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Lettres de soutien
adressées à Jean Pecquet :
Adrien Auzout (1651)  >

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Adrien Auzout adresse toutes ses salutations à Jean Pecquet,
très ingénieux médecin et son particulier ami
[1][1][2]

Très savant Monsieur,

L’extravagance et le grand nombre de ceux qui estiment que rien ne doit plus être exploré en physique après Aristote, [3] ni en médecine après Galien, [4] ne peuvent que m’étonner. Ces gens ne puisent donc jamais leur savoir de la nature, mais principalement des livres de ces deux auteurs. Ils les labourent toute leur vie durant pour y apprendre ce qu’ils ont pensé, sans beaucoup se soucier d’écouter attentivement ce que dit la nature. Ils font comme si ces vertueux Anciens, que l’on voit se tromper sur maints sujets, avaient été ses seuls interprètes désignés et avaient épuisé tout ce qu’on peut tirer de son observation, au point qu’il ne resterait presque rien à découvrir qui soit digne d’être connu et qu’il n’y avait plus qu’à ressasser leurs écrits. Il m’est presque impossible de dire à quel point ce préjugé a ralenti les progrès de la plupart des sciences et des arts : médecine, physique, architecture, sculpture, etc.

[Page 156 | LAT | IMG] Vous portez les armes sous de meilleurs auspices, n’ignorant sans doute pas, mon très cher Pecquet, que si nous savons quelque chose en physique, nous ne l’avons connu que par les expériences et les observations, et par ce que nous en avons déduit suivant les principes de la métaphysique et de la mécanique. [2] Nanti d’un esprit plus libre, vous empruntez un autre chemin et vous attaquez directement à la nature ; et par vos expériences, vous la mettez quasiment à nu, pour observer ce qu’elle a voulu cacher, sauf à ceux qui la fouillent très profondément.

Votre découverte sur les veines lactées, que notre siècle n’avait encore jamais vues dans un tel éclat, doit, je pense, être préférée à celle de mondes nouveaux ou aux plus brillantes inventions, dans la mesure où elle garantit à notre santé un avantage et une volupté qui dépassent la valeur de l’or.

Il faut certes faire le plus grand cas de la description par Aselli [5] des veines lactées qui sont disséminées dans le mésentère[6] mais qui pouvait bien ouvrir le ventre d’un animal gavé de nourriture sans les observer ? Vos vaisseaux sont quant à eux si dissimulés qu’ils avaient jusqu’ici entièrement échappé à tous les anatomistes qui ont disséqué des bêtes vivantes. [7] Outre les faveurs de la bonne fortune, la découverte que vous en avez faite exigeait énormément de ténacité et d’adresse pour que votre recherche fût couronnée de succès. Je puis témoigner (pour autant que ma parole ait quelque autorité) que ces deux qualités n’ont fait défaut dans aucune des dissections que vous avez accomplies, à tel point que je peine à croire quiconque capable d’ajouter quoi que ce soit de nouveau à votre description de ces vaisseaux. Je ne fixe pourtant pas de limites à la curiosité de qui voudra innover encore, s’il est possible de le faire, car je souhaite qu’on aille plus loin, notamment sur l’existence d’une voie par laquelle vous supposez, tout en émettant quelques doutes, qu’une grande partie du sérum se sépare du chyle dans votre réservoir, [8] pour gagner les reins. [9][10] Je n’adhère pas volontiers à votre hypothèse, tout d’abord parce que ce passage n’a encore jamais été mis en évidence bien qu’on l’ait très souvent recherché ; [Page 157 | LAT | IMG] ensuite et surtout parce que, dans les autres opérations de la nature, on ne la voit ordinairement pas mettre en œuvre deux moyens distincts pour accomplir une seule et même filtration. Il est en effet certain que les reins extraient en permanence le sérum du sang, [11][12] et qu’il s’agit du seul endroit où cela peut se faire car le sérum coagule et devient fibreux s’il s’échappe à travers les parois du cœur ou des autres viscères ; il est néanmoins bien plus certain encore que le chyle ne transite pas par les reins et n’y est donc pas filtré, et qu’il devrait donc l’être dans le réservoir, mais sa membrane ne possède en aucune façon la capacité de ne retenir que le chyle. [3] Ceux qui croient que le lait [13] vient purement du chyle [14] sont contraints d’admettre l’existence de méats, que j’estime être fort improbable car, bien qu’on l’ait très soigneusement recherchée, tout particulièrement chez les bestiaux, aucune voie de communication n’a été trouvée entre les veines lactées et les mamelles. [15] De plus, quand les nourrices sont trop tétées, du sang succède au lait, ce qui vient sans doute du fait que le sang n’a pas eu assez de temps pour se transformer en lait, [16] comme on l’observe parfois ailleurs pour la semence. Je connais même l’existence d’une femme qui, bien qu’elle ait accouché huit fois sans encombre, n’a jamais émis que du sang chaque fois qu’elle a voulu allaiter. Le fait est bien que la nature apporte du sang dans les mamelles, mais il peut arriver que, pour une raison ou une autre, elles ne le transforment pas en lait. Je ne parle pas des nouures ou varices, qui forment comme des réservoirs autour des pis des animaux, sans autre raison que pour y apporter le sang dont ils font leur lait. [4][17] Souvent aussi, les nourrices transmettent aux enfants, comme si elles étaient héréditaires, des maladies internes qui n’ont guère de rapport avec une intempérie de l’estomac ou des intestins, mais d’une affection qui touche d’autres viscères, que la matière du lait a donc dû traverser pour y contracter [Page 158 | LAT | IMG] la forme et le principe de ladite maladie.

