Texte
Lettres de soutien
adressées à Jean Pecquet :
Jacques Mentel (1651,
modifiée en 1654)  >

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Ad Ioan.
Pecquetum
Diepæum
Doct. Med. Monspeliensem,
Gratulatoriæ
clarissimorum virorum
cum prius editæ, sed auctiores,
tum recens additæ,

De novo Chylosi receptaculi et lacteorum
per Thoracem vasculorum invento,
Epistolæ.
 [1]

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Lettre de l’excellent M. Jacques Mentel, docteur en médecine de Paris, à Jean Pecquet, savant docteur en médecine et remarquable anatomiste : sur (sa propre observation) du réservoir du chyle, qui a récemment été découvert ou redécouvert, et des veines qui en sortent et se dirigent vers le haut.
Contenant en outre la description succincte d’une inversion des viscères internes qui a été observée sur un cadavre disséqué à Paris à la fin de l’année 1650
[1][2]

En ce siècle où une guerre s’est déclarée contre la vertu et les arts, et où d’aucuns tiennent un monceau d’or pour presque plus beau que tout ce qu’ont dit les auteurs grecs ou romains pleins de sagesse, [2][3][4] je me réjouis profondément et très sincèrement de remarquer, cher Pecquet, que vous vous appliquiez néanmoins avec grande ardeur à l’une comme aux autres. À cet âge où quantité de gens, plongés dans une honteuse oisiveté, ou livrés et asservis à des vices plus graves encore, perdent leur temps, vous consacrez entièrement le vôtre à de louables expériences et à de nobles recherches. Dans cette dissolution des mœurs et des belles-lettres, [Page 142 | LAT | IMG] j’ai eu vent de la querelle en question ; elle existe certes dans tous les pays, mais les Français ne peuvent nier qu’elle ait jamais été plus fondée maintenant et nulle part ailleurs que chez eux. J’y apporte donc ma contribution, très brillant jeune homme, afin de vous louer, de vanter et honorer ce que vous avez accompli pour retarder les fatalités de ce temps, et afin d’en propager la gloire, comme font déjà certains étrangers dont les découvertes ont fait avancer l’anatomie. Mon intention est aussi que les vôtres ne leur soient pas injustement attribuées, non plus qu’à ceux qui vous ont précédé. Nous leur en devons de nombreuses et de très brillantes, et sans leur acharnement à contredire et leur jalousie (auxquelles les savants esprits ne se laissent certes pas toujours aller), je ne doute pas que ceux qui les ont immédiatement suivis leur en auraient dû de nombreuses. Les plus belles ont principalement touché à ce dont l’existence nous avait échappé jusqu’à ce siècle : je veux parler de ces petits conduits ou ruisseaux qui sont dispersés dans tout le mésentère[5] mais distincts de ses veines sanguines, [6] et que Gaspare Aselli, [7] anatomiste de Pavie, a découverts voilà trente ans ; et peu après lui, dans le très élégant livre qu’il a publié, le célèbre médecin londonien William Harvey [8] a le premier décrit et établi les communications réciproques des artères et des veines, et le mouvement circulaire du sang. [3] J’y ajoute une troisième découverte, incontestablement beaucoup plus admirable encore, dont je vais maintenant vous entretenir, parce qu’elle devrait être unanimement reconnue comme un progrès dans la connaissance de l’économie naturelle. Vous l’avez récemment mise au jour, grâce à votre labeur sans relâche et à votre incroyable ingéniosité, et en avez depuis peu fait la très obligeante démonstration à vos amis. Ce n’est rien de moins que le réservoir du chyle le mieux épuré, qui est comme le bassin où se réunissent et pénètrent ces rigoles ou veines qu’on a coutume d’appeler lactées. [9] Cela manquait indubitablement aux deux susdites découvertes, celle d’Aselli, qui en a été comme la Coronis, [10] [Page 143 | LAT | IMG] et celle de Harvey, qui en a véritablement été le fondateur ; et vous, nouveau venu, pour le grand profit de la médecine, par la vivacité tout à fait admirable de votre esprit, vous avez d’abord flairé puis, par votre non moindre sagacité, trouvé ce qui couronne et étend leurs travaux. [4] Vous nous montrez du doigt non seulement que ces canaux cheminent depuis leurs origines jusqu’à leur confluence, mais aussi qu’ils sont à l’origine de la formation du sang et du fructueux mouvement des sucs dans le corps ; et vous tirez cette vérité de l’anatomie thoracique,

————— Pecudumque reclusis
Pectoribus inhians, spirantia consulis Exta
[5][11][12]

