Ceux qui ignorent la vraie médecine pensent que l’anatomie et le savoir du médecin consistent aujourd’hui à connaître et à démontrer les veines lactées mésentériques et thoraciques, au mépris de la dissection des cadavres humains telle qu’elle est enseignée dans les facultés. Ils croient avoir beaucoup fait progresser la médecine en affirmant que le cœur est l’officine de la sanguification, [2] et que le foie est l’émonctoire [3] de la bile [4] et la source des vaisseaux lymphatiques. [5] Je soutiens que déraisonnent tous ceux qui traitent ainsi d’anatomie avec jactance et insupportable ostentation, en disant vénérer et posséder cet art, et en qualifiant les autres de professer une anatomie muette et froide. Je me suis donc proposé de prouver leur impéritie et leur incompétence.Pour que ma démonstration soit claire et intelligible, je montrerai d’abord, en une seule leçon de deux heures, fondée sur le cadavre humain, mais sans aucune dissection, le siège et les fonctions des parties vitales du thorax et naturelles de l’abdomen. [1][6][7] Une fois le poitrail ouvert en soulevant le sternum, [Page 36 | LAT | IMG] le ventre exposé et les poumons renversés sur les côtés, je montre les jugulaires [8] qui naissent de la veine cave supérieure, [9] puis son trajet jusqu’au diaphragme ; après incision du péricarde, apparaît le tronc cave, longeant le ventricule cardiaque droit et s’y enfonçant, qui est continu et non double, comme est l’aorte qu’on voit à gauche. Je libère le cœur, dont le péricarde adhère au centre fibreux du diaphragme, pour bien faire voir que cette cloison, insérée tout autour du thorax, sépare la cuisine de la salle à manger qu’est le cœur. On note aussi la distance d’une demi-coudée entre l’origine axillaire de la veine cave supérieure et la terminaison de son tronc dans le cœur. [2] Ensuite je montre les structures remarquables du thorax : l’orifice du diaphragme par où la veine cave inférieure [10] y pénètre, l’œsophage, l’aorte et sa crosse. Cela fait, je descends dans le ventre où, d’une main, j’écarte le foie vers le haut, et celles d’un aide repoussent les intestins sur le côté gauche ; je déchire ensuite le pancréas avec mes ongles pour dégager la veine porte [11] et le haut puis le bas de la veine cave inférieure, en montrant bien qu’elle forme un tronc continu qui ne s’interrompt pas pour traverser le foie, mais longe seulement sa face postérieure en se collant à elle ; du dôme hépatique sortent deux veines qui la rejoignent. [12] Le regard se porte alors sur l’aorte qui jouxte la veine cave, ce qui reste du pancréas que j’ai dilacéré, l’estomac qui surplombe l’ensemble et la rate dans l’hypocondre gauche.
Après les structures, venons-en aux fonctions des parties. Dans le thorax, l’œsophage conduit les aliments dans l’estomac ; [13] le cœur reçoit le sang des veines caves ; [14] l’aorte et ses branches envoient le [Page 37 | LAT | IMG] sang artériel dans tout le corps ; [15] après avoir ouvert le cœur, j’expose la structure interne des ventricules avec le septum qui les sépare. [16] Le diaphragme est l’instrument de la libre respiration et l’éventail de l’abdomen, où j’observe attentivement l’intestin grêle qui reçoit l’aliment issu de l’estomac et s’enroule en étant sucé sur toute sa longueur par les veines mésaraïques [17] qui permettent au foie d’accueillir le chyle ; la rate attire l’humeur mélancolique [18] par la branche splénique de la veine porte ; [19] la vésicule du fiel recueille la bile ; [20] Je désire enfin que les spectateurs voient bien que la capacité des mésaraïques est vingt fois supérieure à celle des lactifères thoraciques, [21] ces canaux sont même moins développés que les veines d’une seule main ou d’un seul pied ; vous comprenez alors qu’il y a grande disproportion entre, d’une part, les veines et artères sanguines du mésentère, bien que le sang s’y dissipe en nourrissant le corps, et d’autre part, ces canaux qui permettraient à la totalité du chyle de gagner le cœur, lequel est fort abondant ; cela fait que lesdits lactifères thoraciques devraient être plus amples que ce qu’on observe, et avoir un calibre égal à leur origine et à leur terminaison.
De plus je démontre que, dans tout son parcours, depuis les jugulaires jusqu’aux crurales, [22] la veine cave ne contient aucune valvule [23] pour donner au sang toute liberté de revenir des extrémités : celui de la veine cave inférieure monte sans s’arrêter jusqu’au cœur, et il en va de même pour celui qui y descend du cou ; s’il n’était forcé d’entrer dans le ventricule droit, ce sang pourrait s’enfuir jusqu’aux crurales où sont insérées les premières valvules, tout comme il en existe au cou, quatre travers de doigt [Page 38 | LAT | IMG] sous les veines axillaires. [24] Une fois cela sûrement établi par l’ouverture de la veine cave, vous reconnaissez que le chyle n’est pas directement conduit des veines axillaires dans le cœur, mais peut s’écouler au-dessus ou en dessous de lui avec le sang, sur toute la longueur des deux veines caves. [3] Cela ne peut se démontrer qu’à la toute fin de la dissection. J’affirme ensuite qu’un homme en bonne santé s’alimente copieusement deux ou trois fois par jour, mais que, dans le même temps, la totalité du sang ne lui circule qu’à peine une fois par tout le corps : le cœur ne puise pas le sang avec grande avidité et à pleines gorgées, mais il le hume goutte après goutte, avec discernement et autant qu’il en a besoin ; c’est pourquoi le chyle, s’il migre vers le cœur, n’y entre que lentement et fort mêlé au sang, et en raison de son épaisseur, il ne peut aisément traverser les petits orifices de la cloison qui sépare les ventricules et, une fois dans le cœur, il peut même s’accrocher dans les fossettes et anfractuosités de ses parois, et dans les innombrables filaments des valvules tricuspides. Sauf pressante nécessité, le sang qui pénètre dans le cœur ne s’écoule pas dans le poumons, [25] comme je l’ai soigneusement démontré, contre Harvey [26] et Schlegel, [27] et il incombe à Pecquet de prouver que le sang et, avec lui, le chyle traversent les poumons. [4][28][29] La circulation itérative du sang n’est nécessaire ni pour le recuire ni pour conserver la chaleur de tout le corps, car le sang artériel très chaud s’y écoule perpétuellement partout et se renouvelle à tout instant, ce qui suffit à assurer l’ardeur du corps entier, mais bien moins, comme il le prétend, à parfaire le sang qui est élaboré dans le cœur.
