M. Thomas Bartholin, à présent recteur de l’Université de Copenhague, salue son vénérable ami M. Johann Daniel Horst, naguère professeur de médecine à Marbourg, désormais très méritant archiatre de Darmstadt. [1][1][2]
De longues années se sont écoulées depuis que nous sommes devenus amis, [2] et c’est avec extrême gratitude et grande joie que vous venez de reprendre cordialement la plume, réparant les préjudices de notre silence mutuel. Sa durée ne m’a pas empêché de vous aimer toujours, mon cher Horst, vous dont le renom vante la droiture et fait connaître les écrits ; et j’admire en vos propos cette érudition que vous avez héritée de votre éminent père, [3] mais que vous avez immensément augmentée. [3] Je ne puis exprimer à quel point votre lettre a ranimé en moi l’affection que j’ai naguère éprouvée pour vous, d’autant qu’elle présente un équitable jugement sur nos vaisseaux lymphatiques [4] et sur les lactifères thoraciques, [5] pomme de Discorde, [4][6] à qui les sentiments de diverses gens [Page 171 | LAT | IMG] réservent un sort inégal. Avant de m’offrir votre plein assentiment, vous agitez pourtant de très savants doutes, que je pèserai soigneusement, avec la même franchise que j’ai trouvée dans votre claire exposition. Vous doutez des lactifères thoraciques dans la mesure où ils sont absents dans l’utérus pour assurer la nutrition du fœtus, peinant à croire qu’il puisse y puiser ses aliments par la bouche. Comme vous, j’en ai personnellement douté car, lors de la grossesse et de l’accouchement, nous n’avons pas encore pu voir distinctement nos lactifères s’insérer dans la matrice. Maints indices, que j’ai publiés, m’en persuadent pourtant, en attendant qu’un heureux génie mette un jour ces voies en évidence, sans nullement douter que l’honneur de cette bonne fortune incombe à un autre que moi. Nous nous fions à Hippocrate quand il dit que, « dans l’utérus, l’embryon suce l’aliment par la bouche », et de probantes démonstrations en ont été fournies par Harvey, dans son Essai lvii sur la Reproduction des animaux, [7] et par moi-même, au chapitre x sur les Lactifères thoraciques. [5][8][9][10] Chez les chiennes gravides, j’ai sûrement plus d’une fois vu des chiots tapis dans l’utérus, qui avaient la bouche ouverte et la langue sortie, avec le même liquide qui stagnait dans leur estomac et que nous tenons pour du chyle cru répandu dans l’amnios ; et il n’y a pas bien longtemps, j’en ai pareillement trouvé dans l’estomac d’un nouveau-né. À n’en pas douter, l’observation atteste que du chyle lacté afflue dans l’utérus et s’en écoule. [11] Vous suspecterez que le mouvement de ce lait vers la cavité utérine est contraire à la nature, [6] mais Hippocrate l’a tenu pour perpétuel dans son livre sur la Nature de l’enfant, [5] car il est habituel à la nature de faire pénétrer dans les matrices une petite portion de graisse adoucie, comme elle fait pour les mamelles : « Ces veines et d’autres analogues se rendent en effet dans les matrices ; puis quand il est parvenu à l’utérus, il a l’apparence du lait et l’enfant en tire quelque profit. » [7][12] Il juge que ces voies sont partagées, mais estime que la matière laiteuse est toujours détournée vers l’utérus pour nourrir l’enfant. Selon la règle ordinaire de l’état gravide, [Page 172 | LAT | IMG] le fœtus nage dans le liquide utérin, qui est une sorte de lait cru : Harvey le défend en maints endroits et donne le nom de colliquamentum à ce qui nourrit le fœtus, contrairement à Aquapendente, qui maintient, dans son Livre sur la Formation du fœtus, qu’il est utile à la lubrification des voies. [8][13] Le chyle lacté se rend donc perpétuellement vers l’utérus, et j’y ajoute qu’il en sort aussi très souvent. La raison en est qu’un embryon sain a besoin d’assurer lui-même sa sauvegarde et son alimentation, mais un utérus clos ferait obstacle à sa sortie, et s’il n’était ouvert et ne permettait pas au liquide de s’écouler goutte à goutte, l’enfant s’en trouverait fort affaibli, ce qui, je pense, s’est produit dans les exemples présentés par Du Laurens, Zacutus, H. ab Heer et d’autres. [9][14][15][16] Les sages-femmes ont d’ailleurs remarqué l’écoulement continu de liquide laiteux qui, chez les parturientes, survient au moment de l’accouchement et avec les lochies. [17] J’ai pensé que ce flux ne pouvait emprunter de voies plus commodes que les lactifères mésentériques [18] voisins de l’utérus pour s’y rendre et en sortir, bien que je n’aie pas encore accompli mon vœu de voir leurs insertions. Les veines utérines mériteront d’être aisément innocentées ; mais si vous l’attribuez aux artères, vous devez admettre soit qu’elles contiennent du chyle ou du lait, comme beaucoup l’ont déjà suspecté, pour des raisons exposées ailleurs, soit que le sang se transforme en lait dans l’utérus, ce qu’on peut difficilement affirmer sans grand préjudice pour les mamelles. [10][19]La modification des excréments vous mène ensuite à conjecturer que le fœtus ne se nourrit pas de la même façon dans l’utérus et hors de lui, puisque les matières fécales sont différentes chez les nouveau-nés et chez les enfants qui ont tété du lait, ne serait-ce qu’une seule fois ; mais en fait, très savant Horst, cette différence existe à peine. Comme vous savez, quand elle est administrée aux nouveau-nés, l’huile d’amandes douces leur fait expulser le méconium [20][21] et dilue cet excrément épais et brûlé par un long séjour dans les intestins, qui lui donne une apparence distincte. Quand existe une différence, [Page 173 | LAT | IMG] elle doit être attribuée au changement d’air, aux vagissements, [22] aux mouvements, à la respiration plus énergique et à d’autres accidents qu’un enfant affronte une fois né. Les excréments doivent en vérité être semblables puisque l’alimentation n’a pas changé ; et ils le resteront aussi longtemps qu’il ne se nourrira que de lait, avant de consommer d’autres mets. [11] Il est certain que, durant sa vie utérine, le fœtus aspire des résidus par la bouche, comme Hippocrate l’a prédit dans son Livre des Chairs, en prononçant cette sentence : « Ayant les lèvres serrées, il tète à la fois l’aliment et l’air dans l’utérus de sa mère » ; ce qu’il prouve en disant que « quand ils viennent au jour, les intestins des enfants s’avèrent contenir de la matière fécale, dont les hommes comme les bêtes se déchargent le ventre dès qu’ils sont nés. Ils n’en auraient pas s’ils n’avaient pas tété dans l’utérus ; et ils ne sauraient pas téter les mamelles en voyant le jour s’ils ne l’avaient fait dans l’utérus ». [12][23] De fait, la couleur du chyle ou du lait est variable, et la diversité des parties leur fait rendre des excréments divers. Selon Hippocrate, le fœtus ne se nourrit pas seulement de lait dans l’utérus, mais aussi du sang qu’il puise dans le cordon ombilical : [24] aussi dit-il, au livre iv des Maladies, [25] que l’excrément des embryons dérive du lait et du sang qui concourent à leur alimentation. Chez les adultes aussi, le sang se démet de ses excréments par les artères mésentériques [26] et ils s’évacuent dans les déjections alvines ; bien que l’homme soit incommodé par le jeûne, il a surtout tiré ces ordures du chyle, dont il se purge entièrement par maintes circulations, mais qu’il a aussi en partie amassées du fait de sa propre imperfection. [13]
Vous me talonnez en disant que si le fœtus tète du lait dans l’utérus de sa mère, il tétera en même temps les autres humeurs qui l’environnent. Nous ne pouvons douter que tel soit le cas puisque les humeurs excrémentielles abondent ordinairement chez les nouveau-nés : on en trouve beaucoup dans la gorge des chiots, des veaux, etc., et elles sont étrangères au [Page 174 | LAT | IMG] liquide amniotique, comme sont l’herbe et d’autres détritus. Plus ce liquide sera pur et clarifié, moins l’embryon qui y nage percevra d’incommodité à le boire, et s’il s’agit de lait, comme dit Harvey, [14][27] quel danger aura-t-il à le faire ? Si y sont mêlées d’autres humeurs inutiles à la nutrition, la nature agira avec discernement et le fœtus, résolu à préserver ses forces, n’y puisera que ce dont il a besoin. Ainsi les poissons dans les marais, comme guidés par la raison, ingurgitent-ils ce qui leur est utile et dont ils manquent. La nature a appris à tous les animaux à choisir, de manière à fuir les poisons qui sont dans les prairies. Dans l’utérus, l’embryon vit d’abord à la manière d’une plante puis, bientôt après, à la manière d’un animal, et sans être doué de raison, il choisit les aliments qui lui conviennent. La croissance de l’homme imite celle des arbres : selon leurs besoins, leurs racines puisent leur sève dans la terre, qui abonde en éléments variés ; les aliments qu’y captent le platane et le cerisier sont différents et adaptés à la condition de chacun, bien que la composition du sol soit uniforme ; la nature les guide dans leur choix, mais c’est la raison qui détermine les nôtres quand nous sommes adultes.
Voilà ce qui m’est venu à l’esprit pour défendre Hippocrate, en supposant que les nouveaux lactifères jettent beaucoup de lumière sur ce qu’il a dit, et en attendant que d’autres m’aient procuré de meilleures idées.
Votre savante plume en vient ensuite aux lactifères thoraciques, à qui, comme le très brillant Pecquet, [28][29] j’ai assigné la charge de véhiculer tout le chyle en direction du cœur, au détriment du foie ; [30] mais vous élevez des objections spécieuses qu’il m’est facile de lever. Quant aux vaisseaux lactés, dont j’étais convenu, après Aselli [31] et d’autres, qu’ils gagnent le foie, j’ai depuis découvert, après les avoir réexaminés plus soigneusement, qu’ils ne sont pas lactés, mais qu’il s’agit de vaisseaux naturellement transparents qui tirent du foie un liquide clair pour le mener dans le réceptacle du chyle, [32] et les ai appelés lymphatiques. En m’aidant du regard le plus perçant et du scalpel, je n’ai pu observer aucun vaisseau de couleur laiteuse dans le foie ni dans son voisinage, quoique j’aie jadis estimé par erreur que les vaisseaux lymphatiques [Page 175 | LAT | IMG] étaient lactés, ni aucun mouvement de liquide laiteux vers le foie, et la nécessité m’a contraint d’en porter la mauvaise nouvelle à cet organe. [15][33][34] Certains anatomistes, soit en haine de moi, soit par complaisance envers le foie, dont les fonctions se dissipaient contre leur gré, feraient voir à leurs auditeurs qu’il y existe deux rameaux blancs, mais je jurerai par la pierre de Jupiter [16][35][36] que ce sont des nerfs et non des vaisseaux lactés, comme la dissection assidue le leur démontrera. Sous prétexte que, par déférence pour le foie, il m’a jadis semblé les voir, avant ma soigneuse observation des lymphatiques, je voudrais que la nature et moi cessions d’être accusés de crime par les candides arbitres des faits, au nombre desquels j’ai l’honneur de vous compter. Vous me faites aussi remarquer qu’il n’y pas la proportion requise entre nos lactifères thoraciques et ceux d’Aselli, dans le mésentère. Je me souviens en être pareillement convenu jadis dans ma Description des lactifères thoraciques, pour ménager le foie, et Riolan m’a poursuivi de ses remarques. [17][37][38] Je l’ai contré comme il faut dans ma Défense, qui chauffe aujourd’hui sous la presse. [1] Le fait est bien que les grêles rameaux lactés mésentériques peuvent être proportionnés à la capacité du canal thoracique, dans la mesure où il est assez gonflé chez les animaux vivants et où son calibre dépasse celui des uretères. Surtout, le chyle s’y meut progressivement, étage après étage : afin qu’il ne s’engouffre pas d’un seul tenant dans le cœur, la cavité intermédiaire qui y est établie fragmente le volume qui doit emprunter ledit canal. Puisqu’il a plu à la nature d’instaurer cette harmonieuse proportion, elle doit aussi nous plaire.
En revenant aux vaisseaux lymphatiques, vous estimez que le liquide aqueux qu’ils contiennent descend du cœur plutôt qu’il n’y monte car, de mon propre aveu, elle dégoutte en partie dans les reins. Par les ligatures et l’insufflation, j’ai vu que le mouvement de la lymphe se dirige vers le cœur, en montant depuis les parties inférieures que sont le foie, les flancs, etc., mais en descendant des membres et des subclavières. [18][39] À proximité des reins, elle s’écoule avec le chyle, comme l’a observé Pecquet, mais elle ne parvient pas aux reins [Page 176 | LAT | IMG] avant d’avoir accompli une circulation entière avec le sang artériel pour s’y déposer et être filtrée. [40] L’utilité de la lymphe reste incertaine car nous n’avons pas encore suffisamment exploré sa nature. D’instinct nous vient d’abord l’idée qu’il s’agit d’eau pure et simple, et la finesse des membranes qui la contiennent la montre transparente ; mais si on l’expose à la flamme, son eau la plus subtile s’évapore et elle se consolide en gelée, de la même manière que le sérum [41] se sépare du sang après une phlébotomie. [42] J’en ai débattu dans les Vasa lymphatica chez l’homme, en déduisant que ces vaisseaux semblent pouvoir contribuer utilement à la nutrition des parties corporelles, laissant à de savantes gens le soin d’explorer cela plus avant. [19] Je vois que le subtil anatomiste Glisson s’est penché sur la question dans le chapitre xlv de son Anatomie du foie, qu’il consacre entièrement à prouver que la lymphe contenue dans mes vaisseaux lymphatiques provient en partie des émanations du sang qui se sont condensées en traversant les parois des artères, et en partie du refoulement de l’humeur nourrissante qui est apportée par les nerfs. [20][43] J’avais néanmoins estimé qu’entre autres usages, la lymphe sert aussi à diluer tant le chyle que le sang, parce que sans ce véhicule leur déplacement s’interromprait. Vous insistez en disant que la matière liquide qu’on absorbe peut suffire à la dilution ; et ce à juste titre bien sûr, car je reconnais que les boissons et l’humidité contenue dans les aliments procurent la substance de cette lymphe, laquelle est indispensable à sa régénération puisque c’est continuellement que celle qui subsiste après avoir accompli sa tâche se dissipe, en partie par la transpiration insensible, et pour une autre partie, s’écarte vers les reins, le péricarde, etc. [21][44] Par son humidité propre, elle favorise la concoction du sang, pour qu’il n’en soit pas privé par la chaleur du cœur [45] et la sécheresse des esprits, ou par sa propre concoction, qui requiert de l’humidité, ou qu’il ne soit exposé à des intempéries chaudes et sèches, comme on l’observe souvent en disséquant des cadavres tabides, [46] dont le cœur est entièrement desséché, et le sang encrassé et brûlé. [22] Étant donné sa froideur, la lymphe ne peut cependant empêcher ladite coction [Page 177 | LAT | IMG] puisqu’aucune partie d’un corps vivant n’est vraiment froide, sauf par comparaison avec celles qui sont plus chaudes. Je dirai même que l’infusion d’eau un peu fraîche dans un foyer fort chaud modère parfois une coction bouillonnante. [23] Albert Kyper, très brillant et savant professeur de Leyde, [47] ratifie et illustre fort bien mes conjectures dans ses récentes Institutions médicales, livre ii, chapitre xix, sur l’utilité du sérum et de la lymphe, où il tire ce commentaire des principes que j’ai établis : [24][48] L’utilité de la lymphe serait de rafraîchir et d’humidifier non seulement les parties à travers lesquelles elle s’écoule, mais aussi et surtout celles où elle conflue, à savoir le réservoir du chyle et le cœur, où elle n’intervient pas de manière univoque. Quand le chyle passe dans le réservoir, elle en dilue le contenu et emporte vers le cœur tout ce qui reste de chyle fort épais ; surtout aussi, elle empêche que des obstructions ne surviennent dans le réservoir et dans les lactifères thoraciques. Ensuite de quoi elle modère la chaleur du cœur et en y coulant, elle corrige sa sécheresse, ce qui rend le sang plus délié et fluide, et par conséquent plus apte à être digéré et distribué. Et récemment aussi, dans son érudite Anatomie du foie, Francis Glisson, anatomiste de Cambridge, convient que nos vaisseaux lymphatiques, qu’il appelle conduits de la lymphe, transportent un liquide qui profite au sang : Il est certain, dit-il, qu’elle empêche la coagulation du sang ; [49] et puisque sa plus grande partie a déjà été précédemment induite à se volatiliser et s’évaporer, il se joint facilement à la lymphe et aux esprits vitaux [50] qui s’associent à elle, et elle favorise ainsi le mouvement rapide du sang. [25] Les afflux d’humidité ne font craindre aucun dommage dans les artères, puisque la lymphe ne s’y attarde et ne s’y accumule pas, mais elle s’en expurge petit à petit en fin de circuit, par les voies que j’ai citées plus haut, aussi longtemps qu’elle y est naturellement poussée ; mais là où elle est retenue par quelque vice contre nature, elle induit une accumulation d’eau sous la peau. [51] Enfin, vous me sollicitez avec insistance sur une question de grande importance touchant aux modifications qu’il convient d’apporter à la méthode thérapeutique, [Page 178 | LAT | IMG] croyez-vous, dans l’hydropisie, [52] la cachexie, l’atrophie, [53] les fièvres, [54] qu’il ne faudrait plus attribuer au foie, mais aux vaisseaux lymphatiques. J’ai répondu à cette objection dans mes Doutes sur les lactifères thoraciques en démontrant que la méthode thérapeutique, approuvée par la longue pratique des médecins, n’est en rien modifiée, mais se trouve éclairée. [26][55] Le foie doit faire l’objet de la plus grande attention dans les maladies susdites car l’extraction de la bile et celle de la lymphe dépendent de son bon fonctionnement : s’il est défaillant, la bile causera des fièvres en refluant vers le cœur et le reste du corps, et la lymphe n’étant plus séparée du sang, il surviendra une anasarque. [27][56] Il serait extrêmement utile de remédier au rétrécissement des vaisseaux lymphatiques, à leurs solutions de continuité et à leurs autres défauts, pour les rendre accessibles aux effets d’un médicament connu. Après avoir montré le chemin à suivre, je laisse au temps et au génie des hommes le soin de résoudre bien des questions ; des curieux viendront après moi et parachèveront ce que j’ai découvert. Quant à vous pourtant, mon cher Horst, vous méritez tout mon respect pour ne pas condamner les mystères de la nature et pour ne pas prononcer, faute de connaissance plus convaincante, votre vote, dont j’attends pourtant qu’il sera favorable après que les doutes se seront dissipés. J’interviens en faveur de la nature et non de moi-même, lequel vous tenez pour un ami qui accomplit son devoir ; mais en aucun cas pour un tyran qui impose ses opinions, car les esprits sont libres, mais plus un homme est éminent, plus il est prompt à accepter les décrets de la nature. Je vois votre candeur et votre humilité à fouiller ses secrets, et opposerai sagement cela à d’autres demi-savants et jaloux. Croyez-moi, la réputation des précurseurs en empêche beaucoup de solliciter l’approbation de la nature, et ceux qui veulent nous suivront là où nous allons et non là où il faut aller. [28][57] Le foie fait tant les délices des mortels, qu’ils accusent de frauduleuse atteinte à leur pensée quiconque a défavorablement jugé de leur opinion sur les fonctions qu’il a jusqu’ici été convenu d’attribuer à cet organe. Voilà pourquoi [Page 179 | LAT | IMG] ils combattent avec autant d’acharnement pour le foie que s’il s’agissait de leurs autels et de leurs foyers, [29] et ils s’imaginent n’importe quoi pour délaisser la nature à l’avantage du foie. Riolan patauge encore dans ce bourbier : afin que le foie ne soit pas abandonné à la famine, il défend, à l’imitation des Anciens, les vaisseaux sanguins mésaraïques et certifie qu’ils véhiculent le chyle ; vaincu par l’évidence des faits, il admet néanmoins l’existence des lactifères thoraciques, mais en inventant qu’ils ne servent que d’anastomoses aidant aux échanges et à la liaison entre le sang de la veine porte et celui de la veine cave. [58]