Vos dissections imitent fidèlement Démocrite puisant dans son puits, [13] avec une assiduité que même Hippocrate [14] a recommandée, mais vous le dépassez de très loin dans ce domaine, car votre but et votre zèle y ont été aussi brillants que ceux de l’Abdéritain [15] ont jadis été obscurs : tout ce que nous savons de lui n’est-il pas en effet que l’art ne doit pas se limiter à examiner les excréments ? Le maître de Cos [16] a trouvé que la folie vient des parties où le sang est échauffé et qu’il faut en rechercher les sièges ; mais vous avez, au contraire, transpiré pour mettre au jour les sources des humeurs nourricières et vitales. [6] Τι περι μανιης γραφω αλλο, (répondait Démocrite à Hippocrate qui l’interrogeait sur la folie) πλην ειτις τε ειη, οκως ανθρωποις εγγινεται. και τινα τροπον απολοφεοιτο. τα τε γαρ ζωα ταυτα οκοσα, εφη ορης τουτεου μεν τοι γε ανατεμνω ενεκα, ου μισεων Θεου εργα. χολης δε διζημενος φυσιν, και θεσιν. οισθα γαρ ανθρωπων παρα κοπης ως αιτιη επιτοπολυ αυτη πλεονασασαι, επε παση μεν φυσει ενυπαρκχει. αλλα παρ οις μεν ελαττον, παρ οις δε τι πλεον. η δ’ αμετριη αυτεης, νουσοι τυγχανουσιν, ως υλης, οτε [Page 144 | LAT | IMG] μεν αγαθης, οτε δε φαυλης υποκειμενης, « Qu’écrirais-je autre chose que sur sa nature, sur ses causes et sur les moyens de la soulager ? Les animaux que tu vois ici ouverts, je les ouvre, non pas que je haïsse les œuvres de la divinité, mais parce que je cherche la nature et le siège de la bile ; car tu le sais, elle est d’ordinaire, quand elle surabonde, la cause de la folie ; sans doute elle existe chez tous naturellement, mais elle est plus ou moins abondante en chacun ; quand elle est en excès, les maladies surviennent, et c’est une substance tantôt bonne, tantôt mauvaise. ». [7][17] Sur quoi Hippocrate conclut : αλληθεως γε και φροινμως λεγεις. [8] Tout cela prouve et nous apprend avant tout que les deux plus éminents philosophes et médecins de l’Antiquité, Hippocrate et Démocrite, sont parvenus à une connaissance très approfondie du corps humain et que nous avons voulu suivre leur exemple grâce à la dissection de toutes sortes de bêtes. Nous avons depuis admis ce qu’Aristote puis Galien ont observé grâce à elle, mais surtout grâce à la dissection du corps humain. De très nombreux livres qu’ils en ont écrits ont malheureusement disparu, et pourquoi suivrais-je leurs pas plutôt que ceux des auteurs de tous pays qui se sont acquis une grande réputation en la matière ? Contentons-nous de deux très sages lecteurs du Collège royal de France, [18] en les tenant pour dignes de mémoire éternelle. Je veux parler de Sylvius [19] au siècle précédent, et Jean Riolan au nôtre, qui est présentement le plus ancien maître de notre Compagnie : [20] bon Dieu, quels hommes et quels éminents professeurs d’anatomie ! Pour le profit des siècles à venir, afin que rien ne demeure tapi dans les corps des animaux, ils ont embelli cette Sparte avec le plus grand zèle et fréquemment pratiqué l’aruspicine. [9][21] Les parties des bêtes, [Page 145 | LAT | IMG] en particulier leurs viscères (car je ne m’attarderai pas sur le reste), ressemblent de si près aux nôtres qu’il est opportun de leur appliquer notre méthode de remédier ; si bien que nul ne nous objectera qu’existe une différence rédhibitoire entre ceux des bipèdes et des quadrupèdes. Comme eux, nous avons pourtant si longtemps fixé nos regards au ras du sol que la nouveauté de ce que vous avez découvert nous interpelle et nous invite à nous demander si elle existe aussi dans nos propres corps. En disséquant, nous voyons tous les jours des curiosités qui s’écartent de l’ordre normal de la nature [10] et plongent les ignorants dans la stupeur, sans jamais surprendre les gens d’expérience : nul être instruit en philosophie et en médecine n’a jamais été étonné qu’il arrive à la nature de produire παρεκβασεις, και τα τοιαυτα ως τερατα κρινεται : [11][22] il n’est certes pas rare qu’en variant le cours des principes et des causes originelles, elle se fourvoie et s’amuse à bouleverser les règles, comme pour nous inciter à contempler la beauté de l’univers. « Voilà donc pourquoi les hommes s’étonnent », dit Corn. Gemma, [23] dans le chapitre 6, livre i des Cosmocritices[12] « quand se présente parfois (comme nous l’avons observé au cours de plusieurs anatomies) une disposition inhabituelle [13] des organes, comme le foie placé dans l’hypocondre gauche, et la rate dans le droit, [14][24] ou la présence de deux rates [25] ou encore de quatre reins, d’un utérus ressemblant à une éponge molle et distendue, ou dont le col est parfois entièrement osseux ; j’ai aussi vu le foie divisé en plusieurs lobes jusqu’à son sommet, comme celui des porcs ou des chiens, et les vertèbres de l’épine soudées en une seule colonne osseuse continue. Des plantes, d’autres animaux et des métaux présentent aussi leurs propres étrangetés, qui ne sont pas à tenir pour des présages infidèles des événements futurs, car tu trouveras qu’y est bien souvent dépeint à dessein, comme par une divine main, ce qu’un avenir lointain découvrira. Tu verras ainsi les pierres parler aux bêtes, quand les hommes se taisent ; tu trouveras parfois, en examinant les entrailles d’un corps, qu’y est sculptée la figure d’un mort, d’une croix ou de quelque [Page 146 | LAT | IMG] autre chose ; et en disséquant des animaux, tu observeras qu’ils sursautent soudainement bien qu’ils n’aient plus ni cœur ni cervelle. » Maints exemples de ce genre se lisent ici et là chez les bons auteurs, surtout sur l’inversion des organes thoraciques et abdominaux : Aristote rapporte l’avoir très souvent observée chez de nombreux animaux, ce qu’ont confirmé Hérophile [26] et Galien [27] après lui, qui l’ont même remarquée chez quelques humains. Au chapitre viii, livre vi De anatomicis administrationibus, Galien écrit : προς τουτοις ολιγων μεν επι ανθρωπων ουκ ολιγων δ’ επ’ αλλων ζωων επιλαμβανειν αυτο τι των αριστερων μερων αληθως Ηηροφιλος, εν αυτω τουτω τω βιβλιω τω δευερω των αναομικων ; c’est-à-dire : « Dans son 5e livre De consectionibus, Hérophile a positivement affirmé que chez peu d’hommes, mais chez un plus grand nombre d’animaux, le foie est placé à gauche. » [15][28] Cela n’est ni insolite ni inédit, comme en attestent les livres et, semble-t-il, ce que nous avons observé une fois à Paris voilà quelques mois sur le cadavre d’un homme robuste, qui y avait été condamné à mort pour expier un crime épouvantable et exécuté, à l’endroit de cette ville qu’on appelle Platea de Emporio[16][29] Nous avons tout d’abord observé ces deux canaux (qui tirent leur nom de l’ombilic) dont l’homme conserve les grossiers vestiges : celui qui avait été une veine, [30] durant la vie utérine du fœtus, était dirigé vers la gauche, pour s’insinuer et attacher dans la fissure qui est creusée dans cette partie du foie ; les artères, [31] au contraire, se dirigeaient à droite, vers le cœur. [17] La position de l’estomac était elle aussi inversée, de sorte que son orifice supérieur, où parvient l’œsophage [32] était situé à droite, et le pylore[33] son orifice inférieur, à gauche, mais se continuait (prolongement que [Page 147 | LAT | IMG] certains autres appellent douzedoitier) vers la droite en passant par dessus le pancréas, mais sans s’enrouler autour de lui comme on aime à le voir communément. [18][34] S’y insérait (ce qui mérite d’être remarqué) le canal assez luisant qu’a récemment découvert Wirsung, anatomiste italien de grand renom, et qui, sortant du foie près de la veine porte, pénètre dans le pancréas. [19][35] Sous l’hypocondre droit, du côté opposé au foie, se tenait la rate. De la même façon, l’enchevêtrement des intestins était inversé, en sorte que leur appendice, qu’on appelle cæcum, et l’origine du côlon se tenaient à gauche. [36] Au-dessous des intestins rampaient les gros vaisseaux, qui sont comme les fleuves du microcosme : veine cave et aorte, [37][38] dont les positions étaient pareillement inversées, et la veine spermatique droite gagnait la veine rénale du même côté, et la gauche, la cave. [20][39][40] Après avoir soigneusement examiné l’épigastre et les intestins, nous montâmes dans le thorax pour palper et scruter la structure des poumons, qui différait de la normale en ce que le nombre des lobes était plus grand dans le gauche que dans le droit, sous lequel était logé le cœur. Sa base était derrière le sternum, qu’elle débordait sur la gauche, alors qu’elle le fait ordinairement sur la droite ; la pointe de son cône atteignait la paroi thoracique sous le mamelon droit. [41] Toutes les κοιλιας ou cavités (que certains appellent, non sans bon sens, les diribitoria[21] étaient en position inversée : le veineux, qui est normalement à droite, était à gauche et l’artérieux, à droite. Du côté gauche, où parvenait la veine cave, [42] qui est [Page 148 | LAT | IMG] la source de la chaleur et de la vie, émergeait une veine solitaire, dirigée un peu vers le haut et dépourvue de toute compagne. [22][43] En rapports asymétriques avec l’aorte, les nerfs récurrents se dirigent vers le cou ; mais étant donné la distribution inhabituelle des parties, nous avons ici observé que l’anse du droit passait sous la crosse de l’aorte et celle du gauche, sous l’artère axillaire. [23][44] Bien qu’inversée, la structure du corps humain obéit à un ordonnancement fixe, ce qui atteste qu’il n’a pu être créé que par une âme rationnelle. Là n’est pas le seul rapport connu de situs inversus des viscères, tel que les curieux l’ont récemment observé chez nous, ainsi que nous l’apprend le très savant Riolan, sur la fin de ses Opera anatomica, de la dernière édition, quand il traite de Observationibus raris et où il en cite deux autres cas. [24] En outre, à la mode pyrrhonienne, [45] ledit ancien se demande, aussi facétieusement que doctement « si n’existerait pas une inversion des parties cachées chez ceux dont le cœur bat près du mamelon droit ? » Voilà bien ce que je croirais volontiers, impressionné que je suis par l’exemple du conseiller de Rouen, auquel se réfère la plus grande partie de ces précédentes descriptions. [25] Dans sa Méthode pour remédier (qui mêle l’expérience au raisonnement), Galien a-t-il pourtant présenté un moyen de corriger les maladies qui affectent ainsi la constitution interne de l’homme ? [26][46] Pas le moins du monde. Il ne faut pas craindre que des faits extraordinaires n’égarent certains praticiens de notre art, hormis quand leur relation émane de médecins mal avisés dont, n’en déplaise aux dieux, la pratique joint l’audace à l’inexpérience, et l’ignorance à la témérité et, au grand dam des malades, à la volonté de nuire. Les actions des parties du corps que lèsent les maladies et que le médecin est amené à rétablir ne se font en effet pas différemment quand les organes sont disposés de travers, car ils se comportent selon l’ordre de [Page 149 | LAT | IMG] la nature. Il ne faut donc pas sortir de la méthode ordinaire de soigner, comme a dit Galien à la fin de son traité de Locis affectis : [47] ει γε τας ενεργειας εκ της των μοριων οικειας ουσιας, ουτι ετι της θεσεως ευλογον εστι γινεσθαι, και την τε καρδιαν, ει και κατ’ αλλο τι μερος εκειτο την αυ την ενεργειαν εχειν ηπαρ τε και σπληνα και τα αλλα παντα, « il est raisonnable de penser que les actions des parties sont liées à leur essence propre, et non à leur position ; s’il était placé en quelque autre endroit du corps, le cœur conserverait néanmoins sa fonction, et on peut en dire autant du foie, de la rate et de tous les autres organes. » [27] Les aberrations et caprices de la nature, qu’ils soient de cette sorte ou d’une autre, n’ont donc guère lieu de plonger les gens instruits dans l’admiration et l’étonnement. Iteratis ce qu’Ovide appelle les humanis visibus[28][48] vous en avez, cher Pecquet, dévoilé beaucoup, et j’ai aussi contemplé tout cela en disséquant les entrailles d’animaux qui vivaient et respiraient encore : [49] en empruntant ces veines que nous disons lactées, en raison de la blancheur du lait (et dont, après Hérophile, Galien semble avoir parlé au chapitre xix, livre iv de Usu partium), [29][50] le chyle, purgé et pur de toute ordure, ne gagne pas le foie par la veine porte et ne pénètre pas dans son parenchyme [51] pour produire le sang, comme on l’a pensé jusqu’ici, mais il s’écoule vers un confluent placé à la racine du mésentère. En l’an 1629, quand j’œuvrais dans les caves des Écoles, investi de la charge dite d’archidiacre, [52] et disséquais l’abdomen d’un molosse à la recherche des veines lactées, je me rappelle les avoir vues et bien montrées au groupe choisi de jeunes philiatres qui étaient là présents ; mais accaparé par des affaires plus pressantes, j’en ai remis la publication à plus tard. [30][53] [Page 150 | LAT | IMG] Depuis ce détroit, le chyle s’insinue dans des canaux dirigés vers le haut (quand ils ne se réunissent pas en chemin), qui passent derrière le foie, le diaphragme et tous les viscères du thorax, pour monter jusqu’aux branches subclavières de la grande veine, [54] dans laquelle leur contenu s’écoule au travers d’orifices ; puis se mélangeant au sang, mais en conservant sa forme, il emprunte ladite veine pour se rendre dans le ventricule droit du cœur ; de là, il se rue sans tarder dans les poumons en passant par la veine artérieuse[55] et en sort ensuite par l’artère veineuse [56] pour parvenir dans le ventricule gauche, source des artères. Il s’ensuit clairement, au témoignage d’Ephesius, [57] commentateur des livres Sur les parties des animaux, qu’il reçoit la totalité du sang et qu’à lui seul est donc conférée la faculté de nourrir. [31][58]

