Texte
Hyginus Thalassius (1654)
alias Pierre De Mercenne,
Brevis Destructio de la
première Responsio (1652)
de Jean ii Riolan (1654) :
chapitre i  >

[Page 181 | LAT | IMG]

Brève Démolition,
ou Ratures de la Responsio de Riolan
aux Experimenta nova anatomica.

Écrite à Iatrophilus Pecquetianus,
par Hyginus Thalassius Sangermanus
[1][1][2]

Chapitre premier.

Riolan a obscurci la gloire qu’il s’est acquise en anatomie par le style injurieux de la plume qu’il a utilisée pour pérorer non seulement contre Pecquet [3] et les pecquétiens [4] qui louent sa découverte, mais aussi contre tous les médecins de son siècle.

Déjà trois ans se sont écoulés, mon très cher Iatrophilus, depuis qu’a été publié le petit livre de Jean Pecquet sur le réservoir du chyle[5] qui était jusqu’alors inconnu, et sur les lactifères qu’il a récemment découverts dans le thorax. [2][6] Puisque cela ne s’est fondé que sur ses expériences, dont nul esprit sensé ne méprise les preuves, il pouvait espérer son entrée dans le cercle des savants, même sans leurs applaudissements unanimes ; et puisque ce qu’il a simplement découvert n’est sans utilité, ni pour la physique ni pour la médecine, [Page 182 | LAT | IMG] et qu’il l’a publiquement démontré, il semblait s’être prémuni contre toutes les calomnies. Nul n’aurait donc pu présager qu’il se trouverait aujourd’hui des gens qui ne le jugent pas favorablement et équitablement, à moins qu’ils ne fussent rebelles à la lumière qu’il a projetée, ou qu’il ne s’agît de téméraires aveugles, ou de jaloux et orgueilleux Zoïles. [3][7] Le très docte M. Jean Riolan, anatomiste de très grand renom, n’en a pas moins dégainé le glaive de sa plume contre ces vaisseaux chylifères et ceux qui les ont vus, et il n’aurait pu les attaquer avec plus de colère et d’hostilité s’il s’était agi d’ignobles charlatans, d’assassins et de pendards qui attentent fort insidieusement à la fortune et à la vie des citoyens.

Tu t’émerveilleras, cher Iatrophilus, qu’un si grand homme, dont la remarquable ingéniosité des ouvrages a toujours gagné le respect de la république savante, et dont la propre gloire et celle de ses aïeux [8] n’ont jamais eu un tel éclat parmi les héros des belles-lettres, pourchasse l’honneur de la science par des médisances qui lui sont étrangères. Pour un homme qui est toute la journée en butte aux disputes et ne peut faire régner le calme dans sa famille, [4][9] il est pourtant difficile de surmonter sa nature, et bien tard pour devenir affable. Riolan, comme s’il était né pour le pentathle, [5] a en effet la coutume invétérée de défier au combat et de harceler avec ardeur tous ceux qui, par toute l’Europe, ont écrit sur l’anatomie, ac Romanorum more bella < ex > bellis serendo[6][10] au point de briguer si possible la primauté sur tous. Grâce à Dieu !, cher Iatrophile, ce n’est ni ici ni ailleurs que tu me verras de mauvaise foi. Regarde simplement, s’il te plaît, dans le gros volume de son Anthropographia[11] les titres des livres et de leurs chapitres : tu y verras aussitôt, au premier coup d’œil, comment, tout à fait sûr de son fait, il s’est attaqué à Du Laurens[12] Bauhin[13] Spiegel[14] Bartholin[15] Hofmann[16] Vesling[17] Parisano ; [7][18] il s’est aussi âprement battu contre Harvey[19] Wale[20] Conring[21] Descartes[22] Plempius[23] Leichnerum[24] Cornelius [Page 183 | LAT | IMG] Van Hoghelande[25] Regius[26] Liceti[8][27] sans parler de ses très sévères jugements sur les ouvrages d’autres anatomistes in quo pauci et quos æquus amavit Iupiter Theoninum dentem effugêre [9][28][29][30] Le désir d’en découdre ne s’est pas éteint chez notre septuagénaire dans ses divers Opuscula anatomica varia et nova[31] où il poursuit Harvey pour la troisième fois, puis s’en prend à Highmore[32] Gassendi[33] Pecquet, Guiffart[34] Schlegel[35] Bartholin[10][36] Ainsi, dit Sénèque, Hannibal non desiit senex omnibus angulis bellum, adeò sine hoste esse non poterat[11][37][38] Riolan écrit que unusquisque bene judicat ea quæ novit, et il use hac fiduciâ in libros et Authores anatomicos censuræ et animadversionis authoritatem[12][39] Riolan est donc le seul à bien raisonner et sainement juger, le seul aussi à avoir attaqué tous ses contemporains ; comme s’il présidait un tribunal, il a fait remarquer à tant de si célèbres anatomistes qu’ils étaient ignorants ; à la manière de l’homme dont a parlé saint Jérôme : qui cum mensâ posita librorum exposuisset struem, adducto supercilio, contractisque naribus ac fronte, rugatâ adversum singulos declamabat ; diceres criticum esse Longinum, Censorémque Romanæ facundiæ notare quem vellet et de Senatu Doctorum excludere[13][40][41]

Riolan dit que le jeune orgueilleux Pecquet s’est égaré dans une impasse quand il a eu l’audace de s’engager inconsidérément sur l’abrupt chemin de la nature, et donc periti anatomici censuram meruit [14] (c’est-à-dire de lui seul) ; mais qui lui montre la voie où l’on se perd à mordre et à dénigrer ? Cela n’est-il pas contraire aux mœurs chrétiennes, à toute philosophie et aux devoirs qu’on doit à la société humaine ? N’eût-il pas été plus glorieux pour le triomphant vieillard, siégeant sur la spina du cirque, d’encourager d’un signe ou d’un mot ceux qui se lancent dans la course et, quand l’un d’eux est [Page 184 | LAT | IMG] épuisé, aliis lampadem tradere de la main à la main, comme on aimait faire au cours des jeux de Prométhée, [42] que de railler et injurier les nouveaux champions pour les dissuader de courir ? [15][43] Quand on a atteint le faîte de la gloire en anatomie, il est plus honorable d’aider les vaillants efforts de ceux qui s’acharnent à progresser, que de les repousser dans l’abîme, si leur élan a quelque force, en les accablant d’insultes, qui sont comme autant de pierres qu’on fait dévaler du haut de la pente. Nemo per se satis valet ut emergat, dit Sénèque, lettre lii[44] oportet manum aliquis porrigat, aliquis educat. Quosdam ait Epicurus ad veritatem sine ullius adjutorio contendere, ex iis se fecisse sibi ipsum viam, quosdam indigere ope alienâ, non ituros si nemo præcesserit, sed bene secuturos, ex his Metrodorum ait esse[16][45][46] Nous n’appartenons pas à la première de ces deux catégories, et serons bien aise d’être admis dans la seconde. Riolan offre-t-il jamais de tendre la main pour aider Pecquet dans ses recherches ? Hé non ! car non seulement il blâme falsissimam et insolentissimam doctrinam, et remplie infinitos errores, mais il la fait passer pour folle, ennemie du genre humain et Medicinæ eversorem, insolentiorem libris Helmontij[47] dont l’auteur énonce un paradoxe pernicieux et détestable ; et il accuse deux de ses collègues, docteurs de la Faculté de Paris, [48][49] d’être ses défenseurs et approbateurs, et mettrait tout son pouvoir à les accabler de si rudes injures qu’ils seraient voués à la haine éternelle du genre humain. [17] Voilà Pecquet tenu pour un ignoble monstre, un prodige de scélératesse et de perversité, mais à quelle pire peine aurait-on pu le condamner s’il avait pissé sur les cendres de ses pères, s’il avait enseigné comment empoisonner les fontaines ou fabriquer la peste ?