J’ajoute qu’il n’y a pas de dieu Terme [5][30] dans le tronc de la veine cave pour y établir une frontière entre sa partie qui monte et celle qui descend à côté du cœur, en sorte que le sang ascendant [Page 39 | LAT | IMG] cède le pas à celui qui descend avec le chyle ; il est donc vraisemblable que ce sang ascendant, poussé par les esprits, [31] et parfois des vapeurs, s’élève continuellement vers la gorge et pourrait entrer dans la veine jugulaire interne, si la nature n’avait pas verrouillé son ostium, pour l’empêcher de se ruer dans le cerveau et d’y engendrer une apoplexie. [32] Le chyle restera donc dans les axillaires, faute de sang qui l’engouffre dans le cœur. [6]
J’ai démontré que, suivant Hippocrate et Galien, une grande partie des maladies est provoquée par l’arrêt du mouvement sanguin dans la veine cave ; le cœur languit alors, et le pouls s’arrête à son tour. Si la sanguification se faisait dans le cœur, la nutrition du corps ne défaillirait pas parce que les artères et les veines communiquent entre elles par des anastomoses [33] et échangent mutuellement leur sang, pour la conservation du corps ; et beaucoup de médecins, sans avoir à saigner, [34] prescrivent des jeûnes de trois jours pour diminuer la surabondance du sang qui étouffe le cœur. [35] Si cela arrive, ce qui est très fréquent, ce sang épaissi et agrégé par le mélange de chyle obstruera les ventricules cardiaques, entraînant une mort rapide. Tel n’est pas le cas si la sanguification se fait dans le foie, [36] car alors la rate [Page 40 | LAT | IMG] se substitue à lui : [37] le sang des veines mésaraïques parvient à la rate, et en cas d’extrême nécessité, le chyle peut arriver au cœur en passant par les canaux thoraciques. Dans sa grande prévoyance, la nature a donc établi une communication entre ces deux veines, porte et cave, dans les parties supérieures, pour que l’animal ne meure par défaut de sanguification. [7]
La sanguification dans le cœur se fonde sur la circulation harvéenne du sang, dont le ralentissement interromprait la formation du sang. Il vaut la peine de se demander si Pecquet se conforme à tous les articles de cette hypothèse, car Harvey admet les veines lactées, mais dit que ce sont des mésentériques qui deviennent laiteuses quand elles se gonflent de chyle ; qu’elles le transportent au foie et qu’il est entièrement débarrassé de ses excréments en le traversant ; puis que le sang gagne le cœur, d’où un mouvement circulaire rapide lui fait parcourir la totalité du corps en l’espace d’une ou deux heures. Je me demande alors si le mouvement du chyle suit cette circulation du sang, car le chyle ne dispose pas d’un véhicule adéquat, étant donné que le reflux du sang descendant des parties supérieures vers le cœur est amorti. En outre, il est impossible que tout le chyle qui monte dans le thorax passe au travers des fins orifices supérieurs d’un unique canal lactifère, puis qu’il se déplace à la même vitesse que le sang, dont une seule systole du cœur chasse une demi-once, [8][38] sans la moindre stagnation qui permette au chyle de s’y modifier, si nous en croyons Harvey, [39] de Wale [40] et d’autres anatomistes ; mais Riolan a été plus sobre et a ralenti ce mouvement. Selon la doctrine harvéenne de la circulation, autant le chyle aurait été réchauffé dans les artères, [Page 41 | LAT | IMG] autant il aurait à être refroidi dans les veines quand il retourne au cœur pour y être à nouveau digéré, car c’est pour cela qu’il y reviendrait ; mais Riolan l’a nié, en prouvant que le sang de la première région circule, et que le sang de la première et de la troisième région reflue dans le cœur après s’être répandu dans toutes les parties extrêmes et externes du corps, sauf en cas de profonde pénurie de sang dans les grands vaisseaux ; mais aussi que le sang ne circule pas dans les poumons, sauf en cas d’extrême nécessité. Ce sang mêlé de chyle restera donc impur et alimentera toutes les parties du corps, qui s’en trouvera extrêmement mal nourri. Je déclare donc que la circulation harvéenne du sang n’est pas indispensable à la vie, en digérant à nouveau le sang et régénérant les esprits (faute de quoi elle serait inexacte, comme Harvey lui-même l’a écrit). Je préfère la circulation hippocratique où le cœur puise le sang qui est contenu dans la veine cave supérieure jusqu’aux subclavières pour le transformer en sang artériel, faisant cela sans impétuosité, ni précipitation, ni violence, mais avec discernement, afin de ne choisir que ce dont il a besoin pour entretenir son battement perpétuel. Tout cela étant admis, la sanguification cardiaque s’anéantit d’elle-même, puisque tout animal peut vivre sans elle ; et même quand la sanguification hépatique est déficiente, les canaux lactifères thoraciques n’auront pas la fonction que Pecquet leur attribue, mais ne serviront qu’à ce que j’ai expliqué dans mon discours nouveau ; [41] et c’est ce à quoi je me tiens fermement puisque Pecquet et ses deux docteurs parisiens [42][43] n’ont par osé m’en faire reproche. [9][44]
Ayant promptement accompli cette dissection d’un homme qui avait été nourri [Page 42 | LAT | IMG] cinq heures avant d’être pendu, [45] je me hâte de découvrir les veines lactées mésentériques [46] et leur réservoir. [47] Je montre cette disproportion manifeste entre la capacité des lactifères thoraciques [48] et du réservoir, et celle des veines lactées qui couvrent le mésentère et s’en écoulent dans le réservoir, qui offre un espace restreint pour contenir le chyle. En suivant les canaux lactés du thorax jusqu’aux veines axillaires, j’observe qu’ils sont anfractueux et se réunissent en une seule branche gauche qui s’attache à l’axillaire gauche et parfois aussi à la droite. [10] Ainsi reconnaît-on que peu de chyle est transporté par cette voie, et l’occasion nous est-elle donnée de douter que la totalité du chyle gagne le cœur et de nous demander à quelle fin, car si elle n’y parvient pas, à quoi l’ascension du chyle vers les parties supérieures sert-elle ? Tel est en effet le nœud du problème. J’ai déjà présenté mes suppositions dans les deux opuscules que j’ai écrits contre Pecquet et contre Bartholin, et Pecquet les a lus sans pouvoir y répondre. [11][49][50] Je n’y ajoute que cette nouvelle conjecture : une maigre partie du chyle s’écoulerait dans le cœur pour réparer la graisse dure qui l’entoure, très semblable à du suif ; [51] le chyle mélangé au sang se répandrait à la surface du cœur en passant par les veines coronaires ; peut-être même nourrit-il la substance cardiaque elle-même, qui est dure et charnue. [12][52][53] Qui pourra trouver mieux sera un très brillant anatomiste.
Les diverses parties du corps se répartissent ses principales fonctions. Le cœur est chargé de fabriquer le sang artériel à partir du sang très délié que lui fournit le foie, son tout proche voisin, mais ne peut le faire à partir du chyle car il contient diverses substances étrangères au sang dont l’écoulement diminuerait la chaleur du cœur [54] et y gênerait [Page 43 | LAT | IMG] l’élaboration du sang artériel, où l’ardeur cardiaque est transmise à un sang extrêmement subtil.
Je démontre cela à partir du raisonnement le plus inepte de Pecquet, car voici comment il prouve que le cœur est l’officine de la sanguification : [55] « La veine cave supérieure n’est en effet pas un lieu propice à une si importante transformation du sang, car le sang qui s’y jette vient du cerveau, dont le tempérament est froid, et des mains qui sont les parties des membres les plus exposées à la froidure. Ajoutez à cela que le chyle non digéré est en lui-même froid, et que c’est dans le cœur qu’il acquiert une chaleur parfaite. Je dis donc que le chyle se transforme en sang dans le cœur. » [13][56] J’en déduis qu’à partir de ce mélange chyleux, le cœur prépare un sang artériel froid, et pire encore si avant cela il a traversé les poumons, où l’inspiration continue d’air l’aura considérablement rafraîchi et souillé, et s’il revient ensuite dans le ventricule gauche, [57] où il pourra provoquer des dommages semblables à ceux que j’ai signalés dans le ventricule droit.
Si le sang se formait dans le cœur à partir du chyle, notre corps serait bien mal nourri, car ces gens qui sont nés pour se remplir le gosier et la panse, qui passent fort souvent douze heures à manger et boivent de midi à minuit, puis qu’on jette au lit quand ils sont repus, ne produiraient leur sang artériel qu’à partir de chyle arrosé d’un peu de sang, lequel s’en trouverait alors très corrompu.
À supposer même que la quantité du sang prévale largement sur celle du chyle, le mélange qui pénétrera dans l’un ou l’autre des ventricules cardiaques sera fort souillé, car il n’aura été débarrassé ni de ses ordures, ni de sa pituite, ni de sa bile, ni de ses sels, ni de sa lymphe, qui, selon ladite théorie, iront se déposer dans le cerveau, la vésicule biliaire, la rate et le pancréas [58] avant de revenir au [Page 44 | LAT | IMG] foie ; mais il aura d’abord nourri le haut du corps, cerveau et membres supérieurs, qui auront retenu ces saletés. Il en ira de même pour les autres parties qu’il alimentera, situées au-dessous du cœur, car le sang artériel qui coule dans le tronc cœliaque [59] pour alimenter les régions alvines ne sera ni pur ni déféqué, à moins qu’il ne retourne au foie par la veine porte, selon Pecquet, et y soit nettoyé en déposant son ordure. Bien que le quart du sang se distribue ainsi, le restant, venu des extrémités du corps, retourne au cœur en passant par les veines caves, sans traverser le foie ; il parviendra donc au cœur sans avoir été nettoyé. En outre, le chyle, même mêlé au sang, ne peut être modifié sans s’y ralentir quelque peu ; s’il traverse les poumons, il ne sera pas mieux raffiné, mais sera refroidi par l’air inspiré et corrompu par les excréments pituiteux qui se forment dans les poumons, ou s’y écoulent venant de la tête ; c’est donc un chyle plus sale encore qui arrivera dans le ventricule gauche du cœur, surtout chez les hommes qui n’ont pas des poumons sains et bien propres.