Tout sectateur de l’opinion admise et répandue depuis des siècles rétorquera pourtant : à quoi le foie sert-il alors, et faut-il penser que la nature l’a créé pour ne servir à rien ? Je ne le crois pas car une fonction propre est attribuée à chaque partie du corps ; celle du foie n’est pourtant pas d’assurer l’hématose[59] qui n’appartient qu’au cœur : [60][61] αυτη γαρ εστιν αρχη και πηγη του αιματος, η υποδοχη πρωτη, dit Aristote, « c’est lui qui est le principe et la source du sang, ou, si l’on veut, son premier réceptacle ». [31] Au foie incombe pourtant la charge d’aider l’estomac à digérer les aliments que nous avalons, comme en les étreignant de son affectueuse chaleur ; mais il a surtout celle d’extraire du sang, qu’il reçoit par les portes du foie, l’humeur bilieuse et âcre, de la cracher dans la vésicule, qui est couchée au-dessous de lui ; laquelle, pour obéir aux exigences de la nature, l’envoie dans les intestins par le canal cholédoque, ou par celui que les auteurs modernes appellent hépatique, parce qu’il a son origine dans le foie. [32][62][63][64][65] En adoptant un point de vue opposé, [Page 151 | LAT | IMG] Galien s’est montré plus empressé à contrer Aristote qu’à chercher la vérité. Il n’a pas exploré les parties qui conduisent le chyme ailleurs que dans le foie, et a recouru à des arguments bien légers pour prétendre qu’il est facile de conclure que της αιματωσεως πρωτον οργανον ηπαρ, και αρχη των φλεβων, et qu’à cette fin, αναφερεσθαι τον χυλον εκ της κοιλιας εις αυτο δια των φλεβων, c’est-à-dire « le chyle lui est transmis par les veines depuis l’estomac ». [33][66] Ainsi en va-t-il de ce qu’on a dit jusqu’à présent :

Mulciber in Trojam, pro Troja staret Apollo[34][67][68]

Par vos nouvelles idées, qui diffèrent de celles qui prévalent en notre siècle, vous avez tranché, cher Pecquet, le nœud de la dispute. Comme si l’esprit du chef des péripatéticiens, [69] dont le mérite est d’avoir pénétré l’immensité de la nature, était venu habiter le vôtre, vous avez prouvé, par ce qu’ont perçu vos sens et par votre raisonnement, que : le cœur est l’officine du mouvement du sang et son premier sommelier ; c’est lui et non le foie que desservent les canaux blancs qui transportent le chyle épuré ; et tous se ruent tout droit et terminent leur course dans un réservoir unique que la nature a disposé à la racine du mésentère. Tous mes compliments pour cette illumination, très clairvoyant jeune homme, et pour votre compréhension inouïe de ce que l’anatomie avait de mieux caché ! [35][70] Tous mes compliments, dis-je, et continuez à vous consacrer ainsi au service de la vérité ! Vale. De Paris, le 13e de février 1651.


1.

« Lettres de soutien que des hommes très distingués ont adressées à Jean Pecquet, docteur en médecine de Montpellier, natif de Dieppe, sur sa découverte du réservoir du chyle et des vaisseaux lactés qui parcourent le thorax ; lesquelles ont été soit précédemment publiées, mais augmentées, soit nouvellement ajoutées. »

Déjà publiée en 1651, mais modifiée ensuite, celle-ci est la première des quatre qui sont imprimées dans le livre de Pecquet (édition de 1654). Elle répondait à une lettre de Pecquet à Jacques Mentel, datée du 2 août 1650, dont je n’ai pas trouvé la trace, mais qui est mentionnée dans la première partie du Clypeus : v. sa note [14].

Les notes signalent les modifications que Mentel a apportées à sa lettre dans la réédition de 1654.

2.

En février 1651, date de cette lettre de Jacques Mentel, et à Paris, le mot guerre (bellum) s’appliquait à deux violents conflits : la guerre civile (Fronde) mettait le pouvoir royal en grave danger avec le premier exil de Mazarin et la rébellion des princes tout juste libérés de leur emprisonnement ; la guerre de l’antimoine (vnote Patin 8/54) déchirait la Faculté de médecine depuis 1566, et les antimoniaux (empiriques stibiaux) prenaient alors le dessus sur leurs opposants (dogmatiques antistibiaux). Tout cela nuisant gravement aux progrès des arts (literæ) qui incluaient les sciences.

3.

V. notes [1], Experimenta nova anatomica, chapitre i, pour la découverte de Gaspare Aselli, publiée en 1622, et [14], Responsio ad Pecquetianos, 6e partie, pour l’Essai sur la circulation du sang de William Harvey, en 1628.

4.

Dans le mythe olympien, Coronis, enceinte d’Apollon, a donné naissance à Esculape, dieu fondateur (principium) de la médecine (vnote Patin 5/551), à qui Jacques Mentel comparait William Harvey.

S’il n’y a pas de lien flagrant entre les découvertes d’Aselli et de Harvey, Mentel considérait que Jean Pecquet en établissant le lien entre le chyle de l’un et la circulation sanguine de l’autre, leur avait donné le cœur pour centre commun.

5.

« Ouvrant le poitrail des bêtes sacrifiées, vous consultez leurs entrailles palpitantes » : Virgile, Énéide, chant iv, vers 63‑64, avec remplacement de consulit [(Didon) consulte] par consulis [vous consultez]. V. note [19], Responsio ad Pecquetianos, 4e partie, pour l’observation des lactifères par les aruspices de l’Antiquité la plus reculée.

6.

Hippocrate, tenu pour le père de la médecine (vnote Patin 6/06), était natif de l’île de Cos (dans les Sporades) au ve s. av. J.‑C., et contemporain du philosophe grec Démocrite (vnote Patin 9/455), qui riait de tout et disait que nous ne savons rien car « la vérité est cachée au fond du puits ». Lassés de ces facéties, ses concitoyens d’Abdère (en Thrace) l’estimèrent fou et appelèrent Hippocrate en consultation. Il a parlé de Démocrite dans plusieurs lettres, mais on les tient pour apocryphes et Émile Littré les a jugées « dénuées de toute espèce d’intérêt ».

Sans faire allusion aux excréments, Cicéron a (sottement) reproché à Démocrite de vouloir connaître la nature en examinant les entrailles des animaux (v. note [17], première Responsio de Jean ii Riolan, préface). Un Discours sur la folie (numéroté 19) suit la lettre 18 de Démocrite à Hippocrate, avec ces propos, qui paraissent refléter les idées du philosophe sur le sujet : {a}

« L’altération du cerveau se fait par la pituite ou par la bile ; voici les signes distinctifs : les fous par l’effet de la pituite sont paisibles et ne crient ni ne s’agitent ; les fous par l’effet de la bile sont batteurs, malfaisants et toujours en mouvement. Telles sont les causes qui font que la folie est continue. Si le malade est en proie à des craintes et des terreurs, cela provient du changement qu’éprouve le cerveau échauffé par la bile qui s’y précipite par les veines sanguines ; mais quand la bile rentre dans les veines et dans le corps, le calme revient. D’autre part, le patient est livré à la tristesse, à l’angoisse, et perd la mémoire quand le cerveau est refroidi contre la règle par la pituite et se contracte contre l’habitude. Quand subitement le cerveau est échauffé par la bile au moyen des veines susdites, le sang bouillonne, le patient voit des songes effrayants : et de même que chez un homme éveillé, le visage est ardent, les yeux rouges et l’esprit songeant à commettre quelque acte de violence, de même le sommeil offre ces phénomènes ; mais le calme revient quand le sang se disperse à nouveau dans les veines. »


  1. Littré Hip, volume 9, page 385.

Le latin de Jacques Mentel est ici si barbelé que je ne saurais garantir que ma traduction est entièrement fidèle à ce qu’il voulait dire.