En vérité, dit Hippocrate, les vieillards souffrent d’irascibilité[18] [Page 185 | LAT | IMG] comme le vin devient aigre quand il se mêle à la lie au fond du tonneau ; et Sénèque appelle fœx ætatis la vieillesse, [19] dont on peut aussi dire, non sans raison, qu’elle est une piquette, rendue d’autant plus amère que cet âge est plus impuissant. Notre vieux professeur aurait pourtant plus scrupuleusement modéré la virulence et l’atrocité de son discours en méditant assidûment sur son très prochain départ pour les cieux, puisque, dans son opuscule contre Schlegel, page 231, il a écrit se compter parmi les Cælicoli ; [20][50] et puisque le voilà maintenant penché sur les Saintes Écritures, en ayant examiné de plus près ce précepte du Christ, notre Seigneur : « Quiconque se fâche contre son frère en répondra au tribunal, mais s’il le traite de fou, il sera condamné aux feux de l’enfer » (Matthieu 5:22). [51] Aurait-il ensuite voulu marquer au fer rouge de l’infamie, en les flétrissant si ignoblement, des hommes innocents, tout en parlant si glorieusement de sa propre personne ? Pourquoi ne leur aurait-il pas appliqué les paroles de saint Jérôme, disant que la Gaule s’honore d’être seule à ne pas avoir eu de monstres, quand il invectivait l’impie et sacrilège hérétique Vigilantius ? [21][52]

Bien pire, ils ont commis le crime nouveau, encore jamais ouï, d’avoir, grâce à leurs yeux perçants, diligemment mis au jour certains secrets du chyle que la nature avait enfouis et cachés dans son sanctuaire, et réservés jusqu’à ce siècle aux découvertes du plus brillant et fécond des arts. Comme a dit Sénèque, chapitre xxxi, livre vii des Questions naturelles, Multa venientis ævi populus ignota nobis sciet, multa sæculis tunc futuris cùm memoria nostri exoleverit reservantur. Pusilla res mundus est, nisi in ipso quod quærat omnis mundus habeat, non semel quædam sacra traduntur. Eleusis [53] servat quod ostendat revisentibus, rerum natura sacra sua non semel tradit, initiatos nos credimus, adhuc in vestibulo hæremus ; illa arcana non [Page 186 | LAT | IMG] promiscuè nec omnibus patent, reducta et exteriore sacrario clausa sunt, ex quibus aliud hæc ætas, aliud quæ post nos subibit, aspiciet[22] Ainsi Riolan a-t-il clairement spolié la gloire de ce siècle en attaquant si iniquement la découverte de Pecquet et ses observations. Comme il s’est éloigné de l’admirable esprit des Anciens, dont il a vénéré priscorum in inveniendo curam, in tradendo benignitatem ! Il a pensé, comme écrit Pline, livre xxvii, chapitre i, à propos de ceux qui découvrent des plantes, que haud dubiè superatam hoc modo videri posse rerum naturæ ipsius munificentiam, si humani operis esset inventio : sed eam divinam apparere, etiam cum homo inveniret, eandemque omnium parentem et genuisse hæc et ostendisse nullo vitæ miraculo majore[23][54] Cela s’applique très clairement aux découvertes anatomiques, car il n’est pas moins important de mettre au jour de nouvelles veines que de nouvelles plantes, et si elle ne la dépasse pas, l’utilité de l’anatomie n’est pas moins glorieuse que celle de la botanique. Veneror inventa sapientiæ inventoresque, adire tanquam multorum hæreditatem juvat, dit Sénèque, lettre lxiv. Et singula quosdam inventa deorum numero addidere, omnium utique vitam clariorem fecere cognominibus, tam benigne gratiam memoria referente[24][55]

En vérité, me diras-tu pourtant, Riolan a concédé cette grâce à leur inventeur quand il a qualifié les canaux thoraciques du chyle de pecquétiens ; [25] mais puisqu’il n’a pas reconnu la véritable utilité de sa découverte, ledit vieillard a très rudement réprimandé notre jeune homme, quand il aurait dû apprendre de Sénèque, très rigoureux maître en sagesse, mollioribus verbis ingenia esse curanda, parce qu’il n’y a rien de plus doux et de plus aimable pour l’homme. Le même dit aussi : Illud potiùs cogitabis non esse irascendum erroribus quid enim si quis irascitur in tenebris [Page 187 | LAT | IMG] parum vestigia certa ponentibus ? quid si illis irasci velis qui ægrotant, senescunt, fatigantur ? C’est vraiment par mépris qu’il appelle Pecquet un enfant, num quis autem irascitur pueris, quorum ætas nondum novit rerum discrimina ? Maior est excusatio et justior hominem esse quam puerum[26][56] Castigatio levis lege concessa est docenti, et Paulus [57] dit que Præceptoris enim nimia sævitia culpæ assignatur. Iudex etiam omni affectu carere debet, et si id supra hominem videatur, nunc ne vultu quidem animi motum detegere decet (L. Observandum ff. de offic. præsid.). [27][58] Est donc condamnable celui qui proposerait qu’un juge devienne accusateur et, ce qui est plus indigne encore, viendrait dénoncer un crime dont il est manifestement coupable. Riolan n’est pas à l’abri du blâme puisqu’il se consacre entièrement à réprimander, car il tempête contre des erreurs où il tombe lui-même ; il souhaite tendre des pièges sans craindre de s’y faire lui-même prendre, mais c’est la main tremblante qu’il efface ses propres taches par le fer et le feu. Il s’est imaginé que certaines opinions sont monstrueuses pour ne pas manquer de matière à combattre, afin d’en nourrir son belliqueux esprit, ou pour ne pas sembler avoir sévi contre Pecquet sans quelque apparence de bon droit ; mais rien n’est plus faible ni plus inconséquent que les arguments qu’il emploie pour assaillir les voies du chyle. Étant donné qu’il les a lui-même suffisamment et plus que suffisamment réfutés, je pense qu’aucun des collègues qu’il a attaqués n’y a jusqu’ici répondu. Le très savant Bartholin a certes fort bien défendu les lactifères thoraciques, mais aujourd’hui le très ingénieux Pecquet ne met pas moins d’énergie à défendre leur cause, à tel point qu’il semblerait parfaitement inutile d’y ajouter quoi que ce soit et d’en disserter plus longuement. Toutefois, puisque Pecquet n’a pas réagi à tout ce que contient la Responsio de Riolan, j’ai décidé, dans les quelques chapitres de remarques qui suivent, de la corriger et raturer, non par confiance en moi, mais par confiance en la justice de ma cause ; non pour ternir le très brillant éclat [Page 188 | LAT | IMG] dont cet auteur jouit parmi les anatomistes, mais pour mettre toute la force dont je suis capable à ne pas souffrir que la lumière de la vérité soit étouffée car, dit saint Augustin, son épanouissement fait notre bonheur. [28][59] Le fait est bien que non solem proprium natura nec aëra fecit[29][60] et la vérité n’a pas d’yeux que pour les plus savants : elle est un bien commun à tous les mortels et leur héritage partagé que, toujours et partout, chacun est tenu de protéger car cette capacité lui a été donnée par Dieu le Père des lumières.


1.

Déjà auteur d’une lettre de soutien à Jean Pecquet imprimée dès la première édition des Experimenta nova anatomica (1651), Pierre De Mercenne se dissimulait sous le nom d’Hyginus Thalassius Sangermanus. {a} Ce pseudonyme me semble combiner trois mots.

En somme, je traduirais Hyginus Thalassius Sangermanus par « le pur et innocent adepte de la santé (ou mythographe), natif de Saint-Germain (ou habitant le faubourg Saint-Germain, à Paris) ».

Je n’ai pas identifié Iatrophilus Pecquetianus, dont le nom signifie le « pecquétien [admirateur de Pecquet] qui aime la médecine », car dans sa Brevis Destructio, De Mercenne a nommé tous ceux qui avaient écrit en faveur de Pecquet avant 1654. Riolan a considéré qu’il s’agissait de Mentel : v. note [9] de sa Responsio ad Pecquetianos, première partie.

Le latin de De Mercenne est truffé de références classiques (dont il a souvent donné la source).

2.

Première édition des Experimenta nova anatomica de Jean Pecquet (Paris, 1651).

V. note [24], préface de la première Responsio de Jean ii Riolan pour la première occurrence imprimée de l’adjectif « pecquétien ».

3.

Vnote Patin 5/1254 pour le grammairien grec Zoïle, furieux « fouetteur » d’Homère (homeromastix), dont le nom est passé dans la langue courante (en conservant sa majuscule initiale et en prenant un s au pluriel) pour désigner un critique injuste (Littré DLF). V. note [5], avertissement au lecteur, Responsiones duæ de Jean ii Riolan, pour Galien sur Zoïle.

4.

Dès sa lettre du 16 novembre 1649 à Charles Spon (v. sa note 34), Guy Patin a évoqué les soucis familiaux qui ont obscurci les dernières années de Jean ii Riolan.

5.

Pentathle (quinquertium en latin) est un terme d’antiquité, « sous lequel on comprend les cinq exercices qui se faisaient dans les jeux des Grecs, et pour lesquels on proposait des prix. Ces cinq exercices étaient la lutte, le pugilat, ou combat à coups de poing, le saut, la course et le palet [lancer de disque]. Celui qui avait remporté le prix dans ces cinq exercices, s’appelait pentathlos, et en latin quinquertio » (Trévoux). C’est l’ancêtre du pentathlon moderne.

6.

« en enchaînant guerres sur guerres à la manière des Romains » ; Salluste, {a} Harangues extraites de sa Grande Histoire, Lettre de Mithridate, roi de Pont, à Arsace, roi des Parthes page 450 : {b}

Romani in omnis arma habent, acerruma in eos, quibus victis spolia maxuma sunt ; audendo et fallendo, et bella ex bellis serendo, magni facti.

