Cours d’anatomie pathologique, professé par Xavier Bichat à Paris, rédigé par J.J. Duchier fils, élève de médecine et de chirurgie à Paris, an X. Un vol. in-4, (2)-397 p.
Anatomie pathologique, rédigée d’après les leçons de Ph. J. Roux, élève de Xavier Bichat. A Paris, 1er pluviose an XI, 21 janvier 1803. Un vol. in-8, 395 p.
Récemment acquis par la bibliothèque, ces deux manuscrits éclairent la dernière période de la brève et féconde carrière de Xavier Bichat (1771-1802), qui fut marquée par des recherches sur l’anatomie pathologique, entreprises dans la foulée des travaux effectués en vue de la publication de son Anatomie générale. Par l’étude de l’anatomie pathologique, Bichat entend appréhender « la véritable pathologie, c’est-à-dire la connaissance des phénomènes morbides observés pendant la vie, et des altérations organiques trouvées après la mort ». A partir du socle inébranlable constitué par l’anatomie physiologique et l’anatomie pathologique, il aspire à reconstruire l’ensemble de l’édifice médical de son temps. [1]
Ses recherches se doublent d’un cours dans lequel il expose les connaissances nouvellement acquises, « après avoir suivi et observé presque toutes les maladies dans les salles de l’Hôtel-Dieu ».[2] Professé en l’an X, ce cours est la dernière œuvre qu’il ait achevée, sans avoir eu le temps de la publier.
C’est dire l’intérêt de tout nouveau document sur ce dernier cours, d’autant qu’ils sont très rares. En effet, jusqu’à la mise en vente des deux manuscrits en librairie à l’automne dernier, on n’en connaissait qu’une seule transcription directe, conservée à la bibliothèque universitaire de Grenoble[3]. Un manuscrit de seconde main, rédigé à partir de documents intermédiaires, fut édité chez Baillière en 1825 par le Dr Boisseau, suscitant réserves et critiques dès le moment de sa publication, en raison de ses lacunes et imperfections, parmi les proches du savant anatomiste qui dénoncèrent «l’inexactitude de cette tradition du dernier cours de Bichat»[4]. Un dernier manuscrit, mentionné dans les années 30, n’a pas été édité et on en a perdu la trace aujourd’hui[5].
Que pouvons-nous dire de ces deux nouveaux documents ?
Le premier est une prise de notes du cours de Bichat effectuée à partir du 11 pluviôse an X (31 janvier 1802) et signée J.J. Duchier fils, « élève en médecine et en chirurgie ». Il nous offre une notation originale et différente des deux seules connues, contemporaines du cours de Bichat, avec lesquelles il présente des écarts. Son texte est à la fois plus complet que le cours publié par Boisseau et plus neutre que le manuscrit de Grenoble, qui comporte ajouts et réflexions personnelles du scripteur tendant brouiller la frontière entre la pensée de Bichat et sa propre contribution. Une enquête approfondie reste à mener pour retracer le parcours de cet auditeur, dont nous savons peu de choses. Les éléments dont on dispose pour l’instant conduisent à Jean Joseph Duchier, originaire de Tulle et auteur d’une thèse sur l’asthme, soutenue à Strasbourg en 1812. Cette soutenance intervient tard par rapport à la date à laquelle Duchier assiste au cours de Bichat à Paris, toutefois ce décalage peut s’expliquer. La page de titre de sa thèse nous apprend en effet qu’avant l’obtention du grade de docteur, il eut une première carrière médicale en tant que chirurgien aide-major du 15e régiment d’infanterie légère.