Ainsi Thomas Bartholin, dans son addition au chapitre iii, sur les veines lactées, écrit-il donc que : « seule l’ignorance de leur tronc commun tient les savantes gens en suspens, et la question serait résolue si quelqu’un démontrait qu’il aboutit dans le foie. » [5][18][19][20] Après que vous avez découvert et si clairement démontré leur tronc et leur cheminement entier (bien qu’ils ne se rendent pas au foie, comme une antique erreur le laissait penser à tout anatomiste de bonne foi), comment les philosophes intègres oseront-ils donc errer dans l’incertitude et douter qu’existent bel et bien des veines destinées à transporter le chyle ? Je ne voudrais pourtant pas vous promettre une approbation unanime, car j’ai en tête ceux, dont le nombre est loin d’être négligeable, qui osent non seulement mépriser, mais nier l’autre insigne découverte anatomique de notre siècle, bien qu’elle ne date plus d’hier et reluise de toute sa splendeur. Je veux parler de la circulation du sang[21] et ils font cela soit parce qu’ils rejetteraient effrontément toute nouveauté en physique (même après l’avoir eux-mêmes constatée), étant donné qu’ils détestent revenir à l’état d’apprentis, et veulent trancher tout argument, tant juste que faux, en se référant aux livres qui ont fondé leur renom et leur sentence, si blâmables soient-ils ; [6] parce qu’ils en ont à peine entendu parler et se soucient peu d’examiner tout ce qu’on peut observer d’original, considérant que cela ne peut avoir la moindre importance et n’est digne que d’être rangé parmi les curiosités. La médecine et même l’autorité publique devraient punir un tel abus car il attente au salut des hommes, cause en laquelle il est impossible de se tromper sans être mis en accusation. Cela touche principalement les découvertes qui incitent à modifier entièrement les fondements de la médecine, ce qui est clairement le cas de la circulation sanguine [22] puisqu’elle va à l’encontre de maintes déductions que les Anciens ont tirées de leurs fictives idées sur le mouvement du sang. Le cœur ne distribue en effet le sang que par le moyen des artères, à la [Page 159 | LAT | IMG] manière d’un tronc qui propulse le suc ou la sève ; à l’instar de racines, les veines font revenir le sang au cœur, comme à un tronc : si bien que les veines, le cœur et les artères forment comme une plante. Je souhaiterais bien sûr que tout ce qui touche à la circulation s’explique clairement à partir de principes mécaniques, dont elle dépend entièrement. Dans toute la mesure du possible, il faudrait mesurer le juste rapport existant entre les artères et les veines qui les accompagnent, et leurs tailles respectives dans chacune des parties qu’elles irriguent. Il faudrait encore expliquer pourquoi la vitesse du mouvement est bien plus élevée dans les artères que dans les veines, ce qui, comme le pensent certains, ne peut pas seulement tenir à la différence de chaleur qu’elles tirent du cœur, étant donné qu’elle est faible ; et aussi la brièveté du circuit accompli par le sang dans chacune des parties du corps, dont la durée, à mon avis, ne peut nulle part excéder quelques instants. En dépend – outre ce qui touche à d’innombrables poisons, aux fièvres[23] aux maladies contagieuses [24] et plus encore héréditaires, [25] au fonctionnement des organes, aux actions des médicaments, etc. – la doctrine de la phlébotomie : [26] la plupart des médecins lui accordent une très grande importance, mais aux dépens très souvent de notre vie et toujours de notre longévité, car ils la prescrivent presque en toute circonstance et isolément, en rejetant les autres remèdes, en dépit de leur très remarquable efficacité. [7]

Quant à vos vaisseaux, je dirais que tout ne doit pas maintenant être modifié dans la théorie médicale, même si les jugements qu’on a admis sur la transformation du chyle en sang s’appuient entièrement sur l’idée qu’elle est accomplie par le foie, bien qu’il n’y prenne à l’évidence qu’une part minime : le cœur est en effet le premier à recevoir le chyle pour en élaborer le sang, non sans que le foie puisse se targuer, comme tous les autres viscères, d’une fonction particulière qui consiste à filtrer le sang pour le purger de ses excréments ou pour lui conférer quelque autre perfection. L’intempérie de tous les viscères provoque en effet la survenue de la fièvre et de l’hydropisie, [27] [Page 160 | LAT | IMG] qui sont deux corruptions principales, mais opposées du sang. De là vient pourtant aussi qu’il est désormais difficile de trouver dans les livres de médecine et d’anatomie une page qui ne contienne pas maintes grossières erreurs.

Sans ignorer qu’il faille clairement maintenant en modifier la théorie, il ne convient pas nécessairement, je pense, d’instaurer une nouvelle manière de pratiquer la médecine. Voyez donc comme la plupart des découvertes anatomiques n’ont imposé presque aucun changement en l’exercice de l’art : les médecins ne prescrivent que des remèdes universels qui chassent bien des maladies par leur vertu incisive ou incrassante, ou par quelque autre faculté altérante ; [8] et s’ils recourent à des médicaments qu’ils qualifient de particuliers, ils ne connaissent leur efficacité à repousser telle ou telle maladie que par expérience, sans tirer leurs arguments d’un raisonnement fondé sur la théorie médicale. Il n’y a donc guère d’intérêt, voire aucun, à savoir quel nom il convient de donner à la maladie, ni quel organe elle affecte ; quelle qu’en puisse être la cause, on se l’imagine, comme on l’a fait chez la plupart de ceux qui en ont été affectés ou qui ont souffert de symptômes similaires ; un remède fonde son utilité sur les expériences répétées, en admettant que sa raison et sa manière d’agir demeurent cachées. Le recours à la véritable doctrine permet cependant de découvrir des causes qui étaient précédemment inconnues, en procurant certains moyens de soulager les maux. Cela donne souvent l’occasion d’essayer certains remèdes qui n’étaient pas encore en usage. Souvent aussi, il importe d’écarter certains préjugés et de changer de méthode. [9][28]

Votre découverte, ingénieux Pecquet, ne met certes pas encore au jour la fonction de toutes les parties du corps, mais rétablit pleinement celle de quelques-unes. Ainsi ne fait-elle pas connaître l’utilité de la rate, [29] viscère dont la structure me convainc qu’elle n’épure rien, car on n’y voit [Page 161 | LAT | IMG] ni réceptacle propre à collecter un excrément [30] ni canal capable de l’évacuer, tels qu’il en existe dans tous les autres viscères filtrants. Elle paraît plutôt douée d’un pouvoir fermentant et agglutinant qui confère au sang sa perfection. Il en va de même pour l’utilité du pancréas et de son canal de Wirsung : [31] chez les chiens et beaucoup d’autres animaux, on n’y voit aucune communication avec la rate, même si chez l’homme, où il est de grande taille, leur étroite proximité a conduit certains auteurs à penser que le pancréas permet à la rate d’évacuer la bile noire dans les intestins ; [32] par sa couleur blanchâtre et par sa faible abondance, le liquide qui s’écoule goutte à goutte et par intermittence dans le duodénum fait pourtant croire qu’il est plutôt riche en substance aqueuse qu’en sang noir et plein d’ordure. [10] J’admire ceux qui, mécontents de leur ignorance, se décident à explorer la véritable source de la vie en connaissant mieux l’anatomie des animaux. Je ne crois pas mes louanges excessives quand les faits parlent d’eux-mêmes et vous valent la reconnaissance du monde entier.