7.

Hippocrate demandait à Démocrite pourquoi il riait sans cesse (Lettre 17 à Damagète) : j’ai remplacé la traduction latine de Jacques Mentel par celle d’Émile Littré (volume 9, pages 354‑357), mise entre guillemets.

8.

Ibid. supra, page 357 : « tu parles avec sagesse et vérité ; [et je t’estime heureux de jouir d’une si profonde tranquillité, tandis qu’à moi cela n’est pas permis]. »

9.

L’aruspicine (extispicina) est l’art des aruspices (v. supra note [5]), prêtres de la Rome antique qui fondaient leurs oracles sur les entrailles des bêtes sacrifiées aux dieux : c’est ici une métaphore pompeuse de la dissection anatomique.

Vnote Patin 15/153 pour le Collège royal de France, fondé en 1530 et qui comptait deux voire trois chaires de médecine.

La préface de Jean ii Riolan (première Responsio, 1652, v. note [4]) fait état de son accès au grade d’ancien (doyen d’âge) de la Faculté de médecine de Paris en 1649 et de sa chaire d’anatomie au Collège de France (obtenue en 1604).

Jacobus Sylvius (Jacques Dubois, vnote Patin 9/9), docteur en médecine de l’Université de Montpellier, puis bachelier de la Faculté de Paris en 1532, avait occupé la même chaire royale que Riolan, de 1550 à 1555. Ses Opera medica [Œuvres médicales] (Genève, 1634) parlent peu du chyle, en le tenant pour le suc des aliments que les veines du mésentère puisent, puis envoient au foie par la veine porte, pour qu’en soit élaboré le sang.

Vnote Patin 2/1298 pour l’adage antique qui donnait à « embellir Sparte » le sens d’illustrer la charge dont on est titulaire.

10.

Jacques Mentel a profité de la réédition de 1654 pour remplacer ici Populoque ignota profano [qu’ignore le peuple des profanes] (1651) par et à recto Naturæ ordine discedentia [qui s’écartent de l’ordre normal de la nature], mais sans malheureusement en profiter le moins du monde pour amender son exécrable latin.

11.

« des déviations, et de n’y voir que des monstruosités » : emprunt partiel à Aristote (Histoire des animaux, livre ii, chapitre xii, § 6), à propos de la malposition du foie à gauche qu’il avait observée chez quelques quadrupèdes (v. infra note [15] pour un plus long extrait de ce passage). Jacques Mentel citait sans doute Aristote pour illustrer son génie, en préambule à l’observation de cette anomalie chez l’homme, qu’il allait rapporter.

12.

Les Cosmocritices de Cornelius Gemma sont le sous-titre de ses deux livres De Naturæ divinis characterismis… [Sur les caractérismes divins de la Nature…] (Anvers, 1575, vnote Patin 25/8155). Le passage du livre i, que Jacques Mentel en citait presque textuellement, est à la page 105 du chapitre 6, intitulé : De singulis prodigiorum causis in specie, ac prius in Homine, deinde et in cæteris partibus universi [Toutes les causes particulières des prodiges, d’abord chez l’homme, puis dans les autres parties de l’univers].

Ce texte contient des bizarreries, mais n’est pas entièrement fantaisiste.

13.

Jacques Mentel a remplacé plane perversus [entièrement bouleversée], qui est dans le texte de Cornelius Gemma, par diversus [inhabituelle].

14.

Suppression en 1654 d’une parenthèse qui figurait dans l’édition de 1651 :

quod Aristoteles sæpe Quadrupedibus : Herophilus atque Galenus in illis, et Hominibus agnouerunt. {a}

[ce qu’Aristote a souvent reconnu chez les quadrupèdes, {b} tout comme Galien et Hérophile {c} chez ces animaux et chez les êtres humains].


  1. V. note [56], Responsio ad Pecquetianos, 3e partie, pour le solécisme que Jean ii Riolan a blâmé dans ce latin en 1655 : agnoverunt (3e personne du pluriel) ne peut pas servir de verbe aux deux propositions car la première a un seul sujet (Aristoteles) et la seconde, deux (Herophilus atque Galenus).

  2. V. supra note [11].

  3. V. infra note [15].

15.

Tout ce passage, depuis « chez les bons auteurs » ne figurait pas dans la première édition de 1651.

16.

Cette « Place du Commerce » ne correspond à aucun lieu de Paris que j’aie su identifier. Le condamné est réputé avoir été exécuté (roué) à la Croix du Trahoir (vnote Patin 5/39).

17.

V. note [7], Dissertatio anatomica, chapitre iv, pour le ligament rond, vestige du cordon ombilical, qui contient une veine et deux artères. Le jargon latin de Jacques Mentel permet à peu près de comprendre ce qu’est devenue la veine, mais plonge les artères dans une indébrouillable obscurité (car, chez l’adulte, les vestiges des artères ombilicales n’ont pas de rapport direct avec le cœur).

La description de cette dissection donnée par Jean ii Riolan (v. infra note [24]) est beaucoup plus claire et bien mieux écrite, mais ne parle pas des vestiges ombilicaux. Il est préférable d’oublier ce que Mentel a voulu en dire ici.

18.

Le pédant et filandreux latin de Jacques Mentel met la patience du lecteur à très rude épreuve (sans parler du traducteur).

Douzedoitier (c’est-à-dire long de 12 travers de doigt) est l’ancien nom français du duodénum (contraction de duodecim digitorum, δωδεκαδακτυλον, dôdécadactylon), ou premier segment de l’intestin grêle, qui s’enroule normalement autour de la tête du pancréas, avant de donner naissance au jéjunum (deuxième segment du grêle). Il recueille la bile émanant du foie et les sucs digestifs sécrétés par le pancréas au niveau de l’ampoule de Vater.

19.

V. note [5], Dissertatio anatomica, chapitre x, pour Johann Georg Wirsung, anatomiste allemand qui professait à Padoue, et son canal, qui ne vient pas du foie, mais du pancréas.

20.

Les deux veines spermatiques, aujourd’hui appelées testiculaires chez l’homme et ovariques chez la femme, ont dû leur nom au fait que le sperme désignait alors à la fois les semences masculine et féminine. Elles n’ont pas des destinations identiques : la droite se jette dans la veine cave, mais la gauche, dans la veine rénale gauche ; la situation était inversée dans le cas décrit.

21.

Jacques Mentel sacrifiait la clarté à un prétentieux et irritant purisme étymologique : décrivant le cœur, il refusait d’employer le mot « ventricules », préférant parler de ses « cavités » (koilias en grec, specus en latin) ; il poussait même le ridicule jusqu’à proposer de les appeler diribitoria, « débits », ou plus exactement bureaux « où l’on fit d’abord le dépouillement des bulletins de vote, puis, plus tard, les distributions au peuple et le paiement de la solde militaire » (Gaffiot).

22.

Circonlocution correspondant à la veine azygos (v. note [2], Historia anatomica, chapitre xi), normalement située à droite du rachis dorsal.

23.

Branches ascendantes du vague (ou pneumogastrique, xe paire crânienne moderne, v. note [4] des Historia anatomica de Thomas Bartholin, chapitre xix), qui remontent du thorax vers le cou, les nerfs laryngés récurrents n’ont pas le même trajet des deux côtés : à droite, son anse passe sous l’artère subclavière (qui se continue par l’axillaire), et à gauche, sous la crosse (ou courbure, curvatura) de l’aorte. Cette disposition était inversée dans le cas décrit.

24.

V. la fin de la note Patin 13/0253 pour ces deux « Observations rares » que Jean ii Riolan a rapportées dans ses Opera anatomica vetera et nova [Œuvres anatomiques anciennes et nouvelles] (Paris, 1649), pages 870‑871 : l’une chez un conseiller à la Cour de Nantes, âgé de 40 ans, et l’autre chez un enfant de 16 mois.

S’y ajoute cet intéressant passage des Animadversiones in Theatrum Anatomicum Caspari Bauhini [Remarques sur l’Amphithéâtre anatomique de Caspar Bauhin] (page 703) :

Rarum est, sed non lethale, si Cor latus dextrum pectoris, et situm mutet. Id visum in quadragenario, qui sanus ad hoc tempus vixit, et hoc vidi in Regina Matre Regis Ludovici xiii.

