Les 16 et 17 novembre 2021, le Comité pour l’histoire de l’Inserm organise, avec le Pr Robert Barouki, en partenariat avec Université de Paris, Sorbonne Université et l’UMR Sirice, un colloque international sur le thème des recherches relatives aux liens entre santé et environnement, du XIXe au XXIe siècle.
Ajout du 27 janvier 2023:
Les Cahiers du Comité pour l’histoire de l’Inserm, N°4, « Recherche(s), santé et environnement » sont en ligne : deux volumes, en accès libre sur iPubli. Ils sont téléchargeables par volume ou par article à partir de cette page : https://www.ipubli.inserm.fr/handle/10608/12036
La BIU Santé propose à cette occasion une modeste exposition au Musée d’histoire de la santé le 16 novembre. Ce billet de blog permet d’en faire partager le contenu à un plus large public.
La collection de la bibliothèque documente des domaines essentiels pour les questions de santé et d’environnement depuis leur origine. On y trouvera par exemple : toxicologie, hygiène publique, police sanitaire, médecine du travail, pharmacovigilance…
Avec près de 20 000 titres, la collection de périodiques est exceptionnelle, en particulier pour le 19e et le début du 20e siècles. Les Annales d’hygiène publique et de médecine légale (1829-1922) ou la Revue d’hygiène et de police sanitaire (1879-1921) sont des sources inépuisables sur toutes les formes d’insalubrité et sur les moyens envisagés pour y remédier. Ainsi sur les effrayantes intoxications par le plomb, elles offrent des dizaines d’articles. On pourrait exploiter davantage la forêt des publications mineures, comme celles des comités d’hygiène et de salubrité locaux.
Toutes les thèses de Paris sont présentes, ainsi que les thèses de province du XIXe siècle et des dix années courantes. Ce corpus de 300 000 documents donne au long cours un aperçu sur les sujets qui ont intéressé le corps médical. Par exemple, des dizaines de thèses ont été soutenues sur l’amiante depuis les années 1950. Mais on en trouve aussi de bien moins attendues, comme ces thèses sur les empoisonnements par les gâteaux à la crème, témoignages parmi d’autres de l’emprise de l’hygiène publique.
Depuis 2000, la BIU Santé construit une bibliothèque numérique patrimoniale, Medica. On y trouve notamment les grandes revues d’hygiène publique, certaines des principales revues généralistes en médecine, et tous les dictionnaires de médecine et de pharmacie. Medica, c’est aussi une banque de 270 000 images et portraits, et une base biographique de 65 000 fiches.
Santé et environnement : quelques documents de la BIU Santé
Grandes alertes d’hier et d’aujourd’hui
Le fabuleux développement de l’industrie ont produit des cris de triomphe qui semblaient justifiés, comme celui de P. H. Muller, l’inventeur du D D.T.
Dans les années 1960 et suivantes, l’ampleur des modifications que subit la terre conduit des scientifiques à alerter l’opinion sur les limites planétaires, ainsi que sur les effets délétères de certains progrès apparents.
En septembre dernier, après bien d’autres, 200 revues médicales publient simultanément un appel solennel concernant la protection de la santé à l’aire du réchauffement climatique et de l’effondrement de la biodiversité.
Le mouvement d’hygiène publique et de police sanitaire : grandes revues françaises du XIXe siècle
Le courant hygiéniste du XIXe siècle, dont on connaît les considérables conséquences sociales, a eu une grande production éditoriale. Ses revues et ses nombreuses publications en tout genre sont des sources d’information historiques foisonnantes.
Les deux grandes revues dont le premier volume est présenté ici sont numérisées intégralement dans la bibliothèque numérique Medica (BIU Santé).
L’hygiène publique : des miasmes parisiens aux dangers des gâteaux à la crème
La question de l’eau : eau à boire, eaux usées
L’approvisionnement en eau potable et le traitement des eaux usées ont été et demeureront à l’avenir un sujet de préoccupation majeur. Ces images documentent les immenses travaux réalisés dans le Paris de la fin du XIXe siècle.
Les maladies professionnelles : Ramazzini
Bernardino Ramazzini (1633-1714) publie le premier traité consacré aux maladies des artisans en 1700. Il y étudie les maladies spécifiques de plus de soixante professions. L’ouvrage, traduit notamment en français par Fourcroy et transformé par Fourcroy, est encore réécrit par P. Patissier en 1822. Y sont rassemblées des observations sur l’effet des substances manipulées dans le cadre des professions, comme sur celui de l’environnement sur la santé des travailleurs.
La crise de l’amiante
Les dangers de l’amiante sont évoqués dès le début du XXe siècle.
Jusqu’en 1996, qui cherchait des informations en langue française sur les effets de l’amiante avait toutes les chances de tomber sur les documents de propagandes des industriels, défendant un « usage contrôlé de l’amiante »
En 1996, sur la base d’une expertise indépendante de l’Inserm, la France décidait finalement d’interdire l’amiante, dont les effets néanmoins perdurent.
[Remerciements à Fabien Moll-François pour le choix des documents et le texte de cette section .]
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Toutes les images ont été réalisées par la BIU Santé sur des documents lui appartenant, sauf Halte à la croissance! (coll. part.) Elles sont placées sous Licence ouverte sauf mention contraire.
Quatre atlas de myologie inédits du Siècle d’or néerlandais. Approche pluridisciplinaire des dessins de Johannes van Horne et Marten Sagemolen
Colloque international, organisé par la BIU Santé Médecine
Dates : vendredi 18 et samedi 19 juin 2021 Langues de travail : français et anglais En ligne (Zoom) Gratuit sur inscription préalable avant le 11 juin 2021. Inscription au colloque / Symposium registration
Cette inscription, gratuite et obligatoire, nous permettra de vous fournir toutes les informations techniques nécessaires à l’approche du colloque.