Le très éminent M. William Harvey, qui a si hautement mérité de la république anatomique, foule aussi les traces des Anciens. Bien qu’il ait ailleurs fait suffisamment preuve de discernement et de perspicacité, je m’étonne fort de son mépris pour les lactifères, qu’il attaque en les tenant pour de vulgaires veines mésaraïques. Il semble si habité par sa circulation sanguine qu’il n’estime pas les veines chylifères à leur juste valeur. Ainsi ce bon Homère sommeille-t-il souvent, [30][59][60] et pense-t-il que suffit à sa gloire d’avoir enrichi l’anatomie de son immortelle découverte de la circulation. [61] Je ne dirai rien de fâcheux sur cet illustre anatomiste dont j’ai toujours estimé que les travaux sont parfaitement dignes du cèdre. [31] Je crois néanmoins que s’il avait eu le loisir de mettre tout le soin requis pour explorer les lactifères, il aurait jugé différemment ce genre de vaisseaux que tous ont manifestement eu sous les yeux. Il nie que le suc qu’ils contiennent soit du chyle destiné à nourrir les parties du corps, préférant dire « qu’ils surviennent parfois, comme fortuitement, et qu’ils reflètent une alimentation très riche et une digestion de bonne qualité, selon la même loi de la nature qui donne naissance à la graisse, [62] à la moelle osseuse, [63] à la semence, [64] à la pilosité abondante, etc. ; ou de la même façon que la saine résolution des ulcères et des plaies engendre du pus » ; [65] jusqu’à conclure que le chyle « est purement et simplement du lait », comme je l’ai compris de la lettre que vous m’avez donnée. [32][66] Si m’était imposée la nécessité de contredire Harvey, sans lui faire offense, je prouverais, en simple harmonie avec la nature, selon une règle qu’elle a établie et perpétuée, et non pas par hasard, que les veines nouvelles contiennent un suc blanc [Page 180 | LAT | IMG] car il les teinte constamment si on les ouvre dans la période où le chyle se distribue : ce qui survient toujours au moment opportun et chez tous les animaux ne peut être tenu pour fortuit ou rare. En outre, s’il ne s’agissait que du reliquat d’un repas trop copieux, soit il n’apparaîtrait qu’une fois la distribution du chyle achevée, soit il serait visible en permanence car, en raison de leur consommation continue, les parties corporelles se nourrissent sans interruption. Or, l’expérience est contraire à ces deux éventualités, montrant même que la digestion s’accomplit pour la totalité du corps, ce qui explique pourquoi les lactifères n’abondent que dans l’abdomen, mais sont rares dans le thorax et totalement absents dans la tête. On les trouve même chez les animaux malades ou malingres chaque fois que l’estomac digère des aliments. Si les lactifères ne suçaient que la partie la plus grasse du chyle, le reste serait frauduleusement détourné sous la forme d’un suc tout aussi excellent que nécessaire. Il est certain que la graisse n’emprunte en aucun cas des canaux particuliers : la cavité médullaire des os en est certes remplie, mais elle y stagne, comme enfermée dans une mare, sans présenter aucun mouvement manifeste ; et chacun conviendra que la graisse ne se forme pas à partir de la partie la plus grasse du chyle, comme Hippocrate semble l’avoir voulu, suivi par Folli. [33][67][68] Ces vaisseaux particuliers ne contiennent donc pas ce suc blanc par accident, mais par un décret permanent de la nature, et je ne suis pas entièrement hostile à l’idée qu’il s’agisse de lait. Il faut néanmoins explorer plus avant le propos de M. Harvey quand il dit que « ce lait n’est pas du chyle » et que ses vaisseaux ne sont donc pas chylifères. Si nous suivons Hippocrate, le lait est du chyle : dans son livre de la Nature de l’enfant, il enseigne que quand on appuie sur le ventre du lait afflue dans les mamelles ; et il ajoute plus longuement, dans la section iii, livre ii des Épidémies que les mamelles se gonflent des mets et des boissons. [69] Nul médecin ne niera donc que le maître de Cos appelle lait ce qui est élaboré dans le ventre à partir des mets et des boissons, et qu’il s’agit de chyle. Si les essais de Marziano sur Hippocrate ont quelque poids, [70] si les [Page 181 | LAT | IMG] arguments de Castellus, livre ii des Émétiques, [71] sont valides, le chyle se transporte directement aux mamelles avec tout ce qui l’accompagne, bien qu’on n’ait pas encore trouvé les voies qu’il emprunte. [34] Chyle et lait ne diffèrent qu’à peine. C’est une matière unie, où mets et boissons ne sont plus apparents, mais qui est la partie la plus proche et utile de la nourriture et du breuvage, et leur cause efficiente, qui convient à la nutrition de l’enfant comme de l’adulte ; nous recherchons sa présence en nous fiant à sa couleur et à ses autres caractères ; je ne vois rien qui s’oppose à l’idée que le chyle soit du lait ou que le lait soit du chyle, car tous deux sont naturellement blancs et de saveur douce, si rien d’étranger ne s’y est mélangé. Ils ne diffèrent que par leur perfection, comme il se fait pour le sang : le chyle est plus parfait dans les veines mésentériques que dans l’estomac car il a été filtré par l’étroitesse des vaisseaux qu’il a traversés ; de même, on peut dire que le lait est plus parfait que le chyle car il a parcouru un long trajet dans de fins canaux. Harvey désire pourtant que de solides arguments et de claires expériences lui démontrent que « ces veines contiennent du chyle qui y est venu des intestins et nourrit le corps entier ». Je ne discuterai pas la question de savoir si le chyle alimente directement le corps, ou s’il doit préalablement être transformé en sang, suivant une hypothèse qui ne plaît pas à grand monde, mais qui trouvera peut-être un jour des partisans. [35] Je démontrerai néanmoins que le chyle est incontestablement transporté de l’estomac et des intestins vers les veines lactées. On y trouve en effet, à l’état purifié, cette même crème blanche qui résulte de la transformation des aliments dans l’estomac, et elle ne peut y parvenir autrement. La continuité des parties concernées, établie par leurs abouchements communs, me permettra aussi de montrer qu’elles charrient un suc identique. Nul ne doute qu’il s’écoule de l’estomac par le pylore. [72] Trois sortes de vaisseaux peuvent le puiser dans les intestins, qui sont les veines, les artères et les lactifères du mésentère. Il ne s’agit pas de ses veines sanguines parce que 1. jamais il n’est permis d’y observer une trace [Page 182 | LAT | IMG] de liquide blanc, nul ne pouvant certifier ce qu’il n’a pas vu ; 2. la fonction des veines est de transporter le sang et non le chyle ; 3. lesdites veines mésaraïques sont soumises à la circulation et ne font que transporter le sang au foie, comme les ligatures le montrent plus clairement que n’est le soleil en plein midi ; 4. il semble inconsidéré de confondre entre eux des vaisseaux que la nature a distingués les uns des autres ; lactifères et veines mésentériques se montrent toujours différents, les uns étant toujours blancs et les autres toujours rouges. On ne peut se faire l’avocat des artères, bien que certains n’y répugnent pas, et il est hors de doute que s’y comptent aujourd’hui les adversaires des veines lactées. [36] Seuls les lactifères d’Aselli restent donc disponibles pour accomplir la tâche, comme diverses expériences le confirment infailliblement, car on y trouve le même liquide blanc qu’a digéré l’estomac. Je conviens certes qu’il a gagné en pureté, mais la raison en saute aux yeux : le chyle sort continuellement de l’estomac et sa partie qui a été la première élaborée s’en écoule d’autant plus vite qu’elle est plus déliée et moins épaisse ; les déchets les plus grossiers du chyle se déposent ensuite dans les intestins ; puis enfin, les étroits lactifères puisent le chyle épuré, dans une forme qui égale celle du lait, et il ne peut d’ailleurs être emporté s’il n’a pas atteint ce degré de blancheur. Aucune anastomose ne joint les lactifères aux vaisseaux sanguins qui sont les seuls à être présents dans leur voisinage. Le mouvement du suc lacté procède manifestement toujours dans le même sens : pendant la distribution du chyle, succédant à la première coction, les lactifères ne viennent jamais d’un autre endroit que l’estomac, [73] d’où ils s’éparpillent pour gagner le réceptacle et finalement le cœur. Les ligatures des lactifères font très bien voir que leur suc blanc monte en droite ligne non pas vers le foie, qu’aucun d’entre eux n’atteint, mais vers la cavité médiane du chyle, d’où il sort pour gagner le cœur en passant par les lactifères thoraciques ; [Page 183 | LAT | IMG] et quand vous avez lié ces conduits, vous observez comme la grande année de Platon, [74][75] et vous ne verrez jamais du chyle sortir de l’estomac ou des intestins pour se rendre ailleurs que là. J’ignore ce qu’on peut plus clairement démontrer en faveur du chyle. Ce sont des vaisseaux d’un genre particulier, distincts des veines mésaraïques, voisins des intestins, toujours blancs à la façon du chyle, remplis de ce suc au moment de sa distribution et pendant tout le temps de la digestion gastrique ; quand on les lie ils enflent sur leur versant intestinal, mais s’affaissent en aval, du côté de la cavité du chyle. Vous-même, dont le Titan [76][77] a façonné le cœur de la meilleure argile, jugerez si tout cela peut s’appliquer aux vaisseaux sanguins du mésentère, et je me fierai entièrement à votre avis. [37]
M. Harvey nie à présent que les lactifères servent à transporter tout le chyle. [78] Il se fonde sur un certain nombre d’arguments que j’examinerai brièvement, selon ce que j’en ai compris et le temps dont je dispose.
- « L’apparence de ces canaux n’est pas identique chez tous les animaux : chez les uns ils se rendent dans le foie et chez d’autres, dans la seule veine porte, quand chez certains ils ne gagnent aucune de ces deux destinations. [79] Chez les uns, on voit quantité de lactifères dans le pancréas, [80] et chez d’autres, dans le thymus, [81] quand chez certains vous n’en verrez dans aucun de ces deux organes. »
– Réponse. Il n’est pas surprenant de noter quelque diversité de ces branches, car les racines des arbres qui rampent sur la terre ne sont pas non plus toujours en même nombre et également sinueux. Quant à leur insertion, sa constance est absolument hors de doute : d’abord elles se réunissent toutes dans le réservoir pecquétien, chez les bêtes, ou dans des glandes lactées chez l’homme, où elles déversent leur liquide comme dans une cavité ; [38][82] ensuite et de là elles poursuivent leur route vers les veines axillaires [83] dans un canal qui est presque toujours simple, et rarement double. Il a jadis semblé à Aselli, de Wale [84] et même à moi qu’elles s’en allaient à la porte [85] et au foie, mais en y regardant de plus près, Pecquet a depuis présagé que c’était faux, et en y mettant toute ma diligence, j’ai découvert que si de magnifiques [Page 184 | LAT | IMG] conduits gagnent bien le foie, ce ne sont pas des lactifères, mais des lymphatiques qui tirent leur liquide hors du foie, sans l’y apporter en aucune façon. [4] J’admets que les lactifères fourmillent dans le pancréas d’Aselli ou dans la glande médiane du mésentère, et ce en permanence : cela leur sert de relais avant qu’ils n’aillent se vider dans le réceptacle ; de même que dans les racines des plantes, des nouures saillent souvent à intervalles réguliers, le pancréas, le réservoir, etc. regroupent les rameaux lactés épars en troncs. Le thymus, quand il est gonflé de lait, renvoie ce qu’il a reçu dans les lactifères thoraciques voisins, mais cela s’observe plus rarement chez les adultes, où il est fort petit, que chez les enfants, où il conserve la trace du lait ou du chyle dont ils se sont nourris dans l’utérus. Il est donc constant que dans tous les cas les lactifères ne s’insèrent pas dans le foie, mais dans les veines axillaires, par l’intermédiaire du réservoir du chyle, et qu’ils y délivrent la totalité du chyle.- « Chez maints animaux, on ne trouve absolument aucun chylifère et ils ne s’observent en permanence chez aucun d’entre eux. De tels vaisseaux nourriciers devraient pourtant être obligatoirement présents chez tous les animaux et à tout moment. »
– Réponse. J’abuserais de votre confiance en moi, mon cher Horst, si ces vaisseaux ne se trouvaient chez tous les animaux, grands comme petits, et même chez les poissons, comme je l’ai naguère montré dans l’exemple du lompe. [39][86] S’ils semblent absents dans les petites espèces, c’est qu’ils échappent à nos yeux et non que la nature a omis de les en pourvoir. À moins qu’on ne les regarde de trop loin, il n’est pas obligatoire qu’ils soient remplis de chyle à tout instant car ils servent à le distribuer, et non à assurer la totalité de la nutrition des parties : il s’agit d’un phénomène ininterrompu, puisque leur consommation est continue, mais le sang suffit à y pourvoir car il leur est délivré continuellement ; le chyle y contribue par intermittence [Page 185 | LAT | IMG] chaque fois que l’estomac reçoit des aliments ; néanmoins, même vides, les lactifères sont toujours présents, ne se chargeant de véhiculer la nourriture que quand l’estomac leur en envoie. Un animal ne doit pas s’alimenter continuellement, son estomac ne digère qu’un repas à la fois et l’aliment contenu dans le sang peut suffire à le restaurer entre-temps ; je ne vois pas comment s’en sortir autrement grâce aux veines mésaraïques ordinaires, car l’estomac ne leur délivre pas du chyle plus fréquemment qu’à nos lactifères. Nodi hi sunt in scirpo quæsiti. [40]- Il blâme « leur maigre capacité et leur structure inadaptée. Il faudrait en effet que leurs plus minces rameaux se terminent dans de plus larges, lesquels convergent en un très gros collecteur dont le volume corresponde à celui de tous les autres canaux. »
– Réponse. Les partisans des veines lactées ont jusqu’ici débattu entre eux sur la question de savoir pourquoi ils n’ont pas de tronc, et s’il leur manque, mais elle semble résolue depuis que j’ai trouvé, comme Pecquet, ce tronc dans le thorax ; ceux qui ne s’en contentent pas mettent pourtant en cause son étroitesse par comparaison avec l’étendue des veines lactées mésentériques, ainsi que la capacité inadaptée de cet ensemble à nourrir le corps entier. Bien qu’aucun besoin de la nature n’impose de règle établissant une égalité de grandeur entre tous les rameaux quand de petites branches convergent en de plus grandes, puis finalement en un tronc, nous aborderons ce point et le débrouillerons. Le mésentère contient de fins rameaux lactés qui sucent le chyle des intestins, de plus grands leur succèdent, s’intercalent ensuite une cavité puis enfin une très grande branche thoracique, égale à un tronc qui a la taille d’un uretère et évacue la cuvée que le réservoir a engloutie. Ce canal est certes unique, mais suffisamment gros et bien visible pour être capable d’égaler en capacité celle de multiples petits rameaux ; et bien que son calibre n’équivaille pas à la somme de tous les leurs, elle [Page 186 | LAT | IMG] suffit à transporter la totalité du chyle qui y parvient après sa digestion par l’estomac et sa distribution par les lactifères. L’examen direct nous enseigne qu’il en est capable puisque nous ne voyons pas de chyle se répandre quand nous le lions, et qu’absolument tout le chyle y passe pour se rendre dans les veines axillaires. Plus haut, j’ai réfuté l’argument fondé sur le besoin de la nature et, dans la mesure où la qualité de ces canaux n’est pas la même que celle des veines sanguines, il n’est guère opportun d’assimiler leur structure à celle de la veine porte. [41] Elle s’emplit en permanence du sang qui reflue de la rate, de l’estomac, du mésentère, des intestins, etc., et son tronc doit donc en recueillir chaque goutte qui lui vient de toutes ses plus petites veinules, qui le reçoivent des artères. Ce sang s’écoule sans interruption dans la veine porte, tandis que le chyle ne se distribue que par intermittence pour alimenter le cœur. Le parallèle avec la proportion existant entre le tronc d’un arbre et ses racines est de plus mal choisi ; il est certes communément appliqué aux veines chylifères, mais est à mon avis peu pertinent : d’abord, les racines des plantes sont dépourvues de cavité, et puisent le suc de la terre à l’aide de leurs fibres d’une manière qui n’est pas perceptible par les sens, tandis que la cavité des lactifères saute aux yeux de tout le monde et la comparaison qu’on tire de leurs nombres respectifs est futile ; ensuite, les racines des végétaux ne sont pas à assimiler aux seuls lactifères sans y inclure leur voisinage, que forment l’œsophage, la bouche, la langue, etc., car Aristote [87] dit qu’une racine est l’analogue de la bouche et du ventre, Cardan, De la Subtilité, [88] a proclamé qu’elle correspond au ventre, mais Scaliger, essai cxli, § 3, [89] l’assimile plutôt à la bouche, en se référant à Théophraste, Histoire des plantes, livre i, chapitre ii, [90] pour qui la racine est ce qui puise l’aliment. Néanmoins, en se fondant sur la sentence du philosophe, Scaliger concilie les deux points de vue : « Puisqu’elle reçoit, la racine est une bouche, et un ventre aussi, puisqu’elle digère. » [42] Aux racines des arbres correspondent donc, [Page 187 | LAT | IMG] chez les animaux, la bouche, l’estomac, les intestins, les veines lactées, et même le canal thoracique, qu’on compare improprement au tronc des arbres, parce qu’il doit être compté parmi ce qui est distinct du chyle et que ce serait, selon Théophraste, la tige dans laquelle est conduit l’aliment. Les racines ne se contentent pas de puiser l’aliment, elles le digèrent aussi, non seulement pour les branches de l’arbre, mais pour la plante entière qu’il forme ; Harvey ne veut pourtant en dire autant des lactifères qui ne transportent pas le chyle pour leur propre avantage mais pour celui du corps entier. Si donc nous poussons le raisonnement, ce qu’il faut comparer à la racine des plantes chez les animaux, ce sont tous les viscères qui produisent du chyle, le reçoivent, le transportent et le transforment en sang, soit aussi, pour embrasser tout l’ensemble, le cœur lui-même : ainsi l’assimile-t-on au tronc, et les artères à la tige qui nourrit les autres parties des plantes. Évaluez maintenant la proportion qui existe entre, d’un côté, les racines des arbres, et de l’autre, la bouche, l’œsophage, l’estomac, les intestins, les lactifères du mésentère, le canal thoracique et le cœur : la différence vous saute aux yeux, car tout cela est à inclure dans les racines des arbres. Théophraste, livre i, chapitre i de L’Histoire des plantes fait justement remarquer que tous leurs caractères ne doivent pas être interprétés comme semblables à ceux des animaux, [43] et il n’est pas constamment vrai que chez les végétaux le tronc ou la tige est proportionnellement égal à leurs racines. Examinez soigneusement les oignons, les orchis, les caras du Brésil et d’autres racines de cette espèce dont les racines surpassent de loin la petite taille de leur tige. Prenez en exemple l’alsine, les anagallis, les lentilles palustres, qui poussent profusément à partir d’une grêle racine, voire sans racine du tout. [44] Dans le genre des arbres, je mets en avant le cyprès, qui monte très haut à partir d’une mince racine. L’observation établit que le canal thoracique supporte bien la comparaison avec un uretère dilaté qui, en cas de nécessité, peut distendre sa membrane, comme par exemple quand [Page 188 | LAT | IMG] l’absorption d’une très grande quantité d’eaux exige d’être rapidement évacuée, ou en cas de lithiase urinaire, [91][92] où nous voyons les uretères atteindre le calibre d’une anse intestinale.- « Puisque les composants de l’urine empruntent copieusement cette voie, il ne voit pas du tout comment ces veines (lactées) peuvent conserver leur couleur laiteuse, ni comment l’urine peut n’en être absolument pas teintée. »
– Réponse. Quand elles s’écoulent très copieusement par ces lactifères, les urines sont composées de sérum, [93] qui leur donne la couleur de la lymphe et non du lait. Si du sérum s’est mélangé à du chyle blanc dans les lactifères, il sera filtré dans les reins et le sérum sera séparé des autres substances d’origines diverses ; à moins que le chyle, ayant rompu la barrière de ses voies, ne rende l’urine laiteuse, ce qu’on voit rarement, [45][94] mais dont j’ai publié ailleurs des exemples.- « Ces vaisseaux, s’ils transportent ce chyle, ne peuvent en permanence (bien qu’ils le fassent temporairement) contenir un liquide blanchâtre, mais ils devraient prendre par moment une teinte jaune, verte ou autre. »
– Réponse. S’il faut s’en tenir aux décrets des Anciens, tout le chyle doit être blanc parce que c’est la couleur qu’il acquiert à l’origine dans l’estomac et les intestins, mais cela requiert des nuances : le chyle qu’on trouve dans l’estomac n’est pas toujours blanc, sa couleur varie selon les aliments ingérés, devenant vert quand ils sont verts, rouge quand ils sont rouges, et ainsi de suite. Dans les veines lactées, il se signale pourtant toujours par sa blancheur, sans qu’on puisse aisément l’expliquer. La blancheur prévaut peut-être sur d’autres teintes plus faibles, dont ces vaisseaux ne pourraient donc pas s’imprégner ; ou aussi parce que ce qui n’est pas blanc sédimente dans les intestins avec les détritus plus épais ; ou encore parce que l’étroitesse des lactifères blanchit le chyle, comme sous l’effet d’un crible ou d’une digestion supplémentaire, en éliminant les autres couleurs, comme font les lis blancs qui extraient de la terre noire une sève de teinte semblable à la leur ; ou enfin parce qu’il est rare de disséquer des animaux qui ingèrent des aliments de couleurs bigarrées, mais si on les ouvre après qu’ils ont mangé de la rhubarbe [95] ou des asperges, [96] il n’y a pas de doute que [Page 189 | LAT | IMG] la couleur du chyle changera dans leurs lactifères, sans toutefois que leurs parois en soient modifiées au point que la blancheur cesse d’y prédominer. Si le lait est teinté, le chyle l’est bien plus encore. Dans les veines ordinaires du mésentère le sang n’est pas imprégné par la couleur de la nourriture parce que le rouge l’emporte, contrairement à ce qui se passe dans les lactifères où abonde le chyle. Ce dont les animaux se nourrissent, comme le fourrage, la viande, etc., [97][98] ou bien abandonne sa couleur dans les excréments qui verdissent souvent, car la digestion naturelle sépare aisément la verdeur des herbes, puisque le suc de la terre tire beaucoup plus sur le pâle que sur le vert ; ou bien la blancheur atténue ces couleurs dans les lactifères. Le rouge du sang est pareillement modifié par la digestion des viandes, et les fibres carnées résiduelles blanchissent naturellement. Les choses sont différentes pour les médicaments comme la rhubarbe, la casse, [46][99] qui passent rapidement et ne sont pas aisément digérés ou transformés par l’estomac ; mais la couleur jaune ou noire qu’ils confèrent à l’urine tient moins au médicament qu’à l’humeur qu’il purge. Quelque sentence qu’on choisisse de porter sur le lait ou le chyle, on peinera à se sortir autrement de cette difficulté.- « Si cette matière blanchâtre tirée des intestins était passée dans ces canaux, ce liquide aurait certainement dû se répandre partout dans lesdits intestins ou dans leurs parois spongieuses. »
– Réponse. Cette objection attaque une hypothèse ancienne avec plus de véhémence que nous ne le faisons, car elle suppose que le chyle blanc s’écoule dans les intestins avant qu’il n’ait été absorbé par les veines mésaraïques. Il est hors de doute qu’on trouve du suc blanc dans les intestins puisque le chyle y passe, quelque hypothèse qu’on suive, mais les excréments obscurcissent sa blancheur ; et il y a une bonne raison pour qu’il n’apparaisse pas lors des dissections, puisque les lactifères puisent par transfert rapide la partie la plus déliée et utile de la substance chyleuse et que le résidu [Page 190 | LAT | IMG] est éliminé dans l’excrément. Les préparations et les extractions qu’on effectue tous les jours dans les cuisines et dans les pharmacies enseignent comment on purifie les substances par filtration, et je ne parle pas des reins qui séparent le sérum du sang sans le teinter en rouge.- « Le chyle », ou le lait, « devrait alors conserver quelque trace de son ancienne nature, et sentir la pourriture. »
– Réponse. Tout va bien, puisque voilà le chyle débarrassé des exhalaisons méphitiques [100] des excréments, après qu’il a été filtré par les lactifères ; mais pourquoi, selon l’ancienne opinion, le sang qui est dans les veines mésaraïques ne dégage-t-il pas cette puanteur, comme il devrait partout faire ? La substance chyleuse intestinale sent mauvais par son mélange à des déchets qui sentent ainsi quand ils sont longtemps retenus car ils pourrissent sous l’effet d’une chaleur excessive dans un lieu clos, mais ils ne sentent rien s’ils sont trop rapidement déféqués, faute d’une force suffisante pour les retenir. Les résidus de la substance chyleuse ne sont pas seuls en cause, les excréments de la masse sanguine, venus du corps entier, se purgent dans le ventre par les artères et expliquent la très grande puanteur des fèces dans les corps malades. Le chyle intestinal offense les narines, mais une élaboration plus poussée dans les lactifères lui fait perdre sa mauvaise odeur, de la même façon que les plantes changent d’odeur, passant rapidement de celle de l’herbe dans leur tige et de la terre dans leur racine, à un agréable parfum dans la fleur. L’opium [101] a une odeur désagréable, mais la perd quand il a été convenablement digéré ; quand on brûle des scories de fer et de cuivre, elles dégagent l’odeur de leur métal d’origine ; les paysans amendent la terre avec du fumier sans qu’elle sente fort mauvais ; certains font présent de déjections de civettes, [102] comme Virgile [103] cherchait de l’or dans celle d’Ennius, [104] mais laissons-là ces délices fécaux. [47][Page 191 | LAT | IMG] En grand expert de la physiologie, Harvey s’attaque ensuite au passage du chyle dans le cœur et insiste sur quelques difficultés qu’il convient de résoudre brièvement pour donner plus de lustre à notre chyle car nous avons grande confiance dans la vérité de la nature.