[Il est rare, mais non mortel, que la place du cœur soit inversée et qu’il se situe dans la partie droite de la poitrine. On a vu cela chez un quadragénaire, qui avait vécu en bonne santé jusqu’à cet âge ; et je l’ai observé chez la reine mère du roi Louis xiii]. {a}


  1. Marie de Médicis dont Riolan avait été le premier médecin (v. note [3], Responsio ad Pecquetianos, 2e partie).

Riolan a décrit plus tard la dissection relatée par Jacques Mentel : dans la seconde partie de ses Opuscula anatomica varia et nova (Paris, 1652, vnote Patin 11/254).

25.

La « mode pyrrhonienne » (Pyrrhonius mos) consiste à mettre tout en doute (v. note [21], lettre Brevis Destructio, chapitre iv).

Le propos exact de Jean ii Riolan, dans son texte de 1649 (v. supra note [24]), est : An quibus Cor rite salit circa mammillam dextram, talis inest conformatio, dubitare licet ? [Est-il permis de douter que telle est la conformation ordinaire de ceux dont le cœur bat autour du mamelon droit ?] ; ce que Jacques Mentel a adapté en Num quibus Cor salit ad dextram mammillam ; iis delitescentium posituræ partium mutatio intervenerit ? Riolan concluait en disant : Nihil affirmo, quoniam id non satis liquet [Je n’affirme rien parce que ça n’est pas suffisamment clair].

Des deux cas rapportés par Riolan, le plus longuement développé était celui du conseiller à la Cour de Nantes (et non de Rouen).

26.

La Méthode pour remédier est un volumineux ouvrage de Galien, composé de 14 livres, que contient le volume 10 tout entier de l’édition Kühn (qui en compte 20).

27.

Tout ce passage, depuis « Les actions des parties du corps… » ne figurait pas dans l’édition de 1651 et a été ajouté à celle de 1654.

La citation de Galien (que Jacques Mentel a traduite en latin et que j’ai mise en français, entre guillemets) vient de son livre vi (et dernier) Des Lieux affectés, chapitre vi (Kühn, volume 8, page 447).

28.

« Après avoir sillonné “ les champs du regard humain ” ». Pour introduire enfin ses propres observations sur les voies du chyle, mais sans en revendiquer la primeur, Jacques Mentel voulait laborieusement enjoliver sa prose avec deux mots tirés de trois vers d’Ovide {a} (Métamorphoses, livre xv, vers 62‑65) sur Pythagore : {b}

Sponte erat isque licet cæli regione remotos
mente deos adiit et, quæ natura negabat
visibus humanis, oculis ea pectoris hausit.

[Quoique simple mortel éloigné des régions célestes, il a accédé aux desseins des dieux ; et ce que la nature dérobe aux champs du regard humain, {c} il l’a puisé avec les yeux de son esprit].


  1. Vnote Patin 46/8008.

  2. V. note [4], Experimenta nova anatomica, épître dédicatoire.

  3. Mise en exergue des deux mots repris par Mentel, dont l’emploi est impossible à comprendre sans connaître leur contexte poétique.

29.

Galien, « Utilité des parties du corps » loc. cit. : {a}

« Les dispositions qu’elle a prises d’avance à cet égard {b} sont admirables, comme aussi par rapport à l’estomac et aux intestins qui non seulement concourent à nourrir les autres parties du corps, mais encore travaillent à leur propre nutrition. Là aussi, la nature n’est restée ni oisive ni dépourvue d’invention : d’abord, elle a créé dans tout le mésentère des veines particulières destinées à porter la nourriture dans les intestins et qui ne vont pas au foie ; car, ainsi que disait Hérophile, ces veines aboutissent à des corps glanduleux, tandis que toutes les autres remontent aux portes du foie. {c} Ensuite et principalement dans le dans le même but, elle a disposé dans l’épiploon un nombre infini des vaisseaux qui tous doivent nourrir les parties voisines. Ce sont là deux artifices imaginés par la nature pour nourrir complètement l’estomac et les intestins. »


  1. Daremberg, volume 1, pages 332‑333.

  2. Les dispositions que la nature a prises pour assurer l’évacuation des excréments.

  3. V. supra note [15] pour Hérophile, anatomiste du ive s. av. J.‑C. dont les ouvrages ont malheureusement été perdus car il serait fort intéressant de savoir comment il a décrit ce qui ressemble aux lactifères mésentériques.

30.

Ce passage, depuis « En 1629… » ne figurait pas dans l’édition de 1651.

Vnote Patin 49/152 pour l’archidiacre, qui était l’équivalent d’un prosecteur d’anatomie (enseignant assistant le professeur) à la Faculté de médecine de Paris.

En 1629, Jacques Mentel était âgé de 30 ans; il fut reçu docteur régent en 1632. Son observation princeps du réservoir du chyle n’a été publiée qu’ici, puis en 1655 dans le Clypeus (première partie), rédigé par Guillaume de Hénaut, médecin de Rouen, pseudonyme de Jean Pecquet. Mentel n’a néanmoins pas mis au jour la voie thoracique du chyle et son passage dans le cœur.

31.

Michaelis Ephesii Scolia, id est, brevis sed erudita atque utilis interpretatio in iiii. libros Aristotelis De partibus animalium. Dominico Monthesauro Veronensi interprete. Nunc primum in lucem edita.

[Annotations de Michael Ephesius, {a} qui sont une brève, mais savante et utile interprétation des quatre livres d’Aristote sur les Parties des animaux ; dans la traduction de Dominicus Monthesaurus, natif de Vérone. {b} Première édition]. {c}

Le commentaire qui m’a semblé le mieux adapté au propos de Jacques Mentel porte sur le chapitre iv du livre iii (page 101), {d} au sujet du cœur :

Ipsum enim principium, et fons sanguinis est. Apposuit hunc. Aut conceptaculum primum. tanquam si dixisset : Si autem quis cor principium sanguinis esse non dicet, sed animam quæ in ipso continetur, cor primum sanguinis conceptaculum esse dicat.

[Il est le principe et la source du sang, {e} à quoi il ajoute : ou son premier réceptacle, {f} comme pour dire que celui qui énoncerait que le cœur n’est pas le principe du sang, mais que ce principe est l’esprit que contient le cœur, devrait convenir que le cœur est le premier réceptacle du sang].


  1. Michael Ephesius (Michel d’Éphèse), philosophe byzantin mort en 1129, a édité et commenté (en grec) plusieurs traités d’Aristote.

  2. Domenico Montesoro (mort en 1572) a traduit le texte d’Ephesius en latin, mais Jacques Mentel a pu recourir à une de ses éditions grecques.

  3. Bâle, Petrus Perna, 1559, in‑8o de 325 pages.

  4. Chapitre auquel Mentel se réfère explicitement quelques lignes plus bas dans sa lettre.

  5. L’italique marque les propos tirés d’Aristote.

  6. υποδοχη πρωτη dans Aristote, mais le mot latin conceptaculum a le double sens de « réceptacle » et de lieu de « génération » (sens que ne possède pas upodokhê en grec).

Jean Pecquet n’a évidemment pas manqué de faire allusion à ce passage d’Aristote dans le chapitre i de ses Experimenta nova anatomica : v. sa note [10], où est cité un autre passage tout aussi parlant des Parties des animaux.

32.

Ce passage, depuis « Au foie incombe pourtant… », a été ajouté à l’édition de 1654.

L’anatomie et le fonctionnement des voies biliaires étaient alors aussi confus qu’hypothétiques. La bile était un excrément dont le foie et la vésicule biliaire devaient débarrasser le corps : la vésicule n’était pas seulement considérée comme un réservoir, mais comme un lieu d’extraction de la bile, complémentaire du foie.

Le Manuel anatomique et pathologique de Jean ii Riolan donne cette description de la vésicule biliaire (livre second, pages 199‑200) : {a}

« Elle se rencontre au-dessous du grand lobe du foie, étant attachée en sa partie inférieure, et comme enfoncée dans sa substance. Le fond de la petite vessie qui porte la bile regarde plus en bas, et le col en haut, et son canal se porte de travers, en sortant d’icelle, afin de rencontrer le canal hépatique, son sinus est proche de l’entrée de la vessie. {b} […]

Elle est creuse pour recevoir et garder la bile, dont elle se doit décharger quand il en est besoin. L’on remarque plusieurs conduits qui en sortent, l’un desquels, plus large et plus long, s’étend depuis le foie jusques au commencement du boyau jéjunum, et c’est par ce conduit que la bile la plus épaisse y tombe en droite ligne. L’autre conduit, plus menu et plus court, sort du col de cette petite vessie, et entre de travers dedans ce premier conduit. J’appelle le premier conduit hépatique et l’autre cystique, à raison de son origine et de son orifice ; car le cystique porte dans l’hépatique la bile la plus subtile, que la membrane, poreuse et percée de toutes parts, de la vésicule cachée dans le foie a sucée. De sorte qu’il y a dans le foie deux sortes de biles et que la nature a deux sortes de conduits pour s’en décharger en divers temps ; {c} ce qui est de grande importance pour la guérison des maladies.