Puisqu’il reste une infinité de choses à dévoiler, le moment n’est pas venu de vous reposer, et notre siècle est persuadé qu’il doit en espérer plus de vous car, sans avoir encore dépassé vos premières années de jeune adulte, vous avez enrichi la médecine d’un très grand trésor et pourriez amonceler encore bien des nouveautés au profit des sciences et des arts. Continuez donc, mon cher Pecquet, à embellir de vos observations la physique, et tout particulièrement la médecine et l’anatomie ! Vous devez cela à votre profession tout autant qu’au bien public, puisque notre santé est l’avantage dont nous devons prendre soin ici-bas, et pour son profit, il faut souhaiter que ce soient les médecins eux-mêmes qui pratiquent la dissection, sans penser qu’elle est l’affaire d’autres qu’eux. Il faut aussi obtenir des anatomistes aguerris qu’ils ne consacrent pas leur plus belle adresse à ne disséquer que [Page 162 | LAT | IMG] les régions déjà bien connues, mais essaient toujours d’observer quelque chose de nouveau. Ils ne doivent pas seulement pratiquer sur les cadavres humains : [33] je souhaite que tous soient un jour ouverts par des médecins, surtout quand la maladie a été insolite et rebelle aux remèdes prescrits selon les règles de l’art ; et ce bien sûr pour défendre leur honneur, toujours exposé aux procès que toute mort peut alors provoquer, mais aussi, puisqu’il y avait des anomalies qu’aucun remède n’a pu corriger, pour débusquer les causes d’une maladie dont les symptômes ont été remarquables ; et ce aussi afin de ne plus s’égarer à nouveau dans des cas similaires, car nous voyons tous les jours des médecins, même les plus expérimentés, manquer de discernement dans les maladies internes et leur imaginer des causes fort éloignées de la vérité ; que de lumière jetterait-on ainsi sur les maladies insolites ! [11] Il leur faut en outre disséquer des animaux de toutes sortes, et presque toujours vivants, pour explorer les mouvements des parties, car cela donne accès à leurs fonctions, dont dépend la compréhension de nombreuses maladies, tout particulièrement celles qui touchent la respiration ; et je propose depuis longtemps déjà qu’on procède ainsi dans le cerveau encore en vie. Ainsi devrait-il en aller des oiseaux, des poissons, des insectes, des quadrupèdes, des amphibiens, etc., afin de mieux connaître la fonction et l’utilité de chaque partie du corps, les relations qu’elles ont entre elles et comment elles dépendent les unes des autres, car certaines sont absentes chez divers animaux. Analogies et différences sont à remarquer car elles éclaircissent souvent bien des choses, comme en témoignera quiconque aura examiné le cerveau d’une carpe. [12] Par exemple, à de rares exceptions près, les poissons respirent mais n’ont pas de poumons, et par conséquent, pas le second ventricule cardiaque qu’on trouve chez tous les animaux pourvus de poumons ; mais il semble que chez les poissons les branchies soient les équivalents des poumons, étant donné du moins qu’en naissent les artères. Les poissons n’ont pas [Page 163 | LAT | IMG] non plus de testicules, mais on trouve chez les mâles quelque chose d’analogue qu’on appelle la lette en français. [13][34] Poissons et oiseaux n’ont ni reins ni vessie parce qu’ils n’urinent pas ; les mâles n’ont donc pas d’organe analogue à la verge et éjaculent leur semence autrement que ne font les quadrupèdes. Dans ces deux espèces se cachent sûrement des vaisseaux qui transportent le chyle, mais en dépit de recherches assidues, nul ne les a encore vus ; le très perspicace anatomiste Thomas Bartholin les a néanmoins trouvés chez le poisson rond, [14][35] mais y avait-il une connexion entre les vaisseaux chylifères et le viscère qui extrait l’urine ? [3] Et dans la mesure où la nutrition postule que le chyle soit transporté des intestins dans le cœur, leur chyle ne serait-il pas plutôt rouge que blanc ? Les oiseaux n’ont ni rate ni pancréas (si je ne me trompe), certains animaux n’ont pas de vésicule biliaire : il est permis d’en conclure qu’ils ne sont pas absolument nécessaires à l’anatomie animale ; mais que dire alors des insectes chez qui certaines parties peuvent soit manquer, soit presque surabonder ? Je me rappelle fort bien avoir vu des limaces copuler, bien qu’elles soient toutes pourvues des deux sortes d’organes sexuels et donc capables de remplir à la fois les fonctions mâle et femelle, mais il faudrait y consacrer des descriptions particulières. [15] Je profiterai de l’occasion pour ajouter un mot sur ma récente observation d’un canal nouveau que j’ai trouvé chez deux fœtus de chiens : exactement de même couleur et consistance que la veine ombilicale, [36] qui était double dans les deux cas, il était plus petit qu’elle ; pour autant que sa minceur permettait de l’observer, on le voyait s’en séparer à partir de l’ombilic, gagner les intestins vers le milieu du mésentère, puis se diriger vers la veine porte ; [37] mais il faudrait bien sûr examiner cela plus soigneusement. [16][38] Vale, mon cher Pecquet, et gratifiez-moi toujours de votre affection. De Paris, le 1er de mars 1651.


1.

Comme Jacques Mentel, Adrien Auzout a modifié sa lettre de 1651 dans l’édition de 1654. Ces changements sont signalés dans mes notes.