- Puisque le chyle se mélange au sang dans les veines axillaires, « chacun demandera à juste titre pourquoi il ne passe pas dans la veine porte, puis dans le foie et la veine cave, comme l’ont, dit-on, observé Aselli et d’autres ».
– Réponse. Je dirai d’un mot qu’on ne peut légitimement s’interroger de la sorte pour la bonne raison que la nature ne l’a pas voulu ainsi ; et en prétendant la consulter, on peut énoncer maints principes semblables, mais tout aussi faux les uns que les autres. Si, comme il se doit, nous suivons ses règles, nos yeux nous font voir que les lactifères transportent le chyle dans les axillaires, mais jamais dans le foie ni dans la veine porte, à moins de vouloir contredire la nature en disant qu’elle se joue de nous. Suivant le même raisonnement, nous aurions dit que le sang peut sortir de la porte et de la cave pour nourrir les parties, mais la dissection enseigne que le sang venu des parties du corps emprunte la cave pour gagner le cœur, et la porte pour gagner le foie.- « Le chyle peut entrer dans les racines des veines mésaraïques, pour y être digéré par la chaleur du sang, puisque le cœur n’est la source de la chaleur, de la vie et de la perfection que dans la mesure où il contient une énorme quantité de sang. »
– Réponse. Le chyle ne peut simplement pas pénétrer dans les veines mésaraïques car nul ne l’y a jamais vu, la nature ne l’a jamais voulu et il n’y dispose d’aucun accès. Voici une expérience prouvant qu’il n’y entre vraiment pas : la ligature de la veine mésaraïque n’empêche pas le chyle de passer dans les lactifères, qui s’en gonflent peu à peu ; mais quand on lie les veines lactées, le chyle stagne et cesse de sortir de l’estomac ou des intestins, ou de progresser par les orifices des lactifères. Il pourrait se mélanger au sang porte si la nature avait choisi ces voies, mais nous ne la conformons pas aux caprices de notre cerveau. En médecine, il ne faut pas imaginer les hypothèses, [Page 192 | LAT | IMG] mais les extraire de la nature, et nous dépravons ce métier de la pire façon quand, sans l’assentiment de la nature, nous faisons prévaloir la théorie sur l’expérience. Nous croyons que le chyle ne passe pas dans la veine porte mais dans les axillaires parce que c’est ce que voient nos yeux, et tous ceux qui veulent vraiment scruter la nature doivent croire les leurs. Il ne m’incombe pas ici d’entreprendre la défense du cœur, que j’ai revendiquée dans mon Anatomie réformée, [48][105] et me contenterai d’avoir depuis démontré que tout le chyle se rend au cœur comme en un océan, d’où, mêlé au sang et copieusement baigné par la chaleur du cœur, il s’écoule dans tout le corps avec le sang artériel. Si le cœur ne méritait pas d’être appelé la source du sang, je serais mortifié qu’on attribue cette fonction au foie, car il en est bien moins capable et digne que le cœur, à quelque aune qu’on les évalue. [106][107]- « Plus d’artères et de veines irriguent les intestins que toute autre partie du corps, et ce de la même manière que les vaisseaux se développent dans l’utérus pendant le temps de la grossesse. »
– Réponse. Je n’oserais me ranger à l’idée que les veines sanguines sont si nombreuses dans le mésentère pour emporter le chyle, tout en sachant que tel a été le verdict de presque tous les anatomistes avant la publication d’Aselli. Je prouverai qu’il n’en est pas ainsi car il demeure que les vaisseaux lactés sont également nombreux, mais évanescents : pour évacuer cette petite fraction de chyle pendant un temps limité, de si grands vaisseaux sanguins et un tel amas d’artères et de veines n’était pas requis. Je ne veux pas répéter les arguments tirés de l’observation, qui montrent l’inutilité des veines et des artères mésaraïques dans le transport du chyle car il est difficile de pardonner à celui qui nie le témoignage des sens. Jamais on ne voit de chyle dans ces vaisseaux sanguins, et ni leur existence ni leur nombre ne pourra tenir lieu d’argument valide. La circulation harvéenne révèle leur véritable fonction : les artères [Page 193 | LAT | IMG] sont très nombreuses dans le mésentère parce que les parties froides, exsangues et fangeuses avaient besoin d’une grande quantité de sang chaud, c’est-à-dire artériel ; de même, les branches de la veine porte sont très nombreuses pour être capables de conduire au foie le sang qui reflue depuis les intestins, l’estomac, la rate, le péritoine, le mésentère, etc. Cela explique la vaste porte qui s’ouvre à lui, comme on le voit aussi dans les grosses veines jugulaires qui drainent le sang du cerveau, [108] qui est aussi un organe froid. Cela ne se compare pas avec la situation dans l’utérus gravide, car le fœtus se nourrit d’une grande abondance de sang qui assure sa croissance. [49]- « Tous les animaux pourvus de sang ont besoin de se nourrir, ils possèdent à cette fin des veines mésaraïques, ainsi que des veines lactées, mais ces dernières sont en bien moindre nombre et n’ont qu’une existence temporaire. »
– Réponse. Je rangerai à jamais parmi les monstres tous les animaux pourvus de sang qui ne possèdent ni lactifères, pour assurer la distribution du chyle dont ils sont remplis, ni autres fins conduits blancs qui la permettent. Autrement dit, je souhaiterais qu’on me nommât une seule espèce animale qui soit naturellement dépourvue de lactifères.- « Dans la vie fœtale, nous sommes nourris par les vaisseaux ombilicaux et tout l’aliment passe par le foie, et il en irait de même à l’âge adulte. » [109][110]
– Réponse. Bien des particularités du fœtus se modifient après la naissance : le mouvement de leur sang se fait de manière entièrement différente et la conformation de leurs organes est singulière. Après l’expulsion, le fœtus cesse d’être nourri par les vaisseaux ombilicaux, quand le placenta se détache de l’utérus et le cordon est coupé ; alors l’enfant tète à la mamelle et seul son estomac digère et distribue l’aliment par les voies que la nature a établies, c’est-à-dire par les lactifères et le réceptacle. Le sang maternel traverse le foie du fœtus, mais le foie ne fabrique pas le sang, il se contente de le préparer et purger, de la même façon que chez les adultes le sang de la veine porte gagne le foie pour être purifié avant de se rendre dans le cœur : ainsi donc les [Page 194 | LAT | IMG] lois de la circulation ne sont-elles pas enfreintes par les nouveaux lactifères, et la fonction du foie ne s’en trouve-t-elle pas modifiée. Néanmoins, nul n’affirmera que les veines lactées du fœtus ne puisent pas un peu de liquide chyleux pour le transporter au cœur, puisqu’on voit des traces de lactifères chez les nouveau-nés et que, selon Hippocrate, le fœtus tète du chyle laiteux dans l’utérus, [5] et il dit aussi que la plus grande partie de son aliment lui vient des vaisseaux ombilicaux. Il paraît donc vraisemblable que, chez le fœtus, une anastomose détourne une petite partie du chyle qui lui vient en abondance du foie, comme cela se fait chez l’adulte.- « Chez le fœtus humain, le thymus se trouve à tel point enflé de lait qu’il m’est arrivé de suspecter qu’il s’agissait à première vue d’un abcès. »
– Réponse. Le fait n’est guère surprenant puisque, la plupart du temps, le thymus est bien plus petit chez l’adulte que chez le fœtus, étant donné la grande quantité de matière humide et de lait dont il se nourrit dans l’utérus. On retrouve cette abondance chez les animaux nouveau-nés, à tel point que maintes gens se régalent de ris de veau. Il n’y a là rien qui contredise Pecquet quand il déclare que les lactifères constituent un genre particulier de vaisseaux lactés, car du chyle laiteux s’observe bien ailleurs dans le fœtus. On sait que le sang cherche souvent des échappatoires quand il s’épanche par ecchymose et rupture d’anévrisme, ou en maintes occasions qui lui sont données de sortir des veines. Chez une honnête femme qu’on considérait comme enceinte, j’ai récemment vu une si grande quantité de sérosité sanguinolente et de sang grumeleux s’écouler par en haut et par en bas qu’elle a rempli six de nos pintes, s’étant entièrement vidé les veines, sans que lui reste une goutte de sang dans le cœur. Il est parfaitement établi qu’une sérosité lactée s’écoule des mamelons des petits enfants et même parfois des adultes. J’ai noté maints exemples qui démontrent ainsi l’abondance du chyle laiteux et la richesse de ses voies. [50][111][Page 195 | LAT | IMG] Je cesse pourtant de tremper ma plume dans le chyle, plutôt que dans l’encre, pour vous montrer la candeur de mon esprit et mon empressement à vous servir. Recevez avec bienveillance mon avis sur la sentence d’un si éminent homme, qui fait la fierté de la république anatomique, et les amicales réponses que j’y ai ajoutées pour vous débarrasser de tout souci. Je vous ai présenté, comme au monde entier, des observations que la nature a ordonnées et que les anatomistes sincères approuveront, dont fait partie le très brillant Pecquet. Dans la récente réédition de ses Experimenta, il a honoré mes Vasa lymphatica d’un éloge, et m’a dédié sa dernière Dissertatio de thoracis lacteis, [112] mais peut-être n’est-elle pas encore parvenue entre vos mains. Il y défend courageusement ses arguments en faveur des lactifères thoraciques contre Riolan, et ses expériences confirment mes vaisseaux lymphatiques. Je me félicite d’avoir pour défenseur de mes travaux un si soigneux interprète de la nature, que j’opposerai aux autres Zoïles, [113] dont les jaloux assauts tentent de révoquer en doute la vérité de ma description et mes autres découvertes. [51] Il ouvre aussi une nouvelle voie pour purger la lymphe par le canal de Wirsung [114] et recourt opportunément aux lymphatiques pour concevoir l’utilité des lactifères et de leur réservoir lors du jeûne et chez le fœtus. Vale, très distingué Horst, vivez longtemps pour l’avantage de la république médicale et continuez, comme vous l’avez fait jusqu’ici, à être mon ami et celui de la vérité. Écrit à la hâte, au milieu de mes occupations publiques, à Copenhague, le 31 mars 1655. [52]
Cette lettre de Thomas Bartholin à Johann Daniel Horst, intitulée De Lacteis Venis Sententia Cl. V. Guilielmi Harvei expensa à Th. Bartholino [Sentence du très éminent M. William Harvey sur les Veines lactées, soigneusement pesée par Th. Bartholin], est annexée à la Thomæ Bartholini Defensio vasorum lacteorum et lymphaticorum adversus Joannem Riolanum [Défense des vaisseaux lactés et lymphatiques par Thomas Bartholin contre Jean ii Riolan] (Copenhague, 1655), {a} pages 169‑195. Elle a entre autres été réimprimée dans la Jo. Danielis Horstii observationum anatomicarum decas [Décade des Observations anatomiques de Johann Daniel Horst] (Francfort, 1656), {b} Lit. C. pages 68‑86.
Dans une précipitation qui embrouille souvent l’expression de sa pensée, {c} Bartholin y répondait d’abord aux remarques de Horst, et ensuite {d} aux objections contre Jean Pecquet qu’Harvey avait écrites à Robert Morison en avril 1652, puis communiquées à Horst.
- V. note [4] de notre Avis au bienveillant lecteur.
- V. note [20], première des trois lettres de William Harvey sur les Experimenta nova anatomica de Jean Pecquet.
- V. infra note [52].
- V. infra note [30].
Johann Daniel Horst et Thomas Bartholin étaient nés en 1616. Ils purent se connaître lors des voyages en Europe qui avaient émaillé leurs études médicales.
Horst n’a pas publié la lettre où il transmettait les objections de William Harvey à Bartholin et sollicitait ses avis.
V. note Patin 33/148 pour le médecin Gregor Horst, père de Johann Daniel. En 1655, ce dernier avait déjà publié plusieurs ouvrages, dont la première édition de son Manuductio ad Medicinam [Guide pour la médecine] (Marbourg, 1648, v. note Patin 32/458).
Dans le mythe antique, Discorde (Ερις, Eridos au génitif) est une : {a}
« divinité malfaisante à laquelle on attribuait non seulement les guerres, mais aussi les querelles entre les particuliers, les dissensions dans les familles, les brouilleries dans les ménages. Jupiter l’exila des cieux parce qu’elle ne cessait d’en brouiller les habitants. C’est elle qui, piquée de n’avoir point été invitée aux noces de Thétis et de Pélée, jeta au milieu des déesses la pomme fatale, cause de cette fameuse contestation dont Pâris fut le juge. » {b}
- Fr. Noël.
- Le jugement de Pâris déclencha, dit-on, la guerre de Troie.
La distinction entre le chyle et la lymphe (v. note Patin 26/152), dont les voies sont en grande partie communes dans le thorax, n’était alors pas clairement établie dans l’esprit des médecins. Thomas Bartholin se consolait de n’avoir pas découvert les voies du chyle avant Jean Pecquet, en ayant découvert celles de la lymphe : v. infra note [15] pour cette première description des vaisseaux lymphatiques (non lactés) par Bartholin en 1653, contestée par le Suédois Ole Rudbeck.
V. notule {f}, note [17], première Responsio de Jean ii Riolan, 5e partie, pour un extrait du lviie Exercitatio [Essai] de William Harvey sur la « Reproduction des animaux » (Amsterdam, 1651), consacré à la nutrition de l’embryon dans l’utérus, qui commence par ces trois paragraphes (pages 248‑249) :
Quàm non sit temerè negligenda veterum autoritas, vel hinc apparet : fuit olim celebris opinio (quam tamen, tanquam erroneam, plerique rejiciunt ; et Fabricius, ceu deliramentum, stultámque opinionem, impugnavit) Embryonem in utero materno sugere : habuítque Democritum, Epicurum, atque etiam Hippocratem astipulatores. Et Hippocratis quidem ratio duobus potissimum nititur argumentis ; nam, inquit, nisi suxisset, quomodo excrementa faceret : aut protinus à partu sugere novisset ?Atque hujus quidem perantiqui et celeberrimi Viri in nuda verba aliàs jurare solent, sufficitque in aliis rebus, αυτος εφη. hic verò (quòd receptæ vulgò sententiæ dissentanea afferat) Fabricius non modò affirmantem, sed et argumenta producentem aspernatur. Hanc igitur Hippocratis sententiam, num observationes nostræ, de generatio animalium, necessariam ; nedum probabilem faciant, peritissimorum Anatomicorum, et doctissimorum Medicorum judiciis relinquimus.
Omnes profectò fatentur, fœtum, dum in utero est, copiosam aquam innatre, (nos, in ovi historiâ, liquorem hunc, colliquamentum nominavimus ;) eandémque sudorem, et humorem excrementitium fœtûs esse, Neoterici asserunt ; húncque usum præstare ajunt, ut in ea natans fœtus, (interea dum mater currit, saltat, aut alio aliquo violento motu agitatur) uterum non offenderet, vel ipsemet ad circumposita ossa allisus, aut foris percussus læderetur ; præsertim, cùm eo tempore membra ejus tenella et infirma sint.
[Ce qui suit montre bien qu’il ne faut pas ignorer à la légère l’autorité des Anciens : jadis était répandue l’opinion (que la majorité a rejetée comme erronée, et que Fabricius {a} a attaquée comme délirante et folle) que l’embryon tète dans l’utérus de sa mère ; elle a eu pour défenseurs Démocrite, Épicure {b} et même Hippocrate, qui s’est principalement appuyé sur deux arguments, disant que s’il ne tétait pas, comment produirait-il des excréments, et saurait-il téter immédiatement après l’accouchement ? {c}
On a coutume, dans les autres cas, de jurer sur les seuls édits de cet antique et très éminent maître, et on juge suffisant qu’il ait dit quelque chose ; mais ici (parce que cela ne s’accorde pas avec l’opinion communément admise) Fabricius affirme qu’il a tort, et produit des arguments contraires. Nous laissons aux plus habiles anatomistes et aux plus savants médecins le soin de juger si nos propres observations sur la reproduction des animaux établissent la probabilité et même l’utilité de cette sentence d’Hippocrate.
