Table ronde sur les besoins documentaires en santé

Le 18 novembre 2014, une table-ronde a été organisée par la BIU Santé et l’URFIST de Paris sur le thème des besoins documentaires en santé.

Elle a donné lieu à un dialogue enrichissant entre étudiants, enseignants et professionnels de la santé et de la documentation, dont vous trouverez un compte-rendu ci-dessous (rédigé avec l’aide des intervenants, merci encore à eux pour leur participation).

Étaient présents sur l’estrade :

Brigitte Cleis, documentaliste (IFSI Bichat – Paris)
Christian Funck-Brentano, professeur de l’université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC) et praticien hospitalier en pharmacologie clinique (CHU Pitié-Salpêtrière)
Mireille Périé, documentaliste (CHI Gonesse – Val d’Oise)
Roxane Varengue, élue CFVU et étudiante en 4e année de médecine (Paris 5 Paris Descartes).

3 thèmes ont été abordés au cours de cette table ronde :

  1. Quels sont les usages et besoins pour la documentation en santé ?
  2. Quels sont les outils utilisés par les professionnels de santé pour accéder à la documentation, ont-ils reçu une formation spécifique à ces outils ?
  3. Comment accède-t-on aux documents, dans un contexte budgétaire contraint ?

Usages et besoins pour la documentation en santé

Christian Funck-Brentano commence par évoquer ses besoins documentaires en tant que PU-PH :

« Mes besoins sont énormes, constants, rapides pour ne pas dire compulsifs. On travaille toujours dans la panique. »

Les trois besoins fondamentaux en documentation pour le PU-PH : la recherche, l’enseignement, le soin.

Les PU-PH ont besoin d’accéder immédiatement à de la littérature en texte intégral, pertinente, dans leur spécialité, et parfois sur des thèmes plus larges : pour se renseigner sur un sujet qu’on maîtrise mal, rédiger une expertise ou préparer un cours… PubMed est utilisé, mais aussi Google. Notamment pour trouver des images et des graphiques pour illustrer les cours :

« Plus il y a de texte, moins les étudiants retiennent. »

Des Grecs à Gutenberg, la transmission du savoir était principalement orale. On est ensuite passé à l’écrit. Aujourd’hui, nous voici arrivés à un point où la masse de données à assimiler et à transmettre est trop importante. Mais de nouvelles solutions devront être trouvées rapidement, notamment avec la pression des iECN, qui se passeront sur tablettes dès 2016. Les enseignants sont confrontés en première ligne à ces difficultés : ils doivent entraîner les étudiants à réussir leurs examens, mais aussi à soigner des patients.

La désertification des amphithéâtres devrait entraîner une réaction salutaire. En pharmacologie à la Pitié, les cours sont maintenant des présentations sonorisées mises en ligne, les enseignements dirigés ont été remplacés par des entraînements à l’ECN dont les corrections sont réalisées dans une salle multimédia en présentiel, par groupes de 110 étudiants.

Au début de leur formation (2e-3e année), les étudiants ont besoin de référentiels de base. Mais PubMed ne donne pas accès à ce type de ressources. Dans l’idéal, c’est donc aux bibliothécaires d’aller rencontrer les responsables des départements de la faculté pour leur demander quels sont les meilleurs ouvrages à recommander aux étudiants. Mais les enseignants eux-mêmes ne produisent pas forcément des manuels courts et simples à utiliser ou des supports de cours attrayants. Ils ne sont pas formés au multimédia ; des formations de formateurs leur seraient sans doute bénéfiques dans certains cas.

Il faut hiérarchiser les informations à faire passer, car le volume à ingérer est trop important pour les professeurs et docteurs, encore plus pour les étudiants. Les Anglo-Saxons et les Québécois sont sans doute meilleurs que les Français dans cette partie, et produisent de bons documents de synthèse (exemple de planches recto-verso sur l’infarctus du myocarde). « Il faut qu’on renonce à vouloir être parfait », on ne peut attendre d’un étudiant de 5e année les connaissances d’un praticien chevronné.

Mireille Périé est documentaliste à l’hôpital de Gonesse. Le centre de documentation de l’hôpital de Gonesse est multidisciplinaire : la bibliothèque médicale et le centre de documentation de l’IFSI ont récemment été réunis géographiquement (en avril 2014), il reçoit les médecins, mais aussi les élèves infirmiers, les personnels administratifs, etc. Les besoins des soignants relèvent donc principalement de la pratique clinique. Ils cherchent des actualités médicales, notamment dans les revues de leurs spécialités respectives, ou pour un cas clinique ponctuel, des recommandations de bonne pratique, de l’EBM dans la Cochrane… Les médecins sont pressés et se déplacent rarement à la bibliothèque, ils communiquent plutôt par courriel ou téléphone.

Des formations pour l’utilisation de PubMed ont été mises en place au centre de documentation. Il s’agit de formations individuelles à la demande. Elles sont désormais très prisées et durent entre deux heures et demi et trois heures. Des sessions de formation ont lieu également dans les services chaque semestre au moment de l’arrivée des internes, ce qui leur permet de faire connaissance avec la documentaliste.

