Le mercredi 7 juin 2017, la salle des Actes de la faculté de Pharmacie de Paris (4, avenue de l’Observatoire) a accueilli une séance de la Société d’Histoire de la Pharmacie.
Trois interventions se sont succédé au cours de cette séance :
1) Cécile Raynal, membre de la SHP : Le chocolat Pailhasson et les pastilles Malespine, deux confiseries fabriquées par des pharmaciens ;
2) Rached Besbes, pharmacien hospitalier de Tunisie retraité : Ali Bouhageb, pharmacien, ministre de la Santé de Tunisie sous le protectorat français ;
3) Oliver Lafont, président de la SHP : Charles Tanret, pharmacien d’officine et chercheur scientifique.
Le chocolat Pailhasson et les pastilles Malespine, deux confiseries fabriquées par des pharmaciens, par Cécile Raynal
Cécile Raynal a débuté la séance en traçant l’histoire de deux confiseries d’origine pharmaceutique de la ville de Lourdes : le Chocolat Pailhasson et les Pastilles Malespine.
Histoire du Chocolat Pailhasson
Le Chocolat Pailhasson était un chocolat fabriqué et vendu par les pharmaciens de la famille Pailhasson, installée à Lourdes.
Fondé en 1729 par l’apothicaire Pailhasson, le « Chocolat Pailhasson » est la plus ancienne maison de chocolat de France. Elle était située sur l’ancienne place du Porche et produisait différents produits comme les chocolats fins, les surfins, les chocolats en forme de bâtons, les croquettes, les tablettes, etc.
La généalogie de la famille Pailhasson a été étudiée par Cécile Raynal, ainsi que Guy Lagardelle, à qui elle rend hommage au cours de sa conférence. Selon les sources, le fondateur du « Chocolat Pailhasson » est un « savant-chimiste », à la fois chocolatier et maître-apothicaire. Jean Pailhasson, diplômé en 1768, succède à Dominique Pailhasson (mort en 1776), maître en chirurgie. Dominique-Justin Pailhasson (1786-1895), diplômé de pharmacie en 1811, prend sa suite.
Le dernier pharmacien à la tête du « Chocolat Pailhasson » est Clément-Dominique Pailhasson (1816-1895). Ce pharmacien et chocolatier du XIXe siècle, est diplômé de pharmacie en 1841 et l’auteur d’une thèse intitulée Considérations sur l’abeille, et sur les produits qu’elle fournit à la pharmacie. À sa mort, plusieurs confiseurs rachètent la marque, dont Claude Camps en 2007, dont vous pouvez lire une interview ici.
Histoire des Pastilles Malespine, dites « à l’eau de Lourdes »
Suite aux apparitions de la grotte de Lourdes (février-juillet 1858) et à la découverte de la source, appelée l’eau de la grotte, des analyses chimiques sont demandées. Dès 1858, le pharmacien Clément-Dominique Pailhasson révèle que l’eau est dangereuse pour la santé.
Le chimiste Édouard Filhol (1814-1883) procède à une nouvelle analyse et déclare que l’eau peut être bue sans inconvénient car elle ne possède pas de minéraux toxiques. Ainsi, le commerce de cette eau peut débuter à Lourdes. Il faudra attendre l’année 1887 pour qu’un industriel, Valette et Cie, exploite l’eau sous la marque « Pastilles à l’eau de Lourdes ». Ce sont des pastilles ovales imprimées composées d’eau et de sucre qui doivent être dissoutes dans un peu d’eau.
En 1888, le pharmacien Elie Malespine, diplômé de la Faculté de Pharmacie de Toulouse, fonde sa maison de pastilles. Lors de l’année jubilaire en 1888, il obtient la caution pontificale pour offrir un coffret de pastilles au pape Léon XIII, alors en visite à Lourdes. Cet événement marque le succès immédiat de ses pastilles. Très vite, des copies et des imitations circulent. A la mort du pharmacien en 1912, les Pastilles Malespines ne sont plus exploitées dans le domaine pharmaceutique mais par des confiseurs.
Ali Bouhageb, pharmacien, ministre de la Santé de Tunisie sous le Protectorat français, par Rached Besbes
Rached Besbes, pharmacien hospitalier à la retraite, évoque le parcours d’Ali Bouhageb (1888-1865), pharmacien et ministre de la Santé sous le Protectorat français de Tunisie (1881-1956). Diplômé de la Faculté de Pharmacie de Toulouse en 1913, il est le premier pharmacien tunisien musulman.