Tous reconnaissent tout à fait que, durant sa vie dans l’utérus, le fœtus baigne dans une grande quantité d’eau (que nous avons appelée colliquamentum dans notre description de l’œuf), {d} que les auteurs modernes disent être le produit de sa sueur et de son humeur excrémentielle. C’est ainsi, disent-ils, que le fœtus qui y nage n’incommode pas l’utérus (quand sa mère court, saute ou est agitée de quelque autre mouvement violent), ou n’y est pas blessé en heurtant les os qui l’entourent, ou sous l’effet d’une cause extérieure, surtout dans cette période où ses organes sont encore grêles et fragiles].
- V. infra note [8].
- V. notes [6], lettre de Jacques Mentel, pour Démocrite, et [16], notule {a}, Brevis Destructio, chapitre i, pour Épicure.
- Dans la marge, Harvey cite les livres hippocratiques sur la Formation du fœtus, sur l’Aliment et sur la Nature de l’enfant (v. infra note [7]).
- Harvey appelait colliquamentum le liquide amniotique, que le fœtus ingurgite et rejette pendant toute la durée de la grossesse : il contribue à son équilibre hydrique et ionique, mais sa nourriture proprement dite lui vient de la veine ombilicale.
L’amnios (Furetière) est « la seconde taie ou membrane qui enveloppe immédiatement tout le fœtus, et qui est d’une substance plus déliée que le chorion. On tient que c’est elle qui reçoit sa sueur. Quelques-uns l’appellent l’armure du fœtus, et sa chemise. Ce mot signifie agnelet, et on lui donne ce nom à cause de sa délicatesse. »
Le xe des 20 chapitres de l’Historia anatomica de Thomas Bartholin est intitulé Lacteos ramos ad uterum quoque derivari [Des rameaux lactés gagnent aussi l’utérus], mais sans le démontrer.
L’adjectif præternaturalis, « contraire à la nature », établit que William Harvey avait lu la présente lettre de Thomas Bartholin à Johann Daniel Horst : v. note [31], dernière des trois lettres de Harvey sur les découvertes de Jean Pecquet (adressée à Horst et datée du 13 juillet 1655).
Hippocrate sur la Nature de l’enfant, chapitre 21 (Littré Hip, volume 7, pages 513‑515) :
« Le gras s’échauffe et blanchit, et la partie qui en a été dulcifiée par la chaleur provenant des matrices, se rend dans les mamelles par l’action de la pression ; il en va un peu aussi dans les matrices par les mêmes veines ; en effet, les mêmes veines et d’autres veines analogues se rendent aux mamelles et aux matrices. Quand ce liquide arrive aux matrices, il a une apparence de lait, et l’enfant en tire quelque profit ; mais les mamelles recevant le lait s’emplissent et se gonflent. Au moment de l’accouchement, le premier ébranlement ayant été donné, le lait se rend aux mamelles, si la femme nourrit. Voici ce qui se passe : les mamelles étant tétées, les veines qui s’y rendent deviennent plus larges ; devenues plus larges, elles tirent du ventre la partie grasse qu’elles transmettent aux mamelles. »
Dans le chapitre xviii de son Historia anatomica, Thomas Bartholin a plusieurs fois cité ce propos d’Hippocrate pour défendre l’idée que le lait dérive du chyle (et non du sang).
Le livre De Fœtu formato de Girolamo Fabrizio (Jérôme Fabrice) d’Aquapendente (v. note Patin 10/86), illustré de 33 merveilleuses figures, a notamment été publié dans ses Opera omnia [Œuvres complètes] (Leipzig, 1687, Johannes Fridericus Gleditschius, in‑fo). Il y soutient vigoureusement ce point de vue dans plusieurs chapitres de sa seconde partie (pages 79‑98).
V. notes [29]‑[30], Responsio ad Pecquetianos, 1re partie, pour l’avis plutôt bienveillant de Jean ii Riolan sur Du Laurens.
V. note Patin 62/219 pour les lochies ou vidanges utérines qui, lors de leur évolution normale, prennent en effet un aspect blanc, laiteux et puriforme (Murat, in Panckoucke, 1818, volume 28, pages 520‑521) :
« Au bout de vingt-quatre heures, les lochies séreuses sont ordinairement remplacées par un écoulement blanchâtre, d’une certaine consistance, à peu près inodore dans certains cas, et qui acquiert au contraire dans d’autres une odeur particulière plus ou moins prononcée, odeur qu’un accoucheur exercé reconnaît aisément. Cet écoulement, qui a une apparence puriforme, se maintient le plus souvent pendant trente-six ou quarante-huit heures, c’est-à-dire jusqu’à la formation de la fièvre de lait. On observe en effet que les lochies diminuent en quantité dès que ce mouvement organique commence, et qu’elles se suppriment ordinairement lorsqu’il est parvenu à son plus haut degré d’intensité, mais pour vingt-quatre heures seulement. La suppression des lochies qui a lieu pendant cette crise en est une suite si naturelle qu’on ne doit pas s’en mettre en peine ; elles se rétablissent d’elles-mêmes quand les sueurs deviennent moins abondantes et évacuent les matériaux qui devaient se porter au sein pour y former le lait : {a} aussi a-t-on occasion de remarquer que les femmes qui n’allaitent pas ont un écoulement abondant et prolongé, tandis qu’il paraît à peine ou dure au moins très peu de temps chez celles qui satisfont à ce vœu de la nature, aussi nécessaire qu’agréable à remplir. »
- Avant la découverte des hormones hypophysaires, on attribuait la stimulation de la lactation à l’utérus.
Pour défendre son idée que, durant la grossesse, le fœtus se nourrit de chyle laiteux, Thomas Bartholin niait la différence évidente existant entre le méconium et les matières fécales que les enfants exonèrent après le début de l’allaitement. V. note Patin 25/242 pour l’huile d’amandes douces.
On note au passage qu’il croyait aussi, comme Hippocrate (v. infra note [12]), que le fœtus respire dans le ventre de sa mère, ou du moins y reçoit de l’air (ce qui est moins faux), et ce en lien avec le vagissement utérin (v. note [2], notule {a}, Historia anatomica, chapitre x).
Chapitre 6 du livre cité, Littré Hip, volume 8, pages 593‑595 :
« L’enfant, dans le ventre maternel, ayant les lèvres continuellement rapprochées, suce la matrice et tire l’aliment et l’air dans le dedans du cœur, car cet air est très chaud chez l’enfant, autant du moins que respire la mère ; or, le chaud donne le mouvement à l’air et au corps, ainsi qu’à tout le reste. Si l’on demande comment l’on s’est convaincu que l’enfant dans la matrice suce et attire, on répondra ceci : l’enfant naît ayant des matières excrémentielles dans l’intestin, et il les rend aussitôt qu’il vient au monde, les hommes comme les animaux ; or, il n’aurait pas de matières excrémentielles s’il n’avait sucé dans la matrice et, à la naissance, il ne saurait prendre tout d’abord le mamelon si, dans l’utérus, il n’avait usé de la succion. »
Je n’ai pas trouvé l’explication de ces propos fort obscurs de Thomas Bartholin sur l’origine des matières fécales dans la source hippocratique qu’il cite.
Exercitatio [Essai] lix de William Harvey sur la « Reproduction des animaux » (Amsterdam, 1651, v. supra note [5]), Conceptus Cervarum et Damarum ut se habeat, mense Decembri [Le fœtus des cerfs et des daims tel qu’il se présente au mois de décembre], page 312 :
Nam quemadmodum nuper, cum Aristotele, diximus, vitellum esse lacti analogum ; Ita similiter à ratione non alienum credimus, materiam hanc, in placentæ uterinæ cotyledonibus sive acetabulis conclusam, fœtui lactis vicem supplere, quandiu in utero hospitatur : adeòque carunculas illas esse veluti ubera interna ; materiámque alibilem indè (pòst partum) in mammas transferri, et lactis naturam induere ; ut fœtus, hoc pacto, eodem victu forìs fruatur, quo intus gaudebat.[Nous avons dit plus haut, avec Aristote, que le blanc d’œuf est analogue au lait, et trouvons donc raisonnable de croire que cette matière, qui est enfermée dans les cotylédons ou acetabula du placenta, joue le rôle du lait pour le fœtus, tant qu’il est logé dans le ventre de sa mère ; si bien qu’on tient ces petites éminences charnues pour des sortes de mamelles internes ; et ensuite (après l’accouchement), la substance nutritive est transférée dans les mamelles où elle acquiert la nature du lait ; si bien que l’enfant une fois né jouit ainsi de la même nourriture que celle dont il disposait dans l’utérus].
- Les cotylédons (acetabula en latin, « godets ») sont les unités fonctionnelles vasculaires du placenta.
Dans le dernier chapitre de ses Vasa Lymphatica (Copenhague et Paris, 1653, v. note [25], Nova Dissertatio de Jean Pecquet, expérience i), Thomas Bartholin a expliqué pourquoi la découverte des lymphatiques l’a conduit à célébrer les lamentables Funérailles du foie.
Jovem lapidem jurare, « jurer par le Jupiter de pierre », Érasme, adage no 1533 :
Dicuntur qui sancte et religiose dejerrant. M. Tullius Epistularum familiarium septimo ad Trebatium : Quomodo autem tibi placebit Jovem lapidem jurare, cum scias iratum esse Jovem nemini posse ? Sumptum à prisco feriendi fœderis ritu, quod a patre patrato manu tenente lapidem conceptis verbis peragebatur, quemadmodum describit Titus Livius et Macrobius.[Se dit de ceux qui prêtent pieusement et solennellement serment ; Cicéron à Trebatius dans le livre vii des Épîtres familières : « Comment te plaira-t-il de jurer par le Jupiter {a} de pierre, quand tu sais que Jupiter ne peut se mettre en colère contre personne ? » C’est un emprunt à l’ancien rite suivi pour conclure une alliance, qu’un père patrat {b} accomplissait en prononçant des formules consacrées et en tenant en main une pierre, comme Tite-Live et Macrobe le décrivent].
- V. note Patin 5/134, pour Jupiter, le dieu des dieux antiques.
- Officier supérieur (hérault d’armes) chargé de concilier les deux partis lors des guerres civiles romaines.
Thomas Bartholin évoquait la critique détaillée de sa De Lacteis thoracis in homine brutisque nuperrime observatis, Historia Anatomica [Description anatomique des Lactifères du thorax récemment observés chez l’homme et les bêtes], {a} parue dans les Opuscula nova anatomica [Opuscules anatomiques nouveaux] de Jean ii Riolan, {b} pages 15‑16 :
Pag. 76. Proportio esse debet vasorum lacteorum ad vasa chylum recipientia, sive hepar, sive cor, at nulla est ductuum lacteorum pancreatis, et thoracicorum ad cor, vel hepar proportio, si vel soli hi, vel illi chylum deferunt, lactei meatus in thorace sic satis exiles sunt, et foramina ad axillares quoque nimis exigua, quam pro copia chylo tranuehendo, et lactearum in abdomine pari pacto minores sunt lacteæ communes mesentericæ, quæ ex pancreate ad hepar serpunt, quàm sunt in mesenterio toto igitur ; nec hac nec illa omnis chylus potest amandari, sed partim hac, partim illac ; pars enim chyli ad cor per receptaculum Pecqueti, et lacteos thoracicos labitur, pars ad hepar, vel immediatè per lacteas Asellij ex Pancreate, vel mediatè per Cauam, Portam et Emulgentes.Hic articulus inconsideratè à te scriptus, destruit tuam doctrinam de Venis lacteis, dum contendis duas partes contrarias conciliare : Nam ostendis vtriusque semitæ difficultates ac remoras ad traductionem chyli, propter vasorum exilitatem et angustiam, nec alterutrum sanguificandi organum recipere posse totum chylum : quis non rideat vanitatem istarum venarum lactarum ad hepar desinentium ? si nequeant totum chylum ad hepar vicinum traducere, et necessum sit tenuiorem chyli portionem ascendere ad cor, quam non attrahit, quia non indiget, quum habeat sufficientem, et interdum vberiorem per circulationem, sanguinem. Quo fine ad partes superas deuehitur tenuior chyli portio ? An vt cor citâ mutatione ad sui corporis restaurationem transformet, opinione Bartholini : ego Cor nutritur chylo.
[Page 76. {c} Il doit exister une proportion entre les lactifères mésentériques et les vaisseaux qui reçoivent le chyle, qu’ils soient dans le foie ou dans le cœur. Ni les conduits lactés du pancréas qui vont au foie, ni les lactifères thoraciques qui vont au cœur ne sont ainsi proportionnés, si les uns ou les autres sont tenus pour véhiculer la totalité du chyle : les conduits lactés du thorax sont assez grêles et leurs abouchements dans les veines axillaires sont trop exigus pour qu’y passe une telle abondance de chyle ; il en va de même pour les lactifères abdominaux, où les collecteurs mésentériques qui se glissent du pancréas dans le foie {d} sont bien plus petits qu’il n’y a de lactifères dans la totalité du mésentère. Le chyle ne peut donc être entièrement drainé par l’une ou l’autre de ces deux voies, mais doit se partager entre elles : pour une partie il s’écoule vers le cœur en passant par le réservoir de Pecquet et les canaux thoraciques ; pour l’autre, il gagne le foie, soit directement, par les lactifères d’Aselli sortant du pancréas, soit indirectement par les veines cave, porte et rénales. {e}
Vous avez écrit ce paragraphe sans bien vous rendre compte qu’il démolit votre théorie sur les veines lactées. Vous essayez d’y réconcilier deux avis contraires en montrant que, par la gracilité et l’étroitesse de leurs conduits, chacune des deux voies oppose des obstacles et des ralentissements au transport du chyle, ce qui empêche que l’un ou l’autre des deux organes de la sanguification reçoive la totalité du chyle. Qui ne rira en entendant que la terminaison des veines lactées dans le foie est un mensonge ? {f} Elles ne pourraient, selon vous, lui apporter tout le chyle du voisinage et sa partie la plus déliée devrait monter vers le cœur, mais lui ne l’attire pas car elle ne lui manque pas, étant donné qu’il a suffisamment de sang et que la circulation l’en arrose parfois trop copieusement. À quelle fin la fraction la plus déliée du chyle devrait-elle gagner les parties supérieures du corps ? Bartholin pense que le cœur la transformerait rapidement {g} pour assurer la restauration du corps ; mais pour moi, le cœur se nourrit de chyle].
- Édition de Londres, Johannes Grismond, 1652, in‑12 de 103 pages, qui est la thèse de Michael Lyser, écrite et présidée par Bartholin.
- Paris, 1653, première partie intitulée : Judicium novum de venis lacteis, sive de unione vel synanastomosi venæ portæ cum cava, et Examen libri Thomæ Bartholini… De lacteis thoracicis… [Jugement nouveau sur les veines lactées, ou de l’union ou anastomose entre les veines porte et cave, avec l’Examen du livre de Thomas Bartholin… sur les lactifères thoraciques…] ; v. note Patin 16/308 pour ces deux ouvrages.
- Cela correspond aux page 53‑54, point v du chapitre xv dans l’édition de Copenhague (1652), que nous avons intégralement transcrite, traduite et annotée. Ce chapitre est intitulé : Non omnem chylum per thoracicas lacteas ad cor ferri, sed aliquem ad hepar per lacteas mesenteri [Tout le chyle n’est pas transporté au cœur par les lactifères thoraciques, mais une partie gagne le foie par les lactifères mésentériques].
- En 1652, bien que personne ne les eût formellement démontrés, Bartholin croyait encore en l’existence de ces chylifères joignant le pancréas au foie, imaginés par Gaspare Aselli en 1622 (v. note [1], Experimenta nova anatomica, chapitre i).
En 1653, Bartholin allait découvrir que ces vaisseaux ne transportent pas du chyle dans le foie, mais en font sortir de la lymphe ; ce qui le mena à changer d’avis et à écrire son « épitaphe du foie » (v. note [1] du susdit chapitre xv de son Historia anatomica).
- Bartholin était donc hélas dans le vrai, tel qu’admis par la physiologie moderne, en n’adhérant pas encore à la sentence radicale que Jean Pecquet avait énoncée en 1651 : « le chyle n’est détourné ni vers le foie, ni vers la veine porte, ni vers la veine cave, à proximité des veines rénales » (pages 13‑14, chapitre v des Experimenta nova anatomica).
- Riolan refusait de croire que deux organes, foie et cœur, puissent se partager la sanguification, mais tenait pour établi le drainage des lactifères mésentériques dans le foie (dernier paragraphe, 2e partie de sa première Responsio à Jean Pecquet).
- En sang.
Les deux derniers mots qu’emploie Thomas Bartholin pour expliquer les vaisseaux lymphatiques sont inattendus. Sa description est plus claire dans la figure de ses Vasa Lymphatica (Copenhague, 1653, v. supra note [15]). Dessinés dans le tronc d’un chien, on y voit les lymphatiques des pattes antérieures rejoindre les veines axillaires et ceux du reste du corps converger vers le canal thoracique puis la veine axillaire gauche (mais sans entrer dans tous les détails de leur organisation complexe). C’est en voyant les lymphatiques hépatiques rejoindre la citerne de Pecquet que Bartholin s’est cru autorisé à prononcer ses pathétiques Hepatis obsequiæ [Funérailles du foie] et à rédiger son épitaphe.
Vasa lymphatica (Copenhague, 1653, v. supra note [15]), Usus Vasorum Lymphaticorum [Utilité des vaisseaux lymphatiques], chapitre vii, pages 47‑52 :
Usus venarum Lymphaticarum esse potest, 1. Ut nutriendas partes onere inutilis sibi aqvæ levent. 2. Ut aqvam aliis partibus certos in fines apportent, inprimis cordi, sive ad sanguinem alioquin crassiorem nonnihil diluendum, sive calidiorem temperandum, sive ad sanguinis concoctionem promovendam. Interea et chylum in mesenterio et lacteis ductibus fluxilem reddunt, quia aqva in vasis suis prope hepar et Iliacum copiosè redundat in chyli distributione. Forsan extrahitur continua aqvæ circulatione, qvidqvid adhuc utile esse posset, velut crebris destillationibus, amandaturque tandem ne Sisyphi saxum volvamus, sero permista lympha sive ad renes, sive corporis habitum. 3. Multorum in corpore accidentium causam reddant expeditiorem. […]Optimè Tullius : In re nova atque admirabili, investigato, si potes, si nullam reperies causam, illud tamen exploratum habeto, nihil potuisse fieri sine causa, eumque
errorem, quem tibi rei novitas attulerit, naturæ ratione depellito .[L’utilité des veines lymphatiques peut être : 1. de soulager les parties qu’elles irriguent du poids de l’eau qui leur est inutile ; {a} 2. d’apporter de l’eau aux autres parties dans de strictes limites, et surtout au cœur, soit pour diluer le sang qui y est d’ailleurs parfois très épais, soit pour modérer leur trop grande chaleur, soit pour y promouvoir la digestion du sang ; ainsi rendent-elles plus fluide le chyle contenu dans le mésentère et dans les conduits lactifères, car l’eau y abonde copieusement près du foie et des lombes, permettant le mouvement du chyle ; peut-être une circulation continue d’eau en extrait-elle ce qui est encore utilisable, comme par de multiples distillations, et finalement, pour que nous ne roulions pas le rocher de Sisyphe, la lymphe mêlée au sérum s’éloigne-t-elle soit vers les reins, soit vers les structures constitutives du corps ; 3. de hâter l’évolution de nombreux accidents survenant dans le corps. {b} (…)
Cicéron l’a parfaitement dit : « Face à un fait nouveau et surprenant, cherche si tu peux, et si tu n’y trouves aucune explication, n’en tiens pas moins pour certain que rien ne se fait sans cause, et en te référant à la nature des choses, chasse cette terreur que la nouveauté t’aura procurée. »] {c}
- Cela préfigure le drainage permanent du liquide interstitiel exsudé lors des échanges capillaires sanguins dans toutes les parties du corps.
- Ces deux dernières hypothèses sont aujourd’hui nettement moins pertinentes et intelligibles que la première : on y perçoit néanmoins vaguement l’évacuation par la lymphe des déchets accumulés dans les tissus, et le rôle éminent qu’elle joue dans la défense de l’organisme contre les agressions (immunité).
