoie aux mamelles, comme en témoigne la diversité des veines lactées et rouges qu’elles contiennent et qui se font voir lors de leurs saignements].
- Marbourg, 1648, v. note Patin 32/458 ; j’ai consulté la réédition de 1660 (Ulm, Balth. Kühnen, in‑12).
- Horst parlait des femmes allaitantes ou ayant leurs règles.
- V. note Patin 43/280.
- Rome, Andreas Phæus, 1649, in‑4o.
- V. note Patin 4/63.
- Dans le chapitre 21 sur la Nature de l’enfant, v. note [7], lettre de Thomas Bartholin à Johann Daniel Horst (1655).
Après une digression sur la galactorrhée, qui n’en était sûrement pas une, chez un des deux pendus qu’il a disséqués, Thomas Bartholin se référait à quatre sources anatomiques.
Dubitat Vesalius, si Mammis arteriæ distribuantur, quas nunquam obseruare potuit : sed manifestas habent à Thoracica, quæ plurimos in adipem et corpus glandulosum surculos spargit. Nec est verisimile partem per se frigidam, coquendo lacti destinatam arteriis carere, quibus præ cæteris opus habet ad augendum ipsius partis spermaticæ et glandulosæ natiuum calorem.Irridet quoque Vesalius Anastomosin Mammariæ cum Epigastrica, per quam societas et commercium Vteri cum Mammis perficitur. […] In puerpera recenter enixa Mammariam internam et Epigastricam, crassitie et mole calami scriptorij pares vidi ; quinetiam puerperæ sentiunt lac frigidum supra stomachum secundum ventris longitudinem ad Vterum decurrere.
[Vésale {b} doute que des artères irriguent les mamelles car il n’a jamais pu en voir, mais il en vient manifestement de l’aorte thoracique, qui envoie de nombreux rameaux dans la graisse et dans le corps glanduleux mammaire ; et il n’est pas vraisemblable qu’une partie vouée à préparer le lait soit froide et dépourvue d’artères, dont elle a besoin plus que les autres, car elles augmentent la chaleur native de la région génitale et glanduleuse.
Vésale se moque aussi de l’anastomose entre la mammaire et l’épigastrique, qui établit un rapport et des échanges entre l’utérus et les seins. (…) Chez une parturiente récemment décédée, j’ai vu une mammaire interne et une épigastrique dont l’épaisseur et le calibre égalaient ceux d’une plume à écrire. En outre, les femmes qui accouchent sentent que du lait froid leur descend sur toute la longueur du ventre, d’au-dessus de l’estomac jusqu’à la matrice].
Nuper in viro Marchiensi, qui me et D. Matthieu, collegam nostrum doctissimum consulebat, varicosas admodum ipsas venas epigastricam et mammariam, secundum longitudinem ventris à thorace vsque ad pubem vidimus in musculo recto dextro, cuius affectus vestigium nullum exstabat in latere sinistro.[Consultant il y a peu, en compagnie de notre très docte collègue M. Matthieu, {f} nous avons vu, chez un homme originaire de la Marche, {g} une importante dilatation variqueuse des veines épigastrique et mammaire dans le muscle droit de l’abdomen du côté droit, sur toute sa longueur, depuis le thorax jusqu’au pubis, sans aucune trace d’anomalie du côté gauche]. {h}
Hanc vasorum unionem, præter ocularem demonstrationem mihi confirmavit experimentum quoddam, in dissectione canis gravidæ viventis observatum. Cum autem venam sine pari, in quam se exonerant intercostales, aperuissem, lacteus quidam humor sanguine mixtus ab intercostalibus effluxit, ejusdem prorsus naturæ cum illo in mammis tunc existente, quem humorem ab arteriis Thoracicis et mammariis acceperant.
[Une expérience m’a confirmé, par l’observation directe, cette union des vaisseaux en disséquant une chienne gravide encore vivante : quand j’ai ouvert la grande veine azygos, {j} dans laquelle se déversent les intercostales, une humeur laiteuse mêlée au sang s’est écoulée des dites veines intercostales ; elle était exactement de même nature que celle qu’on trouve dans les mamelles et y provenait des artères thoraciques et mammaires]. {k}
V. notes [4] de la lettre d’Adrien Auzout pour son avis sur la formation du lait, et [9], Historia anatomica, chapitre iii, pour les vaisseaux lactés qu’Érasistrate (iiie s. av. J.‑C.) a observés dans l’abdomen des chevreaux (au rapport de Galien).