[Les Romains portent les armes contre tout le monde, et avec plus d’ardeur encore contre ceux dont la défaite leur promet le plus de butin. Ils ont fondé leur toute-puissance sur l’audace et la perfidie, et en menant guerres sur guerres].


  1. Vnote Patin 136/166.

  2. Œuvres de Salluste, Paris, 1808, page 450.

7.

Hyginus Thalassius renvoyait au sommaire de l’« Anthropographie » de Jean ii Riolan, parue dans ses Opera anatomica vetera et nova (Paris, 1649, vBibliographie). Recensant ses sept livres, il occupe trois pages mais ne cite nommément aucun des anatomistes que Riolan a attaqués : ils se lisent dans les trois pages du sommaire des Opuscula, qui le suivent.

Apparaissent ici pour la première fois dans notre édition :

8.

Apparaissent ici pour la première fois dans notre édition :

Pour son modeste intérêt historique, je cite l’Examen opinionis Cartesii [Examen de l’opinion de Descartes] en exemple des assauts de Jean ii Riolan contre les autres anatomistes de son siècle : {a}

Renatus Cartesius, Philosophus in Batauia non ignobilis, sanguinis circulationem necessariam esse iudicat ad motum Cordis, qui excitatur et continuatur appulsu sanguinis ad Cor, focum caloris natiui, ibi sanguis cauitatibus Cordis intrusus et feruefactus, statim Cor intumescere, ac dilatare facit, atque in dextro ventriculo rarefactus, et quasi in vapores mutatus decurrit ad pulmones aêris plenos, ibi crassescit, et denuo in sanguinem mutatur, priusquam in sinistrum ventriculum confluat : præterea statuit sanguinem totum qui continetur arteriis, transiisse per Cor, et in venas, postea refluere, quæ cum Hepate considerandæ sunt instar vnius vasis. Attamen in ipsas venas, ab intestinis semper humoris aliquid illabi fatetur, atque asserit sinistrum Cordis ventriculum ampliorem et latiorem dextro.

Noua est ac inaudita, et prorsus absurda hæc opinio de circulatione sanguinis, quamuis iteratas circulationes per Cor in die non adstruat, et à Medico Professore Vltrajectino Henrico Regio proposita et propugnata fuerit, in suis Thesibus, qui distributionem sanguinis per guttas fieri scribit : talem mecum agnoscent, qui in rebus Anatomicis mediocriter versati fuerint : ipsam patefacere refutare est, quia per se destruitur, quod Medicorum est, promittant Medici.

Attamen ne videatur hæc opinio nimis imperiosè damnata, rationes quasdam adiungam. Cartesius αναστοιχειωσιν in sanguine, ut in elementis introducit. At si sanguis in aërem mutatus fuerit, quomodo permixtus aëri intra pulmones momento potest pristinam naturam recuperare ? Cur potius ad sinistrum ventriculum labitur spiritus, quàm in ambitum pulmonum, qui sunt spongiosi, perspirabiles, et foraminulenti ? Spiritibus faciliorem exitum præbere possunt in continua sua agitatione et flabellatione : Falsum est sinistrum ventriculum latiorem et ampliorem esse dextro, longior quidem est, sed non latior, imò angustior semper observatur.

[René Descartes, philosophe qui jouit de quelque renom en Hollande, juge que la circulation est nécessaire au mouvement du cœur car elle anime un afflux continu de sang dans cet organe, qui est le foyer de la chaleur innée : {b} le sang échauffé qui pénètre dans les cavités cardiaques en provoque aussitôt le gonflement et l’expansion ; une fois dilaté dans le ventricule droit et comme transformé en vapeurs, il s’écoule dans les poumons qui sont remplis d’air, où il s’épaissit et se change de nouveau en sang avant de gagner le ventricule gauche. Descartes estime en outre que tout le sang qui est contenu dans les artères est passé par le cœur, puis est recueilli dans les veines, qui sont à considérer comme formant un seul vaisseau avec le foie ; il croit toutefois que quelque humeur venue des intestins s’écoule toujours dans les veines, et ajoute que le ventricule cardiaque gauche est plus volumineux et large que le droit.

Cette opinion est nouvelle, inouïe et parfaitement absurde : elle n’établit pas que la circulation fait passer le sang dans le cœur plusieurs fois par jour, et elle a été proposée et défendue par Henricus Regius, professeur de médecine à Utrecht, dans ses thèses, où il a écrit que le sang s’écoule goutte à goutte. {c} Voilà des gens qui conviennent, comme je fais, de leur médiocre compétence en anatomie : leur opinion se réfute à l’évidence car elle se contredit d’elle-même ; quod Medicorum est, promittant Medici. {d}

Toutefois, pour ne pas sembler condamner trop autoritairement cette opinion, j’ajouterai quelques arguments : Descartes introduit la notion de régénération {e} dans le sang comme en toute matière, mais si le sang a été transformé en vapeurs, comment peut-il en un instant, après s’être mélangé à l’air dans les poumons, retrouver son ancienne nature ? et pourquoi l’esprit vital s’écoule-t-il plutôt vers le ventricule gauche que vers l’enceinte des poumons, qui sont spongieux, perméables et troués de toutes parts ? Étant donné leur perpétuel mouvement de soufflet, ils peuvent offrir une sortie plus facile aux esprits. Il est faux de dire que le ventricule gauche est plus large et volumineux que le droit, car il est certes plus long, mais n’est pas plus large ; on observe même souvent qu’il est plus étroit].


  1. Liber de Circulatione sanguinis (1649, v. note [4], Responsio ad Pecquetianos, 2e partie), chapitre ix, pages 566‑567.

  2. Production des esprits vitaux.

  3. Je n’ai pas vu les thèses de Regius, mais il a résumé et illustré ces points de vue (sans dire exactement ce qu’en rapportait Riolan) dans ses Fundamenta Physices [Fondements de l’Histoire naturelle] (Amsterdam, 1646, vnote Patin 8/9091), chapitre x, pages 175‑196.

  4. « les médecins répondent de ce qui concerne la médecine » (« à chacun son métier… ») : Horace, vnote Patin 44/8007.

  5. Anastoïkheïôsis : détruire pour reconstruire est une base du doute cartésien.

  6. En médecine, il reste fort hasardeux de fonder les avis sur le raisonnement plutôt que sur l’observation des faits. Quant au ventricule gauche, il possède incontestablement une paroi musculaire bien plus épaisse que le droit, comme le montre le dessin de Regius ; mais quant à lui, Riolan n’illustrait pas ses ouvrages anatomiques.

9.

« dont peu nombreux sont ceux qui, chers à Jupiter le juste, {a} ont échappé à la dent de Théon » :

Une note marginale d’Hyginus Thalassius renvoie au livre i, chapitre vi de l’Anthropographie, pages 28‑35, Judicium de Scriptis posteriorum Anatomicorum, Græcorum et Latinorum [Jugement sur les ouvrages anatomiques postérieurs (à Galien), grecs et latins], qui vont de Rufus d’Éphèse, {a} à Adriaan van de Spiegel. {b}

Jean ii Riolan n’y cite ni le vers de Virgile ni celui d’Horace. En revanche, il conclut son chapitre (page 35) par cet Author de seipso iudicium relinquit lectori et posteritati [L’auteur livre au lecteur et à la postérité son jugement sur lui-même] :

Quoniam laus in ore proprio sordescit, ne Suffenus videar, tanquam Astydamas laudator operis, de meis laboribus Anatomicis iudicium æquo Lectori, et Anatomico relinquo. Indicio de meipso vero, vos eritis Iudices.

Rara coronato plausere Theatra Menandro,
Et sua riserunt sæcula Mæonidem.

Nec ego laudem et applausum ex hoc labore spero vel affecto, vtilitatem iuuandi prætuli gratiæ placendi, et si ingenio non est locus, saltem curæ testimonium promeruisse contentus ero. Posteris an aliqua cura nostri nescio, nos certè meremur, vt sit aliqua, non dico ingenio, id enim superbum, sed studio et labori, ex Plinio lib. 9. espist. Audacter igitur dicam citra fastum et arrogantiam, corpus humanum à multis dissectum et descriptum fuisse, sed à nemine tam accuratè sectum, examinatum, et descriptum, quàm fuit nostris laboribus patefactum. Quod si omnia non fuerimus assequuti, excusationem Plinij prætexeram, qui terrarum vniuersum orbem descripturus his verbis veniam deprecatur. Haud vllo in genere venia iustior est, si modò minimè mirum est hominem genitum non omnia humana nouisse, libro tertio naturalis historiæ.

Multa tegit sacro inuolucro Natura, neque ullis
Fas est scire quidem mortalibus omnia ; multa
Admirare modò, necnon venerare ; neque illa
Inquires, quæ sunt arcanis proxima.