- De la Divination, livre ii, chapitre xxvii.
« Anatomie du foie » de Francis Glisson (Londres, 1654, v. note Patin 34/433), chapitre xlv et dernier (pages 401‑458), De actione et usu Lymphæ ductuum, sive Canalium aquosorum [Action et fonction des conduits de la lymphe ou canaux aqueux].
Thomas Bartholin résumait fidèlement les idées de Glisson. Elles lui ont valu moins de renom posthume que sa description de la capsule du foie.
V. note [9], Dissertatio anatomica, chapitre v pour la transpiration insensible des humeurs. Les cavités du tronc (péricarde, plèvres, péritoine) et des articulations (synoviales) contiennent normalement de très faibles quantités de liquide clair apparenté à la lymphe, mais diverses maladies peuvent en augmenter considérablement le volume.
Tout cela se fonde sur l’idée, fausse mais alors nouvelle, que le sang est produit par le cœur, où il subit sa « concoction » (digestion qui le fait parvenir à maturité), et rejoint les hypothèses avancées par Thomas Bartholin dans la note [19] supra.
Héritées de la médecine hippocratique, les quatre qualités de la matière vivante – chaud, froid, humide, sec – encombraient encore désespérément tous les raisonnements médicaux (et même philosophiques) sur le corps sain ou malade, tant en hygiène qu’en thérapeutique. Les plus hardis se hasardaient seulement à ne plus croire en ces vieilles lunes qui réglaient tout l’équilibre supposé des humeurs. Avec sa lymphe froide et humide, Thomas Bartholin se pliait aux règles de son temps.
Alberti Kyperi Philosophiæ ac Medicinæ Doctoris, huiusdemque in Academiâ Lugduno-Batava Professoris Ordinarii Institutiones Medicæ, ad Hypothesin de Circulari Sanguinis Motu compositæ…
[Institutions médicales d’Albert Kyper, {a} docteur en philosophie et médecine et professeur ordinaire en l’Université de Leyde, qui les a accommodées à l’hypothèse du mouvement circulaire du sang…] {b}
- V. note Patin 57/166.
- Amsterdam, Joannes Jansonius, 1654, in‑4o de 346 pages, divisé en quatre livres.
Le chapitre xix du livre ii est intitulé De Sero, ut sit sanitatis et morborum causa [Du Sérum, en tant que cause de bonne santé et de maladies]. Thomas Bartholin empruntait au § iv, pages 190‑191.
Kyper avait dûment rendu hommage à sa source dans le bref § iii :
Hæc innixi observationibus Clarissimi Thomæ Bartholini, Amici nostri, in tractatu quem Vasa Lymphatica appellat, proponimus, ad quem Lectorem nostrum brevitatis studiosi ablegamus, pauca solùm de temperamento et usu utriusque subjuncturi, ut constare possit, quomodo unumquodque fiat sanitatis causa.[Je me suis appuyé sur les observations de mon très brillant ami Thomas Bartholin, dans le traité qu’il a appelé Vasa lymphatica, auquel, par souci de brièveté, je renvoie mon lecteur. J’y ajouterai seulement un petit nombre de considérations sur le tempérament et l’utilité du sérum et de la lymphe, en vue de montrer comment l’un et l’autre interviennent dans la santé du corps].
Dernière phrase du livre de Francis Glisson (v. supra note [20]), page 458 : nouvelle venue sur la scène médicale, la lymphe se voyait nantie de vertus extravagantes dans des fonctions qui étaient encore fort obscures (coagulation sanguine, et échanges gazeux respiratoires ou hématose moderne).
Les Dubia anatomica (Copenhague et Paris, 1653, v. note Patin 19/325) sont une des réponses que Thomas Bartholin a opposées aux attaques de Jean ii Riolan contre le passage thoracique du chyle. Leur chapitre v et dernier (pages 28‑36) est intitulé Propter ademptum Hepati sanguinis munus, non esse immutandam Methodum medendi [La charge du sang qu’on a ôtée au foie ne mène pas à modifier la méthode thérapeutique]. Il examine les conséquences médicales des changements physiologiques induits par la double découverte des lactifères thoraciques (Jean Pecquet, 1651) et des vaisseaux lymphatiques (Bartholin, 1653) avec une conclusion en six points :
J’ai traduit in tumorem aquosum universum Corpus elevat [le corps entier s’enflera d’un œdème aqueux] par « surviendra une anasarque » (autrement nommée leucophlegmasie, v. note Patin 19/307), qui est la forme extrême et généralisée de l’hydropisie. Elle est principalement liée à une défaillance du foie, du cœur ou des reins, et bien distincte du lymphœdème proprement dit (par obstacle au drainage lymphatique d’une région corporelle), qui n’est jamais généralisé.
Toutes les parties du corps engendrent de la lymphe ; le foie n’est que la plus volumineuse, mais Thomas Bartholin a confusément entremêlé ce que sont aujourd’hui devenus les œdèmes aqueux et lymphatiques dans le chapitre vii (pages 49‑50) de ses Vasa lymphatica (v. supra note [19]) :
Quantum mente assequor, obstructis venis Lymphaticis, quando liquor tenuis à partibus non separatur, oritur Anasarca vel Leucophlegmatia, vel quando impedito per has transitu, ad venas ire cogitur, Ascitidem excitant, vel quando ob tenuitatem tunicæ à copia vel liquoris acrimonia vel incumbentibus gravioribus rumpuntur corrumpunturque in cavitates vicinas seu abdomen seu thoracem effluit aqua, maximi morbi causa.[Tout me porte à penser que, quand les veines lymphatiques sont obstruées, leur liquide ténu ne se sépare pas des parties et survient l’anasarque ou leucophlegmasie ; quand son évacuation par ces vaisseaux est empêchée, la lymphe s’efforce de gagner les veines, qui engendrent l’ascite ; {a} quand les parois des lymphatiques rompent ou se corrompent, sous l’effet de l’abondance ou de l’acrimonie de leur contenu, ou sous les charges excessives qu’ils subissent, la lymphe s’écoule dans les cavités voisines, abdominale ou thoracique, et devient cause de très graves désordres].
Emprunt à La Vie heureuse de Sénèque le Jeune, v. note Patin 28/413.
C’est-à-dire « ce qu’ils ont de plus cher » : adage classique commenté par Érasme, v. note Patin 17/1139.
Horace, L’Art poétique, vers 359‑360 :
Indignor quandoque bonus dormitat Homerus ;
uerum operi longo fas est obrepere somnum.[Je m’indigne quand il arrive au bon Homère de somnoler, même si, au cours d’un long ouvrage, il est permis de s’assoupir].
Thomas Bartholin entamait la critique des arguments de William Harvey contre les voies du chyle, que Johann Daniel Horst lui avait transmis. J’ai mis entre guillemets les citations, toutes empruntées à la première lettre de Harvey.
V. note [40], lettre de Sebastianus Alethophilus.
En en diffusant la copie, William Harvey assumait pleinement les arguments qu’il avait exposés dans sa lettre à Robert Morison (avril 1652, v. supra note [5]) d’où viennent les propos que j’ai traduits entre guillemets.
Ce passage est l’un des plus cruciaux de notre édition car Thomas Bartholin y envisage et rejette explicitement la spécialisation du chyle dans l’absorption et la distribution des graisses {a} que Claude Bernard a prouvée être la juste explication de son existence. {b}
Le Discorso anatomico nel quale si contiene una nuova opinione circa la generatione, et uso della Pinguedine, con altri principij Hippocratici… [Discours anatomique contenant une opinion nouvelle sur la production et l’utilité de la graisse, avec d’autres préceptes hippocratiques…] {c} de Cecilio Folli {d} a discrètement mais astucieusement enrichi le débat sur les lactifères avec des arguments originaux qui ont semé la graine de sa solution, en sombrant pourtant dans un regrettable oubli.
En se fondant sur de multiples citations du corpus hippocratique, Folli établit d’abord la diversité des substances qui constituent la matière vivante, {e} à laquelle correspond celle des aliments. {f} Il en déduit que la graisse, notamment celle qui compose la moelle osseuse, n’est pas un tissu inerte, mais vivant. Écrivant avant la description des voies du chyle par Jean Pecquet, Folli propose enfin que les lactifères servent à absorber la partie grasse des aliments (pages [D3] ro‑vo) :
Il latte adunque ò humor latteo, di cui la prima mentione ch’io habbia veduta fare fù dall’Aselio, che lo fece vedere nei bruti, et da me anche in vn cadavere humano, è stato publicamente dimonstrato, è la parte più bianca, et ontuosa del cibo, che per vasi proprij al Pancrea vien transportato.Che nel corpo humano, come negli animali ancora sia quest’humor latteo, e continuamente da cibi si generi, e per vasi proprij passi al pancreas ; chi non è cieco, e se ne voglia chiarire (osseruando quanto in proposito delle vene lattee s’è scritto) non lo potrà negare, e Hippocrate nel libro de Alimento diceua. Lac, et sanguinis {g} alimenti sunt redundantia. Circuitus ad multa consoni sunt ad fœtus, eiusque alimentum rursus autem sursum repit in lac, et in alimentum, et ad infantem. Viuificantur animalia, viuificantur non animalia, viuificantur partes animalium. Naturæ omnium nullo doctore vsæ sunt. Da che si caua, ch’essendo il sangue, e il latte redondanza d’alimento, e essendo l’vno distinto dall’altro, e facendo gli accennati circuiti alle mamme, all’infante, e alle parti del corpo, ciò segua à fine di nutrirli ; onde essendo, come hò detto, dal sangue distinto, non s’hà da dire, che l’vno dell’altro si faccia.
[La première mention que j’ai vue du lait, et donc de l’humeur lactée, a été faite par Aselli, qui l’a montrée chez les bêtes. Je l’ai moi aussi démontrée publiquement sur un cadavre humain. C’est la partie la plus blanche et onctueuse de la nourriture, que des vaisseaux particuliers transportent vers le pancréas.
Cette humeur lactée est toujours présente dans le corps humain comme dans celui des bêtes, où il s’engendre continuellement de la nourriture, et passe dans le pancréas par des vaisseaux particuliers. Qui n’est pas aveugle et veut y voir clair (en observant ce qui a été écrit sur les veines lactées) ne pourra nier ce qu’Hippocrate a dit dans le livre de l’Aliment : « Le lait et le sang sont les surplus de la nourriture. Les périodes concordent généralement pour le fœtus car, en montant, son aliment se transforme lentement en lait puis de nouveau en aliment ; il en va de même chez l’enfant. Ce qui a vie donne vie, ce qui n’a pas vie prend vie, ce qui est partie des animaux gagne vie. Les natures n’ont absolument aucun maître qui les instruise. » {h} On en déduit que le sang et le lait sont les surplus de la nourriture, mais que l’un est distinct de l’autre ; ils parcourent les circuits susdits chez la mère, chez l’enfant et dans les parties du corps, en vue de les alimenter continuellement. Étant donné, je le répète, qu’ils sont distincts, il est vain de dire que l’un provient de l’autre]. {i}
- V. note [3], Historia anatomica, chapitre iv.
- En 1855, v. note [10] de la Brève histoire du chyle.
- Venise, dal Giuliani, 1644, in‑4o de 6 feuilles.
- V. note [3‑2], Experimenta nova anatomica, chapitre vi.
- Des Chairs, chapitre 3, sur la genèse des êtres vivants (Littré Hip, volume 8, page 587) :
« Tout cela roulant ensemble, quand la confusion s’y mit, la terre retint beaucoup de chaud çà et là, ici de grands amas, là de moindres, ailleurs de très petits, mais en très grand nombre. Avec le temps, le chaud séchant la terre, ce qui en avait été retenu produisit des putréfactions tout autour, comme des membranes. Avec une chaleur longtemps prolongée, tout ce qui, né de la putréfaction de la terre, se trouva gras et privé presque d’humidité, fut bientôt consumé et transformé en os. Mais tout ce qui se trouva glutineux et tenant du froid, n’ayant pu sans doute être consumé par la chaleur ni passer à l’humide, prit une forme différente de tout le reste et devint nerf solide, car ces choses n’avaient pas beaucoup du froid. Au contraire, les veines en avaient beaucoup et, de ce froid, tout ce qui, à la circonférence, était le plus glutineux, rôti par le chaud, devint membrane : mais la partie froide, vaincue par le chaud, fut dissoute et se transforma en liquide. »- Chapitre 13 du même traité, ibid. page 601 :
« L’aliment, arrivé à chaque partie, y produit la forme de cette partie telle qu’elle était ; car chaque chose, arrosée par l’aliment, s’accroît, le chaud, le froid, le glutineux, le gras, le doux, l’amer, les os ; tout en un mot ce qui est dans le corps de l’homme. »- Sic pour sanguis (emploi du cas génitif au lieu du nominatif).
- § 36‑39, Littré Hip, volume 9, pages 111‑113, dans une traduction légèrement différente (mais dont le sens demeure en partie obscur).
- Folli écartait donc l’idée que le sang soit le produit du chyle lacté.
À l’avant-dernière page de son livre, Folli convient être en désaccord avec Thomas Bartholin, qui a tenu et maintenu, en 1651 (comme dans sa présente lettre), l’idée que la graisse est un corps inerte dérivé du sang (Anatomia, chapitre xiii, De Pinguenide, pages 17‑23), dont un extrait figure dans la note [17], première Responsio de Jean ii Riolan, 5e partie.
La physiologie moderne a établi que les graisses du chyle (chylomicrons) sont indispensables et concourent directement (sans avoir été transformées par le foie) à la synthèse des cellules sanguines par la moelle osseuse et à celle du lait par les glandes mammaires : v. notule {f}, note Patin 5/1402.
J. in Packoucke (1821) me semble n’avoir pas prisé ce livre à sa juste valeur : « Hypothèse sans fondement, mais que l’auteur a la bonne foi de donner pour telle. »
V. supra note [7] pour la référence au traité de la Nature de l’enfant.
Dans la section indiquée des Épidémies, le § 17 est consacré à la grossesse et au fœtus (Littré Hip, volume 5, pages 117‑119). Il se termine par quelques considérations sur la lactation, mais elles n’ont guère de rapport avec ce qu’en rapportait Thomas Bartholin. V. note [2] de son Historia anatomica, chapitre v, pour les commentaires qu’en ont donnés Prospero Marziano (Rome, 1626) et Petrus Castellus (ibid. 1634).
Je n’ai pas su donner sens à cette phrase sans introduire une négation dans son avant-dernière proposition : non placet [ne plaît pas] pour placet [plaît].
On sait à présent que les graisses du chyle se mélangent au sang pour procurer un aliment indispensable aux parties du corps : en partie directement (sous la forme de chylomicrons), et en partie après avoir été transformées dans le foie (sous la forme de lipoprotéines).
Pour se ranger à l’idée que les artères mésentériques puissent extraire le chyle, il fallait aussi nier la circulation harvéenne, ce qui correspond à l’opinion de Jean ii Riolan.
Thomas Bartholin rabâchait la découverte de Jean Pecquet sans craindre d’en donner la nausée aux lecteurs de sa Defensio. Le livre de Cecilio Folli (v. supra note [33]) ne l’avait pas convaincu que les parties grasses des aliments puissent suivre une voie particulière d’absorption en échappant à l’aspiration de la veine porte, et il s’obstinait à faire naître des lactifères de l’estomac, alors qu’il n’en existe qu’à partir du jéjunum.
Croyant brillamment couronner sa démonstration, Bartholin la pimentait de deux références antiques.
Maxime vero sunt admirabiles motus earum quinque stellarum, quæ falso vocantur errantes. Nihil enim errat, quod in omni æternitate conservat progressus et regressus reliquosque motus constantes et ratos. Quod eo est admirabilius in his stellis, quas dicimus, quia tum occultantur, tum rursus aperiuntur, tum adeunt, tum recedunt, tum antecedunt, tum autem subsequuntur, tum celerius moventur, tum tardius, tum omnino ne moventur quidem, sed ad quoddam tempus insistunt. Quarum ex disparibus motionibus magnum annum mathematici nominauerunt, qui tum efficitur, quum solis et lunæ et quinque errantium ad eandem inter se comparationem confectis omnium spatiis est facta conuersio.[Rien n’est cependant plus admirable que les mouvements de ces cinq astres {b} qu’on appelle à tort errants. Nul astre en effet n’est errant parce que, de toute éternité, il observe des mouvements vers l’avant et vers l’arrière, avec une régularité toujours parfaite. Cela est d’autant plus remarquable que ceux dont nous parlons disparaissent par moments puis reparaissent, se déplacent alternativement dans un sens et dans le sens opposé, se lèvent tantôt avant, tantôt après d’autres astres, accélèrent leur mouvement pour le retarder ensuite ou demeurer stationnaires pendant un temps. Cette diversité a conduit les mathématiciens à donner le nom de grande année {c} à une période au terme de laquelle le soleil, la lune et les cinq planètes se trouvent occuper la même situation les uns par rapport aux autres].
Vnus et alter
forsitan hæc spernant iuuenes, quibus arte benigna
et leliore luo finxit præcordia Titan,
sed reliquos fugienda patrum uestigia ducunt
et lonstrata diu ueteris trahit orbita culpæ.[Un ou deux peut-être y répugneront, jeunes hommes dont le Titan {d} a façonné le cœur avec un soin complaisant et d’une meilleure argile, mais les autres se laissent guider par les traces paternelles].
- En pensant peut-être à la Voie lactée (v. note [2], expérience iv, Nova dissertatio de Jean Pecquet).
- Soleil, Jupiter, Mars, Mercure et Vénus.
- Autrement nommée année parfaite de Platon (Timée, 39 d) : « Il est néanmoins possible de comprendre comment la véritable unité de temps, l’année parfaite, est accomplie lorsque les huit révolutions mesurées par le circuit et le mouvement uniforme du même, sont toutes retournées à leur point de départ. »
- Prométhée, v. notule {c}, note [15], Brevis Destructio d’Hyginus Thalassius, chapitre i.
Dans son Historia anatomica (premier paragraphe du chapitre vi, pages 16‑17), Thomas Bartholin a expliqué pourquoi il a donné le nom de « glandes lactées lombaires » au réservoir humain du chyle, mais sans employer le mot alveus, « cavité, baquet ».
V. note [23], préface de la première Responsio de Jean ii Riolan, pour la description du chyle chez le lompe (poisson rond) par Thomas Bartholin en 1651.
« C’est chercher des difficultés là où il n’y en a pas » : adage antique, v. note Patin 5/1060.
Chez l’adulte, le calibre moyen du tronc de la veine porte est de neuf millimètres, contre cinq pour le canal thoracique.
Thomas Bartholin se référait aux subtils parallèles que quatre philosophes ont établis entre la nutrition des plantes et des animaux.