Il est certain que le sang pur et filtré est doux, car nous ne nous nourrissons que de mets doux, selon Hippocrate et Aristote, et l’élimination des ordures est assurée par la triple coction de l’aliment ; mais quand nous mangeons des aliments salés, poivrés ou âcres, il se forme un chyle de même qualité, que n’a amélioré aucune des séparations qui ont lieu dans l’estomac et l’intestin grêle : [60] ainsi est-ce un tel chyle, salé, très âcre ou poivré qui arrivera dans le cœur et les poumons, qui en seront nécessairement pollués, même si son mélange au sang l’a adouci ; et ainsi les parties seront-elles mal nourries, tant celles qui sont au-dessus du cœur, comme le cerveau et les membres supérieurs, que celles [Page 45 | LAT | IMG] qui sont au-dessous de lui, à l’exception de leur partie qu’irrigue le tronc cœliaque, dont le chyle retournera dans le foie pour être purifié ; mais ce sang de première circulation nourrira fort mal tous les organes de la région alvine.
De nombreux doutes me viennent à l’esprit, qui paraissent s’opposer au passage du chyle dans le cœur : quand il est complet et achevé, dit Pecquet, les canaux thoraciques et le réservoir disparaissent et on ne les trouve donc pas chez les animaux à jeun, où ils sont remplis de sang, [14] mais d’où vient-il ? Est-ce des veines mésaraïques ou axillaires ? S’il s’agit des axillaires, voilà le sang qui descend, contre les lois de la circulation harvéenne ; s’il s’agit des mésaraïques, alors les lactifères deviennent des branches de la veine porte d’où le sang s’enfuit ou est chassé quand le chyle s’y rue. Si celui qui monte vers les veines axillaires pour gagner le cœur perd sa couleur, pourquoi nier qu’il en aille de même dans le tronc mésentérique ? Et si je disais que les veines possèdent en propre la qualité de former le sang, et que la substance du foie qui les entoure agit seulement à la manière de la bourre, comme l’a démontré l’éminent philosophe et médecin Schegkius dans un savant petit livre ? [15][61] Et peut-être que si on soufflait dans la veine porte avant qu’elle ne se vide de son sang, on verrait le réservoir et les veines lactées se gonfler, soit un signe évident qu’elles sont nées de la porte, ou alors qu’elles communiquent avec elle dans le réservoir. Ajoutez à cela que la distance parcourue par le chyle pour gagner le foie en empruntant les veines mésaraïques est d’une paume de main, tandis que son trajet thoracique est trois fois plus long.
[Page 46 | LAT | IMG] J’ajoute cet autre argument : les oiseaux et les poissons se nourrissent pour vivre, et ont donc, comme les bipèdes et les quadrupèdes, un cœur, un foie, des intestins et un mésentère, les oiseaux ayant aussi des poumons, mais ni eux ni les poissons n’ont de veine subclavière. J’ignore s’ils sont pourvus de canaux lactés thoraciques, mais s’ils en ont, nous trouverons qu’ils s’insèrent au-dessous du cœur, et non au-dessus, et que leur foie est plein de sang, qui part directement dans le cœur. Si les parties nutritives sont ainsi disposées chez ces animaux, quelles sont donc l’utilité et les fonctions du foie et du cœur, et en quoi différeraient-elles de celles des quadrupèdes et de l’homme ? et pourquoi le foie ne fabriquerait-il pas leur sang ?
L’éminent anatomiste Rondelet, dans son livre iii sur les Poissons, écrit que le cœur de ceux qui respirent à l’aide de poumons n’est guère différent de celui des autres animaux, car il a deux oreilles, deux cavités, des veines artérieuses [62] et des artères veineuses, [63] ainsi qu’une veine coronaire, une veine cave et un péricarde. [16][64] Chez tous les poissons, la vésicule du fiel est pendue au foie pour qu’elle en suce la bile ; chez certains, elle est enfouie dans le foie, dont elle tire la bile par des veinules. [17] Le cœur des poissons est toujours rouge, mais leur foie est de couleur variable : rouge, jaune safran, voire bleu foncé, comme chez la murène. [18] Aristote en a déduit que, chez tous les animaux, le sang passe par le cœur pour acquérir sa perfection. [19][65]
Puisse le lecteur se rendre compte des absurdités auxquelles ont abouti ceux qui approuvent Pecquet sur la sanguification dans le cœur, à partir du chyle qui y monte : Dî sacrum et horribilem libellum, [20][66] approuvé par deux médecins de Paris !
Fin. [21]
Cette entrée en matière n’est intelligible que si le texte de Jean ii Riolan est une leçon qu’il a lue ou aurait voulu lire au Collège de France, dont il avait occupé la chaire d’anatomie, botanique et pharmacie jusqu’au 1er mars 1655 (leçon inaugurale de Guy Patin, son successeur par survivance, v. sa lettre à Charles Spon, datée du lendemain). La coutume était que le professeur royal brodât (en latin) sur le texte qu’il avait préparé sans disséquer devant son auditoire. Il s’agissait donc d’une démonstration anatomique sans cadavre, dont on apprendra plus loin qu’il était censé être celui d’un condamné bien nourri cinq heures avant d’être pendu (v. infra note [10]).
Il est extrêmement improbable que Riolan ait jamais lui-même procédé ou même assisté à l’ouverture d’un tel corps à Paris, et bien plus vraisemblable qu’il décrivait à ses auditeurs ce que Charles Le Noble lui avait rapporté dans la seconde partie de sa lettre.
Cela renseigne sur la manière dont Riolan enseignait, mais on dirait donc aujourd’hui que sa leçon était virtuelle (ou même usurpée). J’y ai harmonisé les temps de verbes, dont le latin fluctue entre le passé, le présent et le futur.
Une demi-coudée équivaut à 22 centimètres. Les parties du corps sont désignées par la qualité des esprits qu’elles engendrent : naturels pour le foie, qui sera appelé « la cuisine », culina, et vitaux pour le cœur, « la salle à manger », conclavis.
Malgré les quelques aides que ma traduction a ajoutées, il faut avoir quelques notions d’anatomie élémentaire du tronc pour suivre la leçon que le Professeur Riolan destinait à des débutants. Tout cela ne deviendra intéressant qu’un peu plus loin, avec la circulation du sang et le mouvement du chyle (v. infra note [3]).
La veine cave supérieure forme un conduit continu incurvé de haut en bas et de gauche à droite, qui n’est pas « double » (bifidus) comme est l’aorte qui se replie sur elle-même pour former sa crosse.
Chez l’homme, la dernière valvule veineuse de la base du cou se situe à la terminaison de la veine subclavière, environ un centimètre avant sa jonction avec la veine jugulaire interne, pour former le tronc brachiocéphalique. Quatre travers de doigt (8 centimètres) étaient la longueur approximative de cette veine (un peu plus longue à gauche qu’à droite), depuis la valvule placée à son origine (jonction avec la veine axillaire). Les branches terminales du canal thoracique s’abouchent entre ces deux valvules (à gauche ou des deux côtés). Suivant sa conception non harvéenne de la circulation, Jean ii Riolan pensait que le chyle pouvait descendre de la veine cave supérieure dans l’inférieure, sans entrer dans le cœur.
William Harvey et Paul Markward Schlegel étaient deux des médecins dont Jean ii Riolan avait voulu dénoncer les erreurs circulationnistes dans ses Opuscula anatomica varia et nova (Paris, 1652, v. note [10], Brevis Destructio d’Hyginus Thalassius, chapitre i). Il y niait entre autres la petite circulation, cardio-pulmonaire, du sang, que Jean Pecquet avait clairement démontrée, après maints autres, dans le chapitre iii de sa Dissertatio anatomica.
Terme (Terminus) était chez les Romains le « dieu protecteur des bornes que l’on met dans les champs, et vengeur des usurpations. {a} C’est Numa {b} qui inventa cette divinité, comme un frein plus capable que les lois d’arrêter la cupidité. Le dieu Terme fut d’abord représenté sous la figure d’une grosse pierre carrée ou d’une souche ; dans la suite on lui donna une tête humaine placée sur une borne pyramidale, mais il était toujours sans bras et sans pieds, afin, dit-on, qu’il ne pût changer de place » (Fr. Noël).
- Étant donné les deux fonctions de ce dieu, Jean ii Riolan ne l’avait sans doute pas choisi au hasard.
- Deuxième roi de Rome, successeur de Romulus au viie s. av. J.‑C., v. note Patin 36/527.
Ces aberrations médicales font à présent sourire, mais font surtout bien comprendre ce qu’était la circulation sanguine de Galien, raffinée par Jean ii Riolan, et le gigantesque bond en avant qu’a permis la découverte de William Harvey.