La présentation du colloque, le programme, la présentation des intervenants, les actualités concernant le colloque se trouvent sur la page qui lui est consacrée (cliquer sur l’image ci-dessous):
La Bibliothèque interuniversitaire de santé publie sur Internet le dernier grand enrichissement d’un travail de vingt ans : la troisième mise à jour majeure de la Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin, par le Pr Loïc Capron.
Après avoir exposé en détail l’histoire des instruments pour extraire, nettoyer et conserver les dents, le MVAD présente ce mois-ci trois nouvelles salles virtuelles.
Première salle : les meubles
Conçus pour ranger les instruments à partir de la deuxième partie du XIXe siècle, les meubles accueillent aussi la pharmacie et tous les accessoires apparus au fur et à mesure de l’enrichissement des techniques de prothèse et des matériaux utilisés.
Aux côtés de meubles dits « aseptiques » seront proposés jusque dans les années 1920 des meubles sacrifiant des qualités ergonomiques au profit d’un aspect esthétique rassurant pour un patient qui pouvait se croire chez lui…
Deuxième salle : les lavabos
Tant que les cabinets ne disposaient pas d’eau courante, le lavabo, souvent assorti à un meuble, avait à sa partie supérieure une réserve d’eau et l’eau usée de la cuvette se vidait dans un autre réservoir en dessous.
Troisième salle : les crachoirs
Apparus officiellement dès le début du XIXe siècle, les crachoirs permettaient aussi au patient de se rincer la bouche, geste réconfortant, banni depuis quelques années.
Là encore, sans eau courante, l’inventivité est sans borne. Mais certains des plus basiques de la première moitié du XIXe s. étaient fort jolis.
A suivre!
Merci à Jacques Gana pour son aide amicale.
Micheline Ruel-Kellermann Membre du Musée Virtuel de l’Art Dentaire
En 2016, après un oubli de deux siècles et demi, quatre volumes de la collection de manuscrits de la BIU Santé ont été identifiés comme étant l’oeuvre de l’anatomiste de Leyde Johannes Van Horne (1621-1670) et du peintre Marten Sagemolen (vers 1620-1669).
Cet ensemble de quelques deux cent cinquante dessins du Siècle d’or, dont un bon nombre sont d’une grande qualité graphique, arrive donc sous nos regards pratiquement vierge d’études. Il est encore à découvrir, à comprendre, et à évaluer.
La numérisation nouvelle est arrivée
À la faveur de la curiosité que ces dessins ont suscitée en 2016, une collaboration a été mise en place entre la BIU Santé, la Bibliothèque nationale de France (BnF) et le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF).
Cette collaboration visait à restaurer les dessins et les reliures et à assurer leur pérennité, mais aussi à documenter méthodiquement la réalité physique des documents, et à réaliser une nouvelle numérisation de l’ensemble.
Voici le résultat de la numérisation: nous publions aujourd’hui dans Medica la nouvelle photographie des quatre volumes. Les dessins ont au préalable été nettoyés et restaurés par Nadège Dauga et Nathalie Silvie, restauratrices d’art: ce fut un grand et long travail, dans l’atelier des petites écuries de Versailles que le C2RMF a mis à leur disposition (vue imprenable sur le château). La numérisation a été effectuée par Benoît Javelaud, dans les ateliers de la BnF au château de Sablé-sur-Sarthe (vue imprenable sur la vallée de la Sarthe!), avant la reliure, qui s’achèvera bientôt.
Accès aux manuscrits numérisés
Comme tous les documents de Medica, ils sont en accès libre et gratuit. Leur réutilisation éventuelle est placée sous la Licence ouverte Etalab – ce qui est également le cas de la grande majorité des documents de Medica.
Notez que nous avons fait le choix de laisser dans Medica la numérisation d’origine: elle témoigne de l’état du document en 2016, et il y est fait référence dans les articles publiés depuis l’identification.
Un dossier dans Medica permettra d’accéder à l’ensemble des documents à mesure qu’ils seront produits. On y trouve pour l’instant:
les deux numérisations successives
les publications accessibles en ligne.
Les travaux à venir y seront également accessibles.
Cette numérisation nouvelle n’est en effet que le premier élément issu du chantier de restauration que nous montrons au public et aux chercheurs. Il y aura une suite. Et même plusieurs!
Save the date, please: colloque international, 18-19 juin 2021, Paris, BIU Santé / BnF Tolbiac
Nous invitons toutes les personnes intéressées par ces albums à noter dans leur agenda les dates des 18 et 19 juin, où se tiendra un colloque international:
Quatre atlas de myologie inédits du Siècle d’or néerlandais.
Approche pluridisciplinaire des dessins de Johannes Van Horne et Marten Sagemolen
Colloque international organisé par la Bibliothèque interuniversitaire de santé à Paris le 18 juin 2021, Université de Paris, 12 rue de l’École de médecine le 19 juin 2021, Bibliothèque nationale de France, Quai François Mauriac
Ces albums appellent en effet une étude pluridisciplinaire. Bien sûr, c’est d’abord l’histoire de l’anatomie et de la médecine qu’ils concernent. Mais ces œuvres intéressent aussi l’histoire de l’art, attentive depuis toujours à la représentation du corps humain et à l’apport de l’anatomie. Leur devenir concerne les historiens des collections et des cabinets de curiosité. Leur réalité physique, enfin, mérite d’être interrogée par les spécialistes de la conservation et des papiers: leur restauration a sensiblement accru la connaissance précise que nous pouvons avoir, par exemple, de la constitution des recueils.
Compte-tenu de la crise sanitaire, ce colloque est prévu en mode hybride et se déroulera, sur place et à distance. La réunion se tiendra le vendredi 18 juin dans le grand amphithéâtre du site Odéon d’Université de Paris, au 12 rue de l’Ecole de médecine, et le samedi 19 à la Bibliothèque nationale de France. Mais elle sera aussi proposée à distance en visioconférence, pour ceux qui ne pourraient pas se déplacer ou en cas de restrictions sanitaires.
Exposition au Musée d’histoire de la médecine
En outre, le Musée d’histoire de la médecine accueillera dans sa salle les manuscrits rénovés: ceux qui assisteront au colloque, mais aussi toutes les personnes curieuses de les voir physiquement, pourront les y découvrir bientôt.