Brigitte Cleis travaille à l’IFSI Bichat. Les étudiants infirmiers n’ont pas forcément conscience d’avoir besoin d’information, malgré le nouveau référentiel infirmier de 2009 et les nouveaux cours de recherche documentaire (compétence 8 du référentiel). En première année, on leur explique ce qu’est une recherche documentaire, et l’intérêt que cela présente pour leurs études et leur vie professionnelle future, en lien avec les formateurs qui leur proposent des TPG (travaux pratiques en groupe). On leur demande alors de produire une petite bibliographie aux normes. La méthodologie acquise à cette occasion leur servira plus tard au moment du mémoire.

Pour que les formations données par les bibliothécaires / documentalistes soient efficaces, il faut faire le lien avec les cours dispensés par les praticiens et développer des stratégies pour attirer les étudiants, leur fournir des tutoriels faciles à utiliser. Il faut être des médiateurs, discerner les besoins des lecteurs et rester proche d’eux. Le soutien des équipes pédagogiques est primordial. À partir des recommandations des enseignants (IFSI + fac), les étudiants doivent faire le tri entre l’information disponible et celle utile pour eux.

On demande aux professionnels de passage à la bibliothèque de donner leur avis sur les fonds disponibles. Quant aux étudiants, ils viennent en bibliothèque pour travailler au calme. Ils en auront toujours besoin, les bibliothèques ne vont pas disparaître.

Selon Roxane Varengue, étudiante en 4e année de médecine, les besoins ne sont pas les mêmes suivant le cycle des études de médecine. En premier cycle, les étudiants recherchent des livres très généraux, par exemple sur la sémiologie ou l’anatomie. À partir de l’externat (4e année) ils vont avoir besoin de référentiels (les collèges des enseignants par exemple, ou les KB), pour préparer les ECN. Les référentiels doivent contenir des condensés, des synthèses, des tableaux et arbres décisionnels. Sans oublier le besoin en cas cliniques, car chaque étudiant ne peut pas concrètement passer en stage dans toutes les spécialités.

Les cours ne suffisent alors plus. D’ailleurs, les cours en présentiel sont souvent désertés : les étudiants préfèrent travailler seuls, considérant qu’assister à un cours est une perte de temps. Il est de toute façon impossible de transmettre via les cours toutes les informations nécessaires pour réussir l’examen.

Les bibliothèques ne sont pas forcément fréquentées non plus. On y va surtout pour consulter les dernières versions des manuels, qu’on achète parfois. De toute façon les bibliothèques ne proposent pas assez de documents pour tous les étudiants et leurs horaires d’ouverture sont insuffisants. Le dimanche à Paris, les étudiants en médecine ont peu d’endroits où aller : la BnF, la BPI ou la bibliothèque de Cochin.

Mais le tout numérique n’est pas la panacée : la plupart des étudiants ont encore du mal à utiliser des manuels en ligne.

« J’ai besoin du papier pour apprendre. »

La technologie est néanmoins utile pour compléter les cours théoriques (vidéos sur Youtube).

Il est dur pour les étudiants de s’y retrouver dans la documentation. Faut-il par exemple apprendre les recommandations de la Haute autorité de santé française ou celles de l’Organisation mondiale de la santé ?

Les étudiants s’échangent également des « trucs » pour optimiser leurs révisions : lire les ouvrages des collèges des enseignants, les fiches synthétiques de la Revue du praticien, les synthèses du BMJ, les figures intéressantes dans le Lancet ou le JAMA.

« Si on comprend mieux, on va mieux intégrer. »

Ils sont rarement au courant des formations proposées par les bibliothèques ou des accès en ligne dont ils disposent pour les revues. Quand ils le découvrent, c’est surtout par le bouche-à-oreille. Ils ne vont pas sur les sites Web des bibliothèques. Et de toute façon, ils n’ont pas conscience que la recherche documentaire va leur être utile, et qu’ils auront besoin de savoir utiliser PubMed.

Outils utilisés pour accéder à l’information

Brigitte Cleis : les étudiants infirmiers se reposent beaucoup sur Google pour leurs recherches, lisent très peu (et encore moins en anglais), et ne savent pas forcément ce que c’est que de « lire les pairs » étant justement en cours de professionnalisation. Les choses commencent à évoluer, notamment avec l’arrivée d’étudiants en provenance d’autres cursus (philosophie, histoire-géographie), qui ont parfois déjà effectué des travaux de recherche.

Quelques-uns utilisent Delfodoc (base de données de l’AP-HP) et CINAHL. Certains poursuivent parfois leurs études avec un master ou un doctorat. En échangeant avec les collègues de la faculté, on se rend compte que les élèves infirmiers, comme  les internes en médecine, ont besoin d’être formés à la recherche documentaire.

Christian Funck-Brentano a découvert MedLine quand il était déjà interne, grâce à une formation de 4h délivrée par une bibliothécaire. « Je n’en ai pas dormi de la nuit. »

Il insiste sur l’importance de maîtriser l’anglais, qui devrait s’apprendre dès le berceau. Les outils du CISMeF doivent aider à passer du français à l’anglais, mais il ne les utilise guère car il s’y perd – alors qu’il connaît bien les mécanismes du MeSH.