En dépit de tous mes efforts, je ne suis pas parvenu à donner un sens cohérent à ce paragraphe. Sans oser croire que Jean ii Riolan ait pu le rédiger ainsi, je pense qu’il a été accidentellement corrompu par l’imprimeur et que ce défaut a échappé à la vigilance de ses correcteurs et de son auteur. Il me semble vaguement comprendre que l’obstruction de la veine cave inférieure serait la cause de bien des maux car elle supprimerait la sanguification hépatique, mais tout serait peut-être plus intelligible s’il s’agissait d’une obstruction de la veine porte. Une suppléance pourrait alors être assurée par la rate, où serait dérivé le sang mésaraïque, tandis que les lactifères emporteraient le chyle dans le cœur (mais avec un risque d’engorgement). En somme, la sanguification cardiaque serait un dangereux pis-aller…
Les autres écrits de Riolan ne m’ont guère aidé à y voir plus clair. {a} Son brouillard a pu s’inspirer de ce qu’a écrit Hippocrate dans le traité des Lieux dans l’homme (§ 3 sur les veines, Littré Hip, volume 6, page 283) :
« La veine cave marche avec l’œsophage ; elle se trouve entre la trachée et l’œsophage, elle passe à travers le cœur et dans l’intervalle du diaphragme, elle se partage aux aines et aux cuisses en dedans, fait les divisions dans les cuisses, et se porte aux jambes en dedans le long des malléoles ; ces veines coupées rendent l’homme impuissant ; elles se terminent dans les gros orteils. De la veine cave, une veine se rend au bras gauche ; elle se porte par dessous la rate au flanc gauche, auquel tient la rate par l’épiploon, et se termine à la poitrine ; elle est née vers le diaphragme, et se joint à la scapulaire au-dessous de l’articulation du coude ; on ouvre cette veine pour les affections de la rate ; à droite, une veine naît semblablement de la veine cave. Toutes les veines communiquent et s’écoulent l’une dans l’autre ; en effet, les unes s’abouchent avec elles-mêmes, les autres sont en communication par les veinules partant des veines qui nourrissent les chairs. »
- La note [9] infra illustre la manière dont Riolan savait exploiter les écrits hippocratiques pour étayer ses déroutantes hypothèses médicales.
Pour Galien, le foie, et non le cœur, alimentait la veine cave qui était la source de toutes les veines du corps (Doctrines d’Hippocrate et de Platon, livre viii, Kühn, volume 5, pages 656‑660).
Pour fortifier son argument sur l’incompatibilité de la circulation harvéenne avec la transformation du chyle dans le cœur, Jean ii Riolan aurait sans doute été ravi de savoir que sa demi-once (environ 16 millilitres) était très loin du compte : le volume d’éjection systolique varie entre 70 et 100 millilitres, et dépasse le double à l’effort. Cela permet aux cinq litres de sang que contient le corps de passer dans le cœur en moins d’une minute : soit bien plus vite qu’en une ou deux heures, et bien plus encore que les deux fois par jour fixées par la circulation riolanique.
William Harvey a exposé son scepticisme sur le chyle dans la première de ses trois lettres sur les Experimenta nova anatomica de Jean Pecquet. Riolan pouvait ne pas l’avoir lue, bien que la dédicace de la Defensio de Thomas Bartholin, où elle est copieusement commentée, soit datée du 1er février 1655 (v. note [1], de sa lettre à Johann Daniel Horst).
Jean ii Riolan ressassait ici la plupart des arguments qu’il avait développés en 1652 dans sa première Responsio, notamment dans sa 6e partie, Sur la circulation du sang. Cela est devenu à peu près inintelligible, mais atteste des contorsions que la découverte de William Harvey avait imposées à son esprit.
Il avait expliqué sa conception de la circulation sanguine, d’origine prétendument hippocratique, dans le chapitre iii, Circulatio sanguinis quodammodo cognita Aristotelis, eiusque sectatoribus, imo ante Aristotelem, Hippocrati, et aliis non fuit incognita [Comment Aristote et ses disciples ont connu la circulation du sang, et même comment, avant Aristote, Hippocrate et d’autres ne l’ont pas ignorée], de son Liber de Circulatione Sanguinis, page 556 : {a}
Nunc demonstrabo circulationem sanguinis probari posse ex variis Hippocratis locis. Ille sanguinem perpetuò moueri intra canales suos docet, lib. 4. de Diæta acutorum, corrupto sanguine, et nequeuntibus spiritibus naturales pertransire meatus, infrigidationes fiunt, quæ obstructionem et moram sanguini pariunt, atque ex eodem, libertatem meatuum procurat, ac restituit, in omnimoda venarum interceptione, venæ sectio. Idem, siue alius lib. de Corde, quatuor vasa Cordis, fontes et flumina corporis appellat, quibus rigatur vniuersum corpus : ergo sanguis est in perpetuo fluxu instar fluminis et fontis aquæ salientis, et licet duo vasa Cordis ad pulmones contendant, in iis tamen sanguis fluxum habet, dum recurrit in sinistrum Cordis ventriculum transeundo pulmones : Atque eleganter Hippocrates, duplicem circulationem sanguinis designauit, vnam quæ inter Cor et Pulmones : alteram quæ per vniversum corpus extenditur. Idem venas et arterias consimili nomine indigitat, quasi similem sanguinem continerent : et lib. de alimento, scribit, forinsecus alimentum ab extrema superficie, ad interiora peruenit, Confluxio vna, Conspiratio vna, Consentientia omia : et libro de Carnibus, Cor et venæ cauæ semper mouentur, et plurimum calidi in venis inest, et propterea spiritum Cor trahit ex omnibus in homine, calidum existens : et sub finem lib. de natura Ossium, Cor habenas habet corporis, laxante se, et constringente colorum mutationes facit. Sed apertius lib. de morbo Sacro. Venas turgere spiritibus, et consimiles arteriis sic describit ; In has venas etiam spiritus copiam inducimus, hæ enim nostri corporis respirationes sunt, aërem in seipsas trahentes, et reliquum corpus ac venulas deriuantes, refrigerantque, ac rursus demittunt, non enim possibile est spiritum stare, sed procedit sursum ac deorsum, si alicubi constiterit, ac interceptus fuerit, impotens redditur illa pars. Cuius rei signum hoc est, cùm desidenti, ac decumbenti venulæ compressæ fuerint, vt spiritus à vena non discurrat, statim torpor occupat, et de venis reliquis sic se habet. Deinde effluxus sanguinis arteriosi in carnes, qui proponitur ab Harueo, etiam ex Hippocrate probari potest, lib. 6. Epidemion. Carnes sunt attractrices ex ventre, et extrinsecus : et lib. i. de morbis, venæ magis trahunt quàm carnes, et cùm calefactæ fuerint, et exinanitæ magis attrahunt : Apud Hippocratem somniare de mari, humorum agitationem significat, et humores corporis mari comparantur, vnde voces quæ conueniunt fluctibus maris reciprocantis retinuit Hippocrates, quales sunt αμπωτις et πλημμυρις, accessus et recessus maris ad littus, quod explicauit Galenus, libello de Diæta Hippocratis : scire debet artifex, non solum in Oceano mari recessum et accessum fieri aquarum circa Lunæ transfigurationes, sed etiam in nostris corporibus quandam esse reciprocationem humorum, in quibus crescente Luna conuenit auxilia, quæ replent adhibere, decrescente autem detractione vti.[Je démontrerai maintenant que la circulation du sang peut être prouvée en se fondant sur divers passages d’Hippocrate. Au livre iv du Régime dans les maladies aiguës, il enseigne que le sang se déplace perpétuellement dans ses conduits, « Lorsque le sang est corrompu et que les esprits ne peuvent parcourir les voies naturelles, l’obstruction et le ralentissement du sang engendrent des refroidissements » ; et selon la même source, « Dans toutes les sortes d’interception du sang, la saignée libère les voies ». {b} Le même ou un autre auteur, dans le traité du Cœur, appelle les quatre vaisseaux du cœur « les sources et fleuves du corps, qui l’irriguent tout entier » ; le sang est donc en perpétuel écoulement comme l’eau jaillissant d’un fleuve et d’une source, et bien que deux vaisseaux du cœur gagnent les poumons et que du sang s’y écoule, il revient dans le ventricule gauche en traversant les poumons. {c} Hippocrate a donc élégamment décrit la double circulation du sang : l’une se fait entre le cœur et les poumons, et l’autre intéresse la totalité du corps. Ledit auteur donne le même nom aux veines et aux artères, comme si elles contenaient un sang identique ; et au livre de l’Aliment, il écrit « La nourriture va de dehors et de l’extrême superficie jusqu’aux parties les plus intimes ; confluence unique, conspiration unique, tout en sympathie » ; {d} et au livre des Chairs, « Le cœur et les veines caves se meuvent continuellement, et ces veines contiennent le plus de chaleur ; voilà la raison pour laquelle le cœur, qui est la partie la plus chaude dans l’homme, attire l’esprit » ; {e} et aussi à la fin du livre sur la Nature des os, « Le cœur tient les rênes du corps, provoquant des changements de sa coloration selon qu’il les resserre ou les relâche. » {f} Plus ouvertement, dans le livre de la Maladie sacrée, il décrit ainsi les veines qui se gonflent d’esprit, comme font les artères : nous introduisons aussi une abondance d’esprit dans ces veines car quand notre corps respire, elles attirent l’air à elles, puis elles se dispersent dans le reste du corps, le rafraîchissent et reviennent à leur point de départ ; il est en effet impossible à l’esprit de rester immobile, il se déplace vers le haut et vers le bas, et s’il en est empêché et s’arrête dans une partie du corps, il la rend incapable de se mouvoir. En atteste le fait que, puisque les veines sont comprimées quand on s’assoit et se couche, l’esprit ne sort plus de la veine et survient alors un engourdissement, et telle est la condition des veines et du reste. {g} La sortie du sang artériel dans les chairs, que propose Harvey, peut même être démontrée par Hippocrate au livre vi des Épidémies, « Les chairs attirent et du ventre et du dehors », {h} et au livre i des Maladies, « Les veines attirent plus que les chairs », {i} et quand elles se sont échauffées et vidées, elles attirent encore plus. Pour Hippocrate, rêver de la mer signifie que les humeurs du corps sont agitées, et il les compare à la mer en employant des mots qui conviennent aux marées, comme ampôtis et plêmuris, la montée des flots vers le rivage et leur descente, comme l’a expliqué Galien dans son petit livre sur le Régime : {j} « L’homme de l’art doit savoir que la montée et la descente des eaux selon les changements de la lune ne se font pas seulement dans la mer océane, mais aussi dans nos corps où existe un mouvement alterné des humeurs, aidé par la croissance de la lune qui les fait monter, comme sa décroissance les fait descendre. »] {k}
- Opera anatomica vetera et nova, Paris, 1649, v. note [4], Responsio ad Pecquetianos, 2e partie.