Quatre atlas de myologie inédits du Siècle d’or néerlandais.
La redécouverte des dessins de Van Horne et Sagemolen
Du 1er juin au 17 juillet 2021 (dates prévisionnelles à confirmer)
Musée d’histoire de la médecine, 12 rue de l’École-de-Médecine
Le contenu du Recueil des biographies et des bibliographies des auteurs cités dans le Dictionnaire médical de l’Académie nationale de médecine, du Pr Jean-Louis Michaux (2e édition, 2019) est désormais accessible dans la Base biographique de la BIU Santé .
Cet ensemble de bio-bibliographies apporte à la Base biographique7585 enregistrements, dont 5548 correspondent à des noms nouveaux, et souvent à des personnalités contemporaines ou en tout cas trop récentes pour que leurs noms figurent dans les outils biographiques habituels, ainsi que 8800 références bibliographiques associées.
La particularité de l’apport, outre le grand nombre des individus ajoutés, est que les notices sont toutes connectées avec le Dictionnaire médical de l’Académie nationale de médecine , puisque que le Recueil a été réalisé pour enrichir ce dictionnaire, et sur la base des références qui s’y trouvent. Il en résulte que les références bibliographiques ou les noms de la totalité de ces personnes sont mis en relation avec une ou plusieurs notions médicales, qui figurent et se trouvent expliquées dans le Dictionnaire.
Cela porte le nombre total des fiches de la Base biographique à 64798. Ces fiches portent sur toute personne ayant contribué à l’histoire de la santé, de tous les lieux, de toutes les époques.
Ce recensement repose sur un effort continu de la bibliothèque depuis de très nombreuses décennies pour repérer les ressources biographiques dans ses fonds, pour répondre au besoin permanent d’information biographique exprimé par les chercheurs.
La Base a beaucoup bénéficié dans les années plus récentes de l’apport de la numérisation: la bibliothèque numérique Medica , en particulier, a été exploitée pour réunir dans la Base sous une forme commode de très nombreuses ressources, issues de dictionnaires biographiques spécialisés, de dictionnaires médicaux, de périodiques, de documents biographiques divers (notamment une large partie de la collection des Titres et travaux scientifiques), de manuscrits ou de dépouillements d’archives.
Toutefois de nombreux dictionnaires et répertoires imprimés ont également été dépouillés récemment. On peut ainsi savoir que tel dictionnaire récent, dont il n’existe pas de version numérique, contient un article sur la personne à propos de laquelle on cherche des informations.
Les sources d’information présentes dans la Base sont nombreuses et diverses, de même que les formes sous lesquelles on les trouve: références bibliographiques renvoyant aux imprimés dans la collection physique, ouvrages et articles numérisés, documents manuscrits, portraits… On trouve sur la page d’accueil de la Base biographique toutes les sources qui ont été exploitées.
La Base biographique avait déjà bénéficié de la coopération de la bibliothèque de l’Académie nationale de médecine, qui a effectué le signalement des dossiers biographiques dans ses fonds, et qui a aussi fourni la liste des membres et correspondants de l’Académie.
Cette fois, le Pr Jean-Louis Michaux, professeur de médecine émérite de l’Université catholique de Louvain, membre associé étranger de l’Académie nationale de médecine, a bien voulu nous confier l’énorme travail qu’il a réalisé pour enrichir et préciser les références du Dictionnaire médical. Son exploitation au sein de la Base biographique n’était pas prévue à l’avance par son auteur, pas plus que nous n’avions envisagé d’intégrer une source biographique qui, par sa nature particulière de bio-bibliographie d’un dictionnaire, établit une relation systématique entre une personne et une ou plusieurs notions médicales ou scientifiques: souvent l’occasion fait le larron, et nous espérons que les utilisateurs de la Base biographique verront comme nous dans cette intégration un enrichissement utile.
Le Recueil des biographies… sera prochainement ajouté au Dictionnaire médical sur le site de l’Académie de médecine. Le travail d’intégration dans la Base biographique a permis d’affiner sa structuration informatique et cela facilitera probablement cette intégration. Nous remercions l’Académie de médecine de nous avoir permis de faire profiter les utilisateurs de la Base biographique de ce précieux travail avant même qu’il ne se trouve ajouté au Dictionnaire pour lequel il a été conçu.
Notre collègue Ludovic Berthe a remonté des magasins de la bibliothèque un objet qui nous a surpris, et qui intéressera peut-être certains lecteurs.
Il s’agit d’une reliure du XVIIe siècle, portant sur les deux plats de larges rondelles de papier fort, de couleur beige rosé, qui dissimulent les armes d’un ancien possesseur. Le livre est un exemplaire du Tractatus de homine et de formatione foetus (Amsterdam: D. Elzevier, 1677), de Descartes.
Non content d’avoir déniché ce livre, qu’une erreur de cote dans notre catalogue rendait difficilement trouvable, Ludovic Berthe est parvenu à identifier ces armes pourtant bien dissimulées. Comme le démontrent les images publiées dans ce billet, les deux plats portent le fer n° 1 du prieuré de Saint-Martin-des-champs, tel qu’il est décrit dans la base Bibale de l’IRHT et dans le Manuel de l’amateur de reliures armoriées françaises d’Olivier, Hermal et Roton (n° 2303). La bibliothèque de Saint-Martin-des-champs était considérable à la fin du XVIIIe siècle (au moins 40 000 volumes, d’après Alfred Franklin, Les anciennes bibliothèques de Paris : églises, monastères, colléges, etc., 1867). Elle fut confisquée à la Révolution.