« Nécessairement tout être qui se développe et s’accroît doit prendre de la nourriture, et toute nourriture ne peut venir que d’une matière liquide et d’une matière sèche. La digestion et le changement des deux ne peuvent avoir lieu que par la puissance de la chaleur. Tous les animaux, toutes les plantes doivent nécessairement pour cette cause, si ce n’est pour d’autres causes encore, avoir un principe de chaleur naturelle, qui se trouve dans plusieurs parties de leur organisation, de même que les élaborations successives de la nourriture s’accomplissent également dans plusieurs parties du corps. La première opération nutritive qui se manifeste clairement chez les animaux, c’est celle qui s’accomplit par la bouche, et par les différentes parties de la bouche, dont la nourriture a besoin pour être divisée. La bouche elle-même n’est pour rien dans la digestion proprement dite ; mais elle prépare plutôt une bonne digestion. La réduction de la nourriture en petites parcelles rend l’élaboration plus facile à la chaleur ; mais l’action de la cavité supérieure et de la cavité inférieure achève la digestion, avec l’aide de la chaleur naturelle. De même que la bouche est le conduit de la nourriture non encore élaborée, et que cette partie attenante à la bouche qu’on appelle l’œsophage va jusqu’à l’estomac dans les animaux qui ont cet organe, de même il faut encore que d’autres principes agissent pour que le corps entier puisse prendre la nourriture, comme dans une crèche, en la recevant de l’estomac et des autres viscères, selon leur nature. Les végétaux, par leurs racines, puisent leur nourriture tout élaborée dans la terre, d’où ils la tirent ; et c’est là ce qui fait que les végétaux n’ont pas d’excrétions, parce que la terre et la chaleur qui est en elle leur tiennent lieu d’estomac. »
Verum ut ad partes plantarum redeam, quæ animalibus singulæ ac illorum partibus respondent. Radices ventri, ut existimat Theophrastus, nos tamen potius ori illas assimilamus, caudicis vero et trunci partem imam ventri, folia pilis, cortex corio ac cuti, lignum ossibus, venæ venis, ac nervis arborum et herbarum, his quod vere sunt in animalibus, visceribus animalium in quibusdam vita est in cortice, cortex non matrix, imo in salicibus matrix pinguenidis loco habenda : ova floribus, semen semini, extremitates aut animalium ramis, fructus ipse sanguinem menstruum refert, cui includitur plerunque semen.« Or pour revenir aux parties des plantes, toutes les parties d’icelles répondent aux parties des animaux : les racines au ventre, comme Théophraste {b} l’estime ; quant à moi, je les ferais plutôt semblables à la bouche, et la basse partie du tronc au ventre, les feuilles au poil, l’écorce au cuir et à la peau, le bois aux os, les veines aux veines, les nerfs aux nerfs, la matrice {c} à quelques entrailles qui ne peuvent vivre sans la matrice ; en aucunes, {d} comme aux saules, desquels la vie est en l’écorce, l’écorce, non la matrice, est semblable à quelques entrailles, et plutôt aux saules, la matrice doit être estimée au lieu de la graisse ; les œufs répondent aux fleurs, la semence à la semence, les extrémités des animaux aux branches ; le fruit représente le sang monstrueux, {e} auquel souvent est enclose la semence. » {f}
Radices, inquis, uentri respondent, ut existimat Theophrastus. Nos tamen ori potius assimilamus. At ex Theophrasto, oris quoque officium à radicibus præstari dixeris. Sunt enim hæc in primo : ριζα δι ου την τροφην επαγεται. καυλος δε εις ο φερεται. Quare stipes uentri, radix ori similis hic innuitur. A Theophrasto hoc : à præceptore verò utrunque non sine pereleganti subtilitate. In secundo de partibus ita scribit. Accipere à tellure την τροφην κατεργασμεν τα φυτα. In radice uerò perfici την πεψιν, ωπερ εν τη κοιλια των ζωων. Quomodo solues acutissime reprehensorum ? Radix ut accipit, os est : ut coquit, uenter. Sanè coquitur in radice. Nam unde aleretur illa ? Ali eo succo membra, quem aut generant, aut conseruant, aut recipiunt, aut transmittunt, Galenus quidem dixit : sed ab eodem magistro, ut meritò uocant Arabes, primo, sicut et acutissimè quæque dicta, mutuatus. Theophrastus uerò in sexto De causis etiam de uentre caussam dicit.[Les racines, dites-vous, correspondent au ventre, comme l’estime Théophraste. Pour votre part, vous les assimilez plutôt à la bouche, tout en ajoutant que, toujours d’après Théophraste, les racines assurent l’office de la bouche, car il commence par déclarer que « l’aliment est puisé par la racine et transporté par la tige. » Cela signifie donc que le tronc est assimilé au ventre, et la racine à la bouche. D’après Théophraste, non sans fort élégante subtilité, le maître a établi ces deux fonctions. Il poursuit sur les parties en écrivant que « les plantes » reçoivent de la terre une « nourriture parachevée » ; mais que dans la racine s’accomplit « la digestion, comme dans le ventre des animaux ». Par quelle extrême subtilité vous tirez-vous des critiques ? Puisqu’elle reçoit, la racine est une bouche, et un ventre aussi, puisqu’elle digère. Si la racine digère, d’où donc l’aliment lui vient-il ? Galien dit que les membres se nourrissent du suc que soit ils produisent, soit ils conservent, soit ils reçoivent, soit ils envoient ailleurs ; mais comme tout ce qu’il a très exactement dit, il a emprunté son propos au même premier maître, comme les Arabes l’appellent à juste titre. Théophraste, au sixième livre sur les Causes des plantes, {h} dit qu’en vérité leur cause vient du ventre].
Cette phrase ne vient pas mot pour mot du chapitre indiqué de Théophraste d’Érèse, intitulé Quomodo Plantarum Historia tractanda sit [Comment il faut traiter de l’Histoire des plantes] (Amsterdam, 1644, pages 1‑2), mais résume l’idée générale qui y est développée.
Pour interpréter ce propos, j’ai sollicité l’aide de Frédéric Blanchard, ingénieur agronome et botaniste qui dirige la mission biodiversité en Guyane. Je le remercie beaucoup de m’avoir très aimablement communiqué ce précieux commentaire :
« Les tiges des six plantes par Thomas Bartholin ne sont pas proportionnées au développement de leurs racines, qu’elles soit ramassées (bulbes des orchidées, orchis, terrestres) {a} ou diffuses et discrètes (anagallis, alsine, cara) voire absentes (lentilles d’eau, dites palustres). Ces genres correspondent à plusieurs espèces de la nomenclature moderne : anagallis (mouron) et alsine (dont certaines qualifiées de stellaires) sont de toutes petites espèces annuelles adventices des cultures ou des milieux secs ; la lentille d’eau a des racines, mais elles sont minuscules ; {b} les caras brésiliens {c} correspondent à la patate douce (Ipomoea batatas) à port rampant. {d}.Bartholin a très probablement puisé dans l’Historia naturalis Brasiliæ des médecins et botanistes néerlandais Willem Piso et Georg Markgraf, {e} fondée sur leurs observations recueillies dans le Pernambouc brésilien à l’époque de la courte occupation néerlandaise (1630-1654), qui décrit et dessine de nouveau ces plantes, assorties de leurs noms amérindiens tupi.
La phrase de Bartholin balaie pertinemment les différents cas de figures botaniques des plantes herbacées, leurs diverses formes de racines, en y intégrant un cas de plantes étrangères (dites indiennes), et un cas de plante aquatique, et en se fondant sur la classification de l’époque en arbres, arbustes, herbacées et plantes aquatiques. Tout cela est la suite logique de ce qu’il avait précédemment dit et allait encore dire des arbres. »
- À strictement parler, certains bulbes que Bartholin qualifie de racines sont des tiges souterraines. Les notions de tiges et racines sont indépendantes du substrat.
- Un seul genre de lentilles d’eau, appartenant au genre Wolffia, ne porte pas de racine, mais n’était probablement pas connu à l’époque.
- Terme venu des langues tupi-guarani, employé dans les textes lusophones du xvie s.
- Elle est plus connue sous le nom taïnos caribéen de batata. Clusius (Charles de L’Écluse, v. 2e notule {a}, note Patin 78/1384) avait décrit et dessiné les patates douces caribéennes dès le milieu du xvie s. (voyage en Espagne où elles étaient cultivées) et toutes les flores ultérieures ont repris cette dénomination. Les textes coloniaux agglomèrent parfois les batatas avec d’autres tubercules alimentaires, comme les ignames (Dioscorea) ou le Solanum tuberosum, tubercule péruvien qui est devenu notre pomme de terre (patate).
- Leyde et Amsterdam, 1648, v. note Patin 17/153.
Chylurie, v. notule {h}, note [55], Brevis Destructio d’Hyginus Thalassius, chapitre iv.
La casse purgative (v. note Patin 13/15) communiquait sa couleur noire aux urines.
Proche de kopros, « fiente », et de koprias, « bouffon », le mot grec kopria signifie « tas de fumier », mais le sens de Coprianis m’a échappé.
V. note Patin 3/1154, pour la civette (chat musqué), dont les glandes anales fournissent une base de parfum.
Aurum ex stercore colligendum [Chercher de l’or dans la merde] est un adage antique qu’Érasme a commenté : {a}
Virgilius, dum Ennium legeret, a quoddam quid faceret, inquisitus respondit : Aurum in stercore quæro.[À celui qui lui demandait ce qu’il faisait en lisant Ennius, {b} Virgile répondit : « Je cherche de l’or dans la merde. »]
- Édition de Paul Manuce, 1603, page 1404.
- V. notule {b}, note [24], lettre de Samuel Sorbière à Jean Pecquet.
Dans son Anatomia reformata de 1651 (v. note [5], lettre d’Adrien Auzout), Thomas Bartholin n’avait émis aucun doute sur la circulation harvéenne du sang, mais n’avait pas encore eu connaissance du mouvement particulier du chyle. Quatre ans plus tard, contrairement à Pierre De Mercenne (alias Hyginus Thalassius) et à Charles Le Noble, il rejetait catégoriquement l’éventualité qu’un autre chyle, invisible, non laiteux et hydrosoluble, pût se mêler au sang veineux mésentérique et gagner le foie.
Ce raisonnement fondé sur le chaud et le froid (v. supra note [23]) était entièrement contraire à la circulation harvéenne qui permettait d’ores et déjà aux esprits les plus hardis de s’affranchir entièrement de ces vieilles lunes. Il est consternant de voir Thomas Bartholin y recourir pour rejeter l’excellente objection de William Harvey : pourquoi la circulation mésentérique brasse-t-elle tant de sang s’il ne joue aucun rôle dans le transport des aliments vers le foie ? La même remarque vaut en effet pour la circulation fœtale.
La logique de cette assertion laisse perplexe car elle conclut un paragraphe qui, en partant du thymus, mêle confusément les épanchements sanguins plus ou moins abondants dans les tissus, la galactorrhée, et une hémorragie cataclysmique survenant chez une femme « honnête » (c’est-à-dire non suspecte de s’être fait avorter), en relation possible avec une rupture de grossesse extra-utérine (v. note Patin 9/662).
V. note [15] supra pour les Vasa lymphatica de Thomas Bartholin (Copenhague, 1653).
L’Épître dédicatoire de Jean Pecquet à Bartholin, datée du 1er janvier 1654, est essentiellement dirigée contre Jean ii Riolan.
Date julienne (ancien style), correspondant au 10 avril grégorien (nouveau style) : v. note [21] des trois lettres de William Harvey sur le chyle.
V. notes [25], [27] et [29], Nova dissertatio, expérience i, pour les curieuses spéculations de Jean Pecquet sur le rôle du pancréas dans l’épuration de la lymphe, que Thomas Bartholin semblait accueillir favorablement.
La troisième des lettres de Harvey, écrite à Johann Daniel Horst en juillet 1655, établit qu’il lui avait transmis les objections de Bartholin (v. supra note [6]). Comme tout lecteur moderne, le père de la circulation sanguine dut être abasourdi par le flot des propos mal cousus et souvent répétitifs de Bartholin, et plus encore par les incohérences et les impénétrables méandres de son argumentaire. Harvey avait parfaitement vu les défauts de sa théorie sur le chyle et répondit sagement qu’il ne souhaitait pas poursuivre le débat.
Tristement infatué de son fait, Bartholin ne mit pas une goutte d’eau dans son vin et s’obstina à divulguer largement sa lettre bâclée, sans endiguer le flot des absurdités et des boiteux raisonnements qu’elle contient.
Page 170, De Lacteis Venis Sententia Cl. V. Guilielmi Harvei
expensa à Th. Bartholino.
Celeberrimo Viro
Dn. D. Joh. Danieli Horstio,
Nuper Med. Prof. Marpurgiensi, nunc
Archiatro Darmstadiano meritissimo,
Amico suspiciendo,
S.P.
Thomas Bartholinus D.
Acad. Hafn. p.t. Rect. {a}
Intermissa temporum diuturnitate
jam cœpta a primis tyrocinii annis a-
micitiæ jura qvod nupera scriptione
redintegraveris, et mutuæ taciturni-
tatis damna amico alloquio resarci-
veris, gratissimum mihi accidit, et pla-
nè fortunatum. Inter tot silentia an-
norum Te amavi semper, mi Horsti, cujus candorem et
fama laudat et scripta loquuntur, ne eruditionem in os
Tuum depredicem, quam à Patre, summo viro, in Te trans-
latam in immensum auxisti. Dicere non possum, quan-
tum me Tuæ Literæ ad dudum conceptum animo amo-
rem inflammaverint, vel eo quoque nomine, quod Lym-
phatica nostra Vasa et Lacteas Thoracicas æquo judicio
prosequantur, quæ jam pomi instar Eridos variorum vo-
- Pro tempore Rector.
Page 171, De Lacteis Venis Sententia Cl. V. Guilielmi Harvei
expensa à Th. Bartholino.
luntates dispari sorte exercent. Antequam autem ple-
narium assensum pollicearis, dubia moves eruditissima,
quæ eo candore expendam, quo invenio signata. De La-
cteis Thoracicis dubitas, an in ipsum uterum desinant ad
embryonis nutritionem, siquidem per os in utero trahi
alimentum credere vix possis. Dubitavi et ego juxta Te-
cum de viis, quia in prægnantibus et puerperis Lacteas
nostras utero inseri necdum oculorum acie assequi potui-
mus. Multa tamen sunt indicia quæ id persvadeant, in
medium à me prolata, donec fortunante genio viæ appa-
ruerint manifestæ, quum nullus dubitem laudem istam
felicitati alterius esse reservatam. Embryonem per os in
utero alimentum sugere Hippocrati credimus, et rationes
probant partim ab Harvejo de Gen. Anim. Exerc. 57. par-
tim à me Cap. x Lact. Thor. adducta. {a} Certè in Canibus
gravidis catellos non semel vidi aperto ore et lingvâ exser-
tâ delituisse, et in ventriculo eundem liquorem stagnas-
se, quem in amnio pro crudo chylo habemus, et in nuper
nata non ita pridem similis humiditas in Ventriculo in-
venta. Ne dubitemus lacteum Chylum et in ipso utero
affluere et exinde effluere, observationes testantur. Su-
spicaris quidem motum illius lactis ad uterinos loculos
esse præternaturalem : Sed pro perpertuo Hippocrates ha-
bet Lib. de Nat. Pueri. Tam enim solenne Naturæ esse
inculcat ad uteros exiguam portionem pingvis edulcati
deferri, quam ad mammas : Ad mammas enim et uteros
ejusmodi venulæ et consimiles aliæ feruntur. Cumque ad uterum
pervenerit, lactis formam habet, eoque exiguo puer fruitur.
Vias quidem ille communes arbitratur, sed in materia
consentit lactiformi, ad uterum semper pro nutriendo
puero derivata. Secundum consuetam naturæ prægnan-
- Sic pour : adductæ.
Page 172, De Lacteis Venis Sententia Cl. V. Guilielmi Harvei
expensa à Th. Bartholino.
tis legem liquori uterino innatat fætus, quem lac quod-
dam crudum esse Harvejus plurimis defendit, vocatque
colliquamentum, qvo nutriatur fætus, secus quam Aqua-
pendens qui L. de Fæt. Form. excrementum esse Fætus
contendit, ad vias lubricandas utile. Igitur perpetuò
Chylus lacteus ad uterum commeat, sed ex utero prodire
foras, non nisi raris annumeramus. Ratio est, quia em-
bryo sanus ad sui tutelam et nutritionem indiget, et ute-
rus clausus viam exituro præcludit, nisi vel apertus,
vel ille imbecillior nonihil lactis sinant exstillare, quod
in exemplis a Laurentio, Zacuto, H. ab Heer aliisque adductis,
evenisse existimarem. Aliàs lactiformis liquoris in pu-
erperis perpetuus fluxus, et instante partu et cum lochiis,
notus est obstetricibus. Hujus igitur Lactei fluxus, et
ad uterum et ex utero vias commodiores nullas putavi,
qvam lacteas mesenterii, utero vicinas, quanquam inser-
tiones hactenus ex voto assequutus non sim. Venæ e-
nim uterinæ facile veniam merebuntur. At si arterias
eligas, concedere debes vel in arteriis chylum seu lac con-
tineri, quo jam multorum suspiciones inclinant, ob ratio-
nes alibi signatas, vel in utero demum ex sanguine Lac
confici, quod magno mammarum præjudicio vix ausis
profiteri.Deinde ab Excrementorum diversitate conjicis di-
verso alimento nutriri fætum in utero et extra uterum,
siquidem excrementum recentia natorum differunt ab iis,
qui vel semel Lac sumserunt. Cæterum Eruditissime
Horsti, vix differunt utriusque Excrementa. Quapropter
nuper natis, ut novisti, exhibitum oleum amygdalarum
dulcium educit Meconium, diluitque crassas et morâ longâ
adustas fæces, ut diversa videantur : Si different, muta-
Page 173, De Lacteis Venis Sententia Cl. V. Guilielmi Harvei
expensa à Th. Bartholino.
tioni aëris, vagitibus, motionibus, respirationi fortiori,
aliisque accidentibus imputandum, quibus in lucem editus
excipitur. Revera autem eadem excrementa esse de-
bent, ubi in victu nulla est mutatio. Sic similis erit ex-
crementorum conditio, quamdiu solo lacte infans nutri-
tur, antequam ad alia alimenta transierit. Certè ex fæ-
cibus embrionem per os in utero sugere, et lacte nutriri
Hippocrates l. de Carnibus divinavit, cujus sententia fuit,
Compressis labris ex matris utero tum alimentum sugere, tum
etiam spiritum, quod hoc indicio probavit, quia pueri cum
in lucem prodeunt, stercus in intestinis habere conspicuuntur, et
simul ac in lucem editi sunt, tum homines tum pecora, id iis
per ventrem secedit. Atqui neque stercus haberet, nisi in utero
sugeret, neque ut primum puer natus est, ubera sugere nosset,
nisi in utero suxisset. Nempe discolor chyli seu lactis est
facies, et pro partium diversitate, diversa excrementa se-
parantur. Non verò Lacte solo in utero nutritus fœtus
ex Hippocrate, sed et sanguine per umbilicum attracto. I-
deoque Hippocrates l. 4 de Morb. stercus Embryonum ex
lacte et sanguine deducit, quia ad nutritionem eorun-
dem utrumque conjungit. Sanguis enim et sua deponit
excrementa in adultis per arterias mesentericas, qvæ,
quanquam inediâ laboret homo, in fæces alvinas sece-
dunt. Has autem sordes ex chylo primum mutuatus est,
quem crebris circulationibus perpurgat, partim proprio
vitio contraxit.Me urges : si sugeret Embryo lac in utero materno,
sugeret simul circumfusos humores alios. Quin id fiat
dubitare non possumus, quia excrementiis humoribus
nuper nati solent abundare, et in faucibus catellorum, vi-
tulorum etc. multa inveniuntur, quæ aliena sunt à col-
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expensa à Th. Bartholino.
liquamento, ut gramen aliæque sordes. Sed quo purius
et defæcatius fuerit colliquamentum, eò minus incom-
modi ex hac functione embryo percipiet. Colliquamen-
tum istud, cui innatat fætus, si ex Harvejo lac est, quid
periculi si sugat infans ? Quod si commixti sint humores
alii alendo inutiles, cum delectu aget Natura, et Em-
bryo suis sibi viribus constans succos profuturos eliciet.
Ita pisces in paludibus sibi utilia imbibunt, quasi cum ra-
tione, qua carent. Et natura omnia animalia docuit de-
lectum habere, ut in pratis venena fugiant. Fœtus in ute-
ro vitam primo plantæ, mox animantis vivit, et sine ra-
tione eligit sibi conveninetia. Arborum incrementa æ-
mulatur hominis nativitas. Illarum radices in terra vari-
is rebus scatente succum eliciunt pro cujusque indigentia,
et juxta se fata platanus et cerasus diversos succos trahunt
ex una terræ matrice, natura delectum dictante, quem
nos adultiores ratio docuit.Hæc pro Hippocrate defendendo in mentem venie-
bant, quem ex lacteis novis illustrari plurimum suspica-
tus sum, donec meliora alii monuerint.Ad Lacteas Thoracicas erudita Tua progreditur
penna, quas omni Chylo ad Cor vehendo in Hepatis ex-
auctorationem cum Cl. Pecqueto destinaveram. Nodos
speciosos nectis, facile solvendos. Nam quod vasa La-
ctea spectat, quæ ad Hepar abire olim cum Asellio aliisque
probavi, meliora edoctus postera cura inveni non esse la-
ctea, sed sui generis vasa pellucida, limpidum liquorem
ex hepate ad Receptacuum Chyli deducentia, quæ
Lymphatica appellavi. Neque enim diligentissimis oculis
aut cultris, ullum in hepate vel ejus vicinia lactei coloris
vas, qvanquvam olim deceptus Lymphatica vasa existi-
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expensa à Th. Bartholino.
maverim esse lactea, nec ullum lactei liquoris motum ad
Hepar observare potui, unde Hepati nuncium remittere
necessitate quadam coactus sum. Fuere quidem, qui si-
ve odio nostri, sive Hepatis in gratiam, cujus partes in-
viti deserunt, ad hepar ramulos duos candicantes demon-
strarent auditoribus, sed Jovem lapidem jurarim nervos
fuisse, non lacteum vas, sicut constans sectio confirmabit.