- Dans Littré Hip, ce traité n’est pas divisé en livres, ce passage correspond au § 5 de son Appendice, vol. 2, page 407
- Dans son Argument de ce court traité (volume 9, pages 76‑79), Émile Littré ne l’attribue pas claire ment à Hippocrate : « L’auteur est un anatomiste qui a examiné attentivement le cœur. » Riolan empruntait sa citation au § 7, page 85, sur les orifices artériels des deux ventricules : « Ce sont là les sources de la nature humaine, les fleuves du corps qui en arrosent l’ensemble, qui y portent la vie ; et quand ils sont desséchés, l’homme est mort. » La petite circulation cardio-pulmonaire est loin d’être aussi clairement décrite que ce qu’en disait Riolan (qui lui-même ne l’admettait pas).
- Littré Hip, volume 9, page 107, § 22‑23.
- Émile Littré a remplacé « esprit » (spiritum dans Riolan) par « air » (πνευμα, pneuma, dans Hippocrate), volume 8, page 593, § 6.
- Abrégé du texte de Littré Hip, sur les artères et les veines pulmonaires qui lient le cœur aux poumons, volume 9, page 197, § 19.
- Riolan généralisait hardiment l’explication veineuse de l’épilepsie qui est dans les § 7 et 4 de ce livre (Littré Hip, volume 6, pages 373‑375) et page 369).
- Loc. cit., 6e section, § 1, Littré Hip, volume 5, page 323.
- Loc. cit., § 20, sur les tumeurs, Littré Hip, volume 6, page 179.
- Galien, traité sur le Régime dans les maladies aiguës selon la sentence d’Hippocrate, volume 19, page 189. Je n’ai pas trouvé où Hippocrate a interprété le fait de rêver de la mer.
- Torturé par la jalousie, Riolan pensait qu’Harvey n’avait rien inventé. Ce texte ne prouve pas du tout qu’Hippocrate avait compris et expliqué la circulation du sang, mais démontre qu’on peut lui faire dire à peu près n’importe quoi en picorant dans les œuvres qu’on lui a attribuées et dans les commentaires que Galien en a donnés.
V. aussi, sur le même sujet, la note [4] de la lettre de Riolan à la Compagnie des docteurs régents de la Faculté de médecine de Paris.
Cette description du canal thoracique humain résume exactement celle que Charles Le Noble a donnée dans la seconde partie de sa lettre (v. sa note [11]) : il est très probable que Jean ii Riolan ne l’a pas vu de ses propres yeux à Paris (v. supra note [1]).
Jean ii Riolan avait publié sa première Responsio aux Experimenta nova anatomica de Jean Pecquet, en 1652, et ses Opuscula nova anatomica contre Thomas Bartholin et ses Funérailles du foie, en 1653 (avec la réimpression des écrits de Bartholin sur les lactifères, v. note Patin 16/308). Il estimait que Pecquet n’avait pas répondu à ses arguments dans la seconde édition de ses Experimenta nova anatomica (1654), dont la principale addition était la Nova de thoracicis lacteis Dissertatio, essentiellement parce qu’il y restait convaincu que le cœur était le lieu de la sanguification (ce qui est effectivement faux).
Le péricarde est certes entouré de graisse, mais Jean ii Riolan s’égarait en croyant qu’elle lui était apportée par les veines coronaires. La principale est la grande coronaire, qui assure en grande partie le drainage veineux du cœur et se jette dans l’oreillette droite près de l’orifice de la veine cave inférieure. Le myocarde (muscle du cœur, ou « substance dure et charnue du cœur », cordis substantia dura et carnea) est quant à lui nourri par les artères coronaires.
Transcription fidèle de ce que Jean Pecquet a écrit en 1654 dans sa Nova Dissertatio, expérience iii (point v de la conclusion, page 125).
Dans le point vii, expérience i de sa Nova dissertatio, Jean Pecquet a clairement dit qu’en période de jeûne, la lymphe remplace le chyle dans les lactifères mésentériques et le réservoir lombaire, et estimé qu’elle rince les canaux thoraciques après le passage du chyle. L’argument et les extravagantes déductions de Jean ii Riolan étaient absolument infondés car Pecquet n’a jamais parlé de sang dans les lactifères quand ils sont vides de chyle.
Jacobus Schegkius (Jakob Schegk, 1511-1587), médecin allemand érudit est auteur, parmi maints autres ouvrages, d’un traité De primo Sanguificationis Instrumento [Sur le premier instrument de la sanguification] (Strasbourg, Bernhardus Iobinus, 1580, in‑8o). Son sous-titre, page M iiij vo, Venosum genus esse primum et per se Instrumentum generationis sanguinis et non arnem Iocinoris [L’appareil veineux, et non la chair du foie, est à lui seul le premier instrument de la formation du sang], résume la conclusion, qui ne repose que sur un raisonnement branlant, sans la moindre démonstration anatomique : dans les veines mésaraïques, le chyle (au sens de suc alimentaire puisé par les intestins) serait transformé en sang que puiserait ensuite le foie.
Tomentum est le synonyme latin de stoïbê en grec, qui désigne la bourre dont on garnit les matelas, les sièges ou les coussins.
Guillaume Rondelet, 3e de ses 18 Libri de Piscibus Marinis [livres sur les Poissons de mer], {a} chapitre xiiii, De Corde, page 68 : {b}
Piscium, qui pulmonibus respirant, cor à terrestrium animantium corde ferè non differt. Aures enim, quas vocant utrinque habet, similiter sinus duos et arterias φλεβωδεις, et venas αρτεριωδεις, tunica quoque inuolitur, quam περικαρδιον vocantn nutriturque maximè vena à parte inferiore, ipsum cingente ac veluti coronante. {c}« Les poissons qui respirent par le moyen des poumons ont le cœur presque semblable au cœur des bêtes terrestres. Il a de côté et d’autre des petites éminences que l’on appelle oreilles, deux creux, veines artérieuses et artères veineuses, il est enveloppé d’une peau que l’on appelle περικαρδιον, {d} il est nourri d’une veine par le bas qui l’entoure comme une couronne. » {e}
- Lyon, 1554, v. note Patin 14/88.
- Après avoir dit que le cœur des poissons à écailles est très différent de celui des animaux terrestres.
- La traduction française est celle de Lyon, 1558, pages 62‑63.
- Péricarde.
- Veine coronaire.