Ce n’est pourtant pas juste après la Révolution que le livre est entré dans le fonds de la bibliothèque de l’École de santé. Cela aurait pu être, puisque beaucoup de livres confisqués à des maisons religieuses ont été récupérés par nos premiers bibliothécaires dans les « dépôts littéraires » de Paris. Ce livre est entré beaucoup plus tard, si on en croit sa cote, 48138: dans le registre d’entrée-inventaire, elle correspond à une entrée en 1893 seulement. Bien qu’à cette époque le registre d’entrée-inventaire ne différencie malheureusement pas les entrées par acquisition onéreuse et les entrées par don, on peut penser qu’il s’agit d’un don: la Bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris n’aurait sans doute pas acheté une édition de Descartes du XVIIe siècle en 1893 (ni une édition plus récente d’ailleurs, probablement).
Pourquoi ces rondelles de papier sur les armes ? S’est-il agi, pour un vendeur, de rendre l’ouvrage plus facile à commercialiser, en masquant sa provenance? Ce serait curieux, puisque ces rondelles avivent la curiosité plutôt qu’elles ne l’évitent. Elles dévalorisent aussi un assez joli volume, car le fer utilisé est décoratif et prestigieux. Faut-il plutôt imaginer une pratique qui se rapprocherait du vandalisme révolutionnaire, qui a conduit à marteler tant de marques héraldiques sur les bâtiments?
Cet exemplaire, avec sa particularité intrigante, fait partie d’un ensemble conséquent d’éditions anciennes de Descartes dans la collection de la BIU Santé. Pour le seul traité de l’homme, on y trouve les éditions latine (1 exemplaire) et française (2 exemplaires) de 1664, les éditions latine et française de 1677 (2 exemplaires de chacune), l’édition française de 1729, l’édition des Oeuvres de Descartes de 1842 (Charpentier). Les bibliothécaires médecins avaient une vision large de ce qui pouvait trouver place dans une bibliothèque médicale. Nous avons souvent l’occasion de nous réjouir de cette variété.
Quelqu’un saurait-il nous aider à identifier le personnage dont voici le visage sympathique, peint sur panneau de bois au début du XVIIe siècle?
Bribes pour une identification
Nous savons peu de choses de lui, mais pas rien du tout.
une mention en haut à droite du tableau indique qu’il était âgé de 67 ans en 1611, date sans doute de la réalisation du portrait:
son portrait porte des armes, que voici :
la devise au-dessus des armes indique: « Virtute resurgo », ce qui veut dire « Je me relève grâce à la vertu ». (Il n’est pas impossible que cette devise, dont nous n’avons pas trouvé d’occurrence exacte, dérive d’un passage du poète latin chrétien du IVe siècle, Prudence: « Solvor morte mea Christi virtute resurgo », « Je suis anéanti par ma mort, je me relève grâce à la vertu du Christ. » Apotheosis, 1048…)
Voici enfin l’ensemble de cet honnête tableau, assez noirci par le temps:
Ce tableau appartenait aux collections de la Faculté de médecine depuis une date antérieure à 1869, et il se peut qu’il ait figuré dans la galerie de portraits de la Faculté de médecine avant la Révolution. Il est donc plausible, mais non certain, qu’il s’agisse d’un médecin, ou d’une personne qui a été en relation avec la « très salubre faculté », comme elle se nommait.
Pourtant, nous n’avons vu ce visage pour la première fois que le 15 novembre 2019, après une absence un petit peu longue de son habituel logis: plus de 110 ans (plus précisément, entre 110 et 150 ans)!
Comment un portrait peut s’absenter d’une collection pendant plus d’un siècle, puis y revenir
L’anecdote de cette éclipse et de cette réapparition peut être un peu amusante. Et l’énigme intriguera peut-être certains lecteurs habiles, dont l’avis nous rendrait service.
En octobre 2018, un correspondant nous a envoyé un message très lapidaire, dans lequel il nous demandait si une image qu’il nous joignait – représentant le tableau que vous venez de voir – pouvait être, à notre avis, le portrait d’un assez célèbre chirurgien français postérieur à Ambroise Paré, Jacques Guillemeau (1549 ou 1550 – 1613) Une question impossible à résoudre sur la seule bonne mine de l’homme qui est représenté, compte tenu du fait qu’il n’existe à notre connaissance qu’un seul portrait gravé de Guillemeau, très antérieur, dans ses Tables anatomiques (1586). Mais la date de naissance de Guillemeau (1549 ou 1550) ne laisse pas de raison de penser qu’il puisse s’agir de lui: un homme de 67 ans en 1611 doit être né vers 1544, à moins d’un argument pour négliger la date indiquée.
En cherchant tout de même à approfondir la question, nous avons rencontré sur Internet le catalogue d’une vente aux enchères, qui annonçait la mise en vente de ce tableau pour le 27 du même mois d’octobre – la raison, bien sûr, de cette question qu’on nous posait. Et ô surprise: la notice décrivant le tableau, qui annonçait un « portrait présumé de M. Guillemeau, médecin d’Henri IV, Charles IX, Henri III », indiquait benoîtement qu’il provenait « de la Faculté de médecine de Paris », et avait été décrit en 1869 dans La galerie de portraits de l’ancienne Faculté de Médecine par Achille Chereau (1817-1885), historien de la médecine et aussi, à la fin de sa vie (1877-1885), bibliothécaire de la Faculté, c’est-à-dire de la collection qui est aujourd’hui celle de la BIU Santé Médecine.
Or, comme on le sait (ou du moins comme tous les commissaires priseurs le savent), le patrimoine de l’Etat, dont fait partie celui de la Faculté de médecine, a une particularité juridique importante : « Aux termes des articles L. 2112-1 et L. 3111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques, un bien culturel appartenant au domaine public est inaliénable et imprescriptible et doit être restitué sans délais à son légitime propriétaire. » Autrement dit, ces biens restent indéfiniment propriété publique, sauf opération spéciale de déclassement : le temps ne fait rien à l’affaire, et ils ne peuvent être ni cédés ni vendus.
L’Université Paris Descartes (fondue dans Université de Paris depuis le 1er janvier 2020), propriétaire des biens culturels issus de la Faculté de médecine de Paris, était donc sans doute propriétaire du tableau proposé à la vente.