[Il est dégradant de tresser ses propres louanges et, sans vouloir passer pour un Suffenus ou un Astydamas, qui vantaient eux-mêmes leurs œuvres, {c} je laisse au lecteur et anatomiste impartial le soin de juger mes travaux. Indicio de meipso vero, vos eritis Iudices. {d}

Rara coronato plausere Theatra Menandro,
Et sua riserunt sæcula Mæonidem
. {e}

Je ne recherche et n’espère ni louange ni applaudissements pour ce travail, où j’ai mis l’utilité devant la grâce de plaire ; et s’il ne s’y trouve pas de sublime talent, je me contenterai d’avoir mérité qu’on reconnaisse tout le soin que j’y ai consacré. J’ignore si la postérité aura pour moi quelque considération ; je la mérite sûrement un peu, je ne dis pas pour mon génie, car ce serait de l’orgueil, mais pour mon application et mon labeur, comme a dit Pline au livre ix de ses Lettres. {f} Je dirai donc hardiment, mais sans fierté ni arrogance, que bien des auteurs ont disséqué et décrit le corps humain, mais nul ne l’a fouillé, examiné et dépeint plus méticuleusement que ne le montrent mes recherches. On ne me suivra pas entièrement, mais j’alléguerai l’excuse que Pline a présentée avant de décrire la totalité de la Terre entière : « Nulle indulgence n’est plus de mise si on veut bien ne pas s’étonner qu’un homme ne connaisse pas toutes les choses humaines » (Histoire Naturelle, livre iii). {g}

Multa tegit sacro inuolucro Natura, neque ullis
Fas est scire quidem mortalibus omnia ; multa
Admirare modò, necnon venerare ; neque illa
Inquires, quæ sunt arcanis proxima
].


  1. Médecin grec du iie s., vnote Patin 4/1090.

  2. V. note [8‑3], Historia anatomica, chapitre iii, de Thomas Bartholin.

  3. Riolan s’est servi des mêmes références à Suffenus et à Astydamas pour blâmer la suffisance de Jean Pecquet : v. note [11] de sa première Responsio, 2e partie.

  4. « Vous me jugerez sur ce que j’ai vraiment écrit », Térence, Les Adelphes, prologue, vers 4, indicio de se ipse eritis iudices [vous le jugerez sur ce qu’il a écrit].

  5. « Ménandre, l’honneur du théâtre, n’y reçut que de rares applaudissements. Le siècle d’Homère n’eut pour lui que des railleries », Martial, Épigrammes, v, x, vers 9‑10 (inversés) ; v. première notule {a}, note Patin 46/8212, pour Ménandre.

  6. Pline le Jeune, loc. cit., lettre xiv :

    Posteris an aliqua cura nostri, nescio ; nos certe meremur, ut sit aliqua, non dico ingenio – id enim superbum –, sed studio et labore et reuerentia posterorum.

    [J’ignore si la postérité aura pour nous quelque considération ; à vrai dire, nous la méritons un peu ; sûrement pas pour notre génie (ce serait de l’orgueil), mais pour notre application, pour notre labeur, pour notre respect envers ceux qui nous suivront].

    Dans ma traduction de l’abrégé qu’en donne Riolan, j’ai remplacé le pluriel de modestie (« nous ») par le singulier (« je »).

  7. Ce livre de Pline l’Ancien décrit la géographie du monde connu, avec ce propos introductif (Littré Pli, volume 1, page 153) :

    Nunc de partibus : quamquam infinitum id quoque existimatur, nec temere sine aliqua reprehensione tractatum ; haud ullo in genere venia justiore, si modo minime mirum est hominem genitum non omnia humana novisse. Quapropter auctorem neminem unum sequar ; sed ut quemque verissimum in quaque parte arbitrabor : quoniam commune ferme omnibus fuit, ut eos quisque diligentissime situs diceret, in quibus ipse prodebat : ideo nec culpabo, aut coarguam quemquam.

    « Maintenant venons-en aux parties, mais cela même passe pour un sujet infini, et dont il n’est guère possible de s’occuper sans s’exposer à quelque blâme. Cependant, nulle part l’indulgence n’est plus de mise, si l’on veut bien ne pas s’étonner qu’un homme ne connaisse pas toutes les choses humaines. Aussi ne suivrai-je exclusivement aucun auteur ; mais dans chaque partie, je ne m’attacherai qu’à celui que je croirai le plus sûr car presque tous ont en commun d’avoir décrit le mieux les contrées où chacun écrivait. En conséquence, je ne blâmerai personne, je ne réfuterai personne. »

    Riolan s’est bien gardé de citer la dernière phrase de cet extrait.

  8. « D’un voile sacré, la Nature a couvert bien des choses et nul mortel n’a le don de tout savoir. Beaucoup ne sont qu’à admirer et respecter, et il ne faut pas chercher à connaître celles qui sont au plus près des secrets » : Chrysopée de Giovanni Aurelio Augurello, vnote Patin 9/1254.

10.

« Opuscules anatomiques divers et nouveaux » (Paris, 1652) de Jean ii Riolan dont la note Patin 30/282 détaille le sommaire, où figurent tous les savants qui ont été victimes de ses attaques.

Riolan y avait fulminé contre Pierre Guiffart {a} pour son :

Petri Guiffarti Valloniani, D. Medici, in Collegio Rothomagensi aggregati, Cor vindicatum, seu Tractatus de cordis officio. Opus in quo rationibus et authoritatibus probatur, Cor, ipsum chylum immediate in sanguinem convertere, vasaque chylum ad cor usque deducentia nuper I. Pecqueti labore reperta, plenius considerantur et asseruntur… Item Tractatus de proxima Lactis materia…

[Le Cœur revendiqué, ou Traité de Petrus Guiffartus natif de Valognes, docteur en médecine agrégé au Collège de Rouen, sur la fonction du cœur. {b} Ouvrage dont l’argumentaire et l’autorité établissent que le cœur transforme directement le chyle en sang, et qui examine et confirme entièrement que le chyle y est conduit par les vaisseaux que les travaux de J. Pecquet ont mis en lumière {c}… Avec un Traité sur la première matière du lait…] {d}


  1. V. notule {c}, note [55], Brevis Destructio d’Hyginus Thalassius, chapitre iv pour l’attaque de Riolan contre Guiffart.

  2. V. notes [12], lettre de Charles Le Noble à Riolan, seconde partie, pour un autre livre de Guiffart sur le sujet (1656), et [1], biographie de Charles Le Noble, pour sa mort antérieure à 1670.

  3. Guiffart manie le latin et le grec avec aisance. Son chapitre x fait quelques bienveillantes critiques sur le livre de Pecquet, dont il a reproduit les dissections, mais sans dire l’avoir jamais rencontré. Son traité sur le lait conclut que, comme le sang, il dérive directement du chyle.

    La notice qu’Éloy lui a consacrée procure quelques renseignements complémentaires sur Guiffart et son livre, dont cette pertinente critique : « Les bonnes choses qu’on trouve dans cet ouvrage sont noyées dans un torrent de paroles inutiles, et défigurées par les paradoxes que l’auteur y joint sur la respiration et la nourriture des enfants dans la matrice. »

  4. Rouen, aux dépens de l’auteur et en vente chez Ludovicus du Mesnil, 1652, petit in‑fo de 122 pages.

V. infra note [20] pour Paul Markward Schlegel, autre adversaire de Riolan.

11.

« Hannibal, {a} une fois vieux, ne cessa pas de chercher la guerre dans tous les coins du monde, tant il ne pouvait se passer d’ennemis » ; Sénèque le Jeune, Les Questions naturelles, préface du livre iii :

Quemadmodum Hannibal Alpes superiecerit scribunt, quemadmodum confirmatum Hispaniæ cladibus bellum Italiæ inopinatus intulerit fractisque rebus, etiam post Carthaginem pertinax, reges pererrauerit contra Romanos ducem promittens, exercitum petens ; quemadmodum non desierit omnibus angulis bellum senex quærere : adeo sine patria pati poterat, sine hoste non poterat !

« On écrit comment Hannibal a franchi les Alpes ; comment, raffermi par les désastres qu’il a causés en Espagne, il a envahi l’Italie à l’improviste ; comment ses armées vaincues et Carthage soumise, toujours acharné contre les Romains, il a erré de roi en roi pour demander une armée et s’offrir comme général ; comment, une fois vieux, il ne cessa pas de chercher la guerre dans tous les coins du monde, tant il ne pouvait se passer d’ennemis ! »


  1. Le conquérant carthaginois Hannibal Barca, vnote Patin 29/0525.

12.