2.

La métaphysique est à comprendre ici comme le principe général de toutes les sciences, c’est-à-dire le raisonnement logique (mathématique) ; la mécanique fonde au contraire ses démonstrations sur des preuves apportées par les instruments et par l’expérimentation (ce qui correspond à ce que nous appelons à présent la physique).

3.

Ce passage, depuis « Je n’adhère pas volontiers… » est une addition à l’édition de 1651.

Dans le chapitre xi de sa Dissertatio anatomica (v. sa note [22]), Jean Pecquet s’était en effet demandé si l’étroite proximité entre son réservoir et les artères rénales ne permettait pas à la partie sérique (la plus subtile) du chyle de passer directement dans les reins, comme au travers d’un tamis. Adrien Auzout n’adhérait pas à cette hypothèse et s’en expliquait. Pour ne pas faire d’anachronisme, j’ai conservé à la partie liquide du sang le nom de « sérum », bien qu’il s’agisse à proprement parler de plasma. La présence de chyle authentique dans les urines (chylurie) est toujours anormale, et résulte ordinairement d’une fistule entre les voies urinaires et les chylifères (v. notule {h}, note [55], Brevis Destructio d’Hyginus Thalassius, chapitre iv). Si son fond est juste, l’argumentaire d’Auzout (qui n’était pas médecin, mais physicien) a en partie résisté à mes complaisants efforts de traduction et reste difficile à comprendre aisément.

En physiologie moderne, les cellules qui tapissent l’intérieur des vaisseaux (endothélium), et tout particulièrement celles des poumons, permettent la première épuration (« filtration ») du chyle, notamment en modifiant la structure des volumineuses particules lipidiques qu’il contient (chylomicrons).

4.

La suite de ce paragraphe est une addition à l’édition de 1651, visant sans doute à répondre en 1654 aux objections de Thomas Bartholin dans son Historia anatomica de 1652 (v. note [1] de son chapitre xviii).

Remarquée par William Harvey (v. note [9] de ses lettres sur le chyle), la digression d’Adrien Auzout sur la formation du lait à partir du sang (lactogenèse) dans les mamelles n’est pas entièrement infondée, mais ses arguments ont mal vieilli, contrairement à ceux de Richard Lower en 1669 (v. note [4], thèse de Pierre De Mercenne sur la sanguification en 1661).

5.

Thomæ Bartholini Casp. F. Anatomia, ex Caspari Bartholini Parentis Institutionibus, omniumque recentiorum et propriis observationibus tertium ad sanguinis circulationem reformata. Cum iconibus novis accuratissimis [Anatomie de Thomas Bartholin, le fils, tirée des Institutions de Caspar Bartholin, le père, réformée et améliorée pour la troisième fois par ses propres observations et celles de tous les auteurs plus récents pour prendre en compte la circulation du sang. Avec de nouvelles figures très exactes], {a} libellus i, De Venis, caput iii, De Venarum corporis divisione et de vena portæ, et venis lacteis [Sur la distribution des veines du corps, la veine porte et les veines lactées], {b} début de l’addition intitulée Lactearum venarum Historia [Histoire des veines lactées], pages 418‑420 :

Lacteas venas in mesenterio, à colore chyli albicante dictas, nostra ætas priori oculatior, præter Mesaraicas ut quartum vasorum genus per quod chylus ad hepar defertur, invenit. Illas venas per transennam vidit apud Galenum Erasistratus, post eum autem primus earum αυτοπιης fuit Caspar Asellius Anatomicus Ticinensis, in sectione canis vivi bene pasti, facta Anno 1622. 23. die Iulii. Cujus vestigiis insistentes accuratiores Anatomici et quibus veritate nihil antiquius, ipsa illa vasa lacteo succo referta, peculiares esse ductus à Mesaraicis reliquis distinctos oculata fide invenerunt. Nam in vivis animalibus semper apparent, si post pastum quarta circiter hora secentur, quando nempe chyli fit distributio, ab illo enim tempore disparent. Semper tamen, licet inanitæ sint, speciem fibrillarum retinent, quæ nonnullis imposuerunt, ut pro nervis hæc vasa habuerint : sed falsi sunt, quia nervi nec chylum ejusmodi habent, nec valvulas, nec cavitatem. Neque Mesenterium et intestina adeo sunt sensibilia, licet paucos habeant ex sexta conjugatione nervos. Alii arterias hæc vasa esse putarunt, sed sensu repugnante, qui hic simplicem tunicam et nullum motum agnoscit. Sola trunci ignoratio doctos nonnullos in suspenso adhuc tenet, qui si in hepate demonstrari posset, salva esset res. Sed quanquam truncus et origo ignoraretur, de existentia horum vasorum nemo dubitaret magis quam de Nili, ejus accolæ, quia caput adhuc latebat. Et per ramulos hepati inseri sine trunco, neutiquam aliis impossibile fuit visum.

[Meilleur observateur que le précédent, notre siècle a découvert les veines lactées du mésentère, ainsi nommées pour la couleur blanche du chyle qu’elles transportent vers le foie. Distinctes des veines mésaraïques, elles établissent une quatrième sorte de conduits. {c} Érasistrate, au dire de Galien, {d} les a entraperçues ; mais, après lui, le premier à les avoir directement observées a été Gaspare Aselli, {e} anatomiste de Pavie, le 23e de juillet 1622, en disséquant un chien vivant, qu’il avait bien nourri au préalable. Marchant sur ses pas, des anatomistes plus diligents et pour qui rien n’a plus de prix que l’exacte vérité, ont découverts, sur la foi de leurs observations, que lesdits vaisseaux remplis de suc laiteux, sont distincts des autres conduits mésentériques. De fait, ils se voient toujours chez les animaux vivants qu’on ouvre environ quatre heures après les avoir alimentés, au moment où s’écoule le chyle, mais disparaissent ensuite. Même vides, ils conservent néanmoins en permanence l’aspect de fibrilles, ce qui a mené quelques-uns à les tenir pour des nerfs, mais à tort parce que les nerfs ne contiennent pas un tel chyle, et n’ont ni valvules ni lumière ; en outre, ni le mésentère ni les intestins ne sont richement innervés, bien que quelques nerfs leur viennent de la sixième paire. {f} D’autres ont pensé que ces vaisseaux étaient des artères, mais sans convaincre celui qui ne leur voit qu’une paroi rudimentaire et n’y perçoit aucun battement. Seule l’ignorance de leur tronc commun tient les savantes gens en suspens, et la question serait résolue si quelqu’un démontrait qu’il aboutit dans le foie. {g} Bien qu’on ne connaisse pas encore leur tronc et son origine, nul ne douterait de l’existence de ces vaisseaux plus que de celle du Nil, et de ses affluents, sous prétexte que leur tête demeure cachée. {h} D’autres ont jugé absolument impossible que leurs petites branches gagnent le foie sans former un tronc].