Igitur quod in Hepatis gratiam olim mihi visus sum vi-
dere ante accuratam Lymphaticorum observationem,
nolim aut mihi aut Naturæ ampliuis â Candidis rerum æ-
stimatoribus, quos in numero Te colo, verti vitio. Al-
terum quod mones, non esse debitam inter Thoracicas et
Lacteas Asellij proportionem, olim quoque ut Hepar sal-
varem, in Hist. Lact. Thor. me adduxisse memini, sequu-
tusque est in Animadversionibus suis Riolanus, cui in Defen-
sione mea, quæ sub incude fervet, pro re nata occurri.
Enimvero exiles ramuli lactei mesenterici æquiparari
possunt Thoracico Lacteo, satis in viventibus tumido,
et ureterum amplitudinem superante, præsertim cum
successivus fiat chyli motus partis post partem, et ne præ-
ceps ad Cor ruat omnis chylus, intermedius alveus sit
constitutus, qui lacteo Thoracico copiam Chyli deve-
hendi admetitur. Naturæ illa proportio quia placuit, no-
bis quoque placere debet.Ad Lymphatica Vasa digressus, existimas aquam in
Lymphaticis potiùs descendere, quam ad Cor ascendere,
quia pars illius in Renes destillat ex mea confessione. Mo-
tum Lymphæ ligaturis et folle versus Cor dirigi depre-
hendi, sursum ex inferioribus, hepate, iliacis etc. deor-
sum ex artubus et subclaviis. Ad renes destillat cum
Chylo ex observatione Pecqueti, alioquin ad renes non
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expensa à Th. Bartholino.
ante devolvitur quam peracta circulatione, quando ex
arterioso sangvine in renibus deponitur et percolatur.
Usus Lymphæ adhuc est incertus, quia necdum satis ex-
ploratam habemus ejusdem naturam. Prima fronte pu-
ra putaque aqua in conspectum nobis venit, et per tunica-
rum subtilitatem translucet, quanquam, si igni expona-
tur, in gelatinam concrescat, subtiliore aqua exhalante,
sicut serum in sanguine post v.s. {a} separatum, de quo expe-
rimento egi in Vas. Lymph. Homin. unde ad alendum par-
tes non inutilem operam videbitur conferre posse, quod
ulteriori examini eruditorum relinquo. Huc propen-
dere video Glissonum Anatomicum subtilem, qui c. 45. A-
nat. Hep. totus in eo est, ut probet lympham in lympha-
ticis nostris vasis constitui partim ex halitibus sanguinis ar-
teriosi per tunicas condensatis, partim ex refluo humore
nutritio per nervos allato. Interea inter alios usus dilu-
tioni quoque tam chyli quam sanguinis inservire existima-
vi, quia sine isto vehiculo cursus utriusque interrumpere-
tur. Instas : Dilutioni sufficere forsan potulentam ma-
teriam. Rectè id quidem. Nam potulentam materiam
et ciborum humiditates pro materia hujus Lymphæ a-
gnoscimus, quæ novæ Lymphæ regenerandæ perne-
cessaria, quandoquidem continuò Lympha reliqua suo
munere defuncta, partim insensili halitu absumitur, par-
tim ad renes, pericardium etc. deponitur. Sanguinis
concoctionem humiditate suâ promovet, ne calore cor-
dis et siccitate spirituum, aut concoctione sua, quæ in
humido sit, frustretur, aut intemperies calidas siccasque
experiatur, quod non semel in dissectis tabidis observa-
tum, corde exsucco, sanguine incrassato et torrido.
Lympha autem frigiditate suâ non potest coctionem im-
- Venæ sectionem.
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expensa à Th. Bartholino.
pedire, quia nullæ in corpore vivente algent partes, ni-
si ad calidiores fiat comparatio. Imò in calidiore foco
nonnunquam temperanda Coctio effervescens frigidiu-
sculæ aquæ affusione. Meas conjecturas egregiè appro-
bat illustratque Clarissimus Albertus Kyperus eruditissimus
Leydæ Professor, qui in nuperis Institutionibus Medi-
cis Lib. 2 cap. 19. de usu seri et Lymphæ ita ex meis princi-
piis commentatur : Usus Lymphæ fuerit refrigerare et hu-
mectare, non solùm illas partes, per quas fluit, verum etiam
maximè illam in quam confluit, nempe Receptaculum chyli atque
Cor, quibus non uno modo inservit. Nam cum per Recepta-
culum chyli defluit, illud eluit, et quicquid chyli crassioris re-
mansit, secum ad cor defert, etiam obstructiones in eodem et
in lacteis Thoracicis præcipuè prævertit. Cordis de hinc æ-
stum temperat, siccitatemque rigando emendat sanguinem te-
nuiorem et fluidiorem, et consequenter aptiorem ad concocti-
onem et distributionem reddit. Et nuper quoque Franciscus
Glissonius Anatomicus Cantabrigiensis in erudita Hepatis
Anatome, lymphatica nostra vasa, quæ lymphæ ductus
vocat, abducere liquorem concedit in sanguinis com-
modum : Nimirum, inquit, sanguinis coagulationem pro-
hibet : et cum maxima illius pars jam antea ad volatilitatem
sive exhalationem perducta sit, spiritibus vitalibus facilè soci-
um sese adjunxit, sanguinisque micationem promovet. In ar-
teriis nullum ab affluentibus humiditatibus metuo da-
mnum, siquidem ibidem non trahit moram, nec cumu-
latur Lympha, sed paulatim finito circulo per vias ex-
purgatur supra nominatas, quamdiu suæ spontis est na-
tura, nam præter naturam vitio quocunque ibi detenta a-
quam intercutem inducit. Tandem maximi momenti
negotium urges de Methodo Medendi, quam immutari
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expensa à Th. Bartholino.
credis in Hydrope, Cachexia, Athrophia, Febribus, eo
quod Hepar non sit respiciendum, sed Vasa Lymphatica.
Cui difficultati ex asse satisfeci in Dubiis de Lact. Thor. de-
monstravique non immutari vel tantillum, sed illustrari
Medendi Methodum, longo Medicorum usu approba-
tam. Hepar in affectionibus hujusmodi omninò respi-
ciendum, quia ab illius salute dependet separatio tam bi-
lis quam Lymphæ, quæ si vitio quocunque Hepatis im-
pediatur, et bilis recurrit ad Cor corpusque febrium cau-
sa, et Lympha non separata à sanguine in tumorem a-
quosum universum Corpus elevat. Lymphaticorum
Vasorum angustiæ, solutæ unitati et aliis vitiis summâ
ope esset succurrendum, siquidem eo vis medicamenti
noti posset pervenire. Multa sunt quæ ex inventis prin-
cipiis temporum felicitati et ingeniorum relinquimus
enodanda. Ego viam monstravi. Sequantur curiosi et
ultimam inventis addant manum. Tu vero, mi Horsti,
omnem laudem mereris, quod nec damnes naturæ my-
steria ; nec sine pressiore notitia calculum tuum addas,
quem solutis jam dubiis album â Te expectamus. Pro
Natura intercedo, non pro me, quem amicum Tibi ha-
bes in officiis, neutiquam Tyrannum in opinionibus.
Liberæ enim sunt voluntates, et quo quisque erectior, eo
Naturæ oracula promptius est admissurus. Video can-
dorem Tuum, et in rimandis Naturæ arcanis modestiam,
quam sciolis aliis et invidis cordatè opponam. Crede mi-
hi multos â Naturæ applausu terret præeuntium fama,
qui sequi nos volunt qua itur, non qua eundum est.
Adeò Hepar quamplurimis mortalium in deliciis est, ut
genium suum fraudasse videantur, si quidquam de actio-
ne Hepatis hactenus recepta judicaverint sinistrius. Hinc
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expensa à Th. Bartholino.
tanto conatu velut pro aris et focis pro Hepate pugnant,
et quidvis comminiscuntur, Naturam potius quam He-
par relicturi. In quo luto hæret adhuc Riolanus,
qui ne Hepar deserat famelicum, meseraicas sanguineas
cum antiquis tuetur, vehendoque chylo consignat. Thora-
cicas autem Lacteas, quanquam rei evidentia victus ad-
mittat, synanastomosi tantum inservire fingit propter com-
mercium et commeatum sanguinis venæ cavæ et portæ.Summum Virum Guilielmum Harvejum, præclarè
de Re Anatomica meritum, in aliis satis oculatum et per-
spicacem, veterum quoque vestigia premere, spretisque la-
cteis, pro vulgaribus mesaraicis pugnare, valde demiror.
Videtur in suo sanguine circulando tam occupatus, ut ju-
stum chyliferarum venarum pretium negligat. Ita sæpe
bonus dormitat Homerus, et satis sibi ad laudem putat
immortali circulationis invento rem Anatomicam auxis-
se. Nihil sinistri de inclyto Anatomico dicam, cujus
lucubrationes cedro dignissimas semper existimavi. Cre-
do tamen si ad inqvirendas lacteas debitam operam afferre
vacaret, aliter de manifesto omniumque oculis exposito
Vasorum genere judicaturum. Succum venis hisce con-
tentum, chylum esse negat nutritioni partium destina-
tum, sed potius casu interdum contingere, et ab uberiori nu-
tricatu coctionisque bonitate profluere eadem naturæ lege, qua
adeps, medulla, genitura, pilorum copia etc. nascuntur, et
quemadmodum in proba vulnerum et ulcerum digestione pus
gignitur ; adeoque tandem concludit, lac esse purum putum,
sicut ex data ad Te Epistola intellexi. Si mihi contradi-
cendi imposita esset necessitas, sine Harveji offensâ, faci-
li negocio cum Natura probarem, non casu, sed ordina-
ta perpetuaque Naturæ lege succum candidum venis novis
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expensa à Th. Bartholino.
contineri quia perpetuo succo illo candicant, si stato
tempore, quando chyli fit distributio, aperiantur. Id
autem quod semper, quando fieri debet, et in omnibus
contingit, non potest casu aut raræ fortunæ adscribi.
Præterea si ab uberiore nutricatu tantum superesset, com-
pareret solum finitâ distributione, vel semper appareret,
quia semper ob continuam consumptionem partes nitri-
untur. Utrumque experientiæ repugnat. Imò cum per
universum corpus concoctio peragatur, quæ causa est,
cur in solo abdomine abundent Lacteæ, raræ sint in Tho-
race, nullæ prorsus in capite. Et in morbosis maleque ha-
bentibus inveniuntur, quandocunque coctio ventriculi
celebratur. Si exsugitur pinguior à Chylo pars in La-
cteis, reliquæ partes fraudabuntur succo optimo et ne-
cessario. Adeps certe peculiares ductus habet nullos ;
quanquam enim medulla ossium cavitatem impleat, illa
tamen sine motu manifesto velut in lacu constricta, im-
mota manet. Et quis spondebit pinguenidem ex chyli
pinguiore parte non conflari, quod visus est Hippocrates
voluisse, illumque sequutus Folius. Non igitur raro casu,
sed perpetuo Naturæ instituto succus ille candicans his
vasis peculiaribus continetur, quem lac esse non valde re-
pugnaverim. Sed quod infert Cl. Harvejus, lac istud non
esse chylum, adeoque nec vasa hæc esse chylifera, ulterius
disquirendum. Hippocratem si consulamus, lac chylus
est, nam L. de Nat. Pueri ex ventre presso lac in mammis
docet exprimi, et disertius l. 2. Epid. Sect. 3. â cibis et po-
tibus mammas inflari asserit. Illud igitur quod â cibis et
potibus in ventre confectum est, quodque chylum esse ne-
mo Medicorum negat, Cous Lac vocat. Si quidquam
ponderis habent experimenta Martiani in Hipp. si ratio-
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expensa à Th. Bartholino.
nes Castelli l. 2 Emet. valent, chylus recta ad mammas
fertur, cumque eo quicquid occurrit, quanquam viæ nec-
dum sint detectæ. Chylus certe et Lac exiguo inter se
differunt intevallo. Materia una, remota cibus et po-
tus, proxima utilior cibi potusque pars, efficiens causa ea-
dem, finis convenit, ad nutritionem tam infantis quam
adulti, formam ex colore venamur, et aliis accidentibus,
utrumque ex se candicat, dulce est, nisi aliena misceantur,
nec quidquam video quod obstet, quo minus Chylus sit
lac, et lac chylus. Sola perfectione differunt, sicut san-
guis â sanguine, et chylus inter se, perfectior enim chy-
lus est in mesaraicis venis, quam ventriculo, quia angustiâ
vasorum percolatus fuit ; ita et lac in mammis ob viarum
angustiam et loci distantiam perfectius chylo dici potest.
Certis tamen rationibus et experimentorum claritate de-
monstrari sibi cupit, esse chylum in venis istis, qui ex intesti-
nis illuc delatus totum corpori alimentum suppeditat. Non
disputabo an chylus nutriat corpus immediatè, an prius
in sanguinem sit mutandus. Plurimis illa hypothesis
placet, et forsan aliquando fautores inveniet. Chylum
autem esse ex ventriculo et intestinis ad venas Lacteas de-
latum manifestissimè demonstrabo. Ille ipse enim cre-
mor candidus, qui in ventriculo ex alimentis fuit trans-
mutatus, in venis lacteis depuratus invenitur, nec aliun-
de potest candidus ille succus derivari. Prius ex partium
continuitate et liquoris similitudines ostendam. Conti-
nuus est cavitatum commeatus. Ex ventriculo per py-
lorum cremor candicans intestinis infunditur, de quo ne-
mo dubitat. Ex intestinis tria vasorum genera excipi-
unt, vel venæ mesaraicæ, vel arteriæ, vel lactea vasa.
Non venæ mesaraicæ, quia 1. nullum unquam vestigium
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expensa à Th. Bartholino.
observare licet candidi liquoris in mesaraicis venis, unde
de non visis nemo potest attestari. 2. Venarum usus est
vehere sanguinem, non chylum. 3. Venæ illæ mesa-
raicæ circulationi inserviunt, sanguinemque solum Hepa-
ti advehunt, quod ex ligaturis luce meridianâ est clarius.
4. Confundere vasa quæ distinxit Natura, temerarium
videtur. At semper distincta visuntur Lactea vasa et Me-
senterica, illa candicant semper, hæc semper rubent.
Nec arteriæ huc advocandæ, quanquam aliis id visum,
jam enim extra dubium est apud illos, qui Lacteas impu-
gnant. Ergo Lacteæ venæ Aselli solæ huic muneri desti-
natæ supersunt, quod varia experimenta confirmant fal-
lere nescia. In his ejusdem candoris liquor reperitur,
qualem coxit ventriculus. Fateor puriorem succum ap-
parere. Sed in promptu est ratio. Successivus fit chyli
ex ventriculo motus, et quæ pars prius elaboratur, citius
effluit, tenuior quam crassior. Deinde in intestinis cras-
siora chyli purgamenta deponuntur, denique à lacteis an-
gustioribus depuratus chylus imbibitur, lactis formæ æ-
mulus. Nec aliunde potuit adferri iste chylus se suc-
cus candidus. Non â sanguineis vasis, quæ sola adsunt,
cum quibus nullis anastomosibus junguntur lacteæ. I-
dem manifestè prodit sucei lactei motus ad quem, et â
quo. Motus â quo, est ventriculus. Hinc semper chy-
lo venæ lacteæ scatent, quando chyli fit distributio, et
successiva ventriculi coctio, aliàs nunquam. Motus ad
quem, est Receptaculum, denique Cor. Conspectiores
venæ lacteæ intercipiantur vinculo, observabis recto iti-
nere succum candidum vergere, non ad Hepar, quo nul-
læ venæ lacteæ pertingunt, sed ad lacunam mediam chy-
li, exinde per thoracicas lacteas ad subclavias et Cor, ut
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expensa à Th. Bartholino.
si ad annum Platonis magnum ligatas venas lacteas conser-
vaveris, nunquam aliò chylum ex ventriculo vel intesti-
nis ferri animadvertes, quam ad has venas. Nescio quid
clarius pro chyli veritate demontrari possit. Vasa sunt
sui generis, à mesentericis distincta, intestinis vicina,
semper chyli in morem candicantia, succo albo plena di-
stributionis tempore, et quamdiu ventriculus conco-
quit, tumida versus intestina si ligentur, inanita qua la-
cunam chyli respiciunt. An hæc sanguineis mesenteri-
cis conveniant, ipse judicabis, cui de bono luto Titan
finxit præcordia, et singulorum fidem ipse ego præstabo.Omni chylo deferendo inservire Lacteas jam ne-
gat Cl. Harvejus, vario argumentorum numero, quæ
strictim pro ingenii modulo et temporis expendam. 1.
Hi ductus in diversis animalibus diversi conspiciuntur : in non-
nullis enim abeunt ad hepar, in aliquibus ad portam solam, et
in aliis ad neutram eorum pertingunt. In aliquibus illarum
magna copia in pancreate cernitur ; in aliquibus thymus iis ab-
undant, in nonnullis nihil horum in alterutro conspicias. Ꝝ. Ra-
musculorum subinde quandam diversitatem annotari,
mirum non est, quum nec arborum radices eodem sem-
per flexu et numero per terras serpant. At insertionem
quod spectat, tam certum est inter se convenire, quam
quod certissimum. Primò enim colliguntur omnes ad
Receptaculum chyli Pecquetianum in brutis, vel ad
glandulas lacteas in homine, quibus velut in alveum li-
quorem suum infundunt, exinde ad axillares pergunt
simplici ferè semper ramo, rarò duplici. Ad hepar au-
tem et portam abire, Asellio, Walæo et olim nobis vi-
sum, quod falsum postera cura et Pecquetus divinavit, et
ego exactiori diligentiâ inveni, siquidem ductus splen-
Page 184, De Lacteis Venis Sententia Cl. V. Guilielmi Harvei
expensa à Th. Bartholino.
didi, qui ad hepar feruntur, non lactei sunt, sed Lym-
phatici, liquorem ex hepate exportantes, nihil hepati
afferentes. Pancreas Aselli seu glandulam mesenterii
mediam, abundare lacteis concedo, et id perpetuum,
hoc enim fulcro intermedio utuntur, antequam se in
Receptaculum exoneret, quemadmodum in radicibus
herbarum noduli subindè justâ serie eminent, ita in la-
cteis Pancreas, receptaculum etc. dispersos ramos colli-
gunt. Thymus quando lacte turget, vicinis thoracicis
lacteis refert acceptum, quod rarò in adultis observatur,
quia Thymus constrictior, sæpius in infantibus, quo-
rum corpora, quia chylo seu lacte in utero fuere nutrita,
hinc inde lactis servant vestigia. Perpetuum igitur est
in omnibus, Lacteas non ad hepar, sed per Receptacu-
lum chyli axillaribus inseri, illisque omnem chylum con-
credere.2. In plurimis animalibus chyliferi canales non omninò
reperiuntur, neque in ullis omni tempore occurrunt, cum tamen
vasa nutritioni destinata debeant necessario omnibus animan-
tibus omnique tempore adesse. Ꝝ. Fide mea apud Te, mi
Horsti, exciderim, nisi in omnibus animalibus reperian-
tur, maximis, minimisque, in ipsis quoque piscibus, quod
Orbis exemplo pridem demonstravi. Si videantur in mi-
nimis deesse, oculorum culpæ imputandum, non Na-
turæ deficienti. Omni ut tempore occurrant chylo re-
pleta, necesse non est, quia distributioni inserviunt chy-
li, non totius nutritioni, nisi remotè considerentur.
Quanquam enim nutritio partium sit continua, propter
continuam partium consuptionem ; tamen huic neces-
sitati sanguis sufficit, continuò partibus nutriendis suppe-
ditatus, cui per vices totiens chylus subditarias operas
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expensa à Th. Bartholino.
præstat, quotiens alimenta ventriculo subministrantur.
Semper tamen licet vacuæ, lacteæ supersunt, et comme-
atu devehendo inserviunt quoties ventriculus mittit.
Continuò autem esurire animal non debuit, ideoque uno
pastu tantum Ventriculus concoquit, quantum sanguini
absumpto resarciendo possit sufficere. Ex vulgatis me-
saraicis venis, quomodo aliter se expediant, non video.
Neque enim frequentius ex ventriculo chylus illuc devol-
vitur, quam ad nostras lacteas. Nodi hi sunt in scirpo
quæsiti.3. Angusta capacitas et fabrica inidonea culpatur.