« chacun juge bien de ce qu’il connaît » et Jean ii Riolan dit user « avec assurance de sa propre autorité pour censurer et critiquer les anatomistes et leurs livres » ; un ibidem marginal d’Hyginus Thalassius renvoie à cette partie du chapitre de Riolan cité dans la note [9] supra, où on lit ce propos (Anthropographie, 1649, page 29) qui donne tout leur sens aux 18 mots cités :

Quamuis prima laus in rebus Anatomicis debeatur Græcis auctoribus, non oportet tamen posteriores Anatomicos Latinos suâ gloria fraudare, in his quæ rectè magno labore, summáque industriâ inuenere. Propterea fretus Hippocratis authoritate, qui libertatem iudicandi de scriptis auctorum, peritis in arte concedit ; philosophica libertate meum iudicium interponam. Magnam vero artis partem esse arbitror, etiam de his quæ scripta sunt rectè posse considerationem facere ac iudicare, qui enim hoc nouit, et his vtitur, non videtur mihi in arte multum falli posse. μεγα δε μερος ηγειμαι της τεεχνης ειναι το δυναοθαι σκοπειν και περι της γεγραμμενων ορθος, ο γαρ γνους και χρωμενος τρυτοις ουκ αν μοι δοκεν μεγα σφαλλεοθαι εν τη τεχνη, sub finem lib. 3. epidem. Simile iudicium Aristotelis extat initio lib. i. de partibus animal. et lib. i. Ethic. cap. i. Vnusquisque bene iudicat ea quæ novit, et eorum bonus est æstimator. Hâc fiduciâ multis Anatomiis mea manu sedulò et laboriosè administratis comprobatâ, in libros et auctores Anatomicos censuræ et animadversionis auctoritatem usurpabo, quod efficiam cum omni modestia et humanitate, ne cornicum oculos configere videar, et instar laruæ cum mortuis luctari, more Archigenes, qui de se ipso fassus est, quod per ætatem ambitiosius et vehementius egerit contra quosdam, vt vexaret illos et vreret. Sed eos tantùm Anatomicos nominabo et producam, qui solerti ingenio, manúque oculatâ tractantur Anatomica, cultro et calamo descripta.

[En anatomie, il faut certes placer les auteurs grecs au premier rang, mais sans dérober leur gloire aux latins, parce qu’ils ont fait d’exactes découvertes grâce à leurs importantes recherches et à leur très grande ingéniosité. En vertu de la liberté philosophique, j’ajouterai mon propre avis, car je me fie entièrement à l’autorité d’Hippocrate quand il concède la licence de juger les écrits des médecins rompus au métier : Je regarde comme une partie importante de l’art de la médecine l’habileté à porter un juste jugement sur ce qui est écrit. Celui qui en a la connaissance et qui sait en user ne commettra pas, à mon sens, de graves erreurs dans la pratique (fin du livre iii des Épidémies). {a} Aristote a émis un avis semblable au début du livre i sur les Parties des animaux et dans le chapitre i, livre i de l’Éthique. Chacun juge bien de ce qu’il connaît et son opinion a de la valeur. Avec l’assurance que ma main m’a procurée lors des multiples dissections que j’ai menées avec grand soin et labeur acharné, j’userai de ma propre autorité pour censurer et critiquer les anatomistes et leurs livres, {b} et je le ferai en toute modestie et avec due politesse, pour ne pas sembler cornicum oculos configere et instar laruæ cum mortuis luctari, {c} à la manière d’Archigène {d} qui disait de lui-même que, rendu plus prétentieux et véhément par l’âge, il se démenait contre certains auteurs pour les tourmenter et les irriter. Je ne citerai pourtant que les écrits des anatomistes dotés d’un solide entendement et d’une habile main qui ont consacré et le scalpel et la plume pour traiter de leur art].


  1. Chapitre 16 du livre indiqué, Littré Hip, volume 3, pages 101‑103.

  2. Mise en exergue des mots repris par Hyginus Thalassius.

  3. « crever les yeux des corneilles », c’est-à-dire « tordre le cou aux vieilles idées » (vnote Patin 2/1140) et « ressembler à un fantôme qui se bat contre les morts », c’est-à-dire « accabler les morts de mes malédictions » (autre adage antique commenté par Érasme, no 153).

  4. Médecin gréco-romain des ier et iie s., vnote Patin 2/1139.

13.

« à sa table d’école, après qu’il avait placé devant lui des masses de livres, fronçant les sourcils, contractant les narines, plissant le front, il déclamait contre chacun : on l’eût pris pour le critique Longin, {a} censeur de l’éloquence romaine, stigmatisant les autres à son gré et les excluant du sénat des savants » ; ce passage de Jérôme de Stridon, {b} (lettre cxxiv, au moine Rusticus, § 18) mérite une plus longue citation, avec mise en italique de ce qu’Hyginus Thalassius en a extrait : {c}

Nulli detrahas, nec in eo te sanctum putes si cæteros laceres. Accusamus sæpe quod facimus, et contra nosmetipsos diseti, in nostra vicia invehimur, muti de eloquentibus judicantes. Testudineo Grunnius incedebat ad loquendum gradu, et per intervalla quædam, vix pauca verba capebat, ut eum putares singultire, non proloqui. Et tamen cum mensa posita, librorum exposuisset struem, adducto supercilio, contractisque naribus, ac fronte rugata, duobus digitulis concrepabat, hoc signo ad audiendum discipulos provocans. tum nugas meras fundere, et adversum singulos declamare : criticum diceres esse Longinum, censoremque Romanæ facundiæ, notare quem vellet et de Senatu doctorum excludere.

« Ne dites de mal de personne, et ne vous regardez pas comme un saint parce que vous avez déchiré la réputation d’autrui. Nous critiquons souvent ce que nous faisons nous-mêmes ; diserts contre nous, nous nous déchaînons contre nos propres vices ; muets, nous faisons leur procès à ceux qui sont éloquents. Grunnius {d} avançait en parlant d’un pas de tortue, il accrochait à peine de loin en loin quelques rares paroles, et vous eussiez dit qu’il poussait des sanglots, au lieu de prononcer un discours. Mais, à sa table d’école, après qu’il avait placé devant lui des masses de livres, fronçant les sourcils, contractant les narines, plissant le front, il frappait avec deux doigts {e} pour appeler l’attention de ses disciples. Il répandait alors de pures inepties et déclamait contre chacun : on l’eût pris pour le critique Longin, pour le censeur de l’éloquence romaine, stigmatisant les autres à son gré et les excluant du sénat des savants. »


  1. Longin (Dionysius Cassius Longinus), rhéteur et critique littéraire du iiie s., est l’auteur supposé du Traité du Sublime (vnote Patin 2/756).

  2. Jean ii Riolan avait cité Jérôme de Stridon dans la préface de sa première Responsio à Jean Pecquet : v. infra note [21].

  3. Œuvres complètes de saint Jérôme, prêtre et docteur de l’Église, traduites en français par l’abbé Bareille (Paris, Louis Vivès, 1878, in‑8o, tome deuxième, page 245).

  4. Nom ironique dérivé de grunnire, « grogner comme un cochon ».

  5. Ou plus fidèlement, me semble-t-il, « il claquait des doigts ».

14.

« il a mérité la critique d’un anatomiste compétent », avec renvoi marginal d’Hyginus Thalassius à la Responsio de Jean ii Riolan, préface, page 139.

15.

« à passer le flambeau aux autres » : tout ce passage se réfère aux courses (pédestres ou équestres) qui se pratiquaient dans les cirques antiques.

16.

« Personne n’est par soi-même assez fort pour y réussir ; il faut que quelque autre nous tende la main, nous tire de l’abîme. Épicure parle de plusieurs personnages qui, sans aucune aide, sont parvenus à la sagesse, et il se cite, entre autres, comme s’étant lui-même frayé la voie. D’autres ont besoin d’aide : ce sont des hommes incapables de marcher si personne n’est là pour leur montrer la route, mais excellents pour suivre ; et, parmi eux, il nomme Métrodore. »

Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, début de l’épître citée :

Quid est hoc, Lucili, quod nos alio tendentes alio trahit et eo unde recedere cupimus impellit ? quid colluctatur cum animo nostro nec permittit nobis quicquam semel velle ? Fluctuamur inter varia consilia ; nihil libere volumus, nihil absolute, nihil semper. “ Stultitia ” inquis “ est cui nihil constat, nihil diu placet. ” Sed quomodo nos aut quando ab illa reuellemus ? Nemo per se satis valet ut emergat; oportet manum aliquis porrigat, aliquis educat. Quosdam ait Epicurus ad veritatem sine ullius adiutorio exisse, fecisse sibi ipsos viam ; hos maxime laudat quibus ex se impetus fuit, qui se ipsi protulerunt : quosdam indigere ope aliena, non ituros si nemo præcesserit, sed bene secuturos. Ex his Metrodorum ait esse ; egregium hoc quoque, sed secundæ sortis ingenium. Nos ex illa prima nota non sumus; bene nobiscum agitur, si in secundam recipimur. Ne hunc quidem contempseris hominem qui alieno beneficio esse salvus potest ; et hoc multum est, velle seruari.

