Le calendrier des Dievx d’août : hipster ou triton ?

Le calendrier d’août met à l’honneur un hispster-sirène triton. À cette occasion, et dans le cadre de notre série de collaborations avec de jeunes chercheurs, nous avons souhaité laisser la tribune à Clarisse Evrard, agrégée de lettres classiques et doctorante en histoire de l’art moderne (université Lille 3 / École du Louvre). Elle travaille sur la représentation de l’univers chevaleresque dans la majolique italienne du Cinquecento et porte également un intérêt particulier aux figures de l’animalité et aux monstres dans les arts décoratifs de la Renaissance.

La rentrée verra aussi la publication de son article «La mise en dialogue de l’image dans la majolique italienne du Cinquecento, de la surface peinte à l’objet signifiant» dans le n° 23 de la revue de l’AHAI.

Monstres et Renaissance

Télécharger le calendrier d’août 2017.

Dans le Prologue de Gargantua (1534), Rabelais évoque la «tératologie ornementale» qui envahit les arts décoratifs de la Renaissance en décrivant les «petites boîtes, comme celles que nous voyons à présent dans les boutiques des apothicaires, sur lesquelles étaient peintes des figures drôles et frivoles : harpies, satyres, oisons bridés, lièvres cornus, canes bâtées, boucs volants, cerfs attelés, et autres figures contrefaites à plaisir», posant d’emblée la relation complexe entre imaginaire littéraire et source scientifique dans la création artistique du monstrueux. Et, en effet, quand on imagine les arts décoratifs du début du XVIe siècle1, l’on pense aux grotesques2, mascarons, termes et caryatides, autant de figures hybrides omniprésentes dans les réalisations du Pinturicchio, de Giovanni da Udine et de Raphaël pour l’Italie et dans les décors bellifontains ou les gravures de Jacques Ier Androuet du Cerceau pour la France.

Gravure au burin, « Description de deux monstres, dont l’un a été trouvé à Paris, et l’autre à Strasbourg », Dizième Mémoire concernant les Arts et les Sciences présenté à Monseigneur le Dauphin, le seizième May 1672, 95 x 110 mm, Paris, BIU (source : https://www.biusante.parisdescartes.fr/histmed/image?21372).

Ce goût pour l’hybridité et la monstruosité associe une double tradition, la première littéraire liée au répertoire mythologique gréco-romain, l’autre plus scientifique et encyclopédique, depuis l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien aux bestiaires médiévaux et aux traités scientifiques des XVe et XVIe siècles. S’y côtoient animaux de la ferme et satyres, chevaux et licornes, grands mammifères et dragons, poissons, monstres marins et sirènes, conformément aux contours très flous de la classification zoologique de l’époque et de la confusion existante entre animal réel et imaginaire, monstre de la Fable et monstre de la Nature qui perdure jusqu’au XVIIe siècle, comme en témoigne cette gravure de 1675 représentant un triton (fig.1). Figures monstrueuses et hybrides semblent ainsi, pour adapter le propos de Gilbert Lascault dans Le monstre dans l’art occidental, devenir un «alibi décoratif [qui] voile les méfaits du monstre : il lui permet de déployer son étrangeté, d’exprimer et de provoquer désirs et angoisses». S’esquisse alors une tératologie décorative questionnant les rapports de l’homme à l’animalité et de l’écart à la nature, de l’imaginaire à la science.

Gravure sur bois, « Portraict d’un triton et d’une serene, veus sus le Nil », Les oeuvres d’Ambroise Paré… divisées en vingt huit livres, Paris, 1585 (source : https://www.biusante.parisdescartes.fr/histoire/images/index.php?refphot=21207).

Et le triton dans tout ça ?

L’exemple du triton est à cet égard des plus intéressants et emblématique du traitement protéiforme caractéristique des modes de création et des cadres de l’imaginaire du XVIe siècle. Personnage récurrent dans les arts décoratifs, peuplant décors à grotesques, frises des tapisseries, surfaces des majoliques et des pièces émaillées, ou encore ornant fontaines, meubles et butoirs de porte des palazzi italiens, il apparaît aussi comme phénomène observable dans la littérature scientifique et cosmographique, à l’exemple de ce triton venu du Nil présent dans un ouvrage d’Ambroise Paré de 1585 (fig.2) ou de l’«homme marin armé d’escailles de poisson, se promenant sur la greve de la mer, et prenant le soleil à son aise» en Norvège dans la Nature et diversité des poissons de Pierre Belon. Il est également convoqué comme figure emblématique qui signifie «haulte eloquence, & profonde science, le rond & en soy revolu serpent, aeternité, la conque ou il corne. Renommée. Par lesquelles choses est signifiée aeternelle renommée de science, & d’eloquence» dans les Emblèmes d’André Alciat (fig.3).

André Alciat, Emblèmes, Lyon, 1549, L2r, p.163 (source : http://www.emblems.arts.gla.ac.uk/french/emblem.php?id=FALb125).

Le triton, créature mythologique, naturelle et symbolique, est ainsi devenu une figure typique du concept de nature moyenne et d’un mode de pensée reposant sur un système d’analogies et de correspondances entre l’homme et la nature et de l’esprit de curiosité, ce qui explique son omniprésence dans le répertoire artistique et son renouvellement plastique au cours du siècle dont témoignent notamment les gravures de Jacques Ier Androuet du Cerceau (fig. 4).

Jacques Ier Androuet du Cerceau, Petites Grotesques, 1550, gravure, 10.5 × 6.8 cm, New-York, MET, inv.21.10.1(11).

Comme l’a magistralement analysé Philippe Morel dans son étude des grotesques, «L’artiste maniériste n’imite pas moins la natura naturans que la nature offerte à l’expérience commune. Il exploite un répertoire de monstres dont la culture scientifique de l’époque reconnaît l’existence ou qu’elle accepte sous bénéfice d’inventaire. (…) Qu’il soit mage ou faussaire, l’artiste imite la nature dans le cadre d’une mimesis, qui en deçà des catégories de l’être et du non-être, superpose et confond l’éicastique et le fantastique, les naturalia et les artificialia. »3

Clarisse Evrard

Clarisse Evrard interviendra le 10 octobre 2017 à Toulouse dans le cadre du colloque 2000 ans déjà … Aspects de la réception d’Ovide. Son intervention portera sur «Ovide dans la majolique du Cinquecento, un « praeceptor amoris »

1Sur les arts décoratifs du XVIe siècle, cf. DISTELBERGER Rudolf et alii, Western Decorative Arts. Part I: Medieval, Renaissance, and Historicizing Styles Including Metalwork, Enamels, and Ceramics, Princeton, Princeton University Press, 1993 et JESTAZ Bertrand, L’Art de la Renaissance, Paris, Citadelles & Mazenod, 2007 (1ère éd. 1984)

2Sur l’importance des grotesques dans les arts de la Renaissance, cf. CHASTEL André, La grottesca, Turin, Einaudi, 1989 et DACOS Nicole, La Découverte de la Domus Aurea et la Formation des Grotesques à la Renaissance, Leiden, E.J. Brill, 1969.

3MOREL Philippe, Les Grotesques, Paris, Flammarion, p. 203 (1ère éd. 1997) et, plus généralement, le chapitre consacré au monstrueux et à l’hybridité, p. 163-203.

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