Deberent enim minores ramuli in majores desinere, hique simili-
ter in ampliores alios, tandemque in maximum truncum termi-
nari, qui cæteris omnibus canalibus amplitudine respondeat. Ꝝ
Quæstio hactenus agitata inter lactearum venarum fau-
tores, cur trunco careant, et an trunco indigeant, quia jam
truncum in Thorace cum Pecqueto invenimus, soluta vi-
detur. Hoc autem trunco non contenti, angustiam cau-
santur respectu Venarum Lactearum mesenterii, et u-
triusque capacitatem inidoneam ad totum Corpus nutrien-
dum. Quanquam autem nulla Naturæ necessitas istum
ordinem imperet, ut â minimis ramulis ad majores, tan-
demque ad truncum, omnes ramos magnitudine æquan-
tem, hic ascendamus, tamen et hinc nos extricabimus.
Sunt in mesenterio exiles lactei ramuli, qui ex intesti-
nis chylum sugunt, succedunt majusculi, intercedit al-
veus, tandem ramus major thoracicus trunco æmulus,
ureteris magnitudine, excipit modium â receptaculo de-
finitum. Unicus hic quidem est, sed capax satis et con-
spicuus, qui plurimis ramusculis potest æquipari. Et
quanquam omnibus non esset æqualis, tamen pro trans-
Page 186, De Lacteis Venis Sententia Cl. V. Guilielmi Harvei
expensa à Th. Bartholino.
vehendo omni chylo sufficeret, quia successiva sit et ven-
triculi coctio, et per lacteas ditributio. Revera capa-
cem esse, αυτοψια docet. Nec enim chylum per ligatu-
ras aliò divertere observamus, sed universum prorsus ex
intestinis ad axillares hac transire. Necessitatem supra
repudiavi, siquidem dispar est horum canalium â venis
sanguineis conditio. Unde â vena porta sumpta simili-
tudo minus videtur accommoda. Hæc quippe perpetuò
sanguine ex Liene, ventriculo, mesenterio, intestinis
etc. refluo impletur ; ideoque per minimas venulas debet
ex singulis particulis colligere sanguinem, et ad truncum
suum cum arterioso referre. Continuus in porta fit san-
guinis fluxus, quum in chyliferis interrupto tantum ordi-
ne chylus ad cordis supplementum distribuatur. Altera
similitudo â trunco arboris radicibus suis æquali propor-
tione, minus quadrat. Vulgata est radicum plantarum
cum venis chyliferis instituta comparatio, sed, meo ju-
dicio, minus opportuna. Primò enim, radices planta-
rum cavitate carentes per fibrarum ductus insensili modo
ex terra liquores exsugunt. Lacteæ manifestâ cavitate
omnium oculos perstringunt, ideò proportionis illa ra-
tio deficit, quæ ex utriusque multitudine desumitur. De-
inde radicibus vegetabilium non lacteæ solæ, sed ventri-
culus assimilatur, et huic vicina æsophagus, os, lingua
etc. Hinc Aristoteles radicem ori analogon dixit et ven-
tri. Cardanus de Subtil. ventri respondere prodidit. At
Scaliger Exerc. 141. § 3. potius ori assimilat, idque ex Theo-
phrasto l. i Hist. Plant. c. 2. cui radix est, id quod ali-
mentum attrahit. Utrumque tamen jungit Scaliger ex sen-
tentia Philosophi, quia radix, ut accipit, os est, ut co-
quit, venter. Radicibus igitur arborum respondet in a-
Page 187, De Lacteis Venis Sententia Cl. V. Guilielmi Harvei
expensa à Th. Bartholino.
nimalibus os, ventriculus, intestina, venæ lacteæ, imò
ipse thoracicus lacteus, qui impropriè trunco arborum
comparatur, quia inter differentes chylum est numeran-
dus, quum caulis ex Theophrasto sit, in quod alimen-
tum defertur. Radices non solùm attrahunt alimentum,
sed et coquunt, non solum frutici, sed et sibi, quod de
Lacteis dici nequit, quæ non suam in gratiam sed totius,
chylum deferunt. Igitur si rem pressius expendamus,
radici plantarum comparanda sunt in animalibus omnia
viscera chylum conficientia, recipientia et deferentia,
denique in sanguinem mutantia, ut ambitu isto complecta-
mur et ipsum Cor. Trunco autem arboris se cauli her-
barum reliquæ partes nutriendæ assimilantur, vel solæ
arteriæ. Jam cum arborum radicibus proportionem ex-
pende, quæ est inter os, œsophagum, ventriculum, in-
testina, lacteas mesenterii, lacteum thoracicum et cor,
ut dissimilitudinem apertius videas, hæc enim omnia ra-
dici arborum includuntur. Hinc rectè Theophrastus l.
i. Hist. c. i de Plantis, non omnia similiter atque in animan-
tibus accipi debere monet. Neque illud perpetuæ est veri-
tatis, caudicem seu caulem in vegetabilibus proportione
æqualem esse suis radicibus. Expende bulbos, orchides,
caras brasiliensium et hujus census alias radices, quæ cau-
lium exilitatem longè superant. Sume in exemplum
Alcine, Anagallida, Lentes pallustres etc. quæ vel exili
radice, vel nulla pene ubertim germinant. Ex Arbo-
rum genere Cupressum opponam, exiguâ radice altius
surgentem. Ureteri dilatato thoracicum lacteum nihil
cedere sensus confirmat, qui interdum usu exigente ob
membranæ laxitatem ampliari potest, si quando largior
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expensa à Th. Bartholino.
aquarum potus celerem transitum urgeat sicut in calcu-
losis ad intestini capacitatem ureteres vidimus distentos.4. Cum urinæ materia illac copiosè pertranseat, non vi-
dere se quomodo venæ illæ (Lacteæ) colorem suum lacteum ser-
vare possint, et urinam interea ab erundem albedine nil tin-
gi. Ꝝ. Urinæ materia serum si copiosius istas venas trans-
eat, non candido sed Lymphatico colore tingit lacteas.
Quod si candido chylo serum in lacteis sit mixtum, per-
colatur in renibus, separaturque serum ab aliis heteroge-
neis, nisi, quod rarò evenit, chylus ipse viarum laxitate
perruptâ, lotium lacteum reddat, cujus exempla alibi
annotavimus.5. Si vasa illum chylum deferrent, non possent semper
(quod tamen sit) humorem album in se complecti, sed interdum
flavo, viridi aliove colore ingerentur. Ꝝ. Antiquorum
placitis si standum, omnis chylus candicare debet pro-
pter Ventriculi et Intestinorum nativum colorem. Di-
stinctione autem hic opus erit. Chylus in ventriculo
non semper reperitur candidus, sed subinde pro assum-
torum ratione varius, viridis ex viridibus alimentis, ru-
ber ex rubris, et sic consequenter. At in lacteis venis
semper candore suo se commendat, cujus rationem inve-
nire est difficile. Forsan alieni colores imbecilliores â
candore superantur, ut vasa hæc infici non possint : vel a-
lienus color in intestinis cum crassioribus purgamentis de-
ponitur : vel quia angustia lactearum velut per cribrum et
ulteriorem concoctionem dealbat chylum, excluditque
colores alios, sicut lilia alba ex nigra terra depurant li-
quorem sibi similem : vel denique quia rarò aperiuntur a-
nimalia, quæ versicolores cibos ingerunt. At si sectio
fiat â pastu rhabarbari vel asparagi, dubium non est,
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expensa à Th. Bartholino.
quin in lacteis chyli color variet, qui tamen non ita alte-
rat tunicas, quin candor membranæ prævaleat. Si lac
tingitur, magis chylus. In vulgatis venis mesaraicis
sanguis non inficitur, quia cruor superat, ita nec in lacte-
is chylus, qui ibidem abundat. Quæ tingunt igitur,
quibus vescuntur animalia, ut gramen, caro, etc. vel de-
ponunt colorem in excrementis, quæ sæpè virent, nam
viriditas in herbis facile naturali coctione separatur, si-
quidem succus terræ pallet magis quam viret ; vel â
candore in lacteis obtunduntur. Cruor pari pacto ex
carnibus concoctione mutatur, et ipsæ fibræ carneæ re-
siduæ ex se candicant. Alia autem in medicamentis est
ratio, ut Rhabarbaro, Cassia, etc. quæ transeunt celeri-
ter, nec ita facile concoquuntur, aut transmutantur â
ventriculo, quanquam color vel flavus vel nigricans in
urinis non tam â medicamentis sit contractus, quam ab
humoribus expurgandis. Quamcunque de chylo seu lacte
sententiam legant, aliter se vix expedient ab hac diffi-
cultate.6. Si materia illa albescens ex intestinis in ductus illos
transierit, deberet certè ejusmodi humor in ipsis intestinis vel
spongiosis eorum tunicis alicubi reperiri. Ꝝ. Vehementius
hæc objectio antiquam hypothesin premit, quam no-
stram. Nam ex illa suppsitione chylus candicans per
intestina labitur, antequam â sanguineis mesaraicis ab-
sorbeatur. Reperiri candidum succum in intestinis,
dubium non est, quia hac transit chylus, quamcunque hy-
pothesin sequamur, candorem autem permixtæ fæces
obscurant. Quod verò non semper in sectionibus com-
pareat, ratio est, quia cito transitu tenuior utiliorque
pars chylosæ substantiæ â Lacteis exsugitur, et superflu-
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expensa à Th. Bartholino.
um ad alvum amandatur. Transcolatione depurari cor-
pora quotidianæ in culinis et pharmacopoliis præparati-
ones filtrationesque docent, ut renes taceam, in quibus se-
rum â sanguine sine cruoris tinctura percolatur.7. Deberet tum chylus vel lac naturæ pristinæ vestigi-
um aliquod servare, et putride olere, sicut in intestinis. Ꝝ.
Salva hic rest est, siquidem in lacteis percolatis chylus â
fæcibus mephitin olentibus est separatus. Cur non san-
guis in mesaraicis olet mephitin in antiqua opinione ?
cum par ubique sit ratio. Chylosa substantia in intestinis
putide olet, ob inutilium partium miscelam, quæ si diutius
retineantur, vel nimio calore in loco concluso putre-
scant, fætere debent, nam quando celeriter nimis ob re-
tentricis imbecillitatem dejiciuntur, inodoræ sunt. Ne-
que ex solis chylosæ substantiæ reliquiis excrementa ani-
malium fætent ; sed ex massæ sanguineæ excrementis,
quæ per arterias expurgantur ex universo corpore ad al-
vum, unde in morbidis corporibus major excremento-
rum alvi fætor. Quanquam igitur chylosa substantia in
intestinis ingrato odore nares offendat, ulteriori tamen
per lacteas præparatione gratior redditur. Ita planta-
rum odor herbaceus in caule, terreus in radice, in flori-
bus suave olentibus brevi transitu immutatur. Opium
non adeò naribus gratum, idonea digestione fætorem de-
ponit. Scoriæ et æris et ferri per adustionem nativum o-
dorem ferri ærisque amittunt. Ipsa stercoratione coloni
terram fæcundant, minus olidam, et quod mirum, ex
stercore Zibethum sunt qui promittant, quemadmodum
Maro aurum ex Ennij stercore. Sed istas delicias Copri-
anis relinqamus.
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expensa à Th. Bartholino.
Chyli ad Cor progressum porrò aggreditur Har-
vejus, magnus ille Naturæ Mysta, urgetque variis difficul-
tatibus, ut illustrior chylus noster reddatur, breviter sol-
vendis, magna enim nobis in Naturæ veritate fiducia.1. Cum in axillaribus sanguine misceatur chylus,
quidni pari jure dicat aliquis, eundem in portam, inde in hepar
venamque cavam transire, quemadmodum Asellio aliisque obser-
vatum dicitur ? Ꝝ. Verbo dicam, neutiquam pari jure id
dici posse, quia noluit Natura. Multa dici possunt vero
similia, quæ falsa sunt, si consulatur Natura. Hujus,
ut par est, si expendamus jus, chylum per lacteas ferri ad
axillares observabimus ad oculum, nunquam sive ad he-
par sive portam, nisi rationibus certare velimus, quas e-
ludit Natura. Eodem jure diceremus, sanguinem ex
cava ex porta ad partium nutritionem defluere posse, nisi
αυτοψια doceret, cavam cordi solum sanguinem ex parti-
bus referre, portam hepati.2. Chylus extrema venarum mesaraicarum oscula {a} potest in-
gredi, ut ab ejus sanguinis calore concoctionem perfectionemque
acquirat, siquidem Cor ipsum non est fons caloris et vitæ, nisi
quatenus sanguinis plurimum in se continet. Ꝝ. Non po-
test venas mesaraicas ingredi, quia nunquam id visum,
nunquam voluit Natura, nusquam patet aditus. Re-
vera non intrare hoc experimentum probat : Si ligatus sit
mesentericus ramus, non impeditur Chylus, quo mi-
nus ad lacteas sensim inde tumentes transeat. At liga-
tis lacteis, restitat chylus, nec ex ventriculo aut intesti-
nis aut lactearum osculis ulterius progreditur. Posset igi-
tur misceri Chylus cum sanguine Portæ, si has vias Na-
tura elegisset, quam ad cerebri nostri figmenta non com-
ponimus. Hypotheses in medicina non sunt fingendæ,
- Sic pour : oscilla.
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expensa à Th. Bartholino.
sed ex Natura eliciendæ, et pessimè artem salvandi homi-
nes prostituimus, quando sine Naturæ consilio hypo-
theses experientiæ præmittimus. Credimus Chylum
non ad Portam sed axillarem progredi, quia id his oculis
videmus, et credere debent, quicunque Naturam ipsam
inspicere volunt. Cordis in me hic non suscipiam defen-
sionem, quod in Anat. Reformata vindicavi, sufficiat jam
demonstrasse, ad solum Cor deduci omnem chylum
tanquam ad Oceanum, ex quo mixtus sanguini et calore
cordis copioso irrigatus, ad universum Corpus cum san-
guine arterioso diffundatur : Si Cor fons sanguinis dici
non meretur, dispeream si id obtinuerit hepar, corde lon-
gè inferius et ignobilius, quæcunque lance expendatur.3. Plures venæ arteriæque ad intestina deferuntur, quam
ad aliquam aliam totius corporis partem, quemadmodum et
uterus gravidationis tempore plurimis vasis scatet, natura e-
nim nihil frustra operatur. Ꝝ. An pro deferendo chylo
tantus in mesaraicis venarum sit numerus, non ausim
probare, quanquam sciam hoc placitum esse Anatomi-
corum fere omnium, qui Asellij ætatem præcesserunt.
Non esse evincam, quia manet idem numerus præsenti-
bus lacteis, et iisdem evanescentibus. Ad hæc exigua
chyli portio, tempore certo distribuenda, non require-
bat tam ampla vasa, nec tantam venarum arteriarumque
congeriem. Nolo repetere argumenta a sensu deprom-
pta, quibus venæ arteriæque meseraicæ inutiles reputan-
tur pro vehendo chylo, quia qui sensuum fidem negat
vic veniam meretur. Nunquam chylus sive in venis
sive arteriis mesentericis visus quomodo igitur vel illa-
rum præsentia vel numerus pro argumento valebit. Ve-
rior usus ex circulatione Harvejana innotescet. Arteriæ
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expensa à Th. Bartholino.
sunt in mesenterio copiosæ, quia partes frigidæ et ex-
sangues et lutulentæ sanguine copioso calido seu arterio-
so indigebant. Venæ autem Portæ propagines nume-
rosè disperguntur, ut sanguinem refluum ex intestinis,
ventriculo, liene, omento, mesenterio etc. ad Hepar
perducant. Hinc porta ampla patensque, sicut et venæ
jugulares capaces, ex cerebro frigido sanguinem reve-
hentes. De utero gravido alia ratio. Nam copioso
sanguine fætus alitur et increscit.4. Omnia animalia sanguinea, quibus nutrimento opus
est, venas mesaraicas sortita sunt, venas autem lacteas non
nisi pauca admodum, idque non perpetuo. Ꝝ. Monstris in
perpetuum animalia sanguinea adnumerabo, quæcunque
lacteis caruerunt, vel chylo turgidis in distributione,
vel illâ sinitâ candicantibus fibrillis. Et optarem vel u-
nicum animalis genus mihi nominari, in quo secundum
Naturæ legem lacteæ deficiant.5. Sicut in fœtu per umbilicalia vasa nutrimur, et per
hepar omne alimentum transit, ita et in adultis fiet. Ꝝ.
Multa in fætu sunt sigularia, quæ in editis mutantur.
Nam alius est utrobique sanguinis motus, alia partium
conformatio. Per vasa umbilicalia nutriri desinit exclu-
sus fætus, quando abscinduntur, et placenta ab utero di-
vellitus, tumque ore mammas sugit, solusque ventri-
culus alimentum concoquit distribuitque per vias â Na-
tura institutas, nempe per Lacteas et Receptaculum. In
fætu quanquam sanguis maternus per umbilicales venas
transeat embrionis hepar, non ideo tamen hepar sangui-
nem conficit, sed vel præparat, vel expurgat, sicut et in
adultis sanguis ex vena portæ hepati redditur depuran-
dus, antequam Cordi infundatur. Itaque Circulatio-
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expensa à Th. Bartholino.
nis leges non infringunt Lacteæ novæ, nec immutatum
Hepatis officium. At quis spondebit, non ex lacteis ve-
nulis fætus ferri aliquid chyli liquidioris ad Cor, siqui-
dem visa etiam sunt vestigia Lacteorum vasorum in nu-
per natis, et ex sententia Hippocratis fætus per os sugit in
utero chylum lacteum. Nam per vasa umbilicalia ma-
jor alimenti portio suppedittatur ex eodem Hippocrate, ut
vero videatur simile, eodem concursu in fætu chyli exi-
guam partem occurrere majori quantitati ex Hepate per
anastomosin advenienti, sicut in adultis.6. In Embryone humano thymum adeó lacte intumescen-
tem reperit, ut primo intuitu apostematis suspicio oboriretur.
Ꝝ. Res admiratione caret, siquidem plerumque thy-
mus major in embryonibus quam adultis, ob copiam hu-
miditatum et lactis, quo in utero nutritur infans. Tur-
gescit eadem humorum copiâ in animalibus nuper natis,
adeo ut thymus vitulorum inter delicias gulæ hoc nomi-
ne â plurimis æstimetur. Neque exinde contra Pecque-
tum quidquam efficietur, quia alibi in fætu lacteus chy-
lus continetur, ideò lacteas venas non posse constituere
vasorum genus singulare. De sanguine notum, quod
per ecchymosin et aneurysma sæpè effundatur, et passim
alibi datâ occasione extra venas quærat diverticula. Vi-
di nuper in muliere honesta, quæ pro prægnante habe-
batur, utrumque ventrem tanta seri sanguinei et grumo-
si sanguinis copia diffluere, ut mesuras nostras sex im-
pleverit, venis exhaustis, et corde sine mica cruoris pla-
nè exsucco. Lac serosum ex papillis infantum, et non-
unquam adultiorum exstillare, certissimum est, pleraque
ejus rei exempla aliàs annotavi, quæ patulas vias et lactei
chyli ubertatem demonstrant.
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expensa à Th. Bartholino.
Sed retraho calamum lacte non sepia fluidum, ut et
candorem meum videas, et in officiis promptitudinem.
Tu meam de Tanti Viri, Summi Reip. Anatomicæ or-
namenti, sententia mentem et amicas responsiones, quas
superaddidi, ne scrupuli Tibi superessent ulli, amico a-
nimo excipe. Visas à me observationes Tibi orbique propo-
sui, quas Natura imperavit, et alii candidi Anatomici ap-
probarunt, interque eos nuper Clarissimus Pecquetus,
qui in secunda auctaque editione Experimentorum suo-
rum Vasa Lymphatica mea insigni elogio est prosequu-
tus. Forsan necdum ad manus Tuas pervenit Disserta-
tio illius nupera de Lacteis Thoracicis, honori meo ami-
cè dedicata. Suas ibi masculè partes pro lacteis contra
Riolanum tuetur, et Lymphatica nostra vasa suâ experi-
entiâ confirmat, ut gratuler mihi habere me tam accura-
tum Naturæ interpretem, observationum mearum fau-
torem, quem opponam Zoilis aliis, qui et Historiæ meæ
veritatem et cætea à me allata in dubium vocare invido
conatu tentarunt. Lymphæ quoque expurgandæ viam
novam per canalem Virsungianum aperit, et usum lacte-
arum et Receptaculi sui in jejunis aut fætu ex Lympha-
ticis commodum divinat. His vale Clarissime Horsti,
Reip. Medicæ bono diu vive, mihique et veritati, ut
cœpisti, fave. Raptim Hafniæ inter publicas occupatio-
nes Prid. Cal. April. Æræ Christianæ m dc lv.
"Jean Pecquet et la Tempête du chyle (1651-1655), édité par Loïc Capron." est mis à disposition selon les termes de la
licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International.