« Quelle est donc, Lucilius, cette maligne influence qui nous détourne de ce que nous cherchons, et nous pousse vers ce que nous fuyons, qui, toujours aux prises avec notre âme, n’y souffre point de volonté fixe ? Nous flottons entre mille projets divers, nous ne savons rien vouloir librement, rien d’une manière absolue et immuable. “ C’est la folie, dites-vous, qui ne s’arrête à rien, à qui rien ne plaît longtemps ” ; mais quand, et comment nous en affranchir ? Personne n’est par soi-même assez fort pour y réussir ; il faut que quelque autre nous tende la main, nous tire de l’abîme. Épicure {a} parle de plusieurs personnages qui, sans aucune aide, sont parvenus à la sagesse, et il se cite, entre autres, comme s’étant lui-même frayé la voie. {b} Il donne les plus grands éloges à ces esprits vigoureux qui ne reçurent d’élan que d’eux-mêmes, qui d’eux-mêmes se sont produits. D’autres, selon lui, ont besoin d’aide : ce sont des hommes incapables de marcher si personne n’est là pour leur montrer la route, mais excellents pour suivre ; et, parmi eux, il nomme Métrodore. {c} Ce sont encore des esprits distingués, mais ils n’occupent que le second rang. Quant à nous deux, nous n’appartenons pas à la première catégorie ; que dis-je ? on nous traiterait avec faveur en nous admettant dans la seconde. Et qu’on se garde de mépriser celui qui peut être sauvé avec le secours d’autrui, car c’est déjà beaucoup que de vouloir être sauvé. » {d}


  1. Sénèque transmettait un des fragments qui nous sont parvenus de l’œuvre d’Épicure (iveiiie s. av. J.‑C., vnote Patin 9/60).

  2. Mise en exergue des passages empruntés par Hyginus Thalassius.

  3. Métrodore le Jeune, philosophe de Lampasque (en Troade) a été l’un des disciples et contemporains d’Épicure.

  4. Traduction de Charpentier et Lemaistre, 1860.

17.

Une note marginale d’Hyginius Thalassius renvoie aux passages de la première Responsio de Jean ii, où il a glané les quelques mots que j’ai laissés en latin :

18.

Hippocrate a plusieurs fois parlé de l’irascibilité (oxythymia) et de l’emportement, mais je n’ai pas trouvé où il en a fait un défaut des vieillards.

19.

La « lie des ans » ; Sénèque le Jeune, Lettres à Lucilius, épître cviii, § 26 :

Quemadmodum ex amphora primum quod est sincerissimum effluit, grauissimum quodque turbidumque subsidit, sic in ætate nostra quod est optimum in primo est. Id exhauriri aliis potius patimur, ut nobis fæcem reseruemus ?

[Comme le vin le plus clair est le premier à s’écouler de l’amphore, tandis que le plus épais, le plus trouble, reste au fond : ainsi la meilleure partie de notre vie s’échappe-t-elle la première, mais laisserions-nous d’autres la vider, pour ne nous réserver que la lie ?]

20.

Ioannis Riolani… Defensio, adversus Inquisitionem Pauli Marquardi Slegelii, Medici Hamburgensis, de Sanguinis motu [Défense de Jean Riolan… contre la recherche de Paul Markward Schlegel, médecin de Hambourg, sur le mouvement du sang], {a} à la fin de la préface (pages 230‑231), contre ses détracteurs :

Nec mihi nocebunt, vt spero, draconum exsibilantium venena, quoniam veris antidotis munitus ea facile discutiam. Interea moneo, post istam scriptionem non amplius me scripturus de Circulatione Sanguinis, quia vitæ summa breuis, spes non vetat inchoare longas, iam adeptus sum per Dei misericordiam septuagesimum secundum ætatis annum : nunc quiescere, honesto frui otio debeo, et colligere sarcinulas, assidue cogitando de profectione cælesti, et abitu ex hoc mundo, alteri Scripturæ Divinæ intentus, vt post decursum istius vitæ spatium Cælicolis adscriptus, æterna beatitudine fruar, quam suis Electis Iesvs Christvs pollicitus est.

[J’ai bon espoir que les venins des serpents ne me nuiront pas car, étant muni de véritables antidotes, je les dissiperai facilement. Cela dit, je préviens qu’après cet opuscule, je n’écrirai plus sur la circulation du sang car vitæ summa breuis, spes non vetat inchoare longas, {b} bien que, par la miséricorde de Dieu, j’en aie déjà atteint la soixante-douzième année. {c} Je dois maintenant jouir d’un honnête repos et trousser mon bagage, en méditant sans cesse sur mon voyage céleste et mon départ de ce monde, en direction de l’autre que dépeint la Sainte Écriture ; et après avoir quitté cette vie, inscrit sur la liste des célicoles, {d} je jouirai de la béatitude éternelle que Jésus-Christ a promise à ses élus].


  1. Opuscula antomica varia et nova [Opuscules anatomiques divers et nouveaux], Paris, 1652, (v. supra note [10]).

    Paul Markward Schlegel (Marquardus Slegelius), professeur de médecine à Iéna puis premier médecin de la ville de Hambourg en 1642, mort en février 1653, était un chaud défenseur de la circulation harvéenne : vnotes Patin 30 et 31/282

  2. « La vie est courte et nous interdit les longues espérances » : Horace, Odes, livre i, iv, vers 15.

  3. Riolan fournissait ici une précieuse indication sur son année de naissance (1580), que ses biographes situent le plus souvent en 1577 (vnote Patin 77/51, notule {a}).

    Il ne posa pas la plume car il publia en 1653 une autre édition de son Encheiridium anatomicum et pathologicum et ses Opuscula nova anatomica, dont maints passages traitent de la circulation sanguine ; il cessa néanmoins de s’en prendre nommément à William Harvey et à ses défenseurs (mis à part Jean Pecquet).

  4. Hyginus Thalassius se gaussait de Riolan qui voulait pompeusement se compter parmi les « habitants du ciel », c’est-à-dire du paradis, sans penser aux véritables célicoles (Cælicoli), ou « adorateurs du ciel » :

    « [Ils] professaient une hérésie qui tenait, à ce que l’on croit, du judaïsme et du paganisme. Ils pervertissaient le baptême, comme les donatistes, et il s’en trouvait principalement en Afrique. Honorius {i} fit ou confirma beaucoup de lois contre eux l’an 408, que l’on voit dans le Code théodosien {ii} sous le titre des Juifs ; c’est ce qui fait croire qu’ils judaïsaient au moins en quelque chose. Quelques auteurs en concluent que c’étaient des apostats qui, de la religion chrétienne, étaient passés dans le judaïsme. Ils appelaient leurs supérieurs Majeurs. » {iii}

    1. Vnote Patin 3/8154.

    2. Vnote Patin 10/736.

    3. L’Encyclopédie ajoute :

      « Les juifs avaient aussi été appelés célicoles parce que quelques-uns d’entre eux étant tombés dans l’idolâtrie du temps des Prophètes, ils adoraient les astres du ciel et les anges. C’est pour cela que saint Jérôme donne dans ce sentiment, étant consulté par Algasie sur le passage de saint Paul aux Colossiens (2:18), “ Que personne ne vous séduise, en affectant de paraître humble, par un culte superstitieux des anges ”, il répond que l’Apôtre veut parler de cette erreur des juifs, et prouve qu’elle était ancienne parmi eux et que les Prophètes l’avaient condamnée. Clément Alexandrin reproche les mêmes erreurs aux juifs ; et saint Épiphane dit que les pharisiens croyaient que les cieux étaient animés, et les considéraient comme le corps des anges. »

21.

Hyginus Thalassius reprenait, aux dépens de sa cible, une citation de Jérôme de Stridon que Jean ii Riolan avait employée pour dénoncer la monstruosité des idées de Jean Pecquet (v. note [19], préface de la première Responsio). Prêtre chrétien du iiie s., Vigilance de Calagurris (en Gaule aquitaine) avait connu saint Jérôme en Palestine avant de devenir un de ses farouches ennemis.

22.

Sénèque le Jeune, loc. cit. :

« Après notre temps, le peuple saura bien des choses que nous ignorons, les prochains siècles réservent maintes découvertes, quand le souvenir du nôtre aura disparu. Le monde serait peu de chose s’il ne fournissait matière aux recherches du monde entier. Certains secrets ne se révèlent pas en un jour : Éleusis les réserve à ceux qui reçoivent la seconde initiation. {a} La nature ne livre pas ses mystères une fois pour toutes, nous croyons être initiés, mais nous piétinons à sa porte. Ces secrets ne s’étalent pas à la la vue de tous, ni tous ensemble, ils sont cachés et enfouis à l’intérieur du sanctuaire. Ce siècle en a découvert certains, notre postérité en déterrera d’autres. »


  1. Vnote Patin 21/8062 pour Éleusis et ses mystères.

23.