Né à Tunis le 20 septembre 1888, il est issu d’une famille du Sahel tunisien. Son père Mhammed Kachoukh est témoin-notaire au tribunal de Tunis. Son grand-père maternel, le cheikh Salem Bouhageb (vers 1820-1924), est un réformateur, jurisconsulte et poète tunisien. L’oncle d’Ali Bouhageb, Khelil Bouhageb (1863-1942) est grand vizir de Tunis, c’est-à-dire premier ministre. Il fait ses études sous le régime du Protectorat et vit les débuts de l’Indépendance. Étudiant au Lycée Carnot de Tunis, il obtient son baccalauréat en 1908 puis son diplôme de pharmacien en 1913 en France.
À son retour en Tunisie, il cherche à obtenir un poste à l’Institut Pasteur de Tunis mais les postes sont officieusement réservés aux Français. En 1914, il ouvre une officine, transférée en 1931 dans le quartier populaire de la médina de Tunis. Il est ensuite nommé à l’Hôpital Sadiki, réservé aux musulmans, à Tunis.
Publiciste et militant, il est membre des « Jeunes Tunisiens », mouvement réformateur tunisien constitué en 1906, qui se veut le porte-parole des « indigènes » tunisiens face au Protectorat français. Il écrit des articles dans plusieurs journaux nationalistes, comme Le Tunisien. En 1936, il fonde son propre journal La Charte tunisienne. En 1933, il intègre la commission exécutive du Destour, parti politique tunisien fondé en 1920 et dont le but est de libérer la Tunisie du Protectorat français. En 1934, lors de la scission entre Néo-Destour et Vieux-Destour, il reste fidèle à ce dernier. En septembre 1944, il est exclu du parti à cause de son soutien au résident général Jean Mons (1906-1989), qui veut introduire des « réformes substantielles ».
En 1947, il est nommé Ministre de la Santé publique et le demeurera jusqu’en 1950. Un budget est alors alloué à la construction de nombreuses infirmeries-dispensaires et à un centre ophtalmologique. Il participe à la lutte contre les épidémies (paludisme, fièvre typhoïde, typhus exanthématique, variole, tuberculose, mortalité infantile). En 1949, il crée l’École des infirmières de Sousse. La première classe, composée uniquement de femmes, accueille 15 élèves.
En avril 1948, il participe aux premières Journées pharmaceutiques tunisiennes présidées par le doyen René Fabre (1889-1966). Il part ensuite en mission en France du 8 au 22 septembre 1949 pour mettre au point une campagne de vaccination au BCG. Le gouvernement Kaak prend fin en 1950. Après la fin de son ministère, Ali Bouhageb reprend son activité officinale, ainsi que ses activités de politicien et de publiciste, jusqu’à sa mort en 1965.
Charles Tanret, pharmacien d’officine et chercheur scientifique, par Olivier Lafont
Le professeur Olivier Lafont décrit la vie et les travaux du pharmacien d’officine et chercheur scientifique Charles-Joseph Tanret (1847-1917).
Plusieurs chercheurs se sont déjà penchés sur la vie de ce personnage, dont Robert Delvincourt dans son article « Charles Tanret » publié dans la Revue d’histoire de la pharmacie. Charles-Joseph Tanret effectue ses études à l’École supérieure de Pharmacie de Paris. Il est l’auteur d’une thèse intitulée De l’albumine soutenue en 1872. Fait étrange : il a passé deux fois le concours de l’internat ! Pendant la guerre franco-prussienne de 1870, il s’engage chez les chasseurs à pieds. En 1872, il ouvre une officine et un petit laboratoire à Troyes. Il obtient le Prix Barbier en 1879 et emménage à Paris au 18 bis de la rue Denfert-Rochereau.
En 1886, Charles-Joseph Tanret cesse ces activités en officine pour se consacrer entièrement à ses travaux chimiques, plus particulièrement à l’étude de la chimie végétale. Ainsi, il s’intéresse aux constituants de l’ergot de seigle dont il isole l’ergotinine. Cependant, il découvre ensuite qu’il ne s’agit pas d’un alcaloïde unique. En 1889, il parvient à isoler l’ergostérol de l’ergot de seigle. Il étudie également la chimie de l’écorce de grenadier dont il isole la pelletiérine, un alcaloïde utilisé comme vermifuge, en 1878 . Tanret présente les produits de ses recherches à l’Exposition universelle de 1889 et obtient le premier prix dans sa catégorie avec ses cristaux de pseudo-pelletiérine.