Cette petite vessie a communication avec le ventricule, {d} auquel elle touche, l’échauffant tellement en de certains temps qu’elle le brûle lorsque la bile qui est en elle est allumée et en feu. {e}

Elle est aussi quelquefois attachée au boyau côlon, qui passe auprès d’elle ; ce qui fait qu’elle lui donne quelque chose de sa couleur et que, laissant passer quelque petite portion de bile au travers de sa substance, elle l’excite à se décharger des ordures qu’il retient. » {f}


  1. Traduction française (Paris, 1661) de l’édition latine de Leyde, 1649 : v. note [5], Dissertatio anatomica, chapitre ii.

  2. L’orifice du canal hépatique est proche de la vésicule.

  3. Il n’y a qu’une sorte de bile, entièrement produite par le foie, mais les noms que Riolan donnait à ses canaux ont subsisté : le cystique (le seul à sortir de la vésicule, et qui permet à la bile d’y entrer et d’en sortir) rejoint le canal hépatique (voie principale sortant du foie) pour former le cholédoque, qui rejoint le canal excréteur pancréatique de Wirsung (v. note [5], Dissertatio anatomica, chapitre x) et se jette avec lui dans le duodénum (v. note [9] de son chapitre xii).

  4. L’estomac.

  5. Cholécystite moderne ?

  6. Les communications de la vésicule avec l’estomac ou le côlon existent, mais sont toujours pathologiques, en lien avec une infection très avancée de la vésicule (abcès ordinairement lié à une lithiase).

    V. note [9], Dissertatio anatomica de Jean Pecquet, chapitre xii, pour la conception moderne, anatomique et fonctionnelle, des voies biliaires.


33.

« le foie est le premier organe de la sanguification et l’origine des veines […] ».

Aucune de ces deux citations ne se lit mot à mot dans Galien, mais elles renvoient au chapitre xii livre iv de L’utilité des parties du corps (Daremberg, pages 304‑307). {a} La première y est assénée quatre fois, dont une dans ce passage que résume la seconde citation (pages 305‑306) :

« Il ne reste donc que la chair du foie, autrement dit la substance même du viscère, qu’on puisse regarder comme le premier organe de la sanguification et le principe des veines. En examinant sa nature, on voit manifestement qu’elle est analogue à celle du sang. Si vous représentez du sang desséché et épaissi par la chaleur, vous ne verrez rien autre chose se produire que la chair du foie. L’état des parties vient encore à l’appui de ce fait souvent démontré dans d’autres écrits, à savoir que chacune des parties qui altèrent l’aliment a pour but et pour fin de s’assimiler l’élément altéré. – Si vous figurez le liquide {b} pris à l’estomac, modifié par la chair du foie, et transformé rapidement en sa propre nature, vous le trouverez nécessairement plus épais et plus rouge qu’il ne doit être quand il n’a pas encore été complètement assimilé à la substance du foie. En effet, j’ai aussi prouvé qu’aucune chose ne peut prendre des qualités opposées, du moins très différentes, sans avoir d’abord passé par les degrés intermédiaires. Si donc la chair du foie a pour but d’assimiler la nourriture, cette assimilation ne pouvant s’opérer rapidement, le sang constituera l’intermédiaire, et sera autant inférieur à la chair du foie qu’il est supérieur à l’humeur {c} élaborée dans l’estomac. » {d}


  1. Le texte grec en est transcrit et traduit en latin dans Kühn, volume 3, pages 296‑300.

  2. Parenthèse de Daremberg : χυλον [chyle], qui correspond aujourd’hui au premier chyme que l’intestin grêle va transformer en chyle proprement dit.

  3. Parenthèse de Daremberg : χυμος [chyme], proprement dit.

La physiologie moderne a donné en très grande partie raison à Galien (suivi par Jean ii Riolan et tous les dogmatiques de son siècle et leurs prédécesseurs), et tort à Aristote (suivi par Jean Pecquet, Mentel ou Thomas Bartholin).

34.

Ovide, Tristes, livre i, élégie 2, vers 4‑5 :

Sæpe premente deo fert deux alter opem :
Mulciber in Trojam, pro Troja stabat Apollo
.

[Souvent un dieu protège ceux qu’un autre persécute : {a} Vulcain prit parti contre Troie quand Apollon fit l’inverse]. {b}


  1. Le premier vers aide à comprendre l’allusion de Jacques Mentel.

  2. Mentel a mis le verbe au conditionnel : staret [prendrait parti] pour stabat. Troie symbolise le foie comme siège de la sanguification, avec Galien (Vulcain, vnote Patin 5/267) pour défenseur et Aristote (Apollon, v. note [23], lettre de Samuel Sorbière à Jean Pecquet) pour ennemi.

35.

L’enthousiasme de Jacques Mentel confortait hélas Jean Pecquet dans l’interprétation abusive de sa découverte :

La suite de l’histoire médicale a donc prouvé qu’il n’y avait absolument pas lieu de célébrer le triomphe d’Aristote sur Galien et de faire sonner le glas du foie, dont Thomas Bartholin a célébré les funérailles à la grande joie des « pecquétiens ».

a.

Page 141, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

iacobi Mentelii
V.E. Doctoris Medici Parisiensis ad
Doct. Med. eruditum, nec vulgaris notæ
Anatomicum : De veteris-novi, seu hacte-
nus incogniis Chyli Receptaculi et lactea-
rum inde venarum se sursum efferentium
(Notatione sua ;)
                   epistola,
Ubi tralatitiè habetur
διαγραφη levis transversi Sitûs
interiorum partium cujusdam cadaveris, publicè
consecti Parisiis sub finem anni
m.dc.l.

Vehementer et ex animo gaudeo,
Pecquete, quod hisce Tempo-
ribus, in quibus Virtuti ac Literis
Bellum indicitur ; et nulli non penè
formosior auri massa videtur, quàm
quidquid Græci Romani-ve scripto-
res, sapientiâ pleni, dixêre : Te tamen utrique acriùs
incumbere animaduertam ; ac ætatem illam, quam
infami otio demersi, aut vitiis gravioribus impliciti
atque addicti plerique conterunt ; per laudabilia
Experimenta, studiáque nobilia consumere. Atque
hanc ipsam de bonarum Artium morúmque perni-

b.

Page 142, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

cie, Querelam apud omnes quidem populos extitisse
legimus : Sed nullibi sanè, nec unquam, justiorem
fuisse, quàm hac, in Gallia, tempestate, nequeunt
ciues ipsi negare. Vt ideo magis laudandus sis, Iu-
uenis clarissime, extollendus, ornandus, quod re-
nitentibus ævi Fatis, effeceris, ut jam etiam cum ex-
teris, qui se quibusdam Inventis anatomen promo-
visse propalant, nostram Symbolam conferamus :
Quin ut iismet ac veteribus, in ea re quid meritò im-
putemus. Atque hisce plurima, eáque præclara de-
bemus, ac nî contradicendi studium et invidia (quæ
non semper utique præterlabuntur mentes eruditas)
obstitissent, finitimos illis posteros plura debuisse non
dubitem : Et ea præcipuè vel pulcherrima, quæ ad
nostrum usque sæculum latuêre : nempe tubulos illos
seu rivulos, qui mesenterio toto sparguntur, alios à
venis, quas habet, elutriando deducendóque puriori
chylo dicatos, quos Gaspar Asellius, Tricinensis {a} ana-
tomicus, annos ante triginta retexit. Deinde ipsum,
arterias inter et venas ultró citróque commeatum
sanguinis ac circuitum, quem Guilielmus Harvejus,
Londinensis medicus celebris, primus advertit, et
edito pereleganti Libello, confecit. Tertium illis ad-
demus, multò sine controversiâ mirabilius, de quo
nunc tecum mihi sermo est, quod quidem omne in
naturalis œconomiæ cognitione fert punctum, quod
tu improbo labore solertiáque incredibili, tibi nuper
notasti, amicisque humanissimè hinc indigitasti : chy-
li scilicet melioris Receptaculum, et quasi Im-
pluvium, quo corrivantur ac penetrant Elices illi, seu
venæ, quas Lacteas solent appellare. Deerat certè
prioribus istis duobus Inventis, Asellij, puta, Coronis ;


  1. Sic pour : Ticinensis (corrigé dans l’errata).

c.