Comme faute avouée est à demi pardonnée, le commissaire priseur donnait les éléments qui permettaient d’identifier très facilement le tableau et d’en vérifier la propriété, notamment la référence de l’article de Chereau.
Achille Chereau, à une époque où il n’était pas encore bibliothécaire, s’était mis en tête de faire un inventaire précis de tous les vieux tableaux conservés à la Faculté, dont la plupart provenait de la Faculté de médecine d’Ancien Régime. II avait donc passé en revue toutes les salles et fouillé tous les greniers du 12, rue de l’Ecole de médecine, et décrit tout ce qu’il trouvait de portraits, quel qu’en soit l’état. (Il en avait aussi fait une campagne photographique, dont les clichés subsistants sont à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris, et aussi quelques dessins.) Son article de 1869 décrivait en ces termes le tableau qui nous intéresse:
« Un magnifique portrait, remontant au commencement du XVIIe siècle. Est-ce un chirurgien? Est-ce un médecin? Je ne sais. On peut cependant espérer découvrir le personnage qu’il représente; il y a une date: année 1611; il y a un âge: 67 ans; il y a, enfin, un écusson armorié avec cette devise: Virtute resurgo. Ce pourrait être Barthélemy Perdulcis, mort le 10 août 1611 […] Ce pourrait être Nicolas Ellain […] »
Ce tableau, pourtant, n’était plus à la Faculté de médecine lors de la rédaction de l’inventaire général de ses collections artistiques, une génération plus tard, par Noë Legrand (voir: Les collections artistiques de la Faculté de médecine de Paris : inventaire raisonné. Paris, 1911). Noë Legrand, sous-bibliothécaire très curieux et chercheur scrupuleux, mentionne soigneusement son absence à la p. 275, dans sa Liste générale des portraits de l’ancienne faculté de médecine disparus.
On ignore dans quelles circonstances le tableau a pu sortir, et à quelle date, entre 1869 et 1911.
Grâce à l’intervention rapide et efficace du service juridique de l’université, et aux conseils du bureau du Patrimoine au Service du livre et de la lecture du Ministère de la Culture, il fut très facile d’obtenir que le commissaire-priseur retire le portrait de la vente prévue.
Et nous apprîmes, avec un rien de surprise, que le tableau se trouvait dans les mains des descendants d’un ancien de la Faculté de médecine, dont on ne nous tiendra pas rigueur de ne pas préciser l’identité. Pourquoi le tableau avait-il quitté la Faculté? On ne le saura pas précisément. Remercions en tout cas les descendants, qui le détenaient en toute bonne foi, d’avoir bien voulu le restituer à l’institution.
Pistes à suivre, pistes improbables…
Qui est cet homme?
Les hypothèses de Chereau sont-elles vraisemblables?
L’identification avec « Barthélemy Perdulcis », alias Barthélemy Pardoux, n’est pas impossible. Ce médecin, nous apprend Loïc Capron dans une note de sa Correspondance complète et autres écrits de Guy Patin, est né en 1545 et mort en 1611. Ce n’est donc pas incompatible avec les dates portées sur le tableau. Mais ce n’est pas du tout suffisant pour établir l’identité de l’homme du portrait.
Quant à Nicolas Ellain, il serait né en 1534: à moins de devoir renoncer à la date indiquée sur le tableau, il n’est pas un candidat acceptable.
La Base biographique pourrait être un point de départ pour chercher qui pourrait être représenté, si l’on s’accroche à l’hypothèse, plausible, qu’il est peut-être lié à la médecine ou à la faculté.
Giambattista della Porta, Simon Goulart, avaient une tout autre physionomie, qui nous est connue. Saint Robert Bellarmin, jésuite qui eut un rôle dans les procès de Giordano Bruno et de Galilée, est assez abondamment représenté et ses portraits ne ressemblent pas au nôtre (on ne voit pas bien d’ailleurs ce qu’il ferait dans la collection de la Faculté de médecine; mais comme il se trouve dans sa Base biographique…). Rodrigo de Castro (ou à Castro), Jean de l’Orme, Renward Cysat: l’un de ces hommes pourrait-il avoir posé pour notre portrait?
Mais la Base biographique a beau signaler un assez grand nombre de personnes, elle n’est pas exhaustive. Lequel des contemporains a-t-il été représenté, et pourquoi son portrait a-t-il fini dans un grenier de la Faculté de médecine? La question est ouverte.
Bonne recherche à ceux qui voudront tenter l’aventure de l’identification! N’hésitez pas à proposer vos pistes en répondant à ce billet de blog.
La BIU Santé, en collaboration avec l’UMR 8167 « Orient & Méditerranée Textes Archéologie Histoire », a répondu en janvier 2020 à un appel à projets de Collex-Persée « portant sur de la numérisation enrichie et du développement de services à la recherche en impliquant chercheurs et professionnels de l’information ». Les résultats ont été publiés le 20 mai dernier : le projet de « Métadictionnaire médical multilingue » a été retenu parmi les projets lauréats.
Exploiter, enrichir, rénover le socle des dictionnaires de Medica
Actuellement, au sein de la bibliothèque numérique Medica, 49 dictionnaires médicaux et encyclopédies (XVIIIe-XXe s.) sont interrogeables grâce à une interface spécifique : entrer un (début de) mot-clé fait accéder aux vedettes des articles, indexées dans les 331 643 pages des 453 volumes.
Le projet, en produisant un nouvel outil et de nouvelles données, valorisera doublement ce trésor lexical et scientifique.
L’usager naviguera dans un corpus élargi à plusieurs dictionnaires majeurs du XVIIe s. (vedettes en grec et / ou latin) grâce à une nouvelle application qui donnera accès à la liste alphabétique continue de tous les mots du corpus (« métadictionnaire »). Les résultats d’une même requête seront considérablement enrichis: s’appuyant sur les données lexicographiques fournies par une dizaine de dictionnaires représentatifs, dans les corps d’article (variantes orthographiques, étymologies, traductions, synonymes, antonymes, hyperonymes et hyponymes, renvois divers) comme à la fin des volumes (index et glossaires), l’application suggérera, à travers une interface intuitive, des liens entre des mots actuellement dissociés par l’orthographe, par la langue (français, anglais, latin et grec ancien, mais aussi allemand, espagnol, italien), ou encore par l’évolution des usages.