Dans Daremberg, l’opinion finaliste de Galien sur les mamelles est traduite à l’endroit cité de l’Utilité des parties (volume 1, pages 521‑523) :
« Comment n’admirerait-on pas entre toutes les œuvres de la nature cette habileté avec laquelle, prenant chacun des organes créés dans l’animal pour une utilité, elle aime à s’en servir encore pour quelque autre but utile. Or, quoi de plus utile, de plus équitable que les mamelles rendant au cœur, en échange des nombreux avantages qu’elles en tirent, un léger service, le seul en effet qu’elles peuvent lui rendre. Elles ne peuvent que le protéger extérieurement, car leur nature est glanduleuse, et analogue aux tissus foulés ; {a} aussi sont-elles pour le cœur une sorte de protection et d’abri, en même temps qu’elles l’échauffent comme les vêtements de laine qui nous recouvrent : froids quand ils sont placés sur le corps, et, réchauffés par lui, bientôt ils lui renvoient de la chaleur ; de même la substance glanduleuse des mamelles, recouvrant le cœur, et par lui échauffée, le réchauffe à son tour.Chez la femme, ces deux glandes, prenant un développement plus considérable, fournissent au cœur plus de chaleur et de protection que chez l’homme. Elles sont aussi utiles aux viscères situés dans l’hypocondre, viscères doués d’une chaleur moins grande dans la femme : en effet, nous avons démontré que toujours la femelle est plus froide que le mâle.
Le troisième point énoncé, c’est que ni crinière, ni défenses, ni autre appendice semblable, n’absorbant l’aliment que fournit la partie supérieure du thorax, cet aliment devait être fort abondant chez la femelle ; par conséquent encore, les mamelles occupent la meilleure position dans l’homme. Néanmoins, dans la plupart des animaux, la nature craignant le manque de nourriture, les a reportées nécessairement à l’hypogastre. {b} Elle voyait encore que, chez ces animaux, le cœur a moins besoin du secours qu’elles procurent. En effet, ils ne se tiennent pas, comme l’homme, debout sur deux pieds, tous marchant la tête baissée comme les reptiles. Nous avons démontré cette particularité dans nos explications sur les jambes. Il résulte de là que chez eux toutes les parties du rachis sont exposées aux lésions du dehors, tandis que les parties opposées du sternum et du ventre en sont garanties.
Quand les mamelles existent sur le sternum, elles se trouvent aussi chez les mâles ; si elles sont placées sur le ventre seulement, on ne les voit plus dans le mâle, à moins que le petit ne ressemble à sa mère plutôt qu’à son père, comme Aristote l’a observé sur les chevaux. {c}
Pourquoi les mamelles ne sont-elles pas aussi saillantes chez l’homme que chez la femme, c’est une question du ressort de problèmes physiques, {d} et ce n’est pas le lieu maintenant de la résoudre. Que cette disposition soit, comme toutes les autres, l’œuvre d’une nature prévoyante, nous pouvons le déclarer dans le présent livre. »
- Fouler un tissu c’est le battre et l’écraser vigoureusement pour en unir et affermir la texture.
- Partie basse de l’abdomen.
- Daremberg renvoie à la longue citation de L’Histoire des animaux (livre iv) qui figure dans sa note des pages 519‑520 : il n’y est pas exactement dit que la femme nourrit son enfant en le tenant dans ses bras, mais que la nature dispose dans les seins « la nourriture pour les nouveau-nés ».
- Longue note de Daremberg citant plusieurs sources antiques, dont le livre i de la susdite Histoire des animaux.