Histoire naturelle de Pline l’Ancien, loc. cit. :

« le zèle à faire des découvertes [et] l’insigne générosité à nous les transmettre ! […] la munificence de la nature même des choses pourrait sans doute sembler avoir été surpassée si le génie humain avait façonné ce que nous admirons ; mais l’homme ne fait que découvrir ce que lui fait voir la divinité de la nature, car elle est mère de toutes choses, elle les a engendrées et nous a montré que rien n’est plus grand que le miracle de la vie. »


  1. Je n’ai pas repris la traduction d’Émile Littré (volume 2, page 225) car elle recourt à des références naturalistes qui lui étaient chères, mais qui ne sont pas dans le texte latin.

24.

Hyginus Thalassius continuait à exploiter la veine naturaliste en jouant avec le feu du déisme.

25.

Dans la précédente citation (v. supra note [24]), Pline parlait des patronymes qu’on a immortalisés en les liant au nom d’une plante médicinale bienfaisante, et Hyginus Thalassius remarquait l’adjectif « pecquétien » (Pecquetianus) que Jean ii Riolan a lié aux lactifères thoraciques pour honorer leur inventeur dans la préface de sa première Responsio (v. supra note [2]), ne putet me illi iniuriam facere, et istud inuentum obscurare velle, vel mihi arrogare, « afin qu’il ne pense pas que je lui fasse injure, ni que je veuille obscurcir sa découverte ou me l’arroger ».

26.

Une note marginale d’Hyginus Thalassius renvoie à deux passages de Sénèque le Jeune (traité sur la Colère).

27.

Une note marginale d’Hyginus Thallassius renvoie à deux articles du Codex justinien (vie s., vnote Patin 22/224) :

28.

Augustin d’Hippone, De la vraie Religion, chapitre lv, sur la foi qui commande à l’âme raisonnable d’obéir à Dieu :

Hoc etiam ipsos optimos Angellos, et excellentissima Dei ministeria velle credamus, ut unum cumipsis colamus Deum,, cujus contemplatione beati sunt. Neque enim et nos videndo Angelum beati sumus ; sed videndo veritatem, qua etiam ipsos diligimus Angelos, et his congratulamur.

« Oui, croyons-nous, les anges les plus élevés eux-mêmes, ceux qui remplissent près de Dieu les plus sublimes fonctions, veulent que nous adorions avec eux le même Dieu, dont la contemplation fait leur bonheur. Ce n’est, pas en effet, en voyant un ange que nous sommes heureux, mais bien en voyant la vérité qui nous fait aimer les anges et jouir de leur bonheur. » {a}


  1. Traduction de Péronne et al., 1873.

29.

Ovide, Métamorphoses, livre vi, vers 350 : « La nature n’a fait du Soleil et de l’air la propriété de personne » ; reproche de Junon à des paysans qui ne voulaient pas qu’elle se désaltérât en buvant l’eau de leur étang, et qu’elle punit en les transformant en grenouilles.

a.

Page 181, brevis destructio responsionis riolani, auctore hygino thalassio.

Brevis Destructio,
Sive litura Responsionis Riolani ad Ex-
perimenta nova Anatomica.

Scripta ad Iatrophilum Pecquetianum,
Auctore Hygino Thalassio Sangermano
.

Caput Primum.

Partam in Anatome gloriam obscurasse Riolanum,
contumelioso scribendi genere, quo non modo in
Pecquetum et Pecquetiani inventi laudato-
res ; sed in omnes sui ævi medicos peroravit
.

Iam triennium effluxit, Charissime
Iatrophile, à quo prodiit in lucem
Ioannis Pecqueti libellus de Chyli re-
ceptaculo hactenus incognito, ac vasis
lacteis nuper ab eo in thorace detectis ;
quod quidem opus cum sola sibi ex-
perientia vendicaret, quam nemo sanæ mentis abdi-
cat, si non Doctorum plausus, saltem faciles apud
ipsos aditus sperare poterat, cúmque tam candidè in-
ventum non contemnenti in Physica et Medicina

b.

Page 182, brevis destructio responsionis riolani, auctore hygino thalassio.

usûs, publici faceret juris, omnes calumniandi ansas
præcidisse videbatur ; ut tunc ominatus fuisset quis-
piam nullos fore nisi rebelles lumini, cæcósque vo-
luntarios, aut invidos ac superbos homeromastigas,
qui ipsum æqui bonique non consulerent. Nihilo-
minus D. Io. Riolanus, vir eruditissimus et in anato-
me maximi nominis, adversus hæc vasa chylifera, et
eorum observatores styli aciem strinxit, sed tam ira-
cundè atque hostiliter, ut in infames agyrtas, sicarios
ac furciferos, in civium capita et fortunas insidiosissi-
mè grassantes vehementiùs insurgere non potuisset.

Miraberis, Iatrophile, talem virum victuris sem-
per præstantissimi ingenij monimentis de republica
litteraria optimè meritum, propriâque et avitâ laude
inter litterarum heroas jam satis fulgentem, adhuc
alienâ obtrectatione scientiæ famam aucupari. Sed
difficilè natura vincitur, vixque serò faciles habet
mores ac domi quiescere potest, qui tota die in via
jurgia miscuit. Antiquum enim istud est et familiare
Riolano, velut quinquertio natus esset, omnes om-
nium gentium de Anatome scriptores in certamen
vocare, omnes data operâ insectari, ac Romanorum
more bella bellis serendo, ita forsan omnium Princi-
patum ambire. Non hîc, Iatrophile, neque alibi, Deo
mutuante, mea laborabit fides. Consule, si placet, in
magno Anthropographiæ volumine solos librorum
titulos, vel capitum indices, statim et primâ fron-
te occurret summo iure ab eo animadversum fuisse
in Laurentium, Bauhinum, Spigelium, Bartholinum,
Hofmannum, Veslingium, Parisanum : pugnatum quo-
que acriùs in Harveum, Valleum, Conringium, Car-
tesium
, Plempium, Leichnerum, Cornelium ab Hoge-

c.

Page 183, brevis destructio responsionis riolani, auctore hygino thalassio.

lande, Regium, Licetum ; ut omittam severissimum
iudicium de cæterorum anatomicorum scriptis,
in quo pauci et quos æquus amavit Iupiter Theo-
ninum dentem effugêre. {a} Nec in ultimo editis opu-
sculis anathomiciis {b} variis et novis deferbuit in se-
ptuagenario digladiandi cupido, ibi iterùm ac tertiò
Harveo mota lis. Dein Highmoro, Gassendo, Pecqueto,
Guiffarto, Slegelio, Bartholino. Sic Hannibal non de-
siit senex bellum {c} quærere, adeò sine hoste esse non
poterat, inquit Seneca. Ac unusquisque, ait Riola-
nus
, {d} bene judicat ea quæ novit, hac fiduciâ in libros
et Authores anatomicos censuræ et animadversionis
authoritatem usurpat. Solus ergo sapit, solus benè
judicat Riolanus, qui solus hoc ævo id contra omnes
aggressus est. Quasi vero tot celeberrimi viri in quos
velut princeps pro tribunali sedens animadvertit,
anatomes forent ignari. Ita D. Hieronimus {e} de quo-
dam, qui cum mensâ posita librorum exposuisset
struem, adducto supercilio, contractisque naribus ac
fronte, rugatâ adversum singulos declamabat ; dice-
res, inquit, criticum esse Longinum, Censorémque
Romanæ facundiæ notare quem vellet et de Sena-
tu Doctorum excludere.

At verò erravit Pecquetus superbus juvenis in-
vium, et præruptum naturæ iter temerario ausu con-
scendens ; ideóque periti anatomici (solius scilicet
Riolani) censuram meruit. {f} Sed quis vellicando ac mor-
dendo erranti viam monstrat ? nonne istud alie-
num est à Christianis moribus, ab omni Philosophia,
et ab ipsis societatis humanæ officiis ? Num pulchrius
fuisset triumphali seni, in circi spina sedenti, curri-
culum ingressis aut voce aut nutu favere, vel defa-


  1. Note marginale : Anthropograph. l. i. c. 6.

  2. Sic pour : anatomicis (errata).

  3. Sic pour : senex omnibus angulis bellum (errata).

  4. Note marginale : Ibidem.

  5. Sic pour : Hieronymus (errata).

  6. Note marginale : Resp. Riol. pag. 139.

d.