Mutualisation des données produites
Par ailleurs, les données lexicographiques recueillies, matériau inédit d’un grand intérêt pour la recherche en histoire de la santé et pour l’étude de l’évolution des lexiques spécialisés en français ou du devenir des termes anciens dans nos langues scientifiques modernes, seront déposées en accès libre sur Medica.
L’équipe projet
Les porteurs du projet sont Jean-François Vincent, conservateur au service d’histoire de la santé de la BIU Santé (Direction des bibliothèques d’Université de Paris), et Nathalie Rousseau, maîtresse de conférences en linguistique grecque à la Faculté des Lettres de Sorbonne Université, membre de l’Institut universitaire de France et responsable de l’axe consacré au lexique médical au sein de l’équipe « Médecine grecque et littérature technique » de l’UMR 8167 « Orient & Méditerranée Textes Archéologie Histoire ».
Cette tentative ambitieuse renouvelle un compagnonnage de vingt années entre l’équipe « Médecine grecque » de l’UMR 8167 « Orient & Méditerranée Textes Archéologie Histoire » et la BIU Santé qui a déjà porté beaucoup de fruits (réalisation du Corpus des médecins de l’Antiquité de Medica, organisation de journées d’études, publications d’actes de colloques…)
Les travaux bénéficieront de la collaboration de Sylvie Bazin-Tacchella, professeure en histoire de la langue à l’Université de Lorraine, spécialiste des premiers textes médicaux en français, qui dirige le projet de Dictionnaire du Moyen Français au sein du laboratoire ATILF (Analyse et Traitement Informatique de la Langue Française, UMR 7118 – CNRS et Université de Lorraine.)
L’équipe comporte plusieurs membres du service d’histoire de la santé et du département de l’informatique de la BIU Santé ; le soutien de Collex-Persée permettra de la renforcer en recrutant un personne de plus, et d’avoir recours à des prestataires spécialisés.
Un projet longuement préparé
La phase préparatoire du projet, encouragée par une bourse individuelle accordée à Nathalie Rousseau en 2018 par Collex-Persée, a été menée tout au long de l’année 2019. Les travaux effectués ont permis de souder l’équipe et de réfléchir de façon déjà très approfondie, sous l’angle à la fois technique et scientifique, aux résultats attendus, aux priorités de traitement au sein du corpus des dictionnaires, et aux modalités de restructuration et d’enrichissement des données.
La durée prévue du projet est de 24 mois.
La BIU Santé est bibliothèque délégataire de Collex-Persée en sciences de la santé, médecine, odontologie, pharmacie, cosmétologie et chimie.
Ce mardi 17 mars quelques minutes avant midi, nous étions quelques-uns à sortir par la porte du hall du 12, rue de l’École de médecine. Dans les deux heures précédentes, nous avions rangé quelques documents en cours de traitement, jeté des boîtes de petits gâteaux qui auraient pu tenter les rongeurs, vidé les réfrigérateurs, débranché des bouilloires et diverses machines électriques, fermé les portes, baissé les stores, vérifié la fermeture des fenêtres, arrosé quelques plantes à l’avenir compromis. Puis chacun est rentré chez soi au plus vite, sa première “attestation de déplacement dérogatoire” en poche, par des rues déjà plus vides que celles d’un dimanche du mois d’août, en espérant que tout irait bien dans la bibliothèque durant les semaines suivantes.
Seules les personnes chargées de la sécurité des bâtiments sont entrées dans les locaux depuis un mois. Ni lecteurs, ni bibliothécaires.
Y a-t-il eu d’autres longues fermetures dans l’histoire de cette bibliothèque? Lesquelles? Question de curiosité, qui est l’occasion d’une promenade dans le temps long, où il y a plus de données absentes que de connaissances d’ailleurs. Sans prétention, voici quelques jalons concernant l’histoire de nos fermetures (en ne parlant que du Pôle médecine et non du Pôle pharmacie).
« La » bibliothèque de 1395 à 2020
Rappelons de quel temps long il s’agit, et sous quelle multiplicité de noms et de réalités “la” bibliothèque y apparaît. Au long de plus de six siècles, il s’agit:
des livres de la Faculté de médecine (connus par une première liste de novembre 1395),
de la bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris (ouverte au public le 3 mars 1746),
de la bibliothèque de l’École de santé (1795, résultant pour commencer du rapprochement des collections de l’ancienne Faculté de médecine, de l’Académie et du Collège de chirurgie, de la Société royale de médecine notamment),
puis de l’École de médecine (1796, un autre nom pour une même chose),
puis à nouveau de la Faculté de médecine de Paris (décret du 17 mars 1808, qui dispose que “l’enseignement public, dans tout l’Empire, est confié exclusivement à l’Université”, dont les Facultés occupent le premier ordre),
puis de la bibliothèque de l’ancienne Faculté de médecine de Paris (après la réorganisation des facultés de médecine en 1970, on n’a pas trouvé d’autre nom pour la désigner),
puis de la Bibliothèque interuniversitaire C (1972; une structure trop complexe, qui n’a pas marché),
puis de la BIUM (Bibliothèque interuniversitaire de médecine, 1979),
puis de la BIU Santé (2011, après la fusion de la BIUM et de la Bibliothèque interuniversitaire de pharmacie ou BIUP),
puis d’une partie de la Direction des bibliothèques d’Université de Paris (2019, résultat de la fusion de la BIU Santé et du SCD de l’université Paris Descartes).
La valse des identités n’est pas finie, puisque l’année 2021 verra la fusion de la Direction des bibliothèques avec le SCD de l’ex-université Paris Diderot.