Johannis Buxtorfii Synagoga Judaica, auspiciis Authoris jam olim latinitate donata ; nunc primum in vulgus emissa [L’École judaïque de Johannes Buxtorfius, {a} que l’auteur a jadis traduite en latin et que voici publiée pour la première fois], {b} début du chapitre intitulé De Judæorum ad Pietatem educatione et institutione [Éducation et enseignement des juifs à la piété], pages 103‑104 :
Dum mulier lactat, uberibusque infantem alit, cibis salubribus et ad concoquendum facillimis vesci debet, ut probatum ille lac sugat, quod cor et stomachum ipsius reficiat recreetque, ut citò adolescat, tantoque faciliùs et maturiùs mores suos ad virtutem conformare, sapientiæ operam dare, ingenio et intelligentiâ accrescere queat. […] Hujus rei gratiâ etiam binis illam uberibus, non unico tantùm, Deus donavit, ut sufficienter et abundè puer lactere possit. Disputant Doctores in Gemarâ, quid causæ sit, cur Rex David, Deum laudans, lactentium non sit oblitus ? Rabbi Abha dixit, Deum mulieribus ubera è regione cordis posuisse, ut cordatus et prudens evadat puer, utque è matris corde sugat, unde intellectum consequatur. Rabbi Jehuda dixit, ne mulierum pudenda puer videre cogeretur ; Rabbi Matthana verò, ne in loco sordido sugere cogeretur.[Quand la mère fait du lait et nourrit l’enfant au sein, elle doit manger des aliments sains et très faciles à digérer, pour que son nourrisson tète un lait qui lui restaure et fortifie le cœur et l’estomac, qu’il grandisse vite et puisse d’autant plus facilement et mûrement conformer ses mœurs à la vertu, travailler à la sagesse, et accroître son intelligence et son raisonnement. (…) Dieu a donné à la femme deux seins, et non un seul pour que l’enfant puisse téter en abondance et à satiété. Dans la Gemara, {c} les docteurs débattent de la raison pour laquelle le roi David, en ses Psaumes, n’a pas omis les femmes allaitantes : Rabbi Abha dit que Dieu a posé les seins des femmes devant la région du cœur pour que l’enfant en tire courage et sagesse, et qu’il puise du cœur de sa mère ce qui lui édifiera l’esprit ; selon Rabbi Jehuda, c’est pour que l’enfant ne soit pas obligé de voir les parties honteuses de sa mère ; mais selon rabbi Matthana, pour qu’il ne soit pas obligé de téter dans un lieu malpropre].
- Johannes Buxtorf l’Ancien, érudit protestant professeur d’hébreu à Bâle, v. note Patin 10/8207.
- Bâle, Ludovicus König, 1641, in‑8o, précédente édition en allemand, Jüden Schul, ibid. 1609.
- Commentaire de la loi juive (Mishna) ; je n’ai pas identifié les trois rabbins cités par Buxtorf, et leur contribution aux progrès de la médecine est à tenir pour modeste.
Je ne saurais dire si cette digression rabbinique de Thomas Bartholin visait à faire étalage de son érudition, ou à distraire le lecteur.
V. supra notes :
Thomas Bartholin pensait que le lait des quadrupèdes venait des lactifères mésentériques se rendant directement aux mamelles, et celui des femmes, des lactifères thoraciques se rendant directement aux seins. À la page 180 du chapitre cité, Castellus s’acharnait à défendre l’idée que des conduits inconnus mènent le chyle aux mamelles ; ce qui, pour Bartholin, pouvait expliquer la « singulière expérience » d’Auzout sur les fœtus canins, exposée à la fin de sa lettre à Jean Pecquet (v. sa note [16]) : il y prenait la veine omphalo-mésentérique pour un conduit joignant le mésentère à la veine porte, et capable d’y conduire le chyle.
V. note [10], Brevis Destructio d’Hyginus Thalassius, chapitre i, pour le Cor vindicatum de Pierre Guiffart (Rouen, 1652), dont le chapitre iii est en effet intitulé Quod lac non sit chylus [Pourquoi le lait n’est pas du chyle] (pages 64‑68).
Page 62, thomæ bartholini de lacteis thoracicis historia anatomica.
CAP. XVIII.
Ad mammas an thoracicæ lacteæ perveniant ?