L’une de ses principales découvertes est la mutarotation, qui est l’évolution du pouvoir rotatoire accompagnant une équation chimique appelée épimérisation. L’histoire de cette découverte débute en 1809 avec Étienne Louis Malus (1775-1812) qui démontre la polarisation de la lumière par réflexion. Jean-Baptiste Biot (1774-1862) est également l’un des pionniers de l’utilisation de la lumière polarisée dans l’étude des solutions. Dès 1815, les physiciens découvrent que les liquides pouvaient dévier la polarisation de la lumière. Puis, cette démonstration est étendue aux solutions d’un solide actif dans un solvant inactif. Les recherches de M. T. Clerget et d’Auguste-Pierre Dubrunfaut (1797-1881) sont importantes dans ce domaine.En 1895, Charles-Joseph Tanret présente ses recherches dans les Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences en 1895. Il isole le glucose gamma et démontre la mutarotation du glucose. Ses travaux chimiques sont reconnus dans le monde scientifique.
Pour aller plus loin
Sur Le chocolat Pailhasson et les pastilles Malespine, deux confiseries fabriquées par des pharmaciens
DEVAUX, Guy. Sur la vente du chocolat par les pharmaciens [Question XXVIII]. In : Revue d’histoire de la pharmacie, 2002, 90e année, n° 336, p. 725.
PAILHASSON, Clément. Considérations sur l’abeille, et sur les produits qu’elle fournit à la pharmacie : thèse présentée et soutenue à l’École de pharmacie de Paris, le mardi 1er juin 1841. [Paris : Poussielgue, imprimeur de l’École de pharmacie,] 1841. Consultable sur Medic@.
Sur Ali Bouhageb, pharmacien, ministre de la Santé de Tunisie sous le Protectorat français
BOUDHIBA, Sofiane. Médecins du bled : sur les pas du médecin de colonie dans le Protectorat tunisien (1881-1956). Paris : L’Harmattan, DL 2013, 210 p. Cote au pôle Médecine de la BIU Santé : HM Mag. Med TN 10
GAUMER, Benoît. L’organisation sanitaire en Tunisie sous le Protectorat français (1881-1956) : un bilan ambigu et contrasté. Sainte-Foy : Presses de l’Université Laval, DL 2006, 276 p. Cote au pôle Médecine de la BIU Santé : 192078-BIS et HM Mag. Med TN 5
JULIEN, Charles-André. Colons français et Jeunes-Tunisiens (1882-1912). In : Revue française d’histoire d’outre-mer, 1967, tome 54, n° 194-197, pp. 87-150.
Sur Charles Tanret, pharmacien d’officine et chercheur scientifique
CLERGET, T. Analyse des substances saccharifères au moyen des propriétés optiques de leurs dissolutions, évaluation du rendement industriel. Paris : Mathias, 1850, 32 p. Cote à la BIUS, pôle Pharmacie : 45880
DELÉPINE, Marcel. Biographie de Charles Tanret, suivie de la liste de ses publications. Paris : [imprimerie L. Maretheux], 1918, 22 p. Cote à la BIUS, pôle Pharmacie : 35313.
DELVINCOURT, Robert. Vie et œuvre de Charles Tanret, pharmacien-chimiste. [Thèse de doctorat en Pharmacie de l’Université Paris Descartes], 1980, 112 f. Cote à la BIUS, pôle Pharmacie : TPHA 573.
DELVINCOURT, Robert. Charles Tanret. In : Revue d’histoire de la pharmacie, 1968, 56e année, n° 196, pp. 3-15.
Dossier biographie : Charles Tanret, 1847-1917. Cote à la BIUS, pôle Pharmacie : D TAN.
MONNIER-CROUCHET, Dominique. Charles Tanret et le musée de matière médicale de Paris. [Thèse de doctorat en Pharmacie de l’Université Paris Descartes] : 1996, 114 f. Cote à la BIUS, pôle Pharmacie : TPHA 6235.
TANRET, C. Sur les modifications moléculaires du glucose. In : Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des Sciences, 1895, tome 120, pp. 1060-1062. Consultable sur Gallica.
TANRET, Charles. De l’albumine : thèse présentée et soutenue à l’École supérieure de pharmacie de Paris le [ ] août 1879 pour obtenir le diplôme de pharmacien de 1re classe. 1872, 59 p. Consultable sur Medic@.