Autre emprunt au livre iii de Guillaume Rondelet sur les poissons, {a} chapitre xx, De Felle eiusque Vesica [Le fiel et sa vésicule] (page 72), mais Jean ii Riolan l’abrégeait jusqu’à devenir difficilement intelligible :
In omnibus fellis vesica ex hepate dependet, vt bilem, quæ in hepate à sanguine secernitur excipiat. Verùm hoc interest, quod in quibusdam hepati ipsi adhæret : in aliis per intestini longitudinem extenditur, et in eam per venulam, tanquam per riuulum fel derivatur, vt in thumnis, pelamydibus, glaucis. In quibus hepati ipsi adhæret, vel est in ipsius summa parte per venulas bilem trahens, vel in ipsa est hepatis substantia, et in ea sic, vt ita dicam, immersus et obrutus, vt vix appareat, nisi conquiras curiosiùs […].[Chez tous les poissons, la vésicule du fiel est pendue au foie pour recevoir la bile qui se sépare du sang dans le foie. Il importe de noter que chez certains d’entre eux elle est attachée au foie lui-même, mais que, chez d’autres, comme les thons, les pélamides {b} ou les daurades, elle s’étend sur toute la longueur de l’intestin et que le fiel y entre par une veinule, semblable à un petit ruisseau. Chez ceux où elle tient au foie, ou bien elle est sur sa face supérieure d’où elle tire la bile par des veinules, ou bien elle est dans la substance même du foie, pour ainsi dire si bien enfouie et cachée qu’on la voit à peine si on ne la cherche pas très attentivement (…)].
- V. supra note [16].
- Poissons ressemblant aux maquereaux.
Ces variantes de coloration hépatique viennent encore du livre iii de Guillaume Rondelet sur les poissons, chapitre xix, De Hepate et Splene [Le foie et la rate], dont Jean ii Riolan n’a curieusement pas repris le début (page 71) :
Piscium aliis hepar est dicretum, aliis non discretum, quod tamen hepatis functiones obit. Cùm enim hepar venarum sit origo, et sanguinis fons, qui cibo succove aliquo nutriuntur, ventriculo, hepate, intestinis carere non possunt.[Certains poissons ont un foie séparé, d’autres non, mais sans être dépourvus des fonctions hépatiques : puisque le foie est l’origine des veines et la source du sang, les animaux qui se nourrissent de mets solides ou de quelque suc ne peuvent être dénués d’un estomac, d’un foie et d’intestins].
Aristote a parlé de la couleur du foie dans le livre iii des Parties des animaux, chapitre xii, mais n’en a pas déduit ce que disait Jean ii Riolan : il y a au contraire affirmé (comme Jean Pecquet dans le livre ii, v. note [10], Experimenta nova anatomica, chapitre i) que le cœur, et non le foie, est la source des veines et du sang. Il ne faut pas craindre le ridicule pour s’obstiner à faire dire à Aristote le contraire de ce qu’il a écrit.
Vers 12, poème xiv, de Catulle (v. note Patin 8/52), se plaignant d’un mauvais livre de poèmes que lui avait envoyé un ami :
Dî magni horribilem et sacrum libellum ![Grands dieux, quel horrible, quel exécrable petit livre !]
Comment ne pas en dire autant de l’Appendix de Jean ii Riolan où le vieux prince des anatomistes, sans tirer profit des brillantes intuitions de Charles Le Noble, mais en usurpant bizarrement ses observations sur les lactifères humains, se contentait de réchauffer en grand désordre ses vieilles attaques contre Jean Pecquet et William Harvey, en les assaisonnant de quelques extravagantes divagations tirées de sa féconde imagination ? Incapable d’opposer des arguments cohérents à la sanguification cardiaque, Riolan a grandement contribué à sa survie pendant les deux siècles qui ont suivi son aberrante élaboration (v. la Brève histoire du chyle).
Fin des Responsiones duæ reliées en 1655, mais la lettre de Charles Le Noble (v. sa note [1]) et la double réponse de Jean ii Riolan ont été rédigées et imprimées seules peu avant :
Page 35, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
appendix
ad Epistolam Riolani.
Qvoniam hodierna Anatome, et
peritia Medici, ab ignaris veræ Me-
cinæ reputatur consistere in cogni-
tione et demonstratione Venarum
Lactearum Mesentericarum et Thoracicarum,
neglecta cadauerum humanorum Anatomica
scientiâ, qualis in Scholis docetur, et inde mul-
tum se profecisse putant in Medicina, dum asse-
runt Cor hæmatoseos esse officinam ; Iecur bilis
reconditorium, et Vasorum Lymphaticorum
scaturiginem, Illos omnes, qui tractant istam
Anatomem eo modo cum iactantia et ostenta-
tione intolerabili, insanire sustineo, dum se vo-
cant veræ sapientiæ Anatomicæ cultores et pos-
sessores : Alios mutæ frigidæque Anatomes, Pro-
fessores appellant : Itaque proposui manifestè de-
monstrare illorum inscitiam et imperitiam in
rebus Anatomicis.Atque vt perspicua sit et intelligibilis nostra
demonstratio, priùs ostendam in Cadavere hu-
mano vnica lectione duarum horarum, absque
vlla laceratione, partium Vitalium in Thorace,
et Naturalium in aluo, sedes et functiones. Aper-
to igitur Thorace, cum eleuatione sterni, et ab-
Page 36, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
domine reserato, reuulsis ad latus plumonibus,
indicabo Venæ Cauæ bifurcationem in iugulos ;
Dein eiusdem Venæ progressum vsque ad Dia-
phragma, atque scisso Pericardio, truncus Ca-
uæ, iuxta Cor apparebit continuus, non bifidus,
vt Aorta, latere sinistro adapertus, et affixus dex-
tro Cordis ventriculo. Ipsum Cor ratione Peri-
cardij adhærentis centro nerueo Diaphragmatis
ad eam partem reuulsum, Diaphragma in circui-
tu Thoracis circumdatum separare culinam à
conclaui Cordis. Notanda etiam distantia semi-
cubitalis trunci Cauæ ab axillaribus vsque ad
aperturam eiusdem Venæ Cauæ iuxta Cor. Post-
ea demonstro istud foramen Venæ Cauæ intra
Thoracem, proximum esse Diphragmati. Præ-
terea Oesophagum, et Aortæ truncum bifidum
hæc continentur in Thorace notabilia. His ob-
seruatis descendo ad aluum, vbi manu reuulso
sursum jecinore, distractis ad latus sinistrum in-
testinis, manibus adstantium adiutus, detego Ve-
nam Portam et Venam Cauam pancreate vngui-
bus lacerato tumque patefacio truncum inferiorem
Venæ Cauæ esse continuationem superioris, sine
vlla interruptione in Hepate, sed tantùm eius basi
secundum longitudinem adhærere : juxta verticem
Iecoris duas Venas ab eo prodeuntes. Dein no-
tanda veniunt Aorta proxima Cauæ, Pancreas vn-
guibus diuulsum, Ventriculus ei superiectus, lien
proximus in hypochondrio sinistro situs. His
peractis ostendo functiones partium, in Thorace
Oesophagum deducere alimentum ad Ventricu-
lum : Cor excipere sanguinem per Venam Ca-
uam : Aortam transmittere per suos Canales san-
Page 37, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
guinem arteriosum in vniuersum corpus : et discisso
Corde internam structuram ventriculorum cum
septo demonstro, et Diaphragma instrumentum li-
beræ respirationis, et flabellum abdominis, in quo
considero intestina admittere alimentum subactum
in ventriculo, et deuoluere secundum tenuiorum
longitudinem, vt à Mesaraïcis vndiquaque exsu-
gatur ; Iecur verò per Venas Mesaraïcas Chylum ad
se trahere, lienem prolectare humorem melan-
cholicum ab Hepate per ramum splenicum portæ :
cystam {a} felleam, bilem : Tandem ab adstantibus
considerari cupio vasorum amplitudinem, vige-
sies capaciorem Lacteis Venis Thoracicis ; imò
Venas vnius manus aut pedis esse ampliores istis
tubulis Thoracicis, ut intelligatis longè dispa-
rem esse proportionem Venarum et Arteriarum
cum istis tubulis, qui totum Chylum ad Cor defer-
re perhibentur, quum tamen ratione copiosi Chyli
ascendentis ad Cor, propter dissipationem san-
guinis in nutricatu Corporis, capacitas Thora-
cicarum deberet esse amplior, et æqualis in fine
et origine, quod non reperitur in istis Lacteis
Venis Thoracicis.Atque in illo canali longitudinali Venæ Ca-
uæ à iugulo vsque ad Crurales Venas nullas val-
uulas adesse demonstrabo, vt detur libertas san-
guini excurrendi ab infernas ; sanguis
enim ascendens uuxta Cor non sistitur, vt coga-
tur subire Ventriculum cordis, neque descendens
à iugulo sistitur prope Cor. Potest habere suum
excursum vsque ad crurales vbi incipiunt Val-
uulæ apparere, vt supernè quatuor digitos infra
- Sic pour : cystim (errata).