Horaires, vacances
“Fermeture”, il faut aussi préciser ce que l’on entend par là. A diverses époques de son histoire longue, la bibliothèque a fermé pendant des périodes de vacances. Aujourd’hui ces vacances sont courtes: deux semaines l’hiver et pas de fermeture l’été au Pôle médecine. Mais sous l’Ancien Régime par exemple, la bibliothèque était fermée deux mois et demi l’été, comme la Faculté, entre le 30 juin et le « jeudi après la fête de l’Exaltation de la Sainte-Croix » (14 septembre).
L’ouverture, en-dehors des périodes de vacances, est aujourd’hui la règle : actuellement, c’est tous les jours, onze heures par jour, de 9 heures à 20 heures sauf le dimanche et les jours fériés. Mais la bibliothèque de la Faculté de médecine, de son ouverture de 1746 jusqu’en 1792, ouvrait ses portes au public le jeudi après-midi, de deux heures ou deux heures et demie jusqu’à cinq ou six, selon la saison (conformément au statut qui fixait les devoirs du docteur-régent chargé de la bibliothèque); soit, si on compte bien, entre deux heures et demie et trois heures et demie par semaine…
On pourrait faire une autre fois l’histoire des ouvertures régulières, et donc des fermetures ordinaires, de la bibliothèque: ce serait un travail qui ne serait pas si facile, car les archives ne sont pas du tout complètes. Son interprétation pourrait être instructive: on aimerait comprendre par exemple comment les usagers des diverses époques se satisfaisaient (ou pas) de moments de lecture qui nous paraissent bien peu généreusement attribués.
Mais, dans la présente promenade, je n’ai cherché que les fermetures extraordinaires.
Les troubles de l’histoire
La bibliothèque a connu des fermetures qui sont liées aux troubles de l’histoire. La plus longue de toutes est due à la Révolution. C’est même plus qu’une fermeture, puisqu’il s’agit de la seule discontinuité radicale qu’a connue l’institution depuis le Moyen Âge.
Le 18 août 1792, la Faculté de médecine – comme les autres facultés – est supprimée. Sa bibliothèque est confisquée. A une date que j’ignore, les livres, qui se trouvaient au deuxième étage des anciennes Écoles de droit de la rue Saint-Jean-de-Beauvais furent déplacés, et stockés dans des “dépôts littéraires” (ces entrepôts où la Révolution a entassé les millions de livres des émigrés, des congrégations, des facultés, et dont la répartition a fait la richesse des bibliothèques publiques de France – dont la nôtre.) La bibliothèque de l’École de santé, qui hérita de toute la collection de la Faculté et de plusieurs autres, n’ouvrit officiellement ses portes que plus de trois ans plus tard, le 17 octobre 1795, dans le bâtiment où nous la connaissons toujours, et où elle occupa surtout, pendant près d’un siècle, la salle donnant sur la cour d’honneur qui s’appelle aujourd’hui “salle Landouzy”. (D’après Franklin, Recherches… p. 75, c’est seulement à partir de 1800 que la bibliothèque a été installée dans cette salle; il cite Fourcroy, dans un discours de 1800 [Séance de l’École de médecine de Paris du 23 vendémiaire an IX. Sans doute cote BIU Santé: 90957 t. 254 n. 12, je n’ai pu vérifier], qui se réjouit de son déménagement. La bibliothèque a passé les années précédentes dans la galerie qui se trouvait au-dessus de la colonnade, et qui donnait sur l’actuelle rue de l’École de médecine.)
La politique a valu à la bibliothèque une longue fermeture en 1822 et 1823. A la rentrée solennelle du 18 novembre 1822, un chahut accueillit le vice-recteur, l’abbé Nicolle. C’est qu’il représentait l’abbé Frayssinous, nommé par le roi à la tête de l’Université. Cette nomination d’un membre du clergé à cette place était perçue comme une provocation par une partie des étudiants. Or, le pouvoir cherchait une occasion d’épurer la faculté, parce que certains professeurs restaient fidèles à la mémoire du gouvernement impérial. Ce chahut lui en donna l’occasion. La Faculé fut « supprimée » deux jours plus tard par ordonnance. C’est en février 1823 qu’une autre ordonnance la recréa, en mettant en retraite onze professeurs, parmi lesquels d’ailleurs Moreau de la Sarthe, professeur-bibliothécaire. Le 10 mars, la faculté rouvrit officiellement, lors d’une séance qui eut lieu dans la salle de la bibliothèque. Donc au terme d’une fermeture de près de quatre mois, la seconde plus longue de l’histoire pour la bibliothèque jusqu’à présent, et la seconde qui fut due à une suppression pure et simple de l’institution.
Les bouleversements successifs du XIXe et du XXe siècles se sont-ils accompagnés de périodes de fermeture? Les journées de 1830, de 1848, la guerre de 1870, la Commune, ont-elles perturbé le fonctionnement de la bibliothèque? Le contraire serait étonnant, mais je n’ai pas trouvé d’éléments déterminants dans les périodiques ni dans les livres que j’ai sous la main. Des indices indiquent tout de même de sérieuses perturbations à la Faculté de médecine en 1870 et 1871: des étudiants parisiens sont allés passer leurs examens à Montpellier ; l’ouverture des cours du second semestre a été retardée jusqu’à la fin mars 1871 (au moins.)
Durant les deux guerres mondiales, la bibliothèque a semble-t-il continué de fonctionner, avec des horaires réduits: de l’avantage de commencer les guerres pendant les vacances universitaires; cela permet aux bibliothèques de s’organiser pour ouvrir à la rentrée.
En revanche en mai 1968, la bibliothèque a été fermée, comme tous les établissements universitaires. Le personnel, se souvient notre collègue Janine Samion-Contet dans sa chronique de la bibliothèque, entrait dans le bâtiment avec un laissez-passer. Je ne sais dans quelle mesure (faible, j’imagine?) le fonctionnement interne de la bibliothèque a été touché par les grèves.
Hormis la Révolution donc, l’épisode de 1822, et peut-être 1870-71, les grands événements n’ont pas ou n’ont guère empêché les lecteurs de venir à la bibliothèque.