Page 143, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

Harveij verò, Principium ; quæ tu, magno rei Medicæ
commodo, primùm subolfacta αγχινοια planè mira-
bili ; pòst sagacitate non minore reperta, tandem
imponeres, ac nouus adjicere : Et, ut ad ductuum il-
lorum extrema in Confluges destinentia ; sic quoque
ad sanguinis massæ ortûs, et frugi succorum in cor-
pore motûs, exordium, certò digitum intenderes,
illámque præcordiorum anatomes veritatem protra-
heres è puteo Democriti, quem propiùs imitando
dum fissiculas

————— Pecudumque reclusis
Pectoribus inhians, spirantia consulis Exta
,

eiusdem industriam, etiam ab Hyppocrate commen-
datam, longissimè superas, tantóque hac in parte, lu-
culentiùs, quantò Abderitæ olim scopus et studium,
tuo illo præstanti fuerit ignobilius. At scimus ip-
sum solummodò recrementis tantum-non noscen-
dis, quippini ? igneis et insaniam committentibus san-
guinis partibus, earúmque sedibus investigandis in-
tentum, à Coo repertum fuisse : te autem alibilium et
vitalium è contrà humorum aperiendis fontibus fe-
liciter insudasse. Τι περι μανιης γραφω αλλο, (inquiebat
Democritus, ad Hippocratem, qui super ea, hunc in-
terpellabat) πλην ειτις τε ειη, οκως ανθρωποις εγγινεται. και
τινα τροπον απολοφεοιτο. τα τε γαρ ζωα ταυτα οκοσα, εφη ορης
τουτεου μεν τοι γε ανατεμνω ενεκα, ου μισεων Θεου εργα.
χολης δε διζημενος φυσιν, και θεσιν. οισθα γαρ ανθρωπων παρα
κοπης ως αιτιη επιτοπολυ αυτη πλεονασασαι, επε παση μεν
φυσει ενυπαρκχει. αλλα παρ οις μεν ελαττον, παρ οις δε τι
πλεον. η δ’ αμετριη αυτεης, νουσοι τυγχανουσιν, ως υλης, οτε

d.

Page 144, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

μεν αγαθης, οτε δε φαυλης υποκειμενης. Id est Latinè,
Quid de Insania scribam aliud, quàm qui sit, et in hominibus
quomodò generetur, curetur-ve : Cuius rei gratia discidi quæ
hîc vides Animalia, non quod oderim Opera Dei ; sed inquiro
Bilis naturam atque situm, scis enim quod Bilis superabun-
dans, homines ad insaniam adigit : quæ Bilis à natura omni-
bus comparata est, quamvis plus in aliis, in aliis minùs : Nam
eius redundantia morbus est, tanquam materia quidem bo-
na : interdum subjacet mala
. Ad quæ Hippocrates :
αλληθεως γε και φροινμως λεγεις. Ex quibus quidem se-
quitur ac innotescit apprimè Philosophorum anti-
quorum, Medicorúmque Principes atque cory-
phæos, Hippocratem et Democritum, in penitio-
rem humani corporis cognitionem quondam venis-
se, suóque exemplo adduci nos voluisse, animalium
brutorum speciei cuiusvis, consectionis ope. Hinc
Aristotelem, paritérque Galenum accepimus, hæc
ipsa non illorum solùm gratiâ, sed hominis præcipuè,
introspexisse : ob idque libros, qui miserè perierunt,
permultos scripsisse. Quid hos ; quid illos ubicum-
que Gentium authores eo nomine insignes, conse-
cter ? sufficient nobis, et instar omnium erunt, illi è
nostris doctores sapientissimi, æternitatis Franciæ
Musæi regij ambo Lectores ; superiori nimirum æta-
te Sylvius, nostrâ autem, nostrûm omnium antiquior
ille magister Ioannes Riolanus, Deus bone ! qui ho-
mines, quámque eximij rei anatomicæ professores !
qui, ne quid diutius occultum foret in Animantium
corporibus, quod Seculis profuturum esset, hanc
quoque Spartam sedulò excoluerunt et Extispicinam
frequenter instituerunt. Tanta siquidem partium ea-

e.

Page 145, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

rum, potissimè viscerum analogia cum nostris, (non
morabor in cæteris) ut nobis cum illis Medendi
methodo concinere oportuerit : Ne quis erectæ ad
cælum fabricæ cum prona, discrimen objiciat. Sed
quid tandiu in plano hæremus, cum Inventi à te no-
vitas aliò nos vocet, et in sui admirationem simul ap-
pellet. Multa insolita, et à recto Naturæ ordine di-
scedentia quotidie deprehendimus in Consectioni-
bus, quæ semper rudes, nunquam verò peritos stu-
pore percellunt : Neque enim instructus et philoso-
phicis et medicis Artibus quis unquam miratus est,
in Natura fieri παρεκβασεις, και τα τοιαυτα ως τερατα
κρινεται, euenire : Fit quippe non rarò, ut Principio-
rum Causarúmque genitalium vario concursu, ipsa
aberret, perversisque gaudeat, ac tanquam contem-
platione ad Vniversi pulchretudinem. Cur itaque stupeant
homines
, ait Cor. Gemma capite sexto libri primi
Cosmocritices, si quemadmodum à nobis inter Anatomes
plurimas annotatum est, in aliis quandoque occurrat situs par-
tium diversus : Hepar in sinistro hypochondrio, lien in dextro
collocetur : in aliis nunc Lienes gemini, nunc velut quatuor
renes reperiantur. Vterus in fœminis instar spongiæ raræ et
mollis, aliquando et purè ossea cervix : Hepar, ut in suibus,
et canibus, divisum in plures fibras usque ad radicem : spina-
rum vertebras vidi continua ossis substantia copulatas. Sunt
autem in Plantis, et Animalibus cæteris, et Metallis sua
miracula, futurarum rerum non infida prænuncia. Ac sæpe
in illis descripta reperies velut divinâ manu, quæ non teme-
rè esse, vel sera posteritas deprehendat : Nam et loqui vi-
deas saxa cum Brutis, quando homines tacent, nonnun-
quam apertis penetralibus vel mortis vel crucis, vel rei al-

f.

Page 146, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

terius insculpta effigie : sæpe et dissectas pecudes subsilire
subitò, ac sine corde, aut cerebro reperiri
. Exempla id ge-
nus permulta, passim habentur apud bonos Autho-
res, ac quantum quidem ad Nobilium thoracicarum
et alvinarum præcipuè partium perversum attinet
situm : eum sæpe sæpius accidere in Brutis plerisque
retulit Aristoteles ; confirmavit Herophilus et post
illum Galenus ; qui et in hominibus etiam aliquibus
hoc utique subnotarunt : ηπαρ, inquit, hicce c. 8. l. 6.
administ. anatom. προς τουτοις ολιγων μεν επι ανθρωπων
ουκ ολιγων δ’ επ’ αλλων ζωων επιλαμβανειν αυτο τι των
αριστερων μερων αληθως Ηηροφιλος, εν αυτω του-
τω τω βιβλιω τω δευερω των αναομικων. i. hepar sinis-
tram occupare partem paucis in Hominibus, non
autem paucis in animantibus verè prodidit Herophi-
lus lib. 5 de consectionibus. Vnde nec insolens, nec
inauditum, velut scriptis mandarunt. {a} Quidam æstima-
ri par est hoc ipsum, quod paucis abhinc mensibus
Lutetiæ inspeximus, in bene habito cadavere Crucia-
rij unius, qui debitas crimini atrocissimo pœnas
morte exsoluit ibidem, in Platea de Emporio Parisi-
no vocata : Vbi imprimis animadvertimus ex emeri-
tis ac rude acceptis canalibus illis (quibus ab Vmbi-
lico nomen inditum) illum qui vena fuisset, dum vte-
ro gereretur infans, sinistrorsum dirigi, ac in Fissa
positi hac in parte Iecoris, hiscere ac insinuari ; ut eos
qui Arteriæ, dextrorsum Cor versùs, è contrà per-
tendere. Ventriculi habitus unà quoque perversus
apparuit ; sic ut οισοφαγος, sive superius orificium il-
lius, dextram occuparet : ut sinistram πυλορος, seu in-
ferius ; cujus tamen extremitas (quam εκφυσιν qui-


  1. Sous-titre imprimé dans la marge : Historia præposteri Sitûs partium corporis cruciarij Parisiensis.

g.