Il moissonne aussi des documents de la Food and Drug Administration (FDA) ou des diaporamas trouvés en ligne pour préparer ses cours (grâce à la commande « filetype:ppt » de Google).

En outre, en France, il est difficile de s’inscrire à une formation, à cause des formalités administratives à remplir. Il existe de toute façon un trop-plein d’informations. Il faudrait recevoir dans sa boîte mail, tous les mois ou tous les trimestres, une sorte de newsletter, avec des liens à cliquer vers les nouveautés essentielles.

Le contexte budgétaire contraint

(et discussion libre avec le public)

Mireille Périé : À l’hôpital de Gonesse, les abonnements en ligne sont privilégiés, bien qu’ils soient chers. Tous les ans, on est contraint de supprimer des titres, l’accent est donc mis sur les accès gratuits. Parmi les quelques bases payantes disponibles, on trouve notamment la Cochrane.

Il y a toujours eu des problèmes de budgets mais ils s’accentuent en ce moment, aussi au niveau des personnels disponibles. Au centre de documentation, il n’y a que 2 personnes pour répondre aux besoins de 300 médecins (500 lits) et 3 promotions de 80 élèves infirmiers (Mireille Périé travaille aussi à mi-temps sur la documentation pour les élèves infirmiers). Le temps de travail consacré aux besoins des médecins se réduit de plus en plus. Dans ces conditions, il faut établir des priorités et sélectionner les informations.

Pour l’accès aux documents, il existe un partenariat avec Paris Diderot. Les élèves infirmiers ont accès à l’ENT de l’université, ce qui n’est pas le cas partout. Mais les lecteurs doivent prendre conscience que la documentation n’est en fait jamais gratuite, même quand ils viennent la chercher à la BU.

Ludovic Hery, assistant en médecine interne au CHR d’Orléans, cite les anglo-saxons, qui vont à la bibliothèque au lieu de rentrer chez eux, après leur journée de travail, pour mettre à jour leurs connaissances. Ils font travailler leurs étudiants sur du « Clinical problem solving » avec de vrais cas cliniques. Pour apprendre à passer de la théorie à la clinique, il faudrait commencer à apprendre la recherche documentaire dès la 2e année. Une étude américaine de 1994 indique qu’il faut six heures environ pour être correctement formé à l’utilisation de PubMed.

Selon lui les bibliothécaires devraient apprendre à mieux communiquer pour faire connaître les compétences qu’ils sont prêts à offrir à la communauté médicale. Car quand il finit sa journée à 19h30, la BU est fermée. Les bibliothécaires devraient adopter les stratégies de l’industrie pharmaceutique ou des éditeurs de revues : proposer des petits déjeuners aux internes et médecins dans les services.

Il confirme que les internes n’ont pas beaucoup de temps à consacrer à la lecture.

Il considère les bibliothécaires / documentalistes comme des membres de l’équipe médicale puisque la recherche documentaire peut, face à certains cas cliniques, participer à sauver des vies. Il utilise PMC Images pour ses recherches d’images et cite la Revue du Praticien et le BMJ comme des revues incontournables pour les internes.

Clotilde Bogatchek, de l’hôpital de Pontoise (1100 lits) : Le problème n’est pas tant le budget (on ne pourra jamais s’abonner à tout – et de toute façon, les médecins demandent souvent l’article de revue que l’on n’a pas…) que l’aide à la localisation et à l’obtention des articles. Si on ne dispose pas d’un accès à l’article demandé, on s’arrange souvent avec son réseau, ou on s’adresse directement aux auteurs en utilisant des outils comme ResearchGate.

Les étudiants ont besoin d’un lieu de travail et d’être accompagnés. Les médecins ont des besoins plus ponctuels.

« C’est à nous d’être malléables, de s’adapter. »

Sophie Guiquerro, bibliothécaire à l’HEGP : Elle tente de créer ce lien avec les praticiens, en leur envoyant tous les 15 jours une veille documentaire, « qui a écrit quoi » à l’hôpital, et des liens vers des tutoriels. « C’est une fenêtre ouverte sur la bibliothèque. » Elle dispense également 200 heures de formation par an, à des horaires pratiques pour les médecins (tôt le matin et tard le soir).

Nassima Arrar, de l’hôpital de Poissy/Saint-Germain (1100 lits) : Elle est seule pour gérer la documentation médicale et administrative. Ce sont toujours les mêmes 12 médecins qui sont demandeurs d’articles. Les activités de la bibliothèque sont également signalées dans le livret d’accueil des internes.

Elle organise des sessions de formation de préférence lors du staff et par service pour les médecins. Elle dédie également le jeudi aux sessions d’initiation de BDD et de recherche documentaire avec un rappel régulier en CME par le vice-président de la CME pour promouvoir le centre de documentation.

Pour sensibiliser les étudiants, elle n’hésite pas lors de l’U.E. recherche documentaire (10h/an) à promouvoir le centre de documentation.

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