Page 38, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
axillares Venas sitæ sunt Valvulæ. Ex illa cogni-
tione certa per inspectionem Venæ Cauæ incisæ,
cognosces Chylum ab axillaribus non directè
deferri ad Cor, sed fluitare posse supra vel infra
Cor, per Cauæ longitudinem cum sanguine.
Istud experimentum non potest fieri, nisi postre-
mo loco. Deinde asseuero in homine sano bis ter-
ve in die largiter comedente, vix semel intra
vnum diem totum sanguinem corporis Circula-
ri, quia Cor non auidissimè haurit sanguinem
pleno gurgite, sed guttatim instillatum cum de-
lectu, et quantùm indiget, ideoque Chylus si eò
migrat non ingreditur Cor, nisi lentè admodum
permixtus sanguini, Nec potest propter suam
crassitiem facile transire per foraminula septi
Cordis, imò in Corde potest hærere in foueolis,
et scrobiculis, et filamentis innumeris Valuula-
rum tricuspidum : Non labitur sanguis infusus
Cordi per pulmones, nisi cogente necessitate,
quod accuratè demonstraui, contra Harueum, et
Slegelium. Hoc Pecqueto incumbit probandum,
scilicet sanguinem et cum eo Chylum traduci per
pulmones. Nec est necessaria repetita sæpe Cir-
culatio sanguinis ad recoquendum sanguinem
et conseruandum calorem totius corporis, quo-
niam arteriosus sanguis calidissimus quoquouer-
sum continuò fluens et singulis momentis reno-
uatus sufficit ad instaurationem caloris vniuersi
corporis, multò minus ad recoquendum sangui-
nem imperfectè elaboratum in Corde vt asseritur.Addo, cum in trunco Cauæ nullus sit Deus
Terminus, qui desiniat limites ascendenti et des-
cendenti iuxta Cor, vt ascendens sanguis præ-
Page 39, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
beat locum descendenti cum Chylo, verisimile
est sanguinem ascendentem impulsum à spiriti-
bus, interdum flatibus continenter assurgere ad
iugulum, posseque subire Venam Iugularem in-
ternam, ni pessulum ostio obdidisset Natura, ne
irruat in cerebrum pariatque apoplexiam. Ergo
stabit Chylus in axillaribus, nec perueniet ad
Cor, defectu sanguinis supernè ruentis in Cor.Præterea, in Plethora ad Vasa, repletio va-
sorum potissimum continetur in Vena Caua,
inde Cor premitur, atque penè suffocatur,
nisi depleatur, ad auertendam Syncopem Car-
diacam, de qua Hipp. et Gal. tractarunt lib. 4.
de uictu in acutis. At quando adest illa Plethora,
sanguis artuum superiorum et cerebri non liberè
fluit in Cor, nisi paulatim solus ascendens occu-
pat {a} totam longitudinem Cauæ, ergo Chylus non
potest liberè ad Cor meare.Demonstraui ex Hipp. et Gal. magnam mor-
borum partem oriri ex motu sanguinis interce-
pto in Vena Caua, túmque languet, Cor, pulsu
intercepto. Tunc quomodo fiet hæmatosis in
Corde, interea non deficit nutritio Corporis,
quia Venæ et Arteriæ per Anastomoses mutuas
inter se communicantes suum sanguinem sibi in-
uicem communicant, ad conseruationem corpo-
ris, multique absque detractione sanguinis per
inedias diatritarias minuunt istam sanguinis vber-
tatem Cor suffocantem. Quod si contingat, vt
sæpissime accidit, Ventriculos Cordis obturari ab
isto sanguine crasso, ex permixtione Chyli con-
flato, breui moriendum est, quod non accidit in
illa hæmatosi facta in Hepate, quia Splen Hepatis
- Sic pour : occupet (errata).
Page 40, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
officio fungitur, dum per Venas Mesaraïcas de-
fertur sanguis, atque per istos tubulos lacteos
Chylus in summa necessitate potest deferri ad
Cor. Eam ob rem communicant inter se istæ Ve-
næ, Porta et Caua in partibus superioribus, ma-
gna Naturæ prouidentia, ne pereat animal, de-
fectu sanguificationis.Quia sanguificatio in Corde facta, habet pro
fundamento Circulationem sanguinis Harueianam,
quâ cessante, nulla foret sanguificatio in Cor-
de : operæ pretium est scire, an Pecquetus eius do-
ctrinam obseruet, in omnibus suis articulis ; Nam
Haueus Venas Lacteas admittit, sed Mesente-
ricas esse statuit, lactescere, dum Chylo turgent ;
per has Chylum ad Hepar deferri, ibi suis excre-
mentis expurgari omnem Chylum, per Hepar
transeuntem ; Præterea sanguinem ab Hepate ad
Cor delatum, veloci cursu vniuersum corpus
circuire intra vnam aut alteram horam. Nunc
peto, an motum istum circularem sanguinis mo-
tus Chyli sequatur ? quia deest accommodatum
Chyli vehiculum, scilicet refluxus sanguinis
moderatus ad Cor, è partibus superioribus des-
cendentis. Deinde per exilia foraminula vnius
tubuli Lactei, non potest ascendens Chylus sibi
viam facere, et æquo passu ire cum sanguine, quia
Cor in vnaquaque systole effundit sanguinis se-
miunciam veloci cursu, in quo nullam moram,
nec alterationem in Corde potest habere Chylus,
si credimus Harueo, Vvaleo, et aliis Anatomi-
cis. Parcior fuit Riolanus, et celeritatem mo-
tus retardauit. At Chylus in ista Circulatione,
quantum caloris adeptus est intra arterias, tan-
Page 41, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
tundem frigoris accipiet intra venas, quando re-
meabit ad Cor, vt recoquatur, ex Haruei doctri-
na, nam eo fine ad eum locum recurrit. At Rio-
lanus negauit et probauit sanguinem primæ re-
gionis circulari, atque sanguinem primæ et tertiæ
coctionis effusum in omnes extremas et extimas
corporis partes refluere ad Cor, nisi adsit maxi-
ma penuria sanguinis intra maiora vasa : Nec
sanguinem per pulmones circulari nisi cogente
necessitate. Ergo sanguis ille impurus remane-
bit, ad nutritionem partium vniuersi corporis, et
sic pessimè nutrietur corpus. Ego verò asseuero
Circulationem sanguinis Harueianam, non esse
absolutè vitæ necessariam ad recoquendum san-
guinem, spirituum restaurationem, nisi corre-
cta fuerit, vt ipse præscripsi. Præfero Hippocra-
ticam in qua sanguis Venæ Cauæ ascendentis vs-
que ad subclauias continetur. Vnde Cor depro-
mit suum sanguinem, ad generationem sanguinis
arteriosi, absque impetu et cum delectu, atque
motus perpetui in Corde conseruationem, quan-
tum indiget, absque vlla oppressione et violen-
tia. His positis, perit ista sanguificatio in Corde,
et absque ista sanguificatione potest uiuere ani-
mal, non autem deficiente sanguificatione facta
in Hepate, et tubuli Thoracici Lactei non habe-
bunt vsum, quem illis tribuit Pecquetus, sed dun-
taxat eum vsum obtinebunt, quem in iudicio
nouo assignauit, {a} in quo præter alios vsus consi-
sto : Nec eum ausi sunt Pecquetus et duo Doctores
Parisienses reprehendere.Absolutâ breviter ista demonstratione præce-
denti in corpore humano bene pasto, et quinque
- Sic pour : assinaui (errata).