Non prorsus impossibile videtur ad lactis in
mammis distributionem vicinas has thoracicas confer-
re aliqvid. Marinum lib.4. Anatom. qvem Ga-
lenus in Epitomem contraxit, uti testatur l. de Libris pro-
priis Cap.3. de Vasis Mammarum, quibus lac contine-
tur, scribentem, si nobis fata servassent, lucem forsan insti-
tuto huic fœnerasset. Fuerunt qvidem qvi in hominis tho-
race lacteos ad mammas ramos derivatos, sibi affirma-
rint visos ; sed vereor ne nervi descendentes eos decepe-
rint. Sunt indicia qvamplurima, qvæ cum Hippocrate l.
de Nat. Pueri, persvadeant chylum seu lac ad mammas
protrudi, de qvibus qvid olim senserim, in Anatome Re-
formata dixi. Nutrices sanè ipsæ fatentur mammas infan-
tibus præbituræ, lac qvasi ex scapulis (ubi thoracicæ lacteæ
inseruntur) descendere non sine doloris sensu, caventqve se-
dulo ne sumpto cibo statim uberibus admoveatur, ob
metum inconcocti alimenti assumendi. Præterea qvam
Page 63, thomæ bartholini de lacteis thoracicis historia anatomica.
plurima in cibis sumpta cum chylo lacteo ad mammas
mulierum observata sunt deferri. In qvam rem Martia-
nus exempla à se visa Romæ signavit. Uxor Cementarii
Romani, assumpto purgante, post horam puellæ annicu-
læ mammam porrexit, qvam lactabat, unde tam fortiter
statim vel brevi interpositâ morâ purgata est, ut de super-
purgatione lethali dubitatum sit. Mater verò nullam me-
dicaminis vim est experta. Idem notat de capra muliere
Elaterio sumpto Hippocrates in Epid. et de aliis {a} lactibus
Theophrastus, Dioscorides, Varro, Massarias, {b} etc. Teste
Aristotele {c} 7. Hist. An. c.11. pili poculo hausti ex mammis
qvandoqve excernuntur sive pressis sponte, sive cum lacte.
Narrat idem Martianus filium Domitiæ de Grifonibus {d}
menstruum sæpius cum stercore excrevisse furfures,
qvum panem furfuraceum comederet nutrix. Extractus
qvoqve fuit Romæ è papilla lactantis surculus cichorii,
qvem priori cœna comederat mulier. Deniqve Pamphiliæ {e}
uxori Melphi {f} cum purgationis gratia lib. vi. lactis potas-
set, citissimè in mammas fluxit, qvæ tumidæ maximum
dolorem inferebant. Si de viis qværamus, ipsi ambigunt.
Hippocrates l. de Nat. Pueri venas nominat ad mammas
et uterum delatas ; sed qvales illæ sint, non exponit. Mar-
tianus Annot. in l. de Carnib. cæcos qvosdam ductus la-
ctis ad mammas et à mammis approbat. P. Castellus lib.
2. Emet. c.59. à ventriculo materiam lactis ad mammas
ferri suspicatur, vel per vias adhuc incognitas, vel per poro-
sitates in corporibus raris. Veslingius in Syntagm. ult. nec-
- Sic pour : alii de.
- Sic pour : Massaria.
- Sic pour : Aristotelis.
- Sic pour : Griffonibus.
- Sic pour : Pompiliæ.
- Sic pour : Melsi.
Page 64, thomæ bartholini de lacteis thoracicis historia anatomica.
dum perspectas vias vaporibus lacteis condonat. Jo.
Dan. Horstius Manud. ad Med. p.1.c.1. sect.2.n.4. auda-
ter venas lacteas et rubras in mammis distinguit. J.C.
Benedictus l.4. Epist. Med.5. Hippocratem qvidem tue-
tur, sed in consensu mammarum cum utero acqviescit.
Nihil promptius qvam per lacteas thoracicas novas rem
hanc controversam componere. Vicinæ illæ sunt mam-
mariis et thoracicis vasis, ramulosqve passim diffundunt.
In femina pregnante vel lactante, post pastum dissecta,
facile erit experimentum.In Viro non ita promptum est observare, nisi papil-
las lacte habeat tumentes, qvod rarum qvidem, aliqvan-
do tamen, et in pueris, observatum. Nuper Anatomiæ
nostræ subjectus fur, per mammarias effundebat ex tho-
race serum biliosum. Anastomosis certè vasorum Epi-
gastricorum cum mammariis, adeò decantata Anatomi-
cis, tam est oculis rara, ut sæpius deesse qvam adesse depre-
henderim. Et qvid illa in tanto lactis proventu posset ?