  1. Leyde, 1651, vnote Patin 7/311.

  2. V. note [23], préface de la première Responsio de Jean ii Riolan (1652), pour un autre extrait (sur le poisson rond) de cet intéressant chapitre car Bartholin y expose ses idées sur le chyle avant la découverte véritablement révolutionnaire de Jean Pecquet.

  3. Après les artères et les veines sanguines, et les nerfs.

  4. V. note [9], Historia anatomica de Thomas Bartholin, chapitre iii, pour cette étonnante observation d’Érasistrate que Galien a formellement niée et condamnée.

  5. V. note [1], Experimenta nova anatomica, chapitre i.

  6. La sixième paire rachidienne dorsale était censée assurer la majeure partie de l’innervation mésentérique, le reste dépendant des paires lombaires (page 73 de l’Anatomie de Bartholin).

  7. Mise en exergue de la phrase citée par Adrien Azout ; la figure iv de l’Anatomie de Bartholin représente néanmoins en G (chez le poisson rond) la Glandula alba mesenterii chylo turgens, ex qua venæ protenduntur ad tertium lobum [Glande blanche enflée de chyle, d’où les veines se portent vers le troisième lobe (du foie)].

  8. Vnote Patin 6/1040, pour le mystère des sources du Nil qui hantait les esprits depuis l’Antiquité.

6.

Jean ii Riolan, très vigilant gardien de la tradition dogmatique au sein de la Faculté de médecine de Paris, aurait dû se sentir particulièrement visé par cet assaut, mais ce n’est pas le passage qu’il a relevé dans la lettre d’Adrien Auzout : v. note [5] de la préface de sa première Responsio (1652).

7.

En laissant de côté la manière, alors hypothétique, dont le sang passe des artères dans les veines (découverte des capillaires par Marcello Malpighi en 1661, v. note [2], Dissertatio anatomica, chapitre v), Adrien Auzout résumait les principaux arguments qui entretenaient encore le doute sur la circulation du sang, et prenait résolument parti dans la très chaude controverse médicale qu’elle avait engendrée sur le bien-fondé de la saignée (dont Jean ii Riolan était un des plus fervents partisans, v. notamment la note Patin 18/8009).

8.

Un médicament incisif était propre à diviser et atténuer les humeurs, un incrassant avait la vertu contraire de les épaissir, et tous deux appartenaient, avec d’autres, à la vaste catégorie des altérants.

9.

Depuis Galien (vnote Patin 6/28), l’empirisme ou pragmatisme, fondé sur l’expérience et parfois injustement assimilé au charlatanisme, s’est opposé au dogmatisme, fondé sur le raisonnement (vnote Patin 2/70). Les grandes découvertes du xviie s., comme celles de William Harvey ou de Jean Pecquet, ont démontré la supériorité de l’empirisme et amorcé le déclin du dogmatisme (mais qui est resté trop fécond pour jamais disparaître).

Adrien Auzout a ajouté ce paragraphe à l’édition de 1654. Quoique juste, son propos critique était fort banal et l’exposait au blâme des médecins.

10.

Dans l’édition de 1654, ce passage, depuis « mais rétablit pleinement celle de quelques-unes… », allonge la version de 1651 :

(nec enim per illud Lienis, Pancreatis, et in eo canalis Virsungici, etc. usus innotecsit) aliquibus tamen sua munia penitus restituit.

[(car elle ne fait pas connaître l’utilité de la rate, du pancréas, de son canal de Wirsung, etc.), mais elle rétablit pleinement quelques-unes dans leurs charges].

L’addition de 1654 exprime les sérieux doutes d’Adrien Auzout sur l’imaginaire atrabile (v. note [11], Experimenta nova anatomica, chapitre 11), sans bien sûr pressentir clairement les fonctions aujourd’hui connues de la rate : hématopoïèse chez le fœtus, partagée avec le foie ; et chez l’adulte, défenses immunitaires et régulation des cellules sanguines (stockage et élimination).

11.

Allongement conséquent, en 1654, de la parenthèse qui existait dans l’édition de 1651 : (quæ utinam omnia dissecari à Medicos contingeret ! quantum enim inde pro morbis difficilibus, affulgeret lucis !) [(je souhaite que tous soient un jour ouverts par des médecins, que de lumière jetterait-on ainsi sur les maladies insolites !)]. Dans les deux cas, Adrien Auzout reprochait aux médecins d’abandonner trop souvent aux chirurgiens le soin de disséquer les cadavres.

12.

Le cerveau de la carpe a plus tard fait l’objet de plusieurs travaux anatomiques, mais je n’ai pas compris pourquoi Adrien Auzout y portait ici un tel intérêt.

13.

Lette est une variante orthographique de laite, laitte ou laitance (Trévoux) :

« La partie des poissons mâles où est contenue leur semence, et dont on exprime une liqueur blanche qui ressemble au lait ; piscis lactea pulpa. Les laitances de carpes sont excellentes ; la laite d’un hareng frais. À Paris on dit plus ordinairement laite que laitance. Leuvenhoek {a} ayant examiné de près avec un bon microscope la laitance d’une morue, trouva qu’elle contient plus d’animaux vivants, qu’il ne peut y avoir d’hommes sur terre. On doit regarder comme un grand prodige ce que raconte un des Bartholin, qu’il a trouvé dans un poisson nommé Asellus en latin, et dont le merlan est une espèce, une laite et des œufs. » {b}


  1. Antoni van Leeuwenhoek (1632-1723), ingénieux drapier de Delft, a considérablement accru la puissance des microscopes (vnote Patin 8/9001) et lui a permis de découvrir les spermatozoïdes en 1677.