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tigato, quemadmodum in Prometheis ludis fieri
amabat, vicissim ac datatim, aliis lampadem tradere,
dum ventum foret ad metas ; quam sannis et convi-
viis novos stadiodromos à currendo revocare ? num
honestius gloriæ fastigium in anatome consecuto,
porrectâ dextrâ generosos sursum nitentium juvare
conatus, quam maledictis, velut devolutis è cacumi-
ne saxis, eos, si quid valuisset impetus, in præceps
retro dejicere. Nemo per se satis valet ut emergat, in-
quit Seneca Epist. 52. oportet manum aliquis porri-
gat, aliquis educat. Quosdam ait Epicurus ad verita-
tem sine ullius adjutorio contendere, ex iis se fecisse
sibi ipsum viam, quosdam indigere ope alienâ, non
ituros si nemo præcesserit, sed bene secuturos, ex his
Metrodorum ait esse. Nos ex illa prima nota non su-
mus : bene nobiscum agitur si in hanc secundam reci-
pimur. Dicat jam Riolanus an juvandi studio Pec-
queto
manum porrexerit ? cùm non modo ipsi falsissi-
mam et insolentissimam doctrinam, nec non infini-
tos errores exprobrat ; sed hunc præterea ut insanum,
ut hostem humani generis ac Medicinæ eversorem,
insolentiorem libris Helmontij, {a} ut perniciosi ac
detestabilis paradoxi Authorem traducit, cujus fau-
tores et approbatores facit duos è schola Parisiensi
doctores collegas suos, quos ita si posset, æterno
mortalium odio devovendos summa cum injuria
exponeret. Si minxisset Pecquetus in patrios ci-
neres, si docuisset violare fontes venenis, aut pesti-
lentiam manu facere, quo alio quam monstri, quam
portenti, quam detestandi, facinorosi et perniciosi
nomine damnari potuisset ?

Verùm Senes οξυθυμια laborant, inquit Hippocra-


  1. Note marginale : Resp. Riol. pag. 138. et 139. 154 P. 176.

e.

Page 185, brevis destructio responsionis riolani, auctore hygino thalassio.

tes, ut vinum in fundo mixturâ fœcis acescit, sic
Senectute quæ fœx ætatis vocatur à Seneca, cujus
etiam non ineptè vappa dici potest, acrior et impo-
tentior ira gignitur. Sanctiùs tamen à tam virulentis
et tam atrocibus verbis sibi temperasset Senex de cœ-
lesti profectione assiduè cogitans, ac brevi ut ipse
scribit in opuscul. adversus Slegel. pag. 231. cœlicolis
ascribendus. Ac quandoquidem Scripturiis Divinis
nunc se intentum scribit, si seriò expendisset hoc
Christi Domini præceptum Math. c. 5. v. 22. omnis
qui irascitur fratri suo, reus erit iudicio ; qui autem
dixerit fatue, reus erit gehennæ ignis, num postea
turpissimam ignominiæ notam viris innocuis, imò de
ipso honorificentissimè locutis inurere voluisset ?
num in Galliæ dedecus, quæ sola monstra non habuit,
quod Divus Hieronymus in impium Vigilantium et
sacrilegum hæreticum justè torserat, ipsis aptasset ?

Porro novum crimen et ante hunc diem inauditum
commisêre : valuêre siquidem oculorum acie, inspe-
xere diligenter vasa quædam chyli arcana, reducta
huc usque et interiore naturæ sacrario clausa, quæ
illa hujusce sæculi, artium inventis clarissimi ac fœ-
cundissimi notitiæ reseruarat. Multa siquidem, in-
quit Seneca quæst natur. l. 7. c. 31. venientis ævi po-
pulus ignota nobis sciet, multa sæculis tunc futuris
cùm memoria nostri exoleverit reservantur. Pusilla
res mundus est, nisi in ipso quod quærat omnis mun-
dus habeat, non semel quædam sacra traduntur.
Eleusis servat quod ostendat revisentibus rerum na-
tura sacra sua non simul {a} tradit, initiatos nos credi-
mus, adhuc in vestibulo hæremus ; illa arcana non


  1. Sic pour : semel.

f.

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promiscuè nec omnibus patent reducta et exteriore
sacrario clausa sunt, ex quibus aliud hæc ætas, aliud
quæ post nos subibit, aspiciet. Hinc patet aliquid hu-
jus sæculi gloriæ detraxisse Riolanum, cum Pecqueti in-
ventum ejusque observationes tam iniquè lacessivit :
quantùm ille recessit à grato antiquitatis animo quæ
adoravit priscorum in inveniendo curam, in tradendo
benignitatem, quæ putavit haud dubiè superatam hoc
modo videri posse rerum naturæ ipsius munificen-
tiam, si humani operis esset inventio : sed eam divi-
nam apparere, etiam cum homo inveniret, eandém-
que omnium parentem et genuisse hæc et ostendisse
nullo vitæ miraculo majore. Hæc Plinius l. 27. c. 1.
De herbarum inventoribus ; sed, quæ præclarè ana-
tomicis inventis conveniunt. Non enim minùs est
novas venas invenire quàm herbas, atque anatomes
utilitas non cedit herbarum gloriæ si eam non ante-
cedit. Veneror inquit Seneca espist. 64. inventa sa-
pientiæ, inventoresque adire tanquam multorum
hæreditatem juvat. Et singula quosdam inventa
deorum numero addidere, omnium utique vitam
clariorem fecere cognominibus, tam benigne gra-
tiam memoriâ referente.

At verò hanc gratiam (inquies) mirè retulit Rio-
lanus
, cum canales chyli Thoracicos Pecquetianos ab in-
ventore nominavit : quoniam autem is verum sui in-
venti usum ignoravit, ideò castigavit asperiùs juve-
nem senex : imò discere debebat à Seneca severissimo
sapientiæ magistro mollioribus verbis ingenia esse
curanda, quia homine nihil mitius, nihil amantius. {b}
Illud (inquit) {c} potiùs cogitabis non esse irascendum
erroribus quid enim si quis irascitur in tenebris pa-


  1. Note marginale : Plin. l. 25. c. 1. hist. nat.

  2. Note marginale : L. 1. de ira c. 5 (sic pour : c. 6).

  3. Note marginale : L. 2. de ira c. 9 (sic pour : c. 10).

g.

Page 187, brevis destructio responsionis riolani, auctore hygino thalassio.

rum vestigia certa ponentibus ? quid si illis irasci velis
qui ægrotant, senescunt, fatigantur ? Pecquetum verò
per contemptum puerum vocat. Num quis autem
irascitur pueris, quorum ætas nondum novit rerum
discrimina ? maior est excusatio et justior hominem
esse quàm puerum. {a} Præceptoris enim nimia sævitia culpæ assi-
gnatur, inquit Paulus. Iudex etiam omni affectu ca-
rere debet, et si id supra hominem videatur, nunc ne
vultu quidem animi motum detegere decet. L. Ob-
servandum ff. de offic. præsid
. Quis igitur judicem fe-
rat accusatorem fieri, et quod indignius est, delato-
rem criminis venire cujus ipse manifestior reus est : Si
quidem dum totus est in reprehendo Riolanus,
non caret reprehensione, labenti similem cadens in-
crepat, pericula dum inferre cupit ipse non cavens,
ac tremulâ manu ferro et igne nævos emaculans.
Finxit verò opinionum portenta ne deesset pugnæ
materia, quâ φιλοπτολεμος {b} mentem auidiùs pasceret ;
neve absque aliqua recti specie in Pecquetum sæviisse
videretur. At nihil argumentis, quibus novas Chyli
semitas exagitat infirmius, nihil inconstantius, qui-
bus Collegarum quos impetiit neminem respondisse
existimo, quoniam se ipsum satis superque refutavit.
Egregiè quidem lacteas thoracicas deffendit {c} doctissi-
mus Bartholinus, nec minus strenuè nunc earum cau-
sam agit ingeniosissimus Pecquetus, ut postmodum super-
vacanea foret novi cujuspiam ac longioris operis ac-
cessio. Itaque quidquid in Riolani responsione illi in-
tactum reliquere {d} hisce aliquot capitum brevibus litu-
ris emendare, institui ac expungere, non quidem ani-
mi fiduciâ, sed causæ : neque ut authoris inter anato-


  1. Note marginale : L. sed etsi §. ad legem aquil.

  2. Variante de φιλοπολεμος.

  3. Sic pour : defendit.
  4. Sic pour : relinquere.

h.

Page 188, brevis destructio responsionis riolani, auctore hygino thalassio.

micos spectantissimi luminibus obstruam, sed ut veri-
tatis lucem, cujus gaudio, ex D. Augustino, beati su-
mus, quantum in me est suffocari non patiar. Etenim
non solem proprium natura nec aëra fecit, nec veritas
ad privatos et eruditiores solùm spectat, sed commu-
ne mortalium bonum est, et universalis hæreditas,
quam semper et vbique pro datâ sibi à Deo patre lu-
minum facultate, tueri nemo non tenetur.


Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Hyginus Thalassius (1654), alias Pierre De Mercenne, Brevis Destructio de la première Responsio (1652) de Jean ii Riolan : chapitre i

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(Consulté le 09/12/2025)

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