Les bâtiments
L’histoire des bâtiments a provoqué quelques fermetures, dont deux sont vraiment notables.
Ouverte à partir de 1746 rue de la Bûcherie, la bibliothèque a connu la décrépitude de ces lieux où la Faculté de médecine vivait depuis le XVe siècle. La Faculté de médecine, dans la misère, se vit attribuer les anciennes Écoles de droit, rue Saint-Jean-de-Beauvais, pour remplacer ses locaux qui menaçaient ruine, et elle y déménagea en 1775. On sait par les Commentaires (ces registres manuscrits où les doyens de la Faculté de médecine ont tenu le journal de leurs décanats de 1395 à 1786) qu’en conséquence de ce déménagement l’ouverture de la bibliothèque ne se fit pas cette année-là à la date habituelle.
La bibliothèque s’est installée rue Saint-Jean-de-Beauvais dans les locaux du second étage en 1776. Y a-t-il eu un service provisoire entre septembre 1775 et cette date ? On l’ignore.
Après la Révolution et sa refondation, la bibliothèque a occupé l’actuelle salle Landouzy sans discontinuer depuis 1800, en servant dans des conditions de plus en plus difficiles un public de plus en plus nombreux. La Faculté, à l’étroit, ne parvint qu’après des décennies d’effort et d’attente à s’agrandir et, notamment, à mieux loger sa bibliothèque. Le projet retenu, celui de Léon Ginain, ne fut réalisé qu’avec beaucoup de délais. C’est le 4 décembre 1891 que, sans tambours ni trompettes, la grande salle que nous connaissons fut ouverte au public; apparemment cette ouverture ne fut pas précédée par une fermeture notable (il avait bien fallu pourtant déménager les collections?)
Mais ce nouvel aménagement ne fut pas longtemps suffisant: il fallut, en 1908, rehausser le plancher de la salle de trois mètres afin d’aménager, au-dessous, un vaste magasin capable, pour un moment plus court qu’on ne l’avait espéré, de stocker des collections dont l’accroissement se faisait avec une rapidité considérable. Et cette fois, pas moyen d’éviter une fermeture! Elle ne dura pourtant que du 1er juillet au mardi 3 novembre à 11 heures du matin. On peut juger ce délai court, vu l’ampleur des travaux qui furent effectués. C’est que la Faculté tournait à plein régime et que la bibliothèque recevait un public nombreux, à cette période où la médecine parisienne était au sommet de sa gloire.
La phase de grands travaux suivante eut lieu après la seconde guerre mondiale, de 1949 à 1952 pour l’essentiel: réalisation de la mezzanine où se trouve la “salle d’actualité” (qui fut d’abord la salle des périodiques), grands aménagements de magasins (côté Saint-Germain), réalisation du troisième étage de galeries aux murs de la salle de lecture. D’après Janine Samion-Contet (qui les a vu faire), ils furent réalisés “sans pour cela suspendre, dans la mesure du possible, l’activité de la Bibliothèque”.
Il n’y eut apparemment pas davantage de fermeture notable lorsque, en 1962, la bibliothèque put réaliser huit étages de magasins et une salle de réserve pour ses livres les plus rares et précieux, au bord de la rue Hautefeuille, grâce au départ de laboratoires vers la rue des Saints-Pères, et grâce à la démolition d’un immense amphithéâtre.
Les autres fermetures dont nous avons connaissance ont été brèves, et anecdotiques. En 1497, nous apprend Franklin, un vol de livres valut à son auteur trois mois de prison (c’était le bon temps) et à la bibliothèque une fermeture dont on ignore la durée. Un peu plus tard on acheta le nécessaire pour enchaîner les livres au bureau où on les consultait. (Par parenthèses, je ne crois pas avoir lu d’autres indications au sujet d’un local de bibliothèque médiéval, sinon un très étrange règlement en vers qui est édité par Sabatier dans ses Recherches historiques sur la Faculté de médecine de Paris (1837) et aventureusement daté par lui de 1395. Il y avait quelque chose comme une salle de bibliothèque en tout cas.) Telle inondation, ou très récemment telle manifestation commerciale, ou telle émotion politique, ont conduit à des fermetures ponctuelles dont, quelques années après, on peinerait à retrouver la trace.
Au fil des siècles, deux ou peut-être trois fermetures ont été aussi longues que celle que le SARS-CoV-2 nous inflige à tous: celle, de durée inconnue, qui a accompagné le déménagement de 1775; celle qui a suivi la suppression de la Faculté en 1792; et celle qu’a imposé le réaménagement complet de la grande salle de lecture en 1908. Peut-être 1870-1871 ont-elles aussi été perturbées, il faudrait trouver plus d’éléments.
Remarquons pour finir que cette fermeture est la première où la bibliothèque est capable d’offrir un service significatif en ayant portes closes, grâce à la documentation numérique et au télétravail. Profitez-en. Pendant la fermeture la bibliothèque reste à votre service.
Jean-François Vincent
16 avril 2020 (mis à jour le 7 mai 2020)
avec l’aide de Carine Fréard, BIU Santé,
et le précieux concours de Juliette Jestaz, conservatrice à la Bibliothèque historique de la Ville de Paris
Hahn, André; Dumaître, Paule; Samion-Contet, Janine. Histoire de la médecine et du livre médical à la lumière des collections de la Bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris
Paris, Olivier Perrin, 1962
Samion-Contet, Janine. La bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris : 1733-1970
Paris, Biblitohèque interuniversitaire de santé, 2017
Cote: HM Bibl Med 8
En raison du confinement, je n’ai pas pu consulter la thèse d’André Hahn, La bibliothèque de la Faculté de médecine de Paris : aperçu historique de son développement et de son fonctionnement dans ses rapports avec l’évolution des sciences médicales et biologiques suivi d’un index complémentaire de bibliographie médicale (1929), mais le travail récent de Janine Samion-Contet y a largement recours. Je n’ai pu consulter aucun document d’archive non numérisé.