  2. Asellus est un autre nom de la morue (âne marin, vnote Patin 27/8201) ; Asellus hermaphroditicus est l’observation cxxv (pages 283‑284) que Thomas Bartholin a publiée dans les Miscellanea curiosa medico-physica Academiæ Naturæ Curiosorum… [Mélanges médico-physiques curieux de l’Académie des curieux de la nature…] (Leipzig, 1670).

14.

V. supra notules {b} et {g}, note [5] pour les observations de Thomas Bartholin sur le poisson rond (lompe).

15.

Depuis « Par exemple… », Adrien Auzout a ajouté en 1654 toutes ces réflexions assez confuses et parfois paradoxales sur le grand intérêt de l’anatomie comparée, qu’il avait épargnées à ses lecteurs de 1651.

16.

Adrien Auzout avait sans doute vu la veine omphalo-mésentérique qui, chez le fœtus de nombreux mammifères (dont les humains), est accompagnée d’une artère et va du mésentère à l’ombilic. Ces vaisseaux disparaissent avant la naissance et n’ont pas de relation avec le mouvement du chyle (inexistant chez le fœtus). Ils n’ont été bien caractérisés qu’au xviiie s. et sont l’objet d’un long article dans le Dictionnaire de Panckoucke (1816, volume 37, pages 305‑309), dont les illustrations ne représentent qu’une seule veine ombilicale dans le cordon du chien.

Thomas Bartholin a néanmoins réservé un accueil favorable à cette observation : v. note [12] de son Historia anatomica, chapitre xviii.

a.

Page 155, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

Ioanni Pecqveto,
ingeniosissimo medico
amico suo singulari,
Adrianvs Avzotivs
S.P.D.

Non possum (Vir Doctissime) quin
demirer non paucorum vecordiam,
qui existimant nihil in Pysicâ post
Aristotelem, nihil in Medicinâ post
Galenum exquirendum ; ita ut suam
scientiam jam non ex Naturâ, sed ex
illorum libris hauriant, in eóque toto vitæ suæ temp-
pore laborent, ut quid senserint ij Authores addi-
scant, parum soliciti ipsam Naturam auscultare ; quasi
verò boni illi viri, quos constat in plerisque errasse,
soli fuissent ipsius nati interpretes, et ita omnes ejus
operationes exhausissent, ut vix quidquam scitu di-
gnum restaret detegendum ; in eósque solummodo imitari co-
narentur. Quod præjudicium, quantùm progressus in
plerisque scientiis et artibus ut Medicinâ, Physicâ,
Architecturâ, Sculpturâ, etc. retardaverit, vix ex-
primi potest.

b.

Page 156, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

Melioribus sub auspiciis militas (Carissime Pecqve-
te
) non ignores nos in Physicâ si quid scimus,
nihil scire præter Experimenta et Observationes,
eáque quæ ex ipsis juxta principia Metaphysica et Me-
chanica deducuntur ; liberiorem nactus animum,
aliam viam instituis, et cum ipsâ Naturâ congrederis,
eámque tuis Experimentis quasi denudas, ut ea, quæ
latere voluit nisi penitius inquirentes, observes.

Id testatur illud tuum Inventum de Vasis Lacteis,
quo nobilius ætas nostra non vidit, quodque aut Or-
bis novi detectioni, aut præclarissimis artificiis tantò
præferendum puto, quantò sanitas nostra Auro, com-
modo aut voluptati præstat.

Aselij quidem de venis Lacteis per Mesenterium
disseminatis monitum pluris faciendum. Sed quis sa-
turo Animali ventrem aperire poterat absque ea-
rum observatione ? Tua verò vasa ita abscondita sunt,
ut omnes huscusque Anatomicos, qui vivas Animan-
tes dissecuerunt, penitus fugerint. Tanta in hoc tuo
reperto requirebatur felicitas, cui accedere debebat
summa tum diligentia, tum dexteritas, ut quidquid
ad ipsum pertinet indagares, quas in tuis dissectioni-
bus ad id sæpe sæpius institutis, non defuisse (si ali-
cujus authoritatis sint verba mea) testari possum, ita
ut vix credam quippiam novi circa hæc vasa præter
ea quæ observata sunt detectum iri. Non quod cu-
jusquam curiositati limites statuam, cum optem no-
va observari, si quæ sunt, et præsertim si appareat
via, quâ nonnullis motus dubiis conjicis maiorem seri
partem à Chylo statim in Receptaculo tuo separatam
ad Renes ferri, quibus tamen non moveor ; non tan-
tum quia nondum comparuit licet sæpius quæsita ;

c.

Page 157, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

sed quia non videtur aliis operationibns {a} natura con-
forme in duplici tamque diverso statu eandem per-
colationem facere : certum est autem ex sanguine
serum in renibus indesinenter separari, eoque
solo separari posse videtur, quando scilicet iteratis
per cor et alia viscera transitibus coagulatus fibro-
susque redditus est ; Sed cum per renes chylus non
transeat ut certissimum est, non percolaretur chylus
in renibus, sed in receptaculo, quod à membranula
capiendo tantum chylo idoneâ penitus est alienum.
An existant quoque meatus, quos admittere cogun-
tur, qui Lac merum Chylum esse putant, quod ta-
men vix probabile existimo ; Tum quòd nulla, licet
diligenter indagantibus, se prodat via per quam Chy-
lus possit ad Mammas deferri ob situm vasorum La-
cteorum præsertim in brutis ; Tum quod sæpe Lacti
succedat Sanguinis, quando nimium exuguntur Nu-
trices, quod sine dubio non satis fuerit temporis ad
immutandum in Lac Sanguinem, ut etiam in Semine
quandoque contingit. Imò etiamnum vivit Mulier,
quæ licet iam octies feliciter pepererit, nil nisi me-
rum Sanguinem suffecit, quoties à partu exugeretur ;
Naturâ Sanguinem quidem ad Mammas deferente,
verùm alicujus rei defectu in Lac non transmutante.
Omitto ingentes nodos seu Varices, quasi Recepta-
cula quædam, quæ circa Mammas Animalium non-
nisi profecto subministrando pro Lacte Sanguini oc-
currunt. Tum quod sæpe nutrices morbos internos
eosque quasi hæreditarios infantibus communicent,
à ventriculi aut intestinorum intemperie minimè
pendentes ; sed ab aliorum viscerum affectione, per
quos proinde materia lactis transiisse debuit ut mor-


  1. Sic pour : operationibus.

d.