Page 42, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
horis à pastu, stangulato, propero ad detegen-
dum Venas Lacteas Mesentericas, et recepta-
culum, atque manifestè demonstro istam dispa-
rem venarum Lactearum Thoracicarum capaci-
tatem et receptaculi exiguum spatium continen-
do Chylo, atque supra Mesenterium Venas dis-
persas in receptaculum fluentes, persequendo,
tubulos Lacteos Thoracicos ad axillares Venas,
obseruo, esse anfractuosos, et in vnum coïre ra-
mum sinistrum, qui affigitur axillari sinistræ, in-
terdum dextræ. Inde cognosces paucum esse
Chylum, qui eò defertur, ideoque datur occasio
dubitandi, si ad Cor totus Chylus deferatur, et
quo fine ; si ad Cor non perueniat, ad quid prodest
ascensus Chyli ad partes superiores. In eo Cardo
quæstionis vertitur. Meas coniecturas iam pro-
posui, libello contra Pecquetum, et altero contra
Bartholinum, quos legit Pecquetus, nec eis re-
spondere potuit, quibus vnicam addo. Exigua
illa portio Chyli Cordi illiquitur, ad reparandum
illum adipem durum seuo simillimum Cordi cir-
cumfusum, qui permixtus sanguini per venas corona-
rias spargitur in Cordis superficiem. Forsan
etiam ipsius Cordis substantiam duram carneam
nutrit, quæ tale requirit alimentum. Qui melius
coniectare poterit, is præclarus erit Anatomicus.Principalibus Corporis functionibus diuersæ
partes sunt assignatæ. Cor dicatum est fabrican-
do sanguini arterioso ex subtilissimo sanguine,
quem illi suppeditat Iecur proximum, ac proin-
de non potest ex Chylo, quia continuus affluxus
Chyli diuersæ substantiæ à sanguine, minueret
calorem Cordis, eique negotium facesseret, in
Page 43, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
elaborando sanguine arterioso, qui calorem cum
Spiritu vitali subtilissimo impertit. Id demonstro ex ineptissimo ratiocinio Pec-
queti. Veram αιματωσεως officinam esse Cor, sic
probat, Non sit idonea tantæ mutationi sangui-
nis in ascendente caua societas, ruit scilicet sanguis
à cerebro temperamenti frigidi, et manibus externo
frigori omnium membrorum maximè expositis, ad-
de ipsius Chyli, qui etiamnum incoctus est frigidum
pariter auctarium, et proinde vt in Corde perfectum
calorem acquirit, ita dico in Corde Chylum in san-
guinem commutari. Inde colligo ex isto sanguine
admixto, sanguinem arteriosum in Corde frigi-
dum præparari, et præsertim si transeat sanguis
iste chylosus iam frigidus per pulmones, vbi ex
continua attractione aëris refrigeratur magis,
conspurcatur, atque remeando ad sinistrum ven-
triculum isthæc incommoda potest creare, qua-
lia notaui fieri in dextro.Si ex Chylo in Corde pararetur sanguis, cor-
pus nostrum prauè nutriretur ; nam qui sunt gu-
læ et abdomini nati, et illi populi, qui sæpissime
per duodecim horas esitant, potant à meridie vs-
que ad mediam noctem, et saturi {a} traduntur le-
cto, ex solo Chylo, pauco sanguine asperso pro-
duceretur sanguis arteriosus, ac proinde esset
impurissimus.Supponamus præualere maiorem sanguinis
portionem : sanguis iste in vtroque Cordis ven-
triculo erit impurissimus, non defæcatus suis
sordibus, pituitâ, bile, tartaro, et lymphâ, quas
deponit ex tua doctrina in cerebrum, in cystim
felleam et Splenem, et Pancreas redeundo ad
- Sic pour : saturati.
Page 44, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
Iecur, et qui primus nutriet partes superiores
cerebrum et artus, retinebit istas sordes. Simili-
ter qui reliquum corpus infra Cor nutriet, reti-
nebit easdem sordes ; nam arteriosus, qui decur-
rit in Cœliacam arteriam ad nutritionem partium
aluinæ regionis, non est purus, nec defæcatur,
nisi dum recurrit ad Iecur per Venam portæ, ex
Pecqueto, ibique depuratur, deponitque suam sor-
ditiem : Atqui vix quarta pars sanguinis eò distri-
buitur, residuus sanguis ab extremis partibus re-
currit per Venam Cauam ad Cor ; sine transitio-
ne per Iecur, Ergo impurus adhuc deducitur ad
Cor. Deinde Chylus non potest etiam immixtus
sanguini sine aliqua mora in Corde alterari : Si
transeat per pulmones non melius excoquetur,
sed refrigerabitur ab aëre attracto, et conspur-
cabitur pituitosis excrementis, quæ generantur
in pulmonibus, vel in eos delabuntur a capite.
Ergo sordidior Chylus adpellet ad sinistrum cor-
dis ventriculum, præsertim in iis hominibus,
qui non habent sanos et purissimos pulmones.Certum est sanguinem purum defæcatum esse
dulcem, quia solis dulcibus nutrimur, ex Hippo-
crate et Aroistotele, atque in triplici coctione ali-
menti, fit sordium separatio ; At dum nutrimur
salsis, piperatis, acribus eduliis, inde similis Chy-
lus gignitur, cuius nulla fuit qualitatum facta se-
cretio in ventriculo et intestinis tenuioribus ;
sic talis Chylus salsus, acerrimus, piperatus ad Cor
deferatur et pulmones, non potest non offende-
re istas partes, quamuis dulcoratus permixtione
sanguinis, ac proinde partes illæ prauè nutrien-
tur, tam supra Cor putà Cerebrum et artus, quàm
Page 45, observationes raræ et novæ de venis lacteis.
quæ sunt infra Cor, quia dumtaxat portio illa,
quæ per arteriam cœliaciam influet, remeando
per venam portam defæcabitur in Hepate, ideó-
que partes omnes aluinæ regionis pessimè nu-
trientur illo sanguine primæ Circulationis.Multa dubia mihi occurrunt, quæ traductio-
ni Chyli ad Cor reluctari videntur. Nam vbi
Chyli traductio ad Cor absoluta et peracta est
(inquit Pecquetus) disparent isti tubuli lactei
Thoracici, cum ipso receptaculo, et in ieiunis
animantibus non reperiuntur, quia partes istæ
replentur sanguine. Quæro nunc, Vnde sanguis
ille manat, quo partes illæ replentur ? An à Ve-
nis Mesaraïcis, vel ab axillaribus ? Si ab his, er-
go sanguis descendit, contra leges Circulationis
Harueianæ : si à Venis Mesaraïcis, ergo isti tu-
buli sunt propagines Venæ Portæ, atque sanguis
ab his refugit vel repellitur, dum Chyli fluxus
irruit in has partes : si Chylus ascendens ad axil-
lares Venas suum amittit colorem, nec lacteus
decurrit ad Cor, cur idem denegatur chylo fluen-
ti in truncum Mesentericum. Quid si dicerem
cum Scheckio, {a} summo Philosopho et Medico, Ve-
nas proprietate insita sanguificare, vt libello eru-
dito demonstrauit, et Iecoris substantiam vasis
tantum inseruire circumfusam instar stœbes vel
tomenti. Si fortiter exsuffletur Vena Porta, eius
prius effuso sanguine, videbis receptaculum, et
Venas lacteas distendi, quod signum est manife-
stissimum vel esse propagines Portæ, vel cum eis
communicare in receptaculo. Adde quod distan-
tia itineris Chyli ad Hepar, per Venas Mesaraï-
cas est vnius palmi longitudine, in ascensu la-
ctearum thoracicarum. {b}
- Sic pour : Schegckio.
- Ajouter : triplio longior (note manuscrite).
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Istam rationem addo : Aues, pisces nutriuntur
ut viuant, tanquam animalia bipeda et quadru-
peda, habent Hepar, Cor, Intestina, Mesente-
rium, Aues etiam pulmones ; at in illis nullæ sunt
subclauiæ Venæ ; nescio an sint tubuli Thoracici
Lactei : si reperiantur non inseruntur supra Cor,
sed infrà : In illis videmus Hepar plenum sangui-
nis, atque rectà ire ad Cor sanguinem. Si partes
nutritiæ in istis animalibus ita sunt dispositæ,
quoad vsus et actiones Hepatis, et Cordis, cur
idem in aliis animalibus quadrupedibus et homi-
ne non fiet ? nec Hepar in illis sanguificabit ?Rondeletius summus Anatomicus, lib. 3. de Pis-
cibus, ita describit Cor piscium, qui pulmoni-
bus respirant, nec ab animantium corde ferè dif-
fert, habet duas aures, duos sinus, Venas Arte-
riales, et Arterias Venales totidem, coronariam,
Cauam, Pericardion : In omnibus fellis Vesica
ex Hepate dependet, vt bilem ab Hepate exsu-
gat : In quibusdam Hepati {a} immersa est per Ve-
nulas bilem trahens, Cor semper est rubrum, sed
iecinora Piscium sunt diuersi coloris, modò ru-
bri, modò crocei, aliis cærulei coloris, vt Lam-
petræ : Inde iudicauit Aristoteles, sanguinem vt
perfectionem suam recipiat in omnibus animali-
bus, ad Cor transire.Consideret Lector in quas absurditates addu-
cti sunt, qui Pecqueto fauent de sanguificatione
in Corde facta per ascensum Chyli ad Cor : Dî
sacrum et horribilem libellum, à duobus Medicis
Parisiensibus approbatum.FINIS.
- Sic pour : in Hepate.
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
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