Le deuxième manuscrit, anonyme et un peu postérieur, présente l’intérêt d’avoir été rédigé d’après les leçons de Philibert Joseph Roux (1780-1854), élève préféré, ami et prosecteur de Bichat, qui l’associa de bonne heure à ses travaux. Roux rédigera d’ailleurs seul le cinquième volume de l’Anatomie descriptive inachevée. Ce cours complet, d’après les principes de Bichat, fut enseigné par Roux quelques mois après la mort de ce dernier pendant une très courte période (du 1er pluviôse au I Prairial an XI), durant laquelle « il n’hésita pas à s’emparer hardiment de l’héritage de son maître et à continuer avec ses seules ressources ces cours particuliers où affluait un si grand nombre d’auditeurs. Le succès fut inespéré (…) »[6]. L’étroite collaboration de plusieurs années entre les deux hommes, la quasi absence de délai entre la mort de Bichat et la reprise de son cours par Roux, la possession par ce dernier de notes rédigées par Bichat et de leçons recueillies par un de ses élèves, enfin la vénération qu’il entretenait à l’égard du maître disparu sont autant d’éléments qui permettent de supposer une fidélité scrupuleuse aux derniers enseignements de Bichat, que Roux ne jugea pourtant pas opportun de publier. Cette abstention s’explique probablement par la volonté de ses proches « de respecter les dernières intentions que Bichat avait clairement manifestées ; or ces intentions étaient de ne rien imprimer sur l’anatomie pathologique avant d’avoir réitéré ses recherches et fait disparaître quelques erreurs qu’il reconnaissait ou qu’il soupçonnait dans ce qu’il avait déjà enseigné sur cette science »[7]
Grâce à cette double acquisition, qui vient enrichir les manuscrits de Bichat déjà conservés à la bibliothèque, et numérisés dans Medica, c’est un ensemble inédit et cohérent de documents relatifs à son dernier cours que la BIU Santé met à la disposition des chercheurs, ouvrant la possibilité d’une étude comparée entre les différentes leçons, à partir de plusieurs points de vue : le plan du cours rédigé par Bichat lui-même d’une part[8], de l’autre les notes d’élèves ayant eu accès au cours original ou à celui de son plus fidèle disciple, rempli des principes de son maître et soucieux de la transmission de son héritage.
[1] Voir la préface de F.-G. Boisseau, Anatomie pathologique, dernier cours de Xavier Bichat : d’après un ms. autographe de P.-A. Béclard. avec une Notice sur la vie et les travaux de Bichat / par F.-G. Boisseau,…, Paris, J.-B Baillière, 1825.
[2] Pierre Sue, Eloge historique de Marie-François-Xavier Bichat, prononcé dans l’amphithéâtre de l’Ecole de Médecine , Paris, Imprimerie de Delance et Lesueur, 1803
[3] Notes prises par un élève de Bichat (peut-être Billery) au cours d’anatomie pathologique donné au Grand Hospice de l’Humanité (Hôtel-Dieu) par Bichat, de vendémiaire an X (sept. 1801) au 3 thermidor de la même année (22 juillet). Ce manuscrit a été retrouvé à la Bibliothèque universitaire de Grenoble en 1959 par le conservateur Jean Monteil, qui en fit une étude. La BIU santé en possède une copie.
[4] Voir le compte rendu de C.P Ollivier (d’Angers) de la publication du manuscrit de Béclard par Boisseau dans Archives générales de médecine, 1825, série 1, n°9, p.303-305
[5] Manuscrit dit de Bordeaux. En 1931, le Dr Sabrazes révèle la découverte d’un nouveau manuscrit dont il publie un court extrait. Hélène Genty en a fait une description dans sa thèse sur Bichat et a relevé une forte similitude avec le manuscrit édité par Boisseau.
[6] René Marjolin, Notice sur la vie et les travaux de Ph.-J. Roux, lue à la Société de chirurgie dans la séance annuelle du 27 juin 1855, Paris : Masson, 1855.
[7] C.P Ollivier (d’Angers), op. cit., p. 303.
[8] Ces manuscrits, acquis du frère de Bichat en 1832 revêtent une forme schématique et allusive de tableaux synoptiques et de points de repère : https://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/medica/cote?ms05146
Toutes mes félicitations à Stéphanie Charreaux et Jean-François Vincent pour leur remarquable acquisition. Ces manuscrits exceptionnels enrichissent magnifiquement le fonds ancien de la bibliothèque. Il me tarde de venir les consulter. 2022 nous donnera peut-être l’occasion de voir Bichat, le maître de l’anatomie pathologique, mis à l’honneur à l’occasion des 220 ans de sa mort.
B. Molitor
Ah les débuts de la recherche anatomique ça devait être quelque chose ! Heureusement que certains s’y sont intéréssé, bravant parfois même l’interdit car sans eux la médecine moderne ne serait pas ce qu’elle est aujourd’hui.