Page 158, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

bi ideam seminariúmque contraxerit.

Si itaque juxta Thomam Bartholinum in appen-
dice de Venis Lacteis cap. 3. Sola trunci ignoratio Do-
ctos nonnullos in suspenso adhuc tenet, qui si in Hepate de-
monstrari posset, salva esset res
. Quomodo audebunt ve-
ri Philosophi post detectum, et tam clarè à te demon-
stratum Truncum, universámque ejus semitam (licet
ad Hepar non appellat, ut ex veteri errore optabat
sincerus Anatomicus) ancipites hærere, et de verâ
Chylum deferentium Venarum existentiâ dubitare ?
Omnium tamen consensum spondere nollem, memor
inveniri etiam non paucos, qui alterum sæculi nostri
in Anatomicis celebre Inventum, licet jam vetus et
ipsâ luce evidentius, Circulationem Sanguinis dico, non
solum elevare, sed etiam denegare audeant ; vel quòd
omnem in Physicâ novitatem (etiam ipsis notam)
protervè repudient, cum odierint rursum fieri dis-
cipuli, aut velint de omnibus argumentis sive verò
sive falsò dicere, ut saltem in libris, eorum nomen et
sententia, licet damnata referatur ; vel quod vix quid-
quam de eâ audierint, examinare parum curantes,
quæcunque noviter observantur quasi verò nullius
possent esse momenti, et inter curiosa tantùm repo-
nenda forent, quod tamen in Medicinâ, etiam publi-
câ authoritate esset coërcendum, ubi de salute Homi-
num res agitur, in quam peccari sine crimine non po-
test. Maximè quando hujusmodi sunt, quæ detegun-
tur, ut universum Medicinæ Systema immutare co-
gant. Quod de Sanguinis Circulatione clarum est ; cum
ex ea multa adversariis quæ ex conficto motu Sangui-
nis deduxerunt Antiqui, consequantut. Per solas
enim Arterias Cor Sanguinem distribuit, quemad-

e.

Page 159, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

modum truncus per ramos succum seu sapam ; et ve-
næ ad instar radicum, sanguinem ad Cor, ut ad trun-
cum referunt ; ita ut venæ, Cor, et Arteriæ plantam
quasi constituant. Optarem certè ut quæcunque Cir-
culationem spectant, ex Principiis Mechanicis, à
quibus penitus dependent dilucidè explicarentur ;
mensuraretur scilicet quantum fieri potest, Arteria-
rum, sociarúmque Venarum proportio et earum in
singulis partibus amplitudo ; conjiceretúrque tum
motûs ve,ocitas major in Arteriis quàm in Venis, cui
non tantum confert ex Cordis fervore Sanguinis ra-
ritas, quantum aliquibus visum est, cùm modica sit ;
tum Circuitionis per singulas partes tempus, quod
pauca minuta nullibi excedere opinor. Inde enim
præter innumera circa Venena, Febres, Morbos con-
tagiosos, et præcipuè hæreditarios, Partium usus,
Medicamentorum operationes, etc. Venæ sectionis
doctrina pendet, quam tanti momento facit plero-
rúmque Medicorum praxis, qui eam magno sæpius
vitæ nostræ, sed semper longævitatis dispendio, ab-
jectis efficacissimis remediis, ferè ubique et solam
usurpant.

Sed ut de Vasis tuis dicam, nonne jam omnia in
Medicinæ Theoriâ immutanda sunt, cum receptæ
sententiæ de Chyli in Sanguinem mutatione à Iecore
factâ, penitus innitantur, quam constat minimè fieri ;
Cor enim Chylum primùm recepit in Sanguinem ex-
coquendum, et Hepar non nisi peculiare officium,
sicut et reliqua alia Viscera ad repurgandum transco-
latione excrementis Sanguinem aut perfectione ali-
quâ donandum, sibi vindicare potest. Inde enim ex
singulorum viscerum intemperie Febris et Hydrops

f.

Page 160, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

duæ præcipuæ, et contrariæ Sanguinis corruptiones
exoriuntur. Vnde jam vix reperire est paginam in li-
bris tum Medicis, tum Anatomicis, in quâ crassi erro-
res sæpuis non occurrant.

Non quod nesciam ex mutatione Theoriæ, quam
jam mutandam esse clarum est, non statim necessario
aliam praxin instituendam ; vix enim ex plerisque in-
ventis Anatomicis quidquam in praxi necessariò im-
mutandum videas, cum in plerisque morbis vel uni-
versalia tantum remedia præscribantur, quæ vi inci-
siva, incrassativâ, aliâ ve facultate alterativâ, vel ex-
purgativâ ; eos expellant ; vel si peculiaria, et (ut
vocant) appropriata medicamenta usurpentur, ea ex-
perientiâ solâ, non autem ratiocinio, et ex Theoria
deductis argumentis tali morbo fugando efficacia
innotuerint : unde parum aut nihil intersit quo no-
mine morbus appelletur, cui parti tribuatur, quæve
ipsius causa fingatur modo in plerisque tali morbo af-
fectis, seu similia symptomata passis, repetitis expe-
rimentis constet profuisse remedium, quamvis, quâ
id faciat facultate, quóve modo, lateat. Repertâ ta-
men verâ doctrinâ nonnunquam causæ deteguntur,
quæ antea latebant, cur quædam auxilia morbos le-
vent ; sæpe datur aditus ad experiunda quædam re-
media, quæ priùs in usu non erant, sæpe etiam quæ-
dam recepta ablegare oportet, methodúmque mu-
tare.