Vidit qvidem Riolanus Anatomicus emeritus l.3. Anthr.
c.3. in puerpera recenter enixa Mammariam internam et
Epigastricam, crassitie et mole calami scriptorii pares : sed
sangvini vel diutius retento vel ad motum tardiori id im-
putandum, vel conatibus puerperæ, siqvidem et reliqva
vasa sanguinea circa uterum eo tempore valde disten-
duntur, ut ad vivum depingit Beslerus Tab.3. Uter. Mul.
Qvin idem Riolanus in Prætermisssis, varicosas easdem
observavit in Viro Marchienso cum D. Matthieu Colle-
Page 65, thomæ bartholini de lacteis thoracicis historia anatomica.
ga, secundum longitudinem ventris à thorace ad pubem.
Diligentissimus Highmorus lib.2. Disq. Anat. p.1. c.3. in
dissectione canis gravidæ ac viventis observavit, qvum
venam sine pari, in qvam se exonerant intercostales, ape-
ruisset, lacteum qvendam humorem sangvine mixtum
ab intercostalibus effluxisse, ejusdem prorsus naturæ
cum illo in mammis tunc existente, qvem humorem ab
arteriis Thoracicis et mammariis accepisse suspicatur.
Credo tamen ramum ex lacteis thoracicis, venæ sine pa-
ri insertum, chyli partem infudisse, qvandoqvidem in
canibus aliisqve animalibus ex intercostalibus aut thora-
cicis arteriis ad mammas in abdomine sitas rarior transi-
tus. Qvidqvid sit, feminas canes tam prægnantes qvam
lactantes in hunc usum conqvisivi, qvibus, dato studio,
finita hac dissertatione occupabor.Negat Pecqvetus visas lacteas ad mammam ferri,
Rationes addit Auzotius Doctissimus, qvod non facilè
se prodat via, ob situm vasorum lacteorum in brutis. Sed
contrarium verius videtur, qvum mammæ viciniores
sint in brutis abdomini, secus qvam in homine, qvi par-
tus suos attollit, ut censuit Aristoteles. Unde in canibus à
nobis sectis qvamplurimis, innumeras in abdomine vi-
dimus lacteas, exiles in thorace, et sine dubio illas in hæ-
dis lactantibus Erasistratus ibi observavit. Homini ferè
soli cur mammæ in pectore, brutis verò plerisqve in abdo-
mine, causas adducit Galenus 7. Us. Part. c.22, et alias alii.
R. Abha, dixit, Deum mulieribus ubera è regione cordis
Page 66, thomæ bartholini de lacteis thoracicis historia anatomica.
posuisse, ut cordatus et prudens evadat puer, utqve è matris
corde, sugat, unde intellectum conseqvatur : R. Jehuda,
ne mulierum pudenda puer videre cogeretur ; R. Mat-
thana vero ne in loco sordido sugeret, sicut ex Rabbino-
rum traditione refert Buxtorfius Syn. Jud. c.3. Ego facili
conjecturâ adderem, si vera esset Hippocratis suppositio,
chylum in mammis humanis crudiorem, cordis vici-
nam calorem desiderasse, qvi qvidem in ventriculo ca-
num aliorumqve est robustior, nec ita externis injuriis pa-
tens ob spinam in prono gressu eminentem, qvod innu-
erat ante Galenus cap. dicto extremo. Ad alterum Au-
zoti argumentum, et raram experientiam, in re parum
absimili respondeat Castellus l.2. Emet. c.59. p.180. Nam
problema hoc in utramqve partem ventilari potest. Audio
Rothomagi editum nuper opusculum Giffarti {a} de sub-
stantia seu materia lactis, in qvo lac negatur esse chylus
per vas Pecqvetianum adductus, at qvibus rationibus aut
experimentis novis, ignorare cogor, donec ad nos libel-
lum Bibliopolæ pertulerint.
- Sic pour : Guiffarti.
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.