Page 147, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

dam, δωδεκαδακτυλον alij vocant) dextram eandem
petebat, ipsum supergradiendo πανκρεας : nec statim
ab eo recurvabatur, ut fieri vulgo amat. In ipsam
autem, (quod notatu non indignum est) luculentus
satis canalis quem non ita diù, primùm detexit Vir-
dungus {a} notæ clarioris apud Italos anatomicus, ex
Hepate prope Portas emanans, Pancreásque perua-
dens, inserebatur. Sub dextro hypochondrio ieci-
nori oppositus Lien attinebatur. Intestinorum uti-
que glomus pari modo transversus inventus est : unde
illius, cui Cæci appellatio est, appendix, Collíque {b}
principium, lævam partem tenebant. Subtus hisce
repentia majora vasa, μικροκοσμου tanquam Flumina,
vena Cava videlicet, atque Aorta, parem sortem ex-
perta, inter se invicem sedes mutaverant : ut hac ra-
tione spermatica dextri lateris prodiret ab Emulgen-
te partis ejusdem, quemadmodum à Trunco venæ
Cavæ, sinistra. Præcordiis, cunctisque Partibus al-
vinæ Regionis affatim conspectis, in Thoracicas
ascendimus, inibíque manu et oculis structuram Pul-
monis expendimus, quæ à solenni differre quadan-
tenus cernebatur, in eo quod plures in læva, quam in
dextra illic lobi extarent : Cordis verò penitus : nam
basis illius, quæ ad medium sub osse Pectoris, ut plu-
rimùm in aliis dextram versùs concedit ; in isto sini-
stram spectabat : Extrema autem, quæ in mucronem
turbinantur et abeunt dextram subter papillam, in
Priora Thoracis demergebantur. Κοιλιας seu Specus
(quos quidam non ineptè, Diribitoria nominat) loco-
rum quisque suorum vices converterant ; adeo ut
dexter ísque venosus, sinistrum cœpisset, lævus et
ille arteriosus, ut dextrum. Ad lævam è Cava, illâ ju-


  1. Sic pour : Virsungus.

  2. Sic pour : Colíque.

h.

Page 148, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

gi caloris ac vitæ scaturigine paulo superiùs suppul-
lulabat solitaria et omnis conjugij expers vena. Et, ut
aortæ tenorem et modum sectantur ad collum nervi
Recurrentes : ita hîc observavimus, pro ratione col-
locationis à vulgari diversæ membri illius, medij
ventris principis, dextrum eorum reflecti ad curva-
turam aortæ, ut sinistrum ad axillarem : Tanto, licet
perversa, cum ordine exsurgit humana Structura : Vt
quæ non alium sui auctorem testetur, quàm rationa-
lem Animam. Neque hæc sola μεταστασεος Partium
Situs apud nos, historia signata est, et Curiosorum
oculis observata hisce diebus, ut ex eruditissimo Rio-
lano nostro colligimus, sub Anatomicorum finem
operum, recentioris Editionis, ubi de Observationi-
bis raris
. Quo loci duarum aliarum commeminit ; et
insuper Pyrrhonium in morem Senior ille επεχει
tam facetè quàm doctè, Num quibus Cor salit ad dex-
tram mammillam ; iis delitescentium posituræ partium mu-
tatio intervenerit ?
Quod facilè crediderim, Senatoris
Rhedonensis, qui Historiarum illarum Pars magna
est, exemplo permotus. An autem in Morbis ita con-
stituti intus hominis, Galeni modus curandi (in quo
cum experientia ratio facit mixturam) mutandus ?
Minimè profecto. Nec hallucinationes in Arte inde
timendæ sunt, ut aliqui falsò sibi persuadent, ni à ma-
le-cautis, et iis, si Diis placet, Medicis, qui in Arte
tractandâ audaciam cum imperitia, cum temeritate
inscitiam, in damnum ægrotantium atque perniciem
conjungunt : Neque enim actiones partium corporis,
quæ læduntur in morbis ; et quibus restaurandis,
addicitur Medicus, aliter fiunt in nobis cum ex
transverso hæ Partes ponuntur ; ac cum ex instituto

i.

Page 149, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

naturæ se habent : ut non ad alia proinde quam ad
solita transire debeat : ει γε τας ενεργειας εκ της των μοριων
οικειας ουσιας, ουτι ετι της θεσεως ευλογον εστι γινεσθαι, και
την τε καρδιαν, ει και κατ’ αλλο τι μερος εκειτο την αυ-
την ενεργειαν εχειν ηπαρ τε και σπληνα και τα αλλα παντα.
i. Siquidem actiones ex propria partium essentia, non
ex earum positu provenire consentaneum sit : nam
Cor, si in alia quapiam parte poneretur, nihilominus
actionem suam obtineret : nec aliter de Iecore quo-
que, Liene ac reliquis omnibus sentiendum est,
inquit Galen, sub finem sui operis de Locis affectis.
Parum ergo est, quod in istiusmodi, vel aliis Naturæ
aberrationibus et ludis, admirentur et stupeant Eru-
diti : Sed in eo, Pecquete, multum est, quod
iteratis, ut Ovidius habet, humanis visibus, te novè
monstrante, aspeximus in quarundam Animantium
adhuc-dum viventium atque spirantium fissiculatio-
nibus : chylum videlicet defæcatum ac exemptum
sordibus, ope venarum earum, quas à lactis candore,
Lacteas dicimus (de quibus etiam post Herophi-
lum, capite 19. libri 4. de Usu partium, videtur me-
minisse Galenus) non ad hepar itare per Portas, et id
parechymatis penetrare, quos sanguis evadat, ut huc
usque putatum est : Sed permeare ad Interluvium,
Mesenterio suppositum, Quod olim, anno nempe
m. dc. xxix. dum versaremur in Scholarum Sub-
selliis et Archidiaconi, quem vocant, nunere fun-
geremur ; in resecto grandis Molossi abdomine, venas
venantes lacteas, nos ostendisse, et de eo selectam
Philiatrorum qui aderant, Iuventutem, advertisse,
meminimus. Sed aliò tum pressiùs intenti, fidem am-

j.

Page 150, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

pliavimus. Hinc ille perreptans intrà sursum dire-
ctos (si sese non implicarent in itinere) Ductus, sub
jecore, diaphragmate, et universo thorace, subcla-
viorum venæ majoris ramorum tenus, conscendere ;
ibíque in ipsam per ostia se demittere, ac irruens per
medium sanguinem, formamque immutans unà cum
illo eundo, ventriculum cordis dextrum, venarum
opificem, subire : à quo nec morâ, per venam arte-
riosam in Pulmones irrepit ; ac demum ab ipsis per
arteriam venosam in sinistrum, arteriarum fontem,
ducitur : καθαρωτατον efficitur ; Ephesio testante, li-
brorum Aristotelis de partibus Animalium, interpre-
te, summámque accipit, ac nutriendi tum solùm
facultate donatur.

Sed quispiam receptæ, et ab omni Ævo traductæ
opinionis assecla, reponet ; Quid fiet nunc Hepate ?
Et, an frustra id factum à Natura censendum ? Haud
existimamus : nam partium corporis suum cuíque at-
tributum est munus : Attamen isti non tantum, quan-
ta est αιματωσις, quæ solùm à Corde præstatur : αυτη
γαρ εστιν αρχη και πηγη του αιματος, η υποδοχη πρωτη,
Id enim est origo prima et fons sanguinis, aut Conceptacu-
lum primum
, inquit Aristoteles. Hepati autem ex of-
ficio incumbit, Ventriculum εψησιν ciborum, quos
deglutimus, suo velut complexu atque amico calore,
juvare ; præcipuè verò secretum è sanguine ad se per
Iecoris Portas transmisso, biliosum et acrem humorem
in substratam sib {a} vesiculam expuere : ac cum Naturæ
res postulat, eundem per meatum χολιδοχον ; aut illum,
qui quòd in hepate radices agat, à Recentioribus
vocatur Hepaticus ad Intestina deponere. Sed contra


  1. Sic pour : sub.

k.

Page 151, ad ioan. pecquetum doct. med. monspeliensem gratulatoriæ epistolæ.

Galenus Philosophum in eo carpendi, quàm verum
quærendi avidior, ut tùm ex Partium Chymum aliò
quàm ad Hepar vehementium, inspectione : cùm Argu-
mentorum, quibus utitur, levitate, facile est colli-
gere της αιματωσεως πρωτον οργανον ηπαρ, και αρχη των
φλεβων esse contendit : eóque fine, αναφερεσθαι τον χυλον
εκ της κοιλιας εις αυτο δια των φλεβων, id est, transferri
Chylum ex Ventriculo ad ipsum per venas
. Sic ut cùm huc
usque, quod dicitur :

Mulciber in Trojam, pro Trojâ staret Apollo.

Tu novis, issque distinctis nostris annis, Pecque-
te, contentionis funem scidisti ; ac tanquam illius de
Immensitate Naturæ bene meriti Peripateticorum
Principis animus in te migrasset, sensu ac ratione
probasti ; vegetationis Officinam, et sanguinis Pro-
mum condum Cor esse, nec albos Chylum sacca-
tum deportantes canales Hepati militare, sed illi ;
omnésque ad unum rectà in Confluvium, sibi sub
Mesenterio à Natura paratum, ruere ac desinere.
Macte hac luce, Iuvenis oculatissime, inauditáque
reconditioris Anatomes cognitione. Macte inquam,
et perge veritati ita litare, valéque. Lutetiæ Parisio-
rum, Eidib. Februarij m dc li.

.

Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron. – Paris : Bibliothèque interuniversitaire de santé, 2018. – Texte. Lettres de soutien adressées à Jean Pecquet : Jacques Mentel (1651, modifiée en 1654)

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(Consulté le 11/12/2025)

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