Tanti itaque est tuum inventum (industrie Pecqve-
te
) quod si nondum singularum officium partium
patefacit, aliquibus saltem sua munia penitus restituit.
Nec enim per illud innotescit usus lienis, quem nihil
expurgare me convincit visceris dispositio, in quo

g.

Page 161, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

nullum capiendo excremento receptaculum, nullus
saltem devehendo ductus nesessarius, conspicitur,
ut in omnibus aliis visceribus percolantibus videre
est ; sed potius vi quâdam fermentativâ, aut coagu-
lativâ, sanguinem allabentem, perficere. Sicut nec
Pancreatis et in eo canalis Virsungici, quem ad lienem
non pertingere patet oculis, in canibus, multisque
aliis animantibus, licet ob Pancreatis amplitudinem
in hominibus, ejusque cum liene contactum puta-
rint aliqui à splene atram bilem in intestina devehere,
cum tamen et color albicans, et parvitas, et exun-
dans aliquando intra duodenum liquoris stilla, eum
aqueo humore potius plenum quam nigro et fæcu-
lento sanguine convincat. Ita ut demirer quomodo
persuasum fuerit quibusdam, quibus ignotum erat,
se veram Animalium originem, modúmque eorum
conformationis optimè nosse. Illud majoribus laudi-
bus non extollo cum res ipsa clamet, tibique obstri-
ctum reddat universum Orbem.

Verùm cum infinita restent detegenda, ibi sisten-
dum non est, à te enim plura speranda suadet ætas
tua, cùm vix primos Iuventutis annos adeptus, tanto
thesauro Medicinam locupletaveris ; possísque plu-
res Scientias et Artes novis repertis cumulare. Per-
ge itaque (Mi Pecqvete) Physicam, et præsertim
Medicinam, et Anatomiam tuis observationibus
exornare. Id enim exigit tum Professio tua, tum res
Publica, cum præcipuum sit, quod in hac vitâ cura-
re debemus, Sanitas nostra, cujus gratiâ optandum
esset ut Medici ipsi dissecare, à se alienum non puta-
rent ; deinde ne periti Anatomici huic uni rei incum-
berent, ut summam dexteritatem jam notas partes

h.

Page 162, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

dissecandi adipiscerentur ; sed semper aliquid novi
observare intenderent, institueréntque dissectiones,
non solum in Humanis Cadaveribus (quæ utinam
omnia dissecari à Medicis contingeret : præsertim
quando morbus fuit difficilis rebellisque remediis
juxta indicationes ex arte præscriptis ; tum vindican-
di honoris ergô, qui semper appetitur, quasi omnium
ægrorum mortis, rei essent ; cum tamen vitia fue-
rint, quæ nullis remediis cedere potuissent, tum inda-
gandæ causæ morbi cujus symptomata notaverint ; ut
imposterum in similibus eos falli non contingat, cum
fere quotidie videamus etiam magis exercitatos medi-
cos in morbis internis cæcutire, aliásque à veris sym-
tomatum causas fingere ; quantum enim inde pro
morbis difficilibus, afflugeret lucis) sed in omnis
generis Animantibus, iisque utplurimum vivis, ut
motus partium observaretur (unde earum usus, et
plurium morborum, præcipuè Respirationis læsæ
notitia pendet) quem in Cerebro vivo considerare
jam à longo tempore propono. Dissecandæ itaque
essent Aves, Pisces, Insecta, Quadrupedia, Amphi-
bia, etc. ut singularum Partium innotesceret offi-
cium, necessitas, societas, et dependentia ; cum aut
quædam in aliquibus deficiant, aut quid Analogum
reperiatur, aut saltem notanda occurat aliqua di-
versitas, quæ sæpe maximam lucem affert, ut fatebi-
tur quicumque Carpionis cerebrum inspexerit :
V.G. Pisces exceptis paucis qui respirant, pulmoni-
bus carent : et consequentis altero cordis ven-
triculo, qui in omnibus animalibus, pul-
monibus præditis reperitur : sed in iis branchiæ
videntur pulmonibus analogæ ; aut saltem de-
ducendæ arteriæ inserviunt. Pisces testes non ha-

i.

Page 163, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

bent : sed in masculis reperitur quid analogum, lac,
quod vulgus noster la lette nuncupat. Tàm Pisces
quàm aves nec renes nec vesicam habent, quia non
mejunt ; unde in masculis non est nisi quid analogum
virgæ, alióque modo quàm quadrupedia semen eja-
culantur : in utrisque quidem latent vasa chylum de-
ferentia, saltem ea nondum videre licuit, quamvis
sæpe quæsita, et exactissimus Anatomicus Tho. Bar-
tholinis
ea non nisi in Orbe pisce repererit, an quod
esset connexio inter vasa chylifera et viscus urinam
separans ? aut potius chylus albus non esset, sed ru-
bens ? modus enim nutritionis postulat ut ab inte-
stinis ad cor chylus devehatur. Aves lienem non ha-
bent, nec (nisi fallor) pancreas ; quædam animantes
vesicâ fellis carent : unde concludere licet has partes
animalis constitutioni non esse absolutè necessarias :
sed quibus partibus careant quædam insecta, quibus
fortè abundent alia, quis dicere valeat ? memini pro-
fecto me observasse limaces coëuntes, et in eis utrum-
que sexum, ita ut ambo et maris et fæminæ officium
adimplerent, sed de his peculiares describendæ essent
observationes. Addam hic ex occasione verbum de
nuperâ meâ observatione, Canalis novi quem in duo-
bus fœtibus Caninis reperi. Hic ejusdem est penitus
coloris, ac substantiæ cum venâ Vmbilicali, quæ in
utroque duplex erat, sed minor ; eámque statim ab
Vmbilico deserit et Intestina pervadens circa Cen-
trum Mesenterij, quantum licuit ob tenuitatem ob-
servare, et ad portam tendere deprehensus est. Sed
forte de his accuratiores fient observationes. Vale
Mî Pecqvete, méque semper ama. Parisiis Ka-
lend. Mart. m dc li.


Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Lettres de soutien adressées à Jean Pecquet : Adrien Auzout (1651)

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(Consulté le